Tous les grands singes d¡¯Afrique, les chimpanz¨¦s, les bonobos et les gorilles sont menac¨¦s par la croissance d¨¦mographique, la destruction de l¡¯habitat, le trafic ill¨¦gal des singes destin¨¦s aux parcs de loisirs, aux zoos priv¨¦s et ¨¤ la chasse. La chasse commerciale et la vente d¡¯animaux sauvages pour la consommation constituent les principaux ¨¦l¨¦ments du commerce de la viande de brousse. Cette pratique est tr¨¨s diff¨¦rente de la chasse de subsistance qui consiste ¨¤ tuer des animaux pour nourrir une famille ou un village. Lorsque l¡¯argent est en jeu, tout est permis. Les femelles sont m¨ºme tu¨¦es avec leurs petits, ce qui revient ¨¤ tuer la poule aux ?ufs d¡¯or. Il s¡¯agit d¡¯un commerce non durable. Dans le bassin du Congo, en Afrique centrale et en Afrique de l¡¯Ouest, il constitue l¡¯une des menaces les plus graves pour les chimpanz¨¦s et d¡¯autres animaux menac¨¦s d¡¯extinction qui mettra en p¨¦ril la vie de nombreuses autres esp¨¨ces.
Les ann¨¦es 1980 ont marqu¨¦ le d¨¦but de l¡¯implantation de soci¨¦t¨¦s d¡¯exploitation foresti¨¨re ¨¦trang¨¨res en Afrique et celui du commerce de la viande de brousse. M¨ºme en pratiquant l¡¯exploitation foresti¨¨re durable, ces soci¨¦t¨¦s faisaient des trou¨¦es dans les for¨ºts pour la construction de routes. Les chasseurs, voyageant dans les camions grumiers, ont ainsi pu p¨¦n¨¦trer dans des zones jusqu¡¯alors inaccessibles qui abritaient de nombreuses esp¨¨ces, notamment des chimpanz¨¦s. Les routes ¨¦taient aussi construites pour faciliter l¡¯exploitation mini¨¨re et gazi¨¨re. Les chasseurs campaient au bout de la route et, apr¨¨s des jours de chasse ou de pi¨¦geage, rentraient chez eux ¨¤ bord des camions avec de la viande fum¨¦e ou s¨¦ch¨¦e au soleil. D¡¯autres restaient sur place et vendaient leurs produits aux employ¨¦s des soci¨¦t¨¦s d¡¯extraction. Pour de nombreux citadins africains ais¨¦s, la viande de brousse est un signe de distinction sociale prouvant qu¡¯ils restent fid¨¨les ¨¤ leur culture. Parfois m¨ºme, cette viande est achemin¨¦e vers des communaut¨¦s africaines ¨¤ l¡¯¨¦tranger.
Diverses organisations tentent de contr?ler et de pr¨¦venir de nombreuses fa?ons ce commerce ill¨¦gal. Des soci¨¦t¨¦s d¡¯exploitation foresti¨¨re, comme CBC, qui travaillent avec la Soci¨¦t¨¦ pour la conservation de la vie sauvage dans le nord du Congo, ont ainsi donn¨¦ l¡¯ordre d¡¯interdire le transport de la viande de brousse. Il est toutefois souvent difficile de faire appliquer ces r¨¨gles. J¡¯ai rencontr¨¦ des chauffeurs qui ont ¨¦t¨¦ menac¨¦s s¡¯ils refusaient de satisfaire aux demandes des chasseurs et les forces de police dans les zones rurales font souvent face ¨¤ ce m¨ºme probl¨¨me.
Non seulement le commerce de la viande de brousse menace la vie des animaux sauvages, mais il comporte aussi des risques pour la sant¨¦ humaine. La manipulation, le d¨¦coupage et la cuisson de la viande provenant de certains animaux sauvages repr¨¦sentent un danger pour les ¨ºtres humains. On pense que le virus ?bola, qui a des cons¨¦quences d¨¦vastatrices dans de plus en plus de r¨¦gions d¡¯Afrique de l¡¯Ouest, est transmis par des chauve-souris frugivores, initialement aux chimpanz¨¦s, aux gorilles et aux bonobos. Ces grands singes peuvent ¨ºtre infect¨¦s en mangeant des fruits contamin¨¦s par les fientes de chauves-souris et transmettre ensuite la maladie ¨¤?l¡¯homme. Le virus de l¡¯immunod¨¦ficience humaine (VIH-1), qui cause le sida, d¨¦rive du virus de l¡¯immunod¨¦ficience simienne (SIVcpz) transmis?¨¤ l¡¯homme par les chimpanz¨¦s (Pan troglodytes) d¡¯Afrique centrale. L¡¯origine du VIH-2 est le SIVsmm du macaque mangabey en Afrique de l¡¯Ouest.
Il est possible que les gorilles (et peut-¨ºtre d¡¯autres primates) puissent ¨ºtre porteurs de maladies comme le virus spumeux simien, la varicelle, la tuberculose, la rougeole, la rub¨¦ole, la fi¨¨vre jaune et le pian. Les ¨ºtres humains ont contract¨¦ ces maladies et certains en sont morts. Les ¨¦cureuils d¡¯Afrique (l¡¯H¨¦liosciurus et le Funisciurus) semblent ¨ºtre le r¨¦servoir du virus de la variole du singe en R¨¦publique d¨¦mocratique du Congo (RDC) et leur consommation comme viande de brousse peut constituer un mode tr¨¨s?important de transmission de la maladie ¨¤ l¡¯homme. L¡¯abattage, la cuisson et la consommation de viande de brousse repr¨¦sentent un risque sanitaire pour les populations de ces r¨¦gions, ouvrant une porte par laquelle les maladies peuvent ¨ºtre transmises ¨¤ l¡¯homme, et parfois entra?ner la mort.
Sur la base des indications ci-dessus, il est crucial que les organisations de conservation, notamment le Jane Goodall Institute (JGI), investissent massivement dans l¡¯¨¦ducation, car les communaut¨¦s locales sont sous-inform¨¦es. Les populations urbaines, comme celles qui vivent dans la for¨ºt, ne savent pas qu¡¯il est ill¨¦gal de tuer et de consommer les esp¨¨ces menac¨¦es d¡¯extinction, y compris les chimpanz¨¦s. En fait, la plupart n¡¯ont aucune id¨¦e des animaux qui entrent dans cette cat¨¦gorie ni des dommages graves et potentiellement irr¨¦versibles subis par l¡¯¨¦cosyst¨¨me.
Le JGI et d¡¯autres organisations non gouvernementales (ONG) ont lev¨¦ des fonds pour afficher des panneaux d¡¯information et mener des initiatives de sensibilisation en RDC, comme le programme Roots & Shoots1 dans les ¨¦coles, et organisent des activit¨¦s de sensibilisation pour les membres des communaut¨¦s locales. Ces activit¨¦s sont destin¨¦es ¨¤ les amener ¨¤ participer. Nombre de films, pr¨¦sent¨¦s ¨¤ cette fin dans les langues locales, sont tr¨¨s efficaces pour transmettre le message. ?tablir une relation entre les communaut¨¦s et les animaux vivant dans les habitats environnants est l¡¯une des mesures les plus importantes que nous pouvons prendre pour lutter contre le commerce de la viande de brousse. Il est aussi important d¡¯encourager les autorit¨¦s gouvernementales ¨¤ renforcer l¡¯application de la loi et ¨¤ ¨¦duquer leurs employ¨¦s.
Un autre outil d¡¯¨¦ducation est la cr¨¦ation de sanctuaires pour les chimpanz¨¦s femelles, les orphelins et autres primates qui sont chass¨¦s pour leur viande. Lorsque les communaut¨¦s locales, en particulier les enfants, visitent les sanctuaires accueillant les chimpanz¨¦s, elles sont impressionn¨¦es par les similarit¨¦s entre l¡¯homme et ces animaux. ? la fin de la visite, nous les avons souvent entendus dire qu¡¯ils ne mangeront plus jamais de viande de brousse. Lorsque les populations comprennent qu¡¯il faut tenir compte de ces animaux, qu¡¯ils ont des sentiments et une personnalit¨¦ et, surtout, que le commerce de la viande de brousse est une pratique non durable, leur attitude change tr¨¨s vite. Tout est question d¡¯¨¦ducation.
Il est aussi n¨¦cessaire d¡¯offrir d¡¯autres moyens pour que ces chasseurs puissent gagner leur vie. Dans le grand camp de r¨¦fugi¨¦s qui ont fui la violence dans l¡¯est de la RDC, un chasseur a ¨¦t¨¦ convaincu par un jeune de 15 ans, membre du programme Roots & Shoots du JGI, d¡¯abandonner la chasse d¡¯animaux sauvages pour se consacrer ¨¤ l¡¯¨¦levage de poulets, de canards et de pintades. Le r¨¦sultat a ¨¦t¨¦ si prometteur qu¡¯il a persuad¨¦ 75 autres chasseurs ¨¤ suivre son exemple. Ces hommes sont rentr¨¦s en RDC pour d¨¦buter une nouvelle vie dans ce secteur de l¡¯¨¦levage.
L¡¯¨¦cotourisme est un autre moyen d¡¯am¨¦liorer la situation. L¡¯installation de camps et de huttes dans les r¨¦serves d¡¯animaux sauvages et l¡¯organisation de visites dans les for¨ºts pour les touristes cr¨¦ent des emplois pour les populations vivant autour des r¨¦serves et sont source de devises ¨¦trang¨¨res pour la r¨¦gion. Attirer les touristes contribue ¨¤ comprendre l¡¯importance de la vie sauvage. Nombreux sont ceux qui se souviendront de leurs safaris et de leur rencontre avec les animaux et qui seront alors davantage enclins ¨¤ prot¨¦ger la nature.
Il est clair qu¡¯il est dans l¡¯int¨¦r¨ºt de l¡¯humanit¨¦, des animaux et de l¡¯environnement de tout faire pour mettre un terme au commerce ill¨¦gal de la viande de brousse.??
Notes
1? Roots & Shoots est un programme environnemental et humanitaire du JGI destin¨¦ aux ¨¦l¨¨ves de l¡¯¨¦cole maternelle ¨¤ l¡¯universit¨¦ (et de plus en plus pour les adultes). Son message principal est : Chacun de nous compte, chacun de nous a un r?le ¨¤ jouer. Chaque groupe (qui peut ¨ºtre compos¨¦ de quelques enfants ou d¡¯une ¨¦cole) choisit trois types de projets diff¨¦rents pour faire de ce monde un monde meilleur ¨C un projet pour la communaut¨¦ humaine, un projet pour la communaut¨¦ animale (y compris les animaux domestiques) et un projet pour l¡¯environnement. Ce programme est aujourd¡¯hui pr¨¦sent dans plus de 130 pays et compte environ 150 000 groupes actifs. Il a ¨¦t¨¦ cr¨¦¨¦ en Tanzanie en 1991 et s¡¯est d¨¦velopp¨¦ rapidement, en particulier dans les pays en d¨¦veloppement. Le nom est symbolique. Le plus grand arbre na?t d¡¯une petite graine. De petites racines se forment, puis une petite pousse, qui semble vuln¨¦rable et fragile, appara?t. Pourtant, il y a une force vitale si puissante que pour atteindre l¡¯eau ces racines peuvent traverser la roche et, finalement, la contourner. Pour atteindre la lumi¨¨re, les pousses peuvent se frayer un chemin dans les fissures d¡¯un mur en brique et, finalement, le faire tomber¡la roche et les murs sont les probl¨¨mes sociaux et environnementaux que nous, humains, causons ¨¤ la plan¨¨te. Le message est un message d¡¯ESPOIR? ¨C des centaines et des milliers de jeunes dans le monde peuvent briser les barri¨¨res et faire de cet endroit un monde meilleur pour toutes les cr¨¦atures vivantes.?
?
La?Chronique de l¡¯ONU?ne constitue pas un document officiel. Elle a le privil¨¨ge d¡¯accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingu¨¦s ne faisant pas partie du syst¨¨me des Nations Unies dont les points de vue ne refl¨¨tent pas n¨¦cessairement ceux de l¡¯Organisation. De m¨ºme, les fronti¨¨res et les noms indiqu¨¦s ainsi que les d¨¦signations employ¨¦es sur les cartes ou dans les articles n¡¯impliquent pas n¨¦cessairement la reconnaissance ni l¡¯acceptation officielle de l¡¯Organisation des Nations Unies.?