Le cinéma nigérian : une mine d’or potentielle ?
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Le cinéma nigérian : une mine d’or potentielle ?
Après des études de chimie, rien ne destinait Jason Njoku à devenir le plus grand distributeur africain de films nigérians. Sa société Iroko Partners a pourtant permis à cet entrepreneur de 32 ans d’engranger plus de 8 millions de dollars depuis sa fondation en 2010. En décembre 2012, lors d’un colloque tenu dans l’État américain du Texas, il a captivé son auditoire en racontant l’histoire de sa réussite après plusieurs tentatives commerciales infructueuses. M. Njoku est aujourd’hui à la tête d’une entreprise de 71 salariés, établie à Lagos, Londres et New York. Classé par le magazine économique américain Forbes parmi les dix jeunes millionnaires africains à suivre, il se targue souvent « d’employer du personnel dans un pays qui a un taux de chômage de 50 % ».
L’industrie cinématographique nigériane contribue incontestablement à la création d’emplois dans un pays dont l’économie dépend surtout du pétrole et de l’agriculture. Plus d’un million de personnes travaillent dans ce secteur, la plus grande source d’emplois après l’agriculture. Malgré la croissance de 7 % de l’économie nigériane prévue cette année par la Banque africaine de développement, le chômage de la jeunesse reste extrêmement préoccupant.
Un million de nouveaux emplois
L’industrie cinématographique nigériane, baptisée Nollywood, produit une cinquantaine de films par semaine, ce qui la place au deuxième rang après Bollywood en Inde et devant Hollywood aux États-Unis. Même si ses recettes ne sont pas comparables à celles de ses homologues indien et californien, Nollywood génère 590 millions de dollars par an. Estimant qu’une meilleure gestion de ce secteur permettrait de créer un million d’emplois de plus, la Banque mondiale aide actuellement le gouvernement nigérian à soutenir l’industrie du divertissement et d’autres secteurs.Ìý
Selon Chioma Nwagboso, spécialiste de la finance et du secteur privé à la Banque mondiale, la Banque a conscience du besoin « d’exportations rentables duÌýpays ». Nollywood a réussi à se développer sans aide publique initiale ; un coup de pouce pourrait lui permettre d’atteindre de nouveaux sommets, ajoute-t-elle.
De faibles coûts de production
Koïchiro Matsuura, ancien Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), explique que « la production vidéo et cinématographique montre comment les industries culturelles, porteuses d’identité, de valeurs et de sens, peuvent mener au dialogue et à l’entente entre les peuples et également à la croissance et au développement économiques ». L’industrie cinématographique africaine n’est pas seulement source de divertissement : c’est aussi une activité lucrative. Le cinéma nigérian est souvent considéré comme le plus populaire du continent.Ìý
Les films nollywoodiens sont très appréciés des Africains du continent et du monde entier. Ils se sont imposés à la faveur de la révolution numérique du début des années 1990, lorsque les caméscopes ont remplacé les caméras de 35 mm. À l’époque, alors que certaines régions du monde s’adaptaient à la nouvelle technologie numérique, le Nigéria a continué d’utiliser des cassettes et des lecteurs de format VHS, faciles d’accès et d’un prix abordable. La technologie cinématographique a finalement évolué lorsque la demande de films sur DVD s’est accrue.
En moyenne, produire un film au Nigéria coûte entre 25 000 et 70 000 dollars, d’après la BBC. Les films sont produits en moins d’un mois et sont rentables deux à trois semaines après leur sortie. La plupart des DVD se vendent à plus de 20 000 exemplaires, et les grands succès à plus de 200 000 exemplaires. Mais les revenus des acteurs de Nollywood restent faibles. Même les plus connus gagnent entre 1 000 et 3 000 dollars par film. Seuls quelques-uns peuvent prétendre à des cachets plus élevés. L’actrice Omotola Jalade Ekeinde s’est récemment classée en tête de la liste des acteurs les mieux payés avec 5 millions de naira (32 000 $) par film.Ìý
Lutter contre le piratageÌý
L’auteur Patrick Ebewo attribue la popularité des films nigérians non seulement à leurs faibles coûts, mais également à leurs « thèmes autochtones dans lequel le grand public se reconnaît ». En associant scénarios africains et technologie occidentale, « ces films décrivent et recréent des événements culturels et socio-politiques », explique M. Ebewo.Ìý
Mais le succès de Nollywood lui vaut aussi d’être souvent piraté. Selon la Banque mondiale, pour chaque exemplaire vendu légalement, neuf autres sont illégaux. « Sur le plan des exportations, ces films sont achetés et visionnés partout dans le monde, dans d’autres pays d’Afrique, en Europe, aux États-Unis et dans les Caraïbes, et presque toutes les exportations sont des exemplaires piratés », observe Mme Nwagboso. Elle ajoute qu’à l’heure actuelle, en raison du faible nombre de filières légales d’exportation de films, les réalisateurs ne sont que peu ou pas du tout rémunérés, et le gouvernement ne perçoit pratiquement aucune recette. La collaboration actuelle de la Banque mondiale et des organismes cinématographiques nigérians s’impose donc de toute urgence, estiment de nombreux analystes.Ìý
Les distributeurs légitimes souhaitent aussi que le piratage prenne fin. « Nous sommes les premiers à Lagos à contacter les sociétés de production, les propriétaires de films et à négocier et signer des contrats avec eux pour qu’ils puissent enfin être rémunérés pour leur travail considérable », affirme M. Njoku.Ìý
Lueur d’espoir
Le gouvernement nigérian et d’autres acteurs de l’industrie, assistés par la Banque mondiale, espèrent financer des mesures de lutte contre le piratage comme le code d’identification de la source. Ce code permettra de vérifier, dans les clubs vidéo et les magasins de vente au détail, que seul le contenu sécurisé numériquement peut être commercialisé.Ìý
Euromonitor International et Reed Exhibitions, les organisateurs du World Travel Market, congrès mondial de l’industrie du voyage, ont prédit dans leur rapport de novembre 2012 que la croissance du PIB de 5,2 % prévue pour l’Afrique en 2013 serait en partie due à la popularité de
l’industrie cinématographique nigériane, qui devrait également favoriser le tourisme régional et national. Lorsque le Nigéria a accueilli en mars les grands noms de l’industrie, le Président Goodluck Jonathan a appelé Nollywood « notre lueur d’espoir », et ajouté : « chaque fois que je voyage à l’étranger, nombreux sont les collègues qui me questionnent au sujet de Nollywood ». Il reste à faire en sorte que cette lueur s’intensifie à l’avenir.