11 juillet 2011

Les probl¨¨mes li¨¦s ¨¤ l'interd¨¦pendance mondiale se manifestent de plus en plus. Aux ?tats-Unis, le g¨¦nie financier peut d¨¦terminer la croissance ¨¦conomique dans toutes les parties du monde; les ¨¦missions de dioxyde de carbone de la Chine peuvent affecter les rendements agricoles et les moyens d'existence aux Maldives, au Bangladesh, au Vietnam et dans d'autres pays; une ¨¦pid¨¦mie au Vietnam ou au Mexique peut repr¨¦senter une menace pour la vie publique aux ?tats-Unis. Et une fuite nucl¨¦aire au Japon peut avoir une incidence sur la sant¨¦ publique mondiale. Les difficult¨¦s inh¨¦rentes ¨¤ la conception et ¨¤ la mise en ?uvre de solutions au probl¨¨mes mondiaux par les ?tats-nations sont devenues de plus en plus apparentes. Traditionnellement, deux grands mod¨¨les ont ¨¦t¨¦ utilis¨¦s pour traiter cette situation difficile. Le premier repose sur une grande diversit¨¦ d'alliances et de solutions sp¨¦cialement pr¨¦vues ¨¤ cet effet, et a certes donn¨¦ des r¨¦sultats dont il y a lieu de se r¨¦jouir1. Le deuxi¨¨me mod¨¨le est fond¨¦ sur une d¨¦pendance plus syst¨¦matique aux r¨¨gles du droit international et aussi sur ce qu'on appelle le paradigme des biens publics mondiaux. Les partisans de ce concept indiquent d'abord l'existence de certains biens publics mondiaux, le climat ¨¦tant l'exemple le plus notoire. Le paradigme des biens publics mondiaux implique aussi une certaine commensurabilit¨¦ dans la fa?on dont les gens r¨¦pondent aux divers d¨¦fis collectifs mondiaux. Certains se sentent oppress¨¦s par cette attente d'une commensurabilit¨¦ entre les diverses voies de la gouvernance mondiale alors que d'autres la trouve rassurante et lib¨¦ratrice.

Ces deux mod¨¨les reposent sur l'id¨¦e que la gouvernance mondiale est essentiellement un puzzle technocratique pour lequel le cadre institutionnel fournira les r¨¦ponses n¨¦cessaires. Toutefois, les interactions et les interd¨¦pendances sont devenues trop complexes pour traiter chaque question s¨¦par¨¦ment. En effet, le monde n¨¦gocie un contrat social mondial, pas des solutions technocratiques. La question essentielle qui doit ¨ºtre pos¨¦e concerne les responsabilit¨¦s que nous avons ¨¤ l'¨¦gard des personnes qui ne sont pas nos compatriotes. La question est si simple que l'on est souvent ¨¦tonn¨¦ qu'il n'y ait pas une r¨¦ponse toute faite. C'est en y r¨¦pondant que l'on pourra commencer ¨¤ imaginer un civisme social2.

Il n'y a aucune raison de penser que l'interd¨¦pendance ne se poursuivra pas ou m¨ºme qu'elle diminuera dans un avenir proche. Beaucoup sentent que le contr?le de leur vie leur ¨¦chappe de plus en plus, ce qui conduit ¨¤ l'anomie, ¨¤ l'anxi¨¦t¨¦ et ¨¤ des r¨¦actions n¨¦gatives. Le choix n'est pas entre le retour ¨¤ un pass¨¦ id¨¦alis¨¦ avec des fronti¨¨res solides et des ?tats-nations tout puissants et un destin ¨¤ la merci des vents venant des quatre coins de la plan¨¨te. Il s'agit de choisir si l'humanit¨¦ sera capable de forger un contrat social mondial. Une s¨¦rie de principes directeurs - une boussole morale - est n¨¦cessaire pour donner aux peuples du monde les moyens de naviguer sur les eaux tra¨ªtres de l'interd¨¦pendance mondiale grandissante.

Cette situation s'apparente ¨¤ la conduite d'une voiture. Chaque jour, des millions d'automobilistes roulent ¨¤ des vitesses d¨¦passant 80 km/h et ¨¤ de courtes distances les uns des autres. Un simple coup de volant dans la mauvaise direction serait catastrophique, mais nous roulons confiants car nous avons ¨¦tabli une entente implicite avec les autres conducteurs et avons des attentes raisonnables quant ¨¤ leurs comportements. Ces attitudes et attentes des autres conducteurs, qui servent ¨¤ r¨¦duire les risques th¨¦oriques li¨¦s ¨¤ la conduite d'une voiture, ont lieu parce que les conducteurs suivent un cadre ¨¦tabli de lois, d'habitudes et de conventions.

Dans un monde de plus en plus interd¨¦pendant, les populations ont besoin d'un cadre mondial semblable pour les mettre en confiance. Une partie de ce cadre de r¨¦f¨¦rence doit ¨ºtre fond¨¦ sur le civisme mondial, un syst¨¨me de responsabilit¨¦s que nous sommes pr¨ºts ¨¤ assumer. Nous devons tous nous demander si nous sommes pr¨ºts ¨¤ prendre nos responsabilit¨¦s envers les autres ¨ºtres humains et d¨¦finir en quoi consiste le civisme mondial. Un exercice mental peut nous aider ¨¤ le faire.

Essayons d'imaginer ce qu'on dirait au sept milliardi¨¨me ¨ºtre humain qui na¨ªtrait sur cette plan¨¨te au cours de cette ann¨¦e sur les conditions humaines qu'il ou qu'elle rencontrera. Cette conversation, quoique hypoth¨¦tique, nous aiderait ¨¤ faire le point de la situation mondiale ¨¤ laquelle nous avons tous contribu¨¦. Elle nous aiderait aussi ¨¤ d¨¦terminer nos responsabilit¨¦s les plus importantes envers les uns les autres ainsi qu'envers la prochaine g¨¦n¨¦ration - l'essence du civisme mondial.

La premi¨¨re chose que nous pouvons dire ¨¤ ce nouvel ¨ºtre humain, c'est qu'elle peut esp¨¦rer vivre plus de 70 ans, soit deux fois plus longtemps qu'il y a un si¨¨cle. Nous lui dirions que m¨ºme si le monde est marqu¨¦ par des in¨¦galit¨¦s de revenus et de richesses, les disparit¨¦s en termes d'esp¨¦rance de vie diminuent. Nous pourrions dire en toute bonne conscience que nous poss¨¦dons des instruments de sant¨¦ publique mondiale efficaces, que nous avons ¨¦radiqu¨¦ la variole et que, durant sa vie, on pourrait mettre fin ¨¤ la poliomy¨¦lite et au paludisme. On pourrait lui dire qu'elle suivra des ¨¦tudes pendant plus de 11 ans, l'¨¦ducation ¨¦tant un autre domaine o¨´ il y a d'¨¦normes disparit¨¦s ¨¤ surmonter bien qu'elles soient en voie de diminution. Nous pourrions aussi lui dire que le monde qui l'attend accorde une plus grande importance ¨¤ l'¨¦galit¨¦ des sexes plus que par le pass¨¦, de sorte qu'elle pourra esp¨¦rer un monde plus favorable que celui qu'ont connu sa m¨¨re ou sa grand-m¨¨re.

Si l'on veut lui donner les bonnes nouvelles en premier, nous pouvons, en toute bonne foi, dire que ce sept milliardi¨¨me ¨ºtre humain aura les capacit¨¦s qui non seulement lui donneront les moyens d'agir mais qui auraient ¨¦t¨¦ envi¨¦es par les empereurs et les magnats des si¨¨cles pr¨¦c¨¦dents. Notre nouveau membre de la famille humaine pourra ¨¦galement acc¨¦der ¨¤ l'information et ¨¤ la technologie par le biais de moteurs de recherche comme Google Scholar et Wikipedia. Les Encyclop¨¦distes et les acad¨¦mies des sciences des si¨¨cles pass¨¦s n'auraient jamais imagin¨¦ une telle diversit¨¦ d'informations et de connaissances et leur facilit¨¦ d'acc¨¨s.

En m¨ºme temps, nous devons reconna¨ªtre que des risques importants existent. M¨ºme si nous connaissons les horreurs des g¨¦nocides pass¨¦s et avons jur¨¦ ¨¤ maintes reprises de ne jamais les laisser se reproduire, la triste r¨¦alit¨¦ c'est que personne ne viendrait secourir notre sept milliardi¨¨me ¨ºtre humain si elle faisait face ¨¤ un g¨¦nocide. Nous devrions lui dire que non seulement les puissances militaires mondiales ont souvent abdiqu¨¦ leur responsabilit¨¦ de prot¨¦ger, mais qu'elles n'ont pas non plus permis la mise en place de proc¨¦dures et d'institutions pour cr¨¦er une arm¨¦e de l'ONU compos¨¦e de volontaires en vue d'intervenir dans les cas de g¨¦nocides imminents.

Nous devrions aussi lui dire qu'au cours des vingt derni¨¨res ann¨¦es nous avons d¨¦clench¨¦, d'abord ¨¤ notre insu, puis en connaissance de cause, une cha¨ªne d'¨¦v¨¦nements li¨¦s au changement climatique qui pourraient ¨ºtre bient?t irr¨¦versibles et avoir des cons¨¦quences catastrophiques sur l'environnement. Nous savons aujourd'hui que le prix des hydrocarbures est trop bas et ne refl¨¨te pas le co?t r¨¦el que leur consommation fait subir ¨¤ l'environnement et aux futures g¨¦n¨¦rations. En effet, ces derni¨¨res subventionnent notre protection sociale actuelle et devront payer plus tard la note.

Enfin, il faudrait lui dire que pendant des d¨¦cennies du si¨¨cle pass¨¦, les superpuissances mondiales ont jou¨¦ avec le destin de la civilisation humaine en amassant des milliers de t¨ºtes nucl¨¦aires et que plus d'une fois, le monde a failli ¨ºtre d¨¦vast¨¦ par un holocauste nucl¨¦aire. M¨ºme si aujourd'hui nous ne sommes pas parvenus au d¨¦sarmement nucl¨¦aire total consacr¨¦ dans le Trait¨¦ de non-prolif¨¦ration il y a 40 ans, nous avons consid¨¦rablement r¨¦duit l'arsenal nucl¨¦aire par rapport ¨¤ ce qu'il ¨¦tait.

Ce message de bienvenue ¨¤ notre sept milliardi¨¨me ¨ºtre humain nous offre l'occasion de proc¨¦der ¨¤ une introspection et de pr¨¦senter une comptabilit¨¦ pr¨¦cise des responsabilit¨¦s implicites que nous avons envers les autres ¨ºtres humains et les g¨¦n¨¦rations futures. Il n'existe aucune instance ou aucun groupe privil¨¦gi¨¦ ¨¤ qui revient cette t?che. Nous devons tous chercher nos propres r¨¦ponses et en discuter avec nos pairs. Dag Hammarskj?ld fut l'un des premiers ¨¤ amorcer un d¨¦bat ¨¤ la fois personnel et institutionnel sur l'essence d'un civisme mondial. Il a ¨¦t¨¦ Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral des Nations Unies pendant huit ans, qui ont ¨¦t¨¦ des ann¨¦es de formation pour les Nations Unies et leur nouvelle famille. L'article 28 de la D¨¦claration universelle des droits de l'homme stipule que toute personne a droit ¨¤ ce que r¨¨gne sur le plan international un ordre tel que les droits et libert¨¦s de chaque ¨ºtre humain puissent y trouver effet. Pour atteindre cet objectif audacieux, les Nations Unies doivent simultan¨¦ment repr¨¦senter et transformer le syst¨¨me international actuel. Dag Hammarskj?ld a brillamment r¨¦ussi ¨¤ comprendre et ¨¤ promouvoir cet objectif. John F. Kennedy disait qu'il ¨¦tait le plus grand homme d'?tat du XXe si¨¨cle. Un autre Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral remarquable et prix Nobel de la paix, Kofi Annan, a dit qu'il s'¨¦tait souvent demand¨¦ ce que Dag Hammarskj?ld aurait fait ¨¤ sa place. Il n'y a pas de meilleur ¨¦loge que le respect que l'on a envers ses pairs et ses successeurs.

Dag Hammarskj?ld est la seule personne qui a re?u le prix Nobel de la paix ¨¤ titre posthume, et sa mort est ¨¦galement repr¨¦sentative des d¨¦fis pos¨¦s par le civisme social. Les ¨ºtres humains mortels et faillibles peuvent ¨ºtre diminu¨¦s par les int¨¦r¨ºts du statu quo et l'¨¦normit¨¦ des d¨¦fis mondiaux. Cependant il ne s'agit pas de tomber dans un optimisme na?f. Les id¨¦alistes ont ¨¦t¨¦ qualifi¨¦s de cyniques qui n'ont pas encore ¨¦t¨¦ agress¨¦s par la r¨¦alit¨¦, et cela n'est pas totalement faux. Mais on peut aussi dire que les cyniques sont des id¨¦alistes mod¨¦r¨¦s qui ne demandent qu'¨¤ ¨ºtre d¨¦livr¨¦s de leur pessimisme excessif. Faire la navette entre le possible et l'id¨¦al n'a jamais ¨¦t¨¦ une t?che ais¨¦e et a certainement d¨¦fi¨¦ les r¨¨gles intemporelles. Le meilleur guide que nous ayons sont les chemins qui ont ¨¦t¨¦ trac¨¦s par des personnalit¨¦s comme Dag Hammarskj?ld. Nous devons ¨¦tudier ces chemins et ces situations difficiles et nous mettre ¨¤ tracer notre propre voie.
Notes

1 Pour un rapport sur les syst¨¨mes de gouvernance mondiale existants, voir Hakan Altinay, ? The State of Global Governance : An audit ?, YaleGlobal ().
2 Pour une discussion sur le civisme mondial, voir Global Civics: Responsibilities and Rights in an Interdependent World, (Brookings Institution Press, 2011).

?

La?Chronique de l¡¯ONU?ne constitue pas un document officiel. Elle a le privil¨¨ge d¡¯accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingu¨¦s ne faisant pas partie du syst¨¨me des Nations Unies dont les points de vue ne refl¨¨tent pas n¨¦cessairement ceux de l¡¯Organisation. De m¨ºme, les fronti¨¨res et les noms indiqu¨¦s ainsi que les d¨¦signations employ¨¦es sur les cartes ou dans les articles n¡¯impliquent pas n¨¦cessairement la reconnaissance ni l¡¯acceptation officielle de l¡¯Organisation des Nations Unies.?