Signes de progrès dans la lutte contre le sida
Get monthly
e-newsletter
Signes de progrès dans la lutte contre le sida
Il a fallu attendre de longues années qui ont fait des centaines de milliers de morts, mais le 1er décembre, le Président sud-africain Jacob Zuma a pris la parole à Pretoria, la capitale, devant une foule enthousiaste et marqué la Journée mondiale de lutte contre le sida en promettant de “déployer tous les efforts, mobiliser toutes les ressources et utiliser toutes les compétences que notre pays possède” pour contrer les progrès de l’épidémie. Il est un moment dans la vie de toutes les nations où le seul choix est de se soumettre à l’ennemi ou de combattre, a déclaré l’ancien dirigeant du mouvement anti-apartheid. “Ce moment est venu dans notre lutte pour vaincre le sida… Nous ne nous soumettrons pas.”
C’était la deuxième fois en deux mois que M. Zuma prononçait un important discours sur le sujet du sida marquant ainsi, selon la plupart des observateurs, une rupture finale et bienvenue avec la politique et les déclarations controversées de son prédécesseur, Thabo Mbeki. Les doutes exprimés en public par M. Mbeki sur les causes de la maladie et l’innocuité des médicaments antirétroviraux qui ciblent le VIH, virus qui cause le sida, ainsi que sur leur efficacité thérapeutique, avaient contribué selon nombre d’observateurs à faire de l’Afrique du Sud le pays du monde possédant le plus grand nombre de personnes infectées.
M. Zuma a eu ses propres difficultés avec cette question ; il s’est exposé au ridicule avec ses commentaires de 2006 recommandant de prendre une douche après des rapports non protégés avec une femme séropositive et il a provoqué l’indignation des militants anti-sida. Mais le discours qu’il a prononcé à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida a été renforcé par l’annonce qu’à partir d’avril 2010, les services de santé publique élargiraient leurs programmes de traitements antirétroviraux pour y inclure tous les enfants en bas âge séropositifs.
Ces nouveaux engagements font suite à ceux qui avaient été pris quelques semaines auparavant de réduire de moitié le taux de nouvelles infections par le VIH et de fournir des traitements antirétroviraux à 80 % au moins des personnes les nécessitant. M. Zuma a demandé à tous les citoyens de se faire tester pour le virus et a promis de mener une “campagne de masse” pour mieux sensibiliser la population, encourager la prévention et combattre la stigmatisation et la discrimination qu’entraîne encore la maladie. Ces changements de substance et de ton dans les déclarations faites par M. Zuma au cours des sept mois qui se sont écoulés depuis son arrivée à la présidence “marquent une rupture fondamentale avec le passé,” a déclaré au cours de la même manifestation Michel Sidibé, Directeur exécutif du programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA).
Présent aux côtés du dirigeant sud-africain, le haut fonctionnaire des Nations Unies, un Malien qui est le premier Africain à diriger cette organisation, a affirmé que M. Zuma avait “mis fin à des années d’ambivalence officielle, appelant les citoyens à prendre la responsabilité de s’informer de leur statut sérologique, de réduire les risques qu’ils courent et de se faire traiter.” Signalant la satisfaction avec laquelle la communauté internationale accueille cette spectaculaire réorientation de la politique du gouvernement sud-africain, M. Sidibé l’a salué comme “l’architecte de la fin de cette épidémie” et qualifié la réaction provoquée par ces annonces parmi les spécialistes de la maladie et les militants anti-sida “d’euphorique.”
Enfin, de bonnes nouvelles
Cette nouvelle orientation est également une excellente nouvelle pour les 5,7 millions de Sud-Africains qui vivent actuellement avec cette infection, ainsi que pour un continent qui a peut être déjà perdu 20 millions de ses habitants à cause du sida, vu ses progrès de développement s’évaporer et qui compte aujourd’hui deux personnes infectées sur trois dans le monde.
Mais les bonnes nouvelles ne se limitent pas à l’Afrique du Sud ; faisant le point dans un publié fin novembre, ONUSIDA a souligné que le nombre de nouvelles infections pour toute l’Afrique subsaharienne avait baissé de 25 % depuis le milieu des années 1990, et que selon certains signes, l’épidémie avait atteint son niveau maximal en 1996.
Selon ONUSIDA, cette baisse est principalement due au succès des programmes de prévention et d’éducation qui ont enfin commencé à changer les comportements des personnes exposées à des risques élevés, dont les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, les travailleurs et travailleuses de l’industrie du sexe, les utilisateurs de drogues injectables et, particulièrement en Afrique, les jeunes femmes.
En Afrique du Sud par exemple, l’utilisation d’un préservatif pendant les premiers rapports sexuels a plus que doublé entre 2002 et 2008 pour s’établir à 64,8 %. Parmi les pays les plus affectés par l’épidémie, le Zimbabwe, la Zambie et la Tanzanie ont tous signalé une baisse régulière des taux de nouvelles infections. Dans le cas du Zimbabwe, ce taux baisse depuis dix ans sous l’influence des programmes de prévention et d’éducation qui ont convaincu les adultes sexuellement actifs de réduire les risques auxquels ils s’exposent et de diminuer le nombre de leurs partenaires.
Le traitement destiné à prévenir l’infection à la naissance des nouveau-nés par leur mère séropositive a aussi eu des résultats probants. Selon ONUSIDA, le pourcentage de femmes qui reçoivent ce traitement a été multiplié par cinq entre 2004 et 2008 pour atteindre 45 %, ce qui a permis d’obtenir une forte baisse du nombre de bébés naissant avec le VIH. L’organisation estime que pour la seule année 2008, 400 000 nouvelles infections de ce genre ont été prévenues à travers le monde.
“Le nombre de nouvelles infections par le VIH et de décès causés par le sida baisse en Afrique subsaharienne” a confirmé M. Sidibé à Afrique Renouveau. “La chute du nombre d’infections est le résultat des effets positifs d’une action de prévention ‘combinée’ du VIH,” une approche qui associe l’éducation du public, l’accès à des préservatifs et à d’autres méthodes de prévention. C’est aussi le résultat de l’affaiblissement des pratiques discriminatoires et des préjugés dont sont victimes les personnes séropositives et les personnes exposées à des risques d’infection élevés, ainsi que de la promotion de comportements sexuels plus responsables.
Améliorer l’accès aux traitements
“Grâce à l’amélioration de l’accès à la thérapie antirétrovirale dans les pays en développement, nous constatons une chute du nombre de décès causés par le sida” par comparaison avec le nombre de personnes victimes de la maladie, explique M. Sidibé ; “fin 2008, on estime que dans les pays à bas et moyens revenus, 4 millions de personnes bénéficiaient d’un traitement antirétroviral.”
Bien que ce chiffre ne représente qu’environ 44 % des Africains qui ont besoin de ces médicaments, il traduit néanmoins une remarquable amélioration de l’accès aux traitements. En 2003, seulement 2 % des Africains qui en avaient besoin pouvaient y accéder. Les antirétroviraux sont désormais administrés à des patients à des stades plus avancés de la maladie, mais ils ne sont devenus plus largement accessibles en Afrique qu’au cours des dernières années à la suite de la baisse de leur prix et de la résolution des conflits concernant les brevets et les règles du commerce international (voir Afrique Renouveau d’avril 2005).
La disponibilité de ces antirétroviraux a permis en 2008 une stabilisation du nombre de décès en Afrique à 1,4 million. Grâce à ces médicaments, le nombre d’Africains séropositifs qui survivent malgré leur infection a augmenté de 2,7 millions.
Malgré ces progrès avertit M. Sidibé, les taux d’infection en Afrique subsaharienne restent cinq fois plus élevés que dans les autres régions du monde.
Le nouveau rapport d’ONUSIDA souligne ce point. Malgré la baisse du nombre d’infections, l’Afrique compte encore la majorité des personnes qui sont infectées par le virus à travers le monde ainsi que 36 des 50 pays où leur nombre dépasse 1 % de la population totale. Les neufs pays où le taux d’infection par le VIH est supérieur à 10 % sont africains, comme le sont plus de 90 % des bébés nés avec le virus. Le nombre de nouvelles infections dépassant largement celui des personnes qui obtiennent un traitement antirétroviral, les programmes de prévention et de traitement restent largement en deçà des besoins, note ONUSIDA.
L’importance de l’autonomisation des femmes
M. Sidibé note que la clé du succès à long terme en Afrique réside dans la réduction des taux d’infection parmi les femmes, qui constituent 60 % des victimes africaines du VIH. “Protéger les femmes contre l’infection par le VIH et traiter celles qui sont séropositives peut stopper l’épidémie. Empêcher les femmes d’être infectées et améliorer leur accès aux traitements contribue aussi à réduire le nombre d’orphelins et celui d’enfants qui naissent avec le VIH.”
Cependant, des inégalités économiques et sociales et des attitudes culturelles envers les femmes solidement ancrées dans les mœurs rendent la lutte contre les aspects sexospécifiques de la pandémie particulièrement difficile. M. Sidibé a ainsi accueilli avec satisfaction l’annonce en septembre dernier de la création d’une nouvelle “super-agence” des Nations Unies rassemblant sous une direction unique les activités éparses menées en faveur des femmes. “Nous espérons que la création d’une nouvelle agence des Nations Unies pour les femmes permettra de remédier à l’inégalité entre les sexes et de promouvoir les droits des femmes et des filles, en particulier en Afrique.”
Les défis à relever
Il sera crucial de faire fond sur ces modestes progrès pour intensifier la lutte contre le sida et permettre au continent d’avancer vers la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement qui comprennent l’universalisation de l’accès aux traitements d’ici à la fin 2010 ainsi que l’arrêt de la propagation du virus et la maîtrise de l’épidémie d’ici à 2015.
Mais les défis à relever sont encore considérables observe M. Sidibé, à savoir :
- Médicaments hors de prix
- Financement insuffisant et imprévisible
- Systèmes de santé fragiles
- Échec de l’adaptation des programmes de prévention et de traitement du VIH aux conditions locales
- Stigmatisation et discrimination à l’encontre des populations vulnérables
M. Sidibé explique que les préjugés contre les homosexuels sont une préoccupation particulièrement sérieuse en Afrique et il note que “les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes se voient souvent refuser l’accès aux programmes de prévention et de traitement. ONUSIDA estime que la criminalisation d’un groupe à risque, quel qu’il soit, aggrave la stigmatisation et la discrimination. L’expérience nous a montré que les réponses efficaces au VIH sont celles qui sont basées sur les droits de l’homme, la tolérance et un libre accès à la prévention, aux traitements, aux soins et au soutien pour les victimes du VIH.”
Il ajoute que “des témoignages d’arrestations arbitraires, de violence et d’autres formes de discrimination fondées sur l’orientation sexuelle d’une personne affluent de nombreux pays. Dans le cas du Sénégal, des organisations internationales – dont ONUSIDA – ont aidé à faire libérer neuf homosexuels emprisonnés depuis décembre 2008.”
Les défenseurs des droits de l’homme et de l’accès aux soins ont également exprimé leurs préoccupations concernant un projet de loi présenté en Ouganda qui prévoit d’imposer dans certaines circonstances la peine de mort aux homosexuels séropositifs qui sont sexuellement actifs et d’exiger que la famille, les amis et les employeurs dénoncent sous peine d’emprisonnement les homosexuels aux autorités.
Le financement constitue un autre obstacle : “bien que le financement de la lutte contre le sida dans le monde se soit accru au fil des années, il existe encore un déficit à combler,” explique le Directeur d’ONUSIDA. “En 2008, on estimait qu’en additionnant toutes les sources de financement de la lutte contre le VIH, nous disposions de 15,6 milliards de dollars, un déficit de financement de 6,5 milliards.” En 2010, les besoins au niveau mondial atteindront 25 milliards de dollars — dont la moitié pour l’Afrique, affirme-t-il.
Un financement compromis
Les chances d’obtenir un financement de cette taille ne sont pas très bonnes, admet M. Sidibé : “Bien que nous ne connaissions pas encore toutes les conséquences que la crise économique aura sur les programmes de lutte contre le VIH, nous constatons déjà les effets négatifs de la crise sur les actions menées au niveau national et local : baisse des revenus des ménages, aggravation de la pauvreté et réduction des crédits budgétaires consacrés par les gouvernements au VIH ainsi que du financement obtenu auprès des bailleurs de fonds multilatéraux et bilatéraux.” Il note que les effets de la crise sur les taux de change ont également rendu les importations d’antirétroviraux et d’équipement médical plus coûteuses.
Le financement de la lutte conte le VIH et le sida est aussi critiqué par certains médecins et chercheurs qui affirment que le financement à grande échelle de cette action se fait au détriment de celui d’autres besoins sanitaires vitaux. Les défenseurs de la campagne contre le VIH/sida répondent que celle-ci a permis de mobiliser des milliards de dollars supplémentaires pour la santé dans les pays africains comme dans les autres pays en développement et a sauvé des millions de vie grâce aux programmes de prévention et de traitement.
Ces critiques auraient aussi beaucoup de mal à convaincre le Président Zuma; le sida, a-t-il déclaré, “n’est pas seulement un grave problème sanitaire. C’est un problème qui a de profondes répercussions sociales, culturelles et économiques.”