12 décembre 2016

? Cinquante ans de réussite ? aurait pu être le slogan utilisé pour célébrer l’anniversaire de l’adoption, en 1966, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels par l’Assemblée générale. Les droits de l’homme ont été le principal moteur de changement dans la période qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale et, en particulier, depuis la fin de la guerre froide en 1989. Dans cet article, je mettrai en évidence l’impact de ces Pactes sur la poursuite des droits de l’homme dans le monde et la voie à suivre à un moment où le dispositif des droits de l’homme est attaqué.

Le monde a réalisé des progrès dans de nombreux domaines abordés dans le deux Pactes, offrant aujourd’hui de meilleures protections. Il y a 50 ans, on considérait qu’il était normal que la torture fasse partie des enquêtes policières. Cette pratique est encore répandue aujourd’hui, mais elle est moins fréquente. Plus important, tous les acteurs – la police, les procureurs, les juges, les prévenus et les citoyens – savent aujourd’hui que la torture est indéfendable et une violation des droits de l’homme. Mais les Pactes internationaux nous aident à mieux comprendre en quoi consiste la discrimination, en particulier la discrimination raciale. Aujourd’hui, il est généralement admis que tous les enfants ont droit à l’éducation primaire. L’interdiction de la torture et de la discrimination ainsi que la droit à l’éducation ont contribué à la création d’un monde plus humain. C’est ce que l’on pourrait dire de la plupart des droits reconnus dans les Pactes.

Les deux Pactes, ainsi que les autres instruments relatifs aux droits de l’homme, ont établi un langage commun qui pourrait être utilisé aux niveaux mondial et local, à tous les niveaux de la gouvernance. Ce langage a permis d’aborder des discussions difficiles sur la peine de mort, l’esclavage, et l’égalité des sexes. S’il avait été impossible de discuter ouvertement de ces questions, aucun changement n’aurait été possible. Les deux Pactes, ainsi que les autres instruments relatifs aux droits de l’homme, ont aussi mis en place un cadre juridique pour les juristes internationaux et les avocats afin de créer un nouveau corpus juridique que est aujourd’hui appliqué sur tous les continents. Jusqu’au début des années 1990, il était possible d’apprendre tous les aspects du droit des droits de l’homme. Aujourd’hui, peu sont en mesure de ma?triser tous les aspects ne serait-ce même d’un seul des droits inscrits dans les Pactes.

Les organes conventionnels relatifs aux droits de l’homme ont joué un r?le central dans ce développement, en particulier le Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Leurs activités ont eu un effet direct dans le monde en ce qu’elles ont conduit à des modifications de la législation, de la politique et des pratiques des pays et permis à des victimes d’obtenir réparation. Tous les ?tats sont parties à au moins un des principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et plus de 75 % des ?tats sont parties à quatre ou plus, notamment aux deux Pactes.

Les organes conventionnels offrent une possibilité unique d’établir entre les ?tats parties aux conventions et les experts des comités un dialogue constructif sur les questions difficiles concernant des problèmes spécifiques de non-respect des droits de l’homme dans les pays. Les ?tats parties sont souvent réticents à reconna?tre qu’ils ne respectent pas leurs obligations. L’expérience montre, cependant, que les recommandations des organes conventionnels sont prises en compte et examinées dans l’élaboration des politiques des pays.

L’examen des rapports des pays par les organes conventionnels constitue aussi une plate-forme d’échange informelle entre les acteurs de la société civile, les ?tats et les experts. Celle-ci a souvent permis de trouver de nouveaux moyens de progresser et de renforcer l’engagement de la société civile dans les activités des Nations Unies. Malheureusement, cela n’a pas toujours été constructif et, trop souvent, les partenaires de la société civile qui ont comparu devant les Nations Unies ont subi des conséquences graves. Lors de leur retour dans leur pays, ils ont parfois été harcelés, emprisonnés ou exilés. Il faut combattre ces représailles avec fermeté, car elles minent les méthodes de travail acceptées au sein des Nations Unies et empêchent d’aborder ouvertement les réalités sur le terrain.

Pendant de nombreuses années, le Comité des droits de l’homme a joué un r?le central dans le développement de la jurisprudence internationale relative aux droits de l’homme. De la fin des années 1960 à 1990, les principales institutions qui ont développé le droit international des droits de l’homme ont été le Comité des droits de l’homme, la Cour interaméricaine des droits de l’homme et la Cour européenne des droits de l’homme. Cette jurisprudence a servi de base au développement du droit des droits de l’homme qui est en place depuis les 25 dernières années. D’autres cours régionales, comme la Cour de justice européenne et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, un organe quasi-judiciaire, ont ajouté de nouvelles dimensions. Toutefois, les développements les plus importants sont survenus au niveau national, les tribunaux nationaux dans le monde appliquant le droit constitutionnel et international des droits de l’homme dans une plus grande mesure qu’avant. La prise en compte du droit des droits de l’homme dans les cadres juridiques nationaux a contribué à enrichir la jurisprudence relative aux droits de l’homme.

? cet égard, il faudrait également mentionner les Institutions nationales de défense des droits de l’homme (INDH). En 1990, il y avait cinq INDH et seulement quelques organismes de lutte contre la discrimination dans le monde. Aujourd’hui, on en compte plus de 100, ainsi que de nombreux organismes de lutte contre la discrimination, sans parler des organisations de défense des droits des enfants et des agences de protection des données, parmi de nombreux autres. Ces acteurs ayant souvent des compétences quasi-juridictionnelles jouent un r?le important au niveau national dans l’application des traités internationaux et régionaux. Leur expertise a permis d’améliorer les normes relatives aux droits de l’homme et de mieux les comprendre.

Que deviennent alors les organes conventionnels des droits de l’homme des Nations Unies qui jouent le r?le d’instances judiciaires chargées des communications individuelles ? Ayant détenu le quasi-monopole de l’interprétation du droit international des droits de l’homme, ils se trouvent maintenant face à une multitude de cours et de mécanismes nationaux quasi-juridictionnels et doivent répondre aux attentes des ?tats parties, des auteurs des communications et du public. Ce système qui a fonctionné pendant les 25 premières années, lorsque les organes conventionnels étaient la seule option, peut avoir aujourd’hui montré ses limites. Leur contribution au développement du droit international des droits de l’homme est toujours nécessaire, mais on attend d’eux qu’ils soient plus cohérents et plus efficaces. Pour ce faire, on pourrait unifier le traitement des communications individuelles, en mettant en place des procédures juridiques plus rigoureuses et en assurant un plus haut niveau de professionnalisme. On pourrait tirer profit des expériences précieuses des divers cadres régionaux, comme les systèmes africains, européens et interaméricains.

L’Examen périodique universel (EPU), créé en 2006 par l’Assemblée générale en même temps que le Conseil des droits de l’homme, a modifié de manière très significative le paysage institutionnel. Cette procédure dépend, dans une grande mesure, des travaux des organes conventionnels, des autres mécanismes de surveillance ainsi que des informations provenant d’autres sources. Il s’agit d’un mécanisme d’examen par les pairs, devenu rapidement important, chargé d’évaluer la performance des ?tats dans le domaine des droits de l’homme. Le plus souvent, les ?tats se préparent à cet examen et peuvent remédier à des problèmes qui avaient été soulevés par les organes conventionnels ou des procédures spéciales. De nombreux ?tats ont mis en place des mécanismes pour assurer l’application des recommandations faites par la procédure de l’EPU. Dans la majorité des pays, le mécanisme bénéficie d’une meilleure visibilité que les organes conventionnels, malgré la nature plus superficielle de l’examen.

Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) est essentiel pour attirer l’attention sur tous les différents aspects des droits de l’homme. Les sept Hauts Commissaires qui ont exercé leurs fonctions depuis 1994 étaient tous des personnalités connues au niveau international et des voix importantes dans le débat international, ayant mis en évidence des violations des droits de l’homme graves. Ils ont, souvent dans des situations très difficiles, été de manière indépendante un modèle en matière de droits de l’homme. En même temps, ils ont dirigé des discussions importantes au Conseil des droits de l’homme. Le Haut-Commissariat a fourni son appui aux organes conventionnels et aux procédures spéciales et réalisé de nombreuses autres t?ches. L’une des fonctions qu’il a remplie avec beaucoup d’habilité a été de servir de tribune aux discussions difficiles et aux procédures importantes. Gr?ce au r?le de facilitateur du Haut- Commissariat, les INDH se sont rapidement développées sur tous les continents dans les années 1990. Elles sont passées de 5 à 100 en dix à quinze ans. Elles ont également obtenu un statut particulier au sein des Nations Unies, mettant ainsi fin à l’exclusivité des ?tats et des organisations non gouvernementales (ONG) comme seuls acteurs du système. Ce développement a été le moteur de la mise en ?uvre des droits de l’homme dans le monde et le Haut-Commissariat a joué un r?le crucial en la matière.

Le HCDH a également joué un r?le important sur le terrain. ? certains moments, il a régné une incertitude quant à savoir où donner la priorité – Genève ou les communautés locales. Alors qu’aucune autre organisation ne peut mener à bien les t?ches que le Haut-Commissariat réalise à Genève, cela n’est pas le cas pour ce qui est du renforcement des capacités sur le terrain. De nombreuses fa?ons, les organisations spécialisées dans le domaine du développement, comme le Programme des Nations Unies pour le développement, sont mieux

équipées pour développer leurs connaissances sur les droits de l’homme. Mener à bien la double t?che d’assurer le renforcement des capacités et la surveillance s’est révélée pratiquement impossible. Dans les pays confrontés à des défis de taille en matière de droits de l’homme, il est presque impossible de gagner la confiance qui est nécessaire pour travailler avec les principales autorités, comme le ministère de la justice, les organes de police et les autorités judiciaires, et en même temps publier des rapports critiques sur la performance de ces institutions.

Sur le terrain, le travail le plus convaincant est effectué au niveau régional, en donnant des conseils et en dispensant une formation aux autres organismes de l’ONU, aux ONG et aux autorités gouvernementales. Sur le plan régional, la surveillance peut être effectuée à distance par des interactions quotidiennes. ? ce titre, le HCDH joue un r?le décisif pour s’assurer que les connaissances concernant les développements juridiques et politiques élargissant la portée des Pactes ne restent pas dans les tiroirs des bureaux de Genève, mais parviennent à ceux qui travaillent sur le terrain.

Aujourd’hui, de nombreuses organisations aux niveaux régional et international font un travail très important portant sur de nombreux aspects des droits de l’homme, y compris le droit à la santé (l’Organisation mondiale de la santé), le droit à l’éducation (le Fonds des Nations Unies pour l’enfance), le droit à l’alimentation (l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), l’état de droit et le droit à un procès équitable par un jury (le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale), etc. Elles n’adoptent pas nécessairement une approche fondée sur les droits, mais leur travail est souvent influencé par les décisions et les recommandations émanant des organes relatifs aux droits de l’homme basées sur les Pactes internationaux. Les conditions liées aux droits de l’homme mises en place par le FMI et la Banque mondiale, bien que n’étant pas aussi fortes et ciblées que l’auraient souhaité les institutions des droits de l’homme, ont toutefois eu un effet dans de nombreux pays. Elles ont engendré des changements importants en matière d’état de droit et créé un environnement propice à l’ouverture permettant aux acteurs de la société civile de soulever des questions qu’ils considèrent préoccupantes.

Pendant 50 ans, les deux Pactes ont prouvé leur efficacité à renforcer la protection des droits de l’homme dans le monde. Aujourd’hui, le niveau de protection est sans comparaison avec celui qui était? en? place en 1966. Toutefois, des revers surviennent dans de nombreuses sphères, comme le niveau? de? participation de la société civile dans le processus de mise en ?uvre des normes relatives aux droits de l’homme, la liberté d’expression, la protection des minorités, l’état de droit et d’autres questions. Le système qui a joué un r?le si important dans le renforce- ment de la protection des droits de l’homme au cours des 50 dernières années doit donc s’adapter aux défis contemporains.

? cet égard, il est important de se joindre aux efforts et de renforcer le dialogue et la collaboration entre les diverses organisations. Les organisations de longue date, y compris les organes conventionnels des droits de l’homme, doivent changer compte tenu du nombre important de nouveaux acteurs qui, à leur tour, doivent s’assurer que leurs interventions sont fondées sur une connaissance approfondie des éléments juridiques et factuels des problèmes auxquels ils sont confrontés. Toutes les structures de gouvernance, y compris les municipalités, doivent être impliquées. Ce n’est que de cette fa?on que les normes relatives aux droits de l’homme pourront continuer à fournir un espace de dialogue ouvert permettant d’aborder des questions difficiles et à offrir une protection réelle à tous les peuples.? ?

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La?Chronique de l’ONU?ne constitue pas un document officiel. Elle a le privilège d’accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingués ne faisant pas partie du système des Nations Unies dont les points de vue ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Organisation. De même, les frontières et les noms indiqués ainsi que les désignations employées sur les cartes ou dans les articles n’impliquent pas nécessairement la reconnaissance ni l’acceptation officielle de l’Organisation des Nations Unies.?