La pr¨¦vention des guerres et des violations massives des droits de l'homme et la reconstruction des soci¨¦t¨¦s sortant d'un conflit n¨¦cessitent une d¨¦marche qui tienne compte des perspectives ¨¤ la fois des d¨¦fenseurs des droits de l'homme et des sp¨¦cialistes de la r¨¦solution des conflits, ce qui est plus facile ¨¤ dire qu'¨¤ faire. Ces deux groupes envisagent des hypoth¨¨ses diff¨¦rentes, appliquent des m¨¦thodes diff¨¦rentes et ont des contraintes institutionnelles diff¨¦rentes. Ils ont donc tendance ¨¤ se m¨¦fier les uns des autres.

? court terme, les deux groupes cherchent aussi rapidement que possible ¨¤ mettre fin ¨¤ la violence et aux autres souffrances et ¨¤ ¨¦viter les pertes en vies humaines. ? long terme, ils essaient d'aider les soci¨¦t¨¦s ¨¤ prendre les mesures pour ¨¦viter une reprise de la violence et garantir que les droits de chaque ¨ºtre humain sont respect¨¦s. Pourtant les m¨¦thodes employ¨¦es par chacun d'eux pour atteindre ces objectifs et tester la validit¨¦ de ses hypoth¨¨ses sous-jacentes sont diff¨¦rentes. Leurs d¨¦marches sont parfois contradictoires et leurs approches parfois m¨ºme incompatibles. Par exemple, ceux qui participent ¨¤ la r¨¦solution des conflits, d¨¦sireux de parvenir ¨¤ un r¨¨glement n¨¦goci¨¦ d'un conflit avec le minimum de pertes en vies humaines, peuvent ne pas prendre suffisamment en compte l'importance des droits de l'homme dans le succ¨¨s ¨¤ long terme de leur travail et envers les protagonistes qu'ils cherchent ¨¤ r¨¦unir. De leur c?t¨¦, les d¨¦fenseurs des droits de l'homme, en limitant leurs activit¨¦s ¨¤ la d¨¦nonciation, la publicit¨¦ n¨¦gative et la condamnation judiciaire des personnes responsables, peuvent perdre des occasions d'am¨¦liorer les droits de l'homme en appliquant les techniques que les n¨¦gociateurs de conflits utilisent, comme les n¨¦gociations et la diplomatie.

Afin d'analyser de mani¨¨re plus pr¨¦cise ces diff¨¦rences, j'ai fait ¨¦tablir en collaboration avec une coll¨¨gue des droits de l'homme, Ellen Lutz aujourd'hui disparue, une s¨¦rie d'¨¦tudes sur des conflits o¨´ les professionnels en mati¨¨re de droits de l'homme et de r¨¦solution des conflits ont beaucoup travaill¨¦ : la Colombie, la Sierra Leone et l'Irlande du Nord. Notre objectif ¨¦tait de voir comment ces deux groupes ont proc¨¦d¨¦ dans chaque cas et si une interaction constructive a eu lieu. Nos ¨¦tudes de cas ont montr¨¦ deux dilemmes cruciaux qui doivent ¨ºtre examin¨¦s si nous voulons qu'existent une meilleure compr¨¦hension et une plus grande synergie entre les droits de l'homme et la r¨¦solution des conflits dans le domaine de la consolidation de la paix. L'un concerne la tension qui existe entre l'¨¦tablissement de relations non violentes durables entre les groupes en opposition dans un pays et l'engagement des poursuites contre les membres de ces groupes pour violation des droits de l'homme et/ou de crimes de guerre. L'autre a trait au r?le important que la communaut¨¦ internationale joue pour soutenir ou saper les normes qui aideraient ¨¤ int¨¦grer les pratiques des droits de l'homme ¨¤ celles de la r¨¦solution des conflits.
LA RESPONSABILISATION OU L'INCLUSION : Ãå±±½ûµØD?FI DOMINANT PENDANT TOUTES LES PHASES D'Ãå±±½ûµØCONFLIT, PAS SEULEMENT APR?S LA SIGNATURE D'Ãå±±½ûµØACCORD DE PAIX.
L'une des questions les plus difficiles dans la p¨¦riode qui suit un accord de paix est la fa?on d'aborder la question des crimes de guerre et des violations des droits de l'homme commises par le Gouvernement pr¨¦c¨¦dent. Tandis que les d¨¦fenseurs des droits de l'homme font pression pour que les auteurs de crimes soient tenus responsables et punis afin de pr¨¦venir d'autres violences, ceux qui travaillent ¨¤ la r¨¦solution des conflits craignent que la condamnation des auteurs d'actes de violence renforcent les divisions dans la soci¨¦t¨¦, rendant plus difficile le processus de gu¨¦rison.

L'une des conclusions int¨¦ressantes de nos ¨¦tudes de cas est que ce d¨¦saccord quant ¨¤ la question de savoir si les auteurs de crimes doivent ¨ºtre punis ou r¨¦habilit¨¦s a lieu non seulement apr¨¨s qu'un accord a ¨¦t¨¦ conclu mais aussi ¨¤ chaque ¨¦tape du conflit. En Colombie o¨´ la violence continue de s¨¦vir et o¨´ aucun accord n'a ¨¦t¨¦ obtenu, cette tension se manifeste dans l'attitude du Gouvernement face aux forces de la gu¨¦rilla, en particulier aux Forces arm¨¦es r¨¦volutionnaires de Colombie (FARC). L'un des auteurs de l'¨¦tude conclut que si les dirigeants des FARC aspirent ¨¤ l'inclusion et ¨¤ la dignit¨¦, ils ont ¨¦t¨¦ amen¨¦s ¨¤ consid¨¦rer la violence comme le seul moyen de revendiquer leur place dans un Gouvernement duquel ils ont ¨¦t¨¦ exclus pendant des g¨¦n¨¦rations par les lib¨¦raux et les conservateurs. Toutefois, au fil des ans, ces m¨ºmes gu¨¦rilleros se sont livr¨¦s ¨¤ des activit¨¦s ill¨¦gales comme source de financement, notamment les crimes de guerre et le trafic de drogue. Cela constitue un r¨¦el d¨¦fi : reconna¨ªtre les int¨¦r¨ºts l¨¦gitimes des forces de la gu¨¦rilla en ¨¦tablissant que la politique, oppos¨¦e ¨¤ la violence, est le moyen de r¨¦gler les diff¨¦rends (la perspective de la r¨¦solution des conflits) et en m¨ºme temps renforcer l'¨¦tat de droit en traduisant les auteurs de crimes en justice pour leurs activit¨¦s li¨¦es ¨¤ la drogue ainsi que pour les enl¨¨vements (la perspective des droits de l'homme). Comment concilier ces deux points de vue ?

En Sierra Leone, le probl¨¨me ¨¦pineux de l'amnistie de Fodoy Sankoh, le chef et fondateur du groupe rebelle Front r¨¦volutionnaire uni, s'est pos¨¦ durant les n¨¦gociations sur l'accord de paix. L'affaire a ¨¦t¨¦ si importante que le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral Kofi Annan en poste ¨¤ l'¨¦poque, a ¨¦t¨¦ amen¨¦, dans le cadre de la politique institutionnelle, ¨¤ retirer explicitement le soutien de l'ONU ¨¤ l'octroi de l'amnistie aux rebelles pour crimes de guerre en vue d'¨¦tablir processus de paix. Alors que le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral ne pouvait pas imposer de sanctions contre ces leaders, la d¨¦sapprobation de l'ONU concernant leur amnistie a indiqu¨¦ clairement que l'ONU refusait de prendre part ¨¤ ce processus de paix. Depuis les pourparlers de paix en Sierra Leone, la Cour p¨¦nale internationale (CPI) est devenue op¨¦rationnelle, rendant possible les poursuites pour crimes de guerre. Il est donc encore moins probable que les chefs des factions demandent une amnistie totale dans le cadre d'un accord de paix. Il reste ¨¤ voir quel impact la CPI aura sur les prochaines n¨¦gociations de paix. ? l'heure actuelle, les enqu¨ºtes de la CPI sur les actions de l'Arm¨¦e de r¨¦sistance du Seigneur dans le nord de l'Ouganda ont emp¨ºch¨¦ la conclusion des n¨¦gociations de paix.

L'Accord du Vendredi Saint en Irlande du Nord, tout en contenant une composante des droits de l'homme pour guider les futures relations, passe sous silence les actes de discrimination pass¨¦s ¨¤ l'encontre des Catholiques dans la r¨¦gion - qui a ¨¦t¨¦ la cause initiale de la violence lorsque les troubles ont commenc¨¦ ¨¤ la fin des ann¨¦es 1960. Les auteurs de notre ¨¦tude notent que l'?tat a ¨¦t¨¦ fond¨¦ sur la discrimination et que, m¨ºme aujourd'hui, les dispositions de l'accord du Vendredi saint relatives aux droits de l'homme ? ne sont pas suffisamment appliqu¨¦es ?. En effet, au fil des ans, la protection des droits de l'homme a ¨¦t¨¦ d¨¦laiss¨¦e au profit du partage du pouvoir. On peut penser que les actes de violence r¨¦p¨¦t¨¦s de faible intensit¨¦ et la mise en ?uvre incompl¨¨te de l'Accord sont, dans une certaine mesure, dus au fait que les causes du conflit n'ont toujours pas ¨¦t¨¦ abord¨¦es ni examin¨¦es.

Ces ¨¦tudes de cas ne proposent pas de r¨¦ponses ¨¤ ces probl¨¨mes, mais illustrent combien les compromis sont complexes dans le contexte des situations mondiales. Par exemple, aucune analyse syst¨¦matique n'a ¨¦t¨¦ faite pour d¨¦terminer si l'amnistie compromet l'¨¦tat de droit ou les accords de paix. Une telle analyse est n¨¦cessaire.

LA COMMUNAUT? INTERNATIONALE JOUE Ãå±±½ûµØR?LE ESSENTIEL POUR D?TERMINER SI LES PRATIQUES DES DROITS DE L'HOMME ET DE LA R?SOLUTION DES CONFLITS S'OPPOSENT OU SE COMPL?TENT.

Dans nos trois ¨¦tudes de cas, des acteurs ext¨¦rieurs ont jou¨¦ un r?le essentiel dans la fa?on dont les processus des droits de l'homme et de la r¨¦solution des conflits ont ¨¦t¨¦ engag¨¦s. Les ?tats-Unis et les Nations Unies, en particulier, ont donn¨¦ le ton par leurs politiques et leurs comportements.

L'ONU a jou¨¦ un r?le ext¨¦rieur dominant en Sierra Leone en envoyant sur le terrain une ¨¦quipe d'experts en droits de l'homme pour aider ¨¤ ¨¦tablir les dispositions de l'accord de paix, mettre sur pied une commission de la v¨¦rit¨¦ et coordonner les activit¨¦s des nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) qui militent en faveur des droits de l'homme. M¨ºme dans le cas de la r¨¦solution des conflits, comme nous l'avons dit plus haut, le Repr¨¦sentant du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral pour la Sierra Leone a pris fermement position contre l'amnistie pour les violations des droits de l'homme. L'ONU a ¨¦galement contribu¨¦ ¨¤ mettre en place un tribunal pour juger les auteurs de crimes lorsque la violence s'intensifie apr¨¨s la conclusion d'un accord. La collaboration qui a eu lieu entre les acteurs favorables ¨¤ la r¨¦solution des conflits et aux droits de l'homme en Sierra Leone, encourag¨¦e et soutenue par l'ONU, constitue un mod¨¨le positif dont on peut s'inspirer pour organiser des op¨¦rations dans d'autres pays.

Comme le montre notre ¨¦tude de cas, cette collaboration a fait d¨¦faut en Colombie ou en Irlande du Nord. En Colombie, avec ¨¤ la fois la formation militaire et l'appui financier des ?tats-Unis, le Gouvernement a fait le choix d'une approche militaire contre les mouvements de gu¨¦rilla, dans l'espoir de les vaincre et de d¨¦truire le commerce de la drogue. Aucun de ces objectifs n'a ¨¦t¨¦ atteint. Alors que les violations des droits de l'homme d¨¦nonc¨¦es par les ONG et le Haut-Commissaire aux droits de l'homme font l'objet d'une attention internationale, le processus de consolidation de la paix n'a pas re?u un soutien ext¨¦rieur comparable. Il semble que l'engagement de la communaut¨¦ internationale, en particulier celui du Gouvernement am¨¦ricain, n'ont fait qu'aggraver la situation, en particulier en ce qui concerne la collaboration entre les droits de l'homme et la r¨¦solution du conflit.

Dans une certaine mesure, il en va de m¨ºme en Irlande du Nord. Le processus de consolidation de la paix men¨¦ sous les auspices des m¨¦diateurs internationaux, a renforc¨¦ l'id¨¦e que deux groupes ¨¦taient in¨¦vitablement engag¨¦s dans une comp¨¦tition, indiquent les auteurs de notre ¨¦tude de cas. Les accords r¨¦gissant le partage du pouvoir ¨¦nonc¨¦s dans l'Accord du Vendredi saint de 1998 ont renforc¨¦ ces divisions. D'autre part, trente ans de violence auraient pu ¨ºtre ¨¦vit¨¦es si la communaut¨¦ internationale avait ¨¦t¨¦ pr¨ºte ¨¤ faire face ¨¤ la discrimination et aux violations des droits de l'homme qui avaient eu lieu bien avant le d¨¦but des troubles. M¨ºme aujourd'hui, la question des droits de l'homme qui se trouve ¨¤ l'origine du conflit n'est pas r¨¦solue et une violence de faible intensit¨¦ persiste. Les activit¨¦s li¨¦es aux droits de l'homme et celles li¨¦es ¨¤ la r¨¦solution du conflit en p?tissent.

La communaut¨¦ internationale a donc la responsabilit¨¦ d'int¨¦grer les normes des droits de l'homme aux efforts visant ¨¤ consolider la paix lorsque le d¨¦s¨¦quilibre du rapport des forces est important. Les normes des droits de l'homme permettent d'examiner ce d¨¦s¨¦quilibre de deux mani¨¨res. D'abord, elles peuvent renforcer le pouvoir des parties les plus faibles - une norme qui est accept¨¦e par ceux qui ?uvrent ¨¤ la r¨¦solution des conflits. En renfor?ant l'importance des normes des droits de l'homme, le processus de r¨¦solution des conflits par des tiers peut ¨ºtre plus efficace en donnant ¨¤ la partie plus faible le soutien dont elle a besoin pour n¨¦gocier en position plus avantageuse. Deuxi¨¨mement, les normes des droits de l'homme sont importantes pour renforcer l'une des conditions de la souverainet¨¦ d'un ?tat, ¨¤ savoir la responsabilit¨¦ de prot¨¦ger la population civile au sein du pays.

Plus important, ceux qui con?oivent et mettent en ?uvre ces processus de r¨¦solution des conflits en vue de consolider la paix dans les conflits internes ne peuvent pr¨¦sumer que les droits de l'homme ne les concernent pas. Ils constituent des ¨¦l¨¦ments essentiels de la d¨¦mocratie, des indicateurs importants du d¨¦s¨¦quilibre du pouvoir et parfois des abus de pouvoir et souvent une cause et une cons¨¦quence des conflits que nous essayons de r¨¦gler ou de transformer. Il est crucial que les artisans de la paix connaissent et comprennent les points forts et les points faibles des normes des droits de l'homme et sachent utiliser ces normes de mani¨¨re constructive et appropri¨¦e.
* Pour plus de d¨¦tails, voir Babbitt, Eileen F. et Lutz, Ellen L.
(eds.) (2009) Human Rights and Conflict Resolution in Context:
Colombia, Sierra Leone, and Northern Ireland. Syracuse,
New York: Syracuse University Press; Babbitt, Eileen F.
(2008)? Conflict Resolution and Human Rights: Pushing the
Boundaries. ? In Zartman, I.W., et al., (eds.) The Handbook of
Conflict Resolution. San Francisco: Sage Publications