27 juin 2014

La capacit¨¦ de r¨¦sistance des Nations Unies est remarquable. En 70 ans, les pays membres de l¡¯ONU ont vu leur nombre augmenter rapidement avec l¡¯entr¨¦e des pays nouvellement ind¨¦pendants. Il est aussi encourageant de voir qu¡¯aucun pays n¡¯a ressenti le besoin de quitter l¡¯Organisation malgr¨¦ ses lacunes d¨¦mocratiques. La composition et les m¨¦thodes de travail du Conseil de s¨¦curit¨¦, en particulier, sont une source de m¨¦contentement pour beaucoup, comme l¡¯est l¡¯¨¦chec de l¡¯ONU ¨¤ mettre en ?uvre certaines r¨¦solutions de l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale. Pourtant, la prise de d¨¦cision internationale n¡¯a jamais ¨¦t¨¦ aussi inclusive qu¡¯elle ne l¡¯a ¨¦t¨¦ au cours des derni¨¨res d¨¦cennies, en particulier ¨¤ l¡¯Assembl¨¦e, due en grande partie au r?le pr¨¦pond¨¦rant du Groupe des 77 (G77), le plus grand bloc au sein de l¡¯ONU.

Le G77, qui compte aujourd¡¯hui pr¨¨s de 130 membres, comprend une majorit¨¦ importante des 193 ?tats Membres des Nations Unies. Cr¨¦¨¦ il y a 50 ans, initialement avec 77 membres, qui ont donn¨¦ son nom au groupe, il avait pour objectif de contrer l¡¯influence des pays d¨¦velopp¨¦s qui, gr?ce ¨¤ leurs ressources financi¨¨res plus importantes et ¨¤ leur capacit¨¦ ¨¤ financer les organisations internationales, repr¨¦sentaient un poids consid¨¦rable. Malheureusement, les tensions entre ceux qui d¨¦tenaient le pouvoir de la majorit¨¦ et ceux qui tenaient les cordons de la bourse emp¨ºchaient la recherche d¡¯un consensus constructif sur les questions cruciales.

Si certains diplomates exp¨¦riment¨¦s estiment que l¡¯absence d¡¯accord entre les pays d¨¦velopp¨¦s et ceux en d¨¦veloppement est souvent plus une question de pouvoir que de diff¨¦rences id¨¦ologiques r¨¦elles, on peut ais¨¦ment se rendre compte que le Nord et le Sud ont des points de vue qui s¡¯opposent. Les ?tats Membres des Nations Unies ont des priorit¨¦s diff¨¦rentes. Les pays en d¨¦veloppement souhaitent que l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale s¡¯implique davantage dans les questions relatives au d¨¦veloppement et ¨¤ la finance mondiale, tandis que les pays d¨¦velopp¨¦s consid¨¨rent que l¡¯ONU est principalement charg¨¦e d¡¯assurer la paix et la s¨¦curit¨¦ et de r¨¦gler les questions humanitaires urgentes, arguant que les institutions de Bretton Woods et le Programme des Nations Unies pour le d¨¦veloppement (PNUD) ont ¨¦t¨¦ sp¨¦cialement cr¨¦¨¦s pour s¡¯occuper du d¨¦veloppement. Le Sud tend ¨¤ contrer cet argument en faisant observer que ces organismes sont beaucoup trop influenc¨¦s par leurs plus grands donateurs. Par exemple, par les contributions volontaires et sp¨¦cifiques, les pays d¨¦velopp¨¦s ont davantage leur mot ¨¤ dire dans le fonctionnement du PNUD.

Fait int¨¦ressant, le foss¨¦ entre le Nord et le Sud est beaucoup moins prononc¨¦ dans le domaine des droits de l¡¯homme, car de nombreux pays du Sud comme du Nord consid¨¨rent que le respect des droits de l¡¯homme est une condition essentielle ¨¤ l¡¯essor politique et ¨¦conomique d¡¯une nation.

Confront¨¦ ¨¤ deux points de vue divergents, le Secr¨¦tariat de l¡¯ONU fait valoir que la paix et la s¨¦curit¨¦, ainsi que le d¨¦veloppement et les droits de l¡¯homme, sont li¨¦s entre eux et constituent les trois piliers sur lesquels repose le syst¨¨me de l¡¯ONU.

En raison des diff¨¦rences marqu¨¦es entre le Nord et le Sud, les victoires proclam¨¦es par l¡¯un ou l¡¯autre camp sont souvent de courte dur¨¦e, restent sans suite ou n¡¯atteignent pas les buts recherch¨¦s. Au d¨¦but du G77, certains succ¨¨s n¡¯ont pas jamais ¨¦t¨¦ pleinement r¨¦alis¨¦s. Un exemple notable est la r¨¦solution en 1970 qui a d¨¦cid¨¦ que ? chaque pays ¨¦conomiquement avanc¨¦ accro?tra progressivement son aide publique au d¨¦veloppement aux pays en d¨¦veloppement et s¡¯efforcera d¡¯atteindre un montant minimal de valeur nette de 0,7 % de son produit national brut ?. D¨¨s le d¨¦but, les ?tats-Unis ont fait part de leur r¨¦ticence et n¡¯ont jamais eu l¡¯intention de r¨¦aliser cet objectif. M¨ºme les quelques pays qui ont honor¨¦ leur engagement pendant des d¨¦cennies ont r¨¦cemment r¨¦duit leur aide ou incluent de plus en plus dans leurs calculs les co?ts li¨¦s au maintien de la paix, ¨¤ l¡¯aide humanitaire et m¨ºme aux missions commerciales. La r¨¦cession mondiale actuelle contribue sans aucun doute ¨¤ une r¨¦duction de l¡¯aide, ce qui touche les pays en d¨¦veloppement les plus vuln¨¦rables et encore plus ceux qui font face ¨¤ une r¨¦duction de la demande et des prix des produits de base.

Les efforts men¨¦s par les pays plus riches pour instaurer des r¨¦formes en mati¨¨re de gestion ont ¨¦galement connu un succ¨¨s limit¨¦. La d¨¦cision de l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale, prise en 2005, d¡¯examiner les 9 000 mandats d¨¦coulant des r¨¦solutions ¨C plus d¡¯une centaine est ajout¨¦e chaque ann¨¦e ¨C pour d¨¦terminer ceux qui ¨¦taient d¨¦pass¨¦s ou faisaient double usage est un exemple typique. Les pays en d¨¦veloppement ont imm¨¦diatement recouru ¨¤ des man?uvres dilatoires qui ont ind?ment prolong¨¦ l¡¯examen et le projet a ¨¦t¨¦ abandonn¨¦ apr¨¨s quelques ann¨¦es de n¨¦gociations intenses, bien qu¡¯officiellement le processus budg¨¦taire ¨¤ l¡¯ONU ait ¨¦t¨¦ critiqu¨¦, car il emp¨ºchait d¡¯¨¦tablir un lien entre les ressources et les mandats sp¨¦cifiques. Dans la m¨ºme veine, les r¨¦centes n¨¦gociations concernant la coh¨¦rence de l¡¯ensemble du syst¨¨me ¨C un effort pour am¨¦liorer la coordination et l¡¯efficacit¨¦ de entit¨¦s de l¡¯ONU ¨C se sont heurt¨¦es ¨¤ la r¨¦sistance des pays du Sud. En d¡¯autres termes, les pays du Sud se m¨¦fient des ¨¦conomies de co?ts et des mesures d¡¯efficacit¨¦ qu¡¯ils consid¨¨rent comme des tentatives voil¨¦es pour renforcer davantage la mainmise du Nord sur l¡¯ONU. De leur c?t¨¦, les plus grands donateurs ¨¤ l¡¯ONU ¨C les pays d¨¦velopp¨¦s versent trois quarts des contributions au budget ordinaire de l¡¯ONU ¨C estiment que les r¨¦serves ¨¦mises par le Sud emp¨ºchent une bonne gouvernance.

En raison de l¡¯essor et de l¡¯enrichissement rapides de certains pays en d¨¦veloppement ¨C le Br¨¦sil, la Chine, l¡¯Inde parmi d¡¯autres ¨C des diplomates et d¡¯autres acteurs pr¨¦sument que les coalitions comme le G77 ne pourront qu¡¯¨ºtre moins efficaces ou influentes ¨¤ l¡¯avenir. Il est important de noter, toutefois, que le G77 a seulement perdu quelques-uns de ses membres depuis les ann¨¦es 1990. Chypre, Malte et la Roumanie ont quitt¨¦ le G77 pour rejoindre l¡¯Union europ¨¦enne et le Mexique et la Cor¨¦e du Sud pour rejoindre l¡¯Organisation de coop¨¦ration et de d¨¦veloppement ¨¦conomiques (OCDE). Comme la Cor¨¦e du Sud l¡¯a expliqu¨¦ apr¨¨s son d¨¦part en 1997, les r¨¨gles de base de l¡¯OCDE ne lui permettaient pas de continuer ¨¤ ¨ºtre membre du G77.

Pourtant, le G77 ne semble pas avoir de politique officielle concernant le cumul des mandats. Par exemple, lorsque le Chili est entr¨¦ ¨¤ l¡¯OCDE en 2010, il n¡¯a pas quitt¨¦ le G77 pour autant car, pour lui, l¡¯OCDE ne constitue pas un groupe de n¨¦gociation. Mais les deux groupes ont des positions oppos¨¦es concernant certaines questions comme, par exemple, le changement climatique. Les efforts men¨¦s pour pousser le Chili ¨¤ quitter le G77 n¡¯ont donc pas port¨¦ leurs fruits. L¡¯OCDE n¡¯a pas insist¨¦ non plus pour que le Chili se retire du G77. Aujourd¡¯hui, il est difficile de dire si la situation du Chili compromet l¡¯efficacit¨¦ du G77 ou de l¡¯OCDE. Mais vu la taille importante des coalitions, ¨¤ la fois du Nord et du Sud, des divisions internes et des ? fuites ? sur des strat¨¦gies et des positions particuli¨¨res sont probablement in¨¦vitables.

Le probl¨¨me majeur auquel font face les membres du G77 vient incontestablement du manque de prise en compte des int¨¦r¨ºts des pays en d¨¦veloppement ¨¤ l¡¯ONU et du manque d¡¯action pour r¨¦duire l¡¯¨¦cart entre la plupart de ses membres et les pays riches. Alors que le Nord accuse souvent le Sud de prendre du retard dans le domaine du d¨¦veloppement, en grande partie ¨¤ cause d¡¯une mauvaise gouvernance et de la corruption, les pays en d¨¦veloppement estiment que leurs efforts sont principalement frein¨¦s par les mesures protectionnistes et les tarifs mis en place par les pays riches qui emp¨ºchent un commerce ¨¦quitable; par leur incapacit¨¦ ¨¤ honorer les engagements financiers; et par leur refus d¡¯accepter des r¨¦formes importantes ¨¤ la gouvernance ¨¦conomique et financi¨¨re mondiale.

Comme dans tout groupe de grande taille, les diff¨¦rences internes sont in¨¦vitables. Les 133 membres du G77 font face ¨¤ des r¨¦alit¨¦s ¨¦conomiques, g¨¦opolitiques, historiques, culturelles et religieuses diverses. En particulier les int¨¦r¨ºts sp¨¦cifiques des pays sans littoral, des pays les moins avanc¨¦s et des petits ?tats insulaires se refl¨¨tent clairement dans les positions du Groupe ¨¤ ses d¨¦buts. La plupart des questions ¨¤ l¡¯ordre du jour du G77 b¨¦n¨¦ficiant de leurs propres groupes d¡¯appui, il lui est difficile d¡¯¨ºtre souple m¨ºme lorsqu¡¯il serait plus pertinent de faire des compromis. Outre ces factions, l¡¯Afrique, les ?tats producteurs de p¨¦trole, les pays dot¨¦s de grandes for¨ºts, les puissances ¨¦conomiques ¨¦mergentes et les pays d¨¦fendant un agenda anticapitaliste, chacun avec ses propres priorit¨¦s donne ¨¤ la vaste plate-forme du G77 sa forme finale.

Malgr¨¦ cette diversit¨¦, lorsqu¡¯un consensus ne peut ¨ºtre obtenu ¨¤ l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale sur des questions en t¨ºte de liste de l¡¯ordre du jour du G77, les votes indiquent que, dans la majorit¨¦ des cas, le Sud agit ¨¤ l¡¯unisson. Mais, en moyenne, 40 pays en d¨¦veloppement ne participent pas ¨¤ ces votes. Cela ne semble cependant pas ¨ºtre tant un indicateur de dissidences internes, d¡¯un d¨¦sint¨¦r¨ºt ou d¡¯une influence indue du Nord qu¡¯une question de capacit¨¦. Les petites missions ne peuvent simplement pas suivre dans la m¨ºme mesure tous les points de l¡¯ordre du jour et leur appartenance au G77 leur permet de lui d¨¦l¨¦guer certaines prises de d¨¦cision.

Il est ¨¤ la mode, en particulier par les gouvernements du Nord, de r¨¦duire l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale ¨¤ un talk-show qui ne donne pas beaucoup de r¨¦sultats concrets. Mais en ¨¦tudiant attentivement ou objectivement le r?le de l¡¯Assembl¨¦e dans le d¨¦veloppement des piliers cl¨¦s de l¡¯ONU durant les 50 derni¨¨res ann¨¦es, il appara?t clairement qu¡¯elle a ¨¦t¨¦ l¡¯organe le plus efficace dans l¡¯¨¦tablissement de lois, d¡¯institutions, d¡¯organisations et de programmes. Il est incontestable que le G77 a emp¨ºch¨¦ que la prise de d¨¦cision ¨¤ l¡¯ONU soit domin¨¦ par les grandes puissances ou par le processus ? un dollar ? = ? un vote ? pr¨¦conis¨¦ par de nombreux pays du Nord. Si c¡¯est la seule contribution du G77, il m¨¦rite d¡¯¨ºtre couvert d¡¯¨¦loges, car l ¡¯ONU s¡¯effondrerait si elle devenait plus antid¨¦mocratique.? ??

?

La?Chronique de l¡¯ONU?ne constitue pas un document officiel. Elle a le privil¨¨ge d¡¯accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingu¨¦s ne faisant pas partie du syst¨¨me des Nations Unies dont les points de vue ne refl¨¨tent pas n¨¦cessairement ceux de l¡¯Organisation. De m¨ºme, les fronti¨¨res et les noms indiqu¨¦s ainsi que les d¨¦signations employ¨¦es sur les cartes ou dans les articles n¡¯impliquent pas n¨¦cessairement la reconnaissance ni l¡¯acceptation officielle de l¡¯Organisation des Nations Unies.?