11 juillet 2011

La recherche de la paix a ¨¦t¨¦ une pr¨¦occupation constante tout au long de l'histoire, et compte tenu de la nature complexe du concept, les id¨¦es et les moyens pour la r¨¦aliser ont ¨¦t¨¦ aussi divers que possible. Certains ont simplement pr¨¦conis¨¦ l'usage de la force; d'autres ont soulign¨¦ l'efficacit¨¦ de l'arbitration ou de l'adjudication internationale, d'autres encore ont estim¨¦ qu'il ¨¦tait utile de cr¨¦er des organisations internationales, dot¨¦es si possible d'un syst¨¨me de s¨¦curit¨¦ collective; certains ont m¨ºme pens¨¦ cr¨¦er une organisation d'int¨¦gration r¨¦gionale pour r¨¦duire la souverainet¨¦ des ?tats; d'autres ¨¦taient convaincus qu'il fallait assurer la s¨¦curit¨¦ pour ¨¦radiquer la pauvret¨¦ abjecte et autres menaces quotidiennes. Aujourd'hui, certains affirment que l'imp¨¦ratif est de gagner la guerre contre le terrorisme transnational.

Cette liste, qui est loin d'¨ºtre exhaustive, montre que les questions de paix sont li¨¦es ¨¤ la probl¨¦matique du jour et ¨¤ l'attitude intellectuelle et politique adopt¨¦e face ¨¤ ces questions. Certains auteurs mettent l'accent sur l'utilisation de moyens de contrainte pour instaurer la paix, alors que d'autres pr¨¦conisent l'utilisation de moyens moins violents, comme les consultations et la coop¨¦ration avec les organisations internationales ainsi que le renforcement des ¨¦tats qui respectent la loi. Cette derni¨¨re id¨¦e moins violente peut aussi comprendre une mutation du concept de la paix vers un concept qui accentue l'importance de la paix positive, qui co?ncide avec l'abolition de la violence structurelle.

Malgr¨¦ la diversit¨¦ des points de vue mentionn¨¦s, il semble que nous pouvons cerner plusieurs tendances dans le processus de renforcement de la s¨¦curit¨¦ et de la paix mondiales, surtout si nous mettons de c?t¨¦ le probl¨¨me de la violence structurelle. Premi¨¨rement, le processus mondial pour la paix a ¨¦volu¨¦ autour de l'axe de la judiciarisation, c'est-¨¤-dire l'¨¦tablissement de normes juridiques qui r¨¦gissent les grandes questions internationales et l'appui aux ?tats pour qu'ils respectent ces normes. Les tentatives faites pour proscrire les conflits en sont une preuve ¨¦vidente, de l'¨¦tablissement de r¨¨gles discr¨¨tes pour r¨¦gulariser la guerre ¨¤ l'interdiction g¨¦n¨¦rale du recours ¨¤ la force. Deuxi¨¨mement, ce processus mondial est ¨¦galement caract¨¦ris¨¦ par la notion de l¨¦gitimit¨¦, qui est devenue un aspect essentiel pour r¨¦aliser la paix. Les efforts faits pour obtenir du Conseil de s¨¦curit¨¦ l'autorisation de recourir ¨¤ la force illustre cette tendance. Et troisi¨¨mement, l'institutionnalisation du processus de consolidation de la paix, ce qui signifie un engagement multilat¨¦ral progressif vers la promotion de la paix et de la s¨¦curit¨¦ mondiales, m¨ºme si le bilat¨¦ralisme n'est pas compl¨¨tement exclu.

? cet ¨¦gard, ce qui importe, c'est que les principes de l¨¦galit¨¦ et l¨¦gitimit¨¦, s'ils sont combin¨¦s, d¨¦bouchent in¨¦vitablement sur le principe de multilat¨¦ralisme. Afin de l¨¦galiser et l¨¦gitimer leurs comportements, les ?tats collaborent dans des cadres multilat¨¦raux tels que les Nations Unies.

Il ne faut cependant pas croire que le multilat¨¦ralisme tel qu'il se pr¨¦sente aujourd'hui est une panac¨¦e et garantit la paix ¨¤ tout moment et en tout lieu. Par exemple, il est faux de dire que l'ONU contribue ¨¤ freiner ou ¨¤ r¨¦gler tous les conflits internationaux ou nationaux. On observe plut?t que le multilat¨¦ralisme va au-del¨¤ des simples relations amicales entre ?tats; c'est une antith¨¨se de l'unilat¨¦ralisme, contenant donc le principe de l¨¦galit¨¦ commun¨¦ment respect¨¦ et le principe de l¨¦gitimit¨¦ largement accept¨¦. Le multilat¨¦ralisme n'est pas simplement un fait; c'est ¨¤ la fois, une norme qui sert ¨¤ limiter les comportements ¨¦go?stes des ?tats et un principe directeur permettant de prendre des d¨¦cisions et des actions communes.

Un autre imp¨¦ratif dict¨¦ par le multilat¨¦ralisme est que les institutions de l'ONU sont li¨¦es aux principes de l¨¦galit¨¦ et de l¨¦gitimit¨¦ et tenues de respecter la volont¨¦ collective. Cela s'applique en particulier au Conseil de s¨¦curit¨¦ qui est dot¨¦ de pouvoirs exceptionnels pour faire respecter les lois et/ou les politiques et dont les actions doivent ¨ºtre l¨¦gales et l¨¦gitimes - l¨¦gales dans le sens o¨´ elles sont conformes ¨¤ la fois ¨¤ la Charte des Nations Unies et aux autres r¨¨gles du droit international et l¨¦gitimes dans le sens o¨´ elles refl¨¨tent la volont¨¦ commune des ?tats Membres au lieu de la volont¨¦ de quelques-uns. M¨ºme si ces objectifs ont pu para¨ªtre tr¨¨s ambitieux lorsqu'il a ¨¦t¨¦ cr¨¦¨¦ en 1945, le Conseil de s¨¦curit¨¦ a ¨¦t¨¦ de plus en plus sollicit¨¦ pour r¨¦gler les conflits, avec le renforcement de la notion de d¨¦mocratie, en particulier apr¨¨s la fin de la guerre froide lorsque le Conseil a commenc¨¦ ¨¤ utiliser son extraordinaire pouvoir de fa?on plus appuy¨¦e.

Un cas r¨¦cent ¨¤ cet ¨¦gard concerne le r¨¦gime de sanctions impos¨¦es par le Conseil contre les Talibans et les membres d'Al-Qa?da ou ceux soup?onn¨¦s d'¨ºtre en rapport avec eux, ce qui constitue une partie de la lutte contre le terrorisme. Un comit¨¦ cr¨¦¨¦ conform¨¦ment ¨¤ la r¨¦solution 1267 (1999) du Conseil, appel¨¦ le ? Comit¨¦ des sanctions contre Al-Qa?da et les Talibans ?, a ¨¦tabli une liste des personnes et des organisations et des individus suspects et a impos¨¦ des sanctions cibl¨¦es, y compris le gel de leurs avoirs.

Ces sanctions pouvant constituer une violation de certains droits de l'homme fondamentaux des personnes cibl¨¦es, plusieurs plaintes ont ¨¦t¨¦ port¨¦es devant la Cour de justice europ¨¦enne (CJE). L'affaire Kadi a ¨¦t¨¦ particuli¨¨rement remarquable car la partie requ¨¦rante a contest¨¦ la l¨¦galit¨¦ d'un r¨¨glement du Conseil de l'Union europ¨¦enne appliquant la r¨¦solution du Conseil de s¨¦curit¨¦ sur les sanctions. Le tribunal de premi¨¨re instance a rejet¨¦ la demande des requ¨¦rants1, mais la CJE l'a accept¨¦e, reconnaissant que le r¨¨glement en question violait les droits de l'homme des requ¨¦rants - dans ce cas, le droit ¨¤ la propri¨¦t¨¦ et le droit ¨¤ un proc¨¨s ¨¦quitable2. La CJE n'a pas statu¨¦ sur la l¨¦galit¨¦ de la r¨¦solution du Conseil, mais a failli entra¨ªner un r¨¦examen judiciaire de ladite r¨¦solution et, en fait, y a indirectement contribu¨¦.

Des critiques portent sur le fait que l'arr¨ºt rendu par la CJE affiche l'exceptionnalisme europ¨¦en ou qu'il peut entraver les efforts du Conseil de s¨¦curit¨¦ ¨¤ assurer la paix et la s¨¦curit¨¦ mondiales. Mais on peut aussi penser que m¨ºme le Conseil n'est pas ¨¤ l'abri d'un examen pour assurer la l¨¦galit¨¦ de ses r¨¦solutions. Il serait plus souhaitable que la Cour de justice internationale se charge de la t?che (des arguments existent contre), mais si elle n'est pas en mesure de le faire ou ne le fait pas, d'autres organes judiciaires comme la CJE pourrait assumer l¨¦gitimement la fonction.

Le fait est que m¨ºme le Conseil de s¨¦curit¨¦ n'est pas ¨¤ l'abri de l'exigence de l¨¦galit¨¦ dans ses activit¨¦s. Si la l¨¦galit¨¦ n'est pas assur¨¦e, ses r¨¦solutions et/ou ses activit¨¦s peuvent aussi perdre leur caract¨¨re l¨¦gitime en tant que mesures prises par le gardien de la paix et de la s¨¦curit¨¦ internationales. En ce sens, l'arr¨ºt rendu par la CJE a permis au syst¨¨me des Nations Unies de r¨¦fl¨¦chir sur le degr¨¦ de l¨¦gitimit¨¦ de ces activit¨¦s.

C'est dans ce contexte qu'en 2009, le Conseil de s¨¦curit¨¦ a cr¨¦¨¦ le Bureau de m¨¦diateur pour superviser les travaux du Comit¨¦ des sanctions et aider les personnes et les entit¨¦s inscrites qui souhaitaient ¨ºtre radi¨¦es de la liste. Cette initiative a ¨¦t¨¦ prise pour garantir une proc¨¦dure r¨¦guli¨¨re et l'¨¦tat de droit dans les activit¨¦s pour la paix et la s¨¦curit¨¦ qui, ¨¤ leur tour, permettent de renforcer la l¨¦gitimit¨¦ des mesures prises contre ceux qui sont soup?onn¨¦s de terrorisme.

Les mesures de lutte contre le terrorisme sont importantes, mais il ne suffit pas qu'elles soient adopt¨¦es de mani¨¨re l¨¦gale par le Conseil ou ses organes subsidiaires; elles doivent ¨ºtre accompagn¨¦es de transparence et d'une proc¨¦dure par laquelle les suspects ont le droit d'¨ºtre entendu. Cela donnerait ¨¤ l'ONU une plus grande l¨¦gitimit¨¦ fond¨¦e sur la l¨¦galit¨¦.

Satisfaire aux exigences de la l¨¦galit¨¦ et de la l¨¦gitimit¨¦ risque d'engendrer une certaine forme de constitutionnalisme mondial compos¨¦e de quelques normes universellement accept¨¦es et au moins de quelques normes imp¨¦ratives. Il y a lieu de se demander si la Charte des Nations Unies repr¨¦sente le fondement du droit international; toutefois, il est clair que les organismes de l'ONU devraient ¨ºtre au c?ur de cette constitutionnalisation du monde et du droit international. Cela ne signifie pas que l'ONU s'est m¨¦tamorphos¨¦e en un L¨¦viathan, m¨ºme si son objectif d'¨ºtre investie d'un pouvoir est juste, mais qu'elle est devenue aujourd'hui le c?ur de l'¨¦tat de droit mondial.

Ce r?le de l'ONU dans le processus de constitutionnalisation comprend aussi l'examen critique du comportement des ?tats d'un point de vue juridique. Un exemple important est le rapport soumis au Conseil des droits de l'homme par le Professeur Alson en mai 2010 sur le recours aux ex¨¦cutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires. Le rapport a examin¨¦ la l¨¦galit¨¦ des assassinats cibl¨¦s qui avait fait l'objet de critiques. Ce travail ¨¦tait courageux et a ¨¦t¨¦ pr¨¦sent¨¦ ¨¤ point nomm¨¦, en particulier maintenant o¨´ la l¨¦galit¨¦ de l'assassinat dOussama Bin Laden va ¨ºtre examin¨¦e. La guerre contre le terrorisme ne justifie pas tout d'un point de vue juridique, mais il faut examiner de pr¨¨s la l¨¦galit¨¦ et la l¨¦gitimit¨¦ des actions men¨¦es dans ce but. C'est seulement par cet examen minutieux que la lutte contre le terrorisme fera partie de la constitutionnalisation du droit international et donc de l'¨¦tat de droit mondial.

?

La?Chronique de l¡¯ONU?ne constitue pas un document officiel. Elle a le privil¨¨ge d¡¯accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingu¨¦s ne faisant pas partie du syst¨¨me des Nations Unies dont les points de vue ne refl¨¨tent pas n¨¦cessairement ceux de l¡¯Organisation. De m¨ºme, les fronti¨¨res et les noms indiqu¨¦s ainsi que les d¨¦signations employ¨¦es sur les cartes ou dans les articles n¡¯impliquent pas n¨¦cessairement la reconnaissance ni l¡¯acceptation officielle de l¡¯Organisation des Nations Unies.?