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La promotion des droits de l'homme comme contre-culture Les droits de l'homme sont des droits que les ¨ºtres humains revendiquent aupr¨¨s de l'?tat et de la soci¨¦t¨¦. Pourtant, ces droits ont ¨¦t¨¦ continuellement bafou¨¦s partout dans le monde. Toutes les civilisations ayant ¨¦t¨¦ patriarcales1, quelle que soit la situation g¨¦n¨¦rale des droits de l'homme dans une soci¨¦t¨¦, les femmes plus que les hommes ont ¨¦t¨¦ victimes des violations des droits de l'homme. Les femmes constituent les groupes les plus pauvres et les plus d¨¦munis de leur communaut¨¦. On leur nie l'acc¨¨s ¨¤ l'¨¦ducation, ¨¤ la formation professionnelle, ¨¤ l'emploi, aux loisirs, aux revenus, ¨¤ la propri¨¦t¨¦, aux soins de sant¨¦, aux fonctions publiques, ¨¤ la prise de d¨¦cision, aux libert¨¦s, ainsi qu'au contr?le de leur propre corps et de leur propre vie2. Les normes culturelles, les lois et les philosophies, notamment celles qui sont consid¨¦r¨¦es progressistes et ¨¦mancipatrices, sont g¨¦n¨¦ralement discriminatoires ¨¤ l'¨¦gard des femmes.
ABSENCE DES FEMMES
La notion du droit naturel chez les Sto?ciens, selon laquelle les ¨ºtres humains dont dot¨¦s de certains droits inali¨¦nables ¨¤ la naissance, n'a pas inclus les femmes. Quand le chef de l'?glise chr¨¦tienne, saint Thomas d'Aquin (1225-1274), a ¨¦tudi¨¦ la philosophie grecque - en grande partie par le biais des ¨¦crits des philosophes musulmans Avic¨¨ne (Inn Sina, 980-1037) et Averro¨¨s (Inb Rushd, 1126-1198) qui ont ¨¦tudi¨¦ la philosophie grecque, ont r¨¦concili¨¦ la raison et la foi et se sont faits les champions de l'¨¦galit¨¦ et de la tol¨¦rance religieuse - il a int¨¦gr¨¦ la th¨¦orie des droits naturels dans son enseignement. Il n'a toutefois pas repris la th¨¨se ¨¦galitaire d'Averro¨¨s qui s'opposait au traitement in¨¦gal des sexes consid¨¦rant que r¨¦duire le r?le des femmes ¨¤ la procr¨¦ation et les exclure de la soci¨¦t¨¦ ¨¦tait nuisible au progr¨¨s ¨¦conomique de la soci¨¦t¨¦ et entra¨ªnait la pauvret¨¦3. Au contraire, saint Thomas d'Aquin a adopt¨¦ la conception misogyne d'Aristote selon laquelle la femme est un ? m?le manqu¨¦ ? et s'est demand¨¦ pourquoi Dieu avait cr¨¦¨¦ la femme, cet ¨ºtre d¨¦fectueux, dans la cr¨¦ation des choses4, tandis que d'autres P¨¨res de l'?glise se sont demand¨¦ si les femmes avaient une ?me, c'est-¨¤-dire si elles ¨¦taient des ¨ºtres humains ¨¤ part enti¨¨re.
Plus tard, des philosophes modernes comme Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) ont d¨¦fendu les libert¨¦s et les droits politiques mais rejet¨¦ la notion d'¨¦galit¨¦ des sexes. Au XVIIIe si¨¨cle, la ferveur r¨¦volutionnaire qui a combattu l'oppression a donn¨¦ lieu ¨¤ la D¨¦claration fran?aise des droits de l'homme et du citoyen (1789). Toutefois, la formulation des droits de l'homme dans ce document, qui continuera d'inspirer les peuples du monde entier pendant des si¨¨cles, est l'expression du sexisme qui pr¨¦valait alors et a omis les femmes. Quelques femmes de l'¨¦lite, comme la dramaturge et essayiste fran?aise Olympe de Gouges (1748-1793) et la philosophe anglaise Mary Wollstonecraft (1759-1797) ont object¨¦ et ont d¨¦fendu les droits des femmes en publiant respectivement la D¨¦claration des droits de la femme (1790) et la D¨¦fense des droits des femmes (1791). La collaboration d'Harriet Taylor Mill (1807-1858) et de son mari John Styart Mill (1806-1873) a donn¨¦ lieu ¨¤ des ¨¦crits qui d¨¦fendent les droits de femmes et l'¨¦galit¨¦ politique5.
Pourtant, les pr¨¦jug¨¦s ¨¤ l'¨¦gard des femmes ont pr¨¦valu durant le XXe si¨¨cle. M¨ºme les membres de la Commission qui ont r¨¦dig¨¦ le projet de D¨¦claration universelle des droits de l'homme de 1948 ont approuv¨¦ l'emploi du terme ? homme ? pour d¨¦signer le d¨¦tenteur des droits. Quand le d¨¦l¨¦gu¨¦ sovi¨¦tique, Vladimir Korestsky, a critiqu¨¦ l'emploi de l'expression ? tous les hommes ? comme ¨¦tant ? un atavisme historique qui nous emp¨ºchait de comprendre que nous les hommes formions seulement la moiti¨¦ de l'esp¨¨ce humaine ?, la pr¨¦sidente de la Commission, Eleonor Roosevelt, a d¨¦fendu la formule en disant : ? Quand nous disons "tous les hommes sont des fr¨¨res", nous voulons dire que tous les ¨ºtres humains sont des fr¨¨res et nous ne faisons pas de distinction entre les hommes et les femmes6. ? L'expression a donc ¨¦t¨¦ maintenue pendant un certain temps. Dans la plupart des cas, le projet final a adopt¨¦ l'emploi de termes neutres comme ? ¨ºtres humains ?, ? quiconque ? et ? toute personne ?, et le Pr¨¦ambule a inclus une r¨¦f¨¦rence sp¨¦cifique aux ? droits ¨¦gaux des hommes et des femmes ? gr?ce, en grande partie, aux efforts de deux femmes membres de la Commission, Hansa Mehta (Inde) et Minerva Benardino (R¨¦publique dominicaine)7.
Cependant, la D¨¦claration universelle et les documents sur les droits de l'homme suivants adopt¨¦s par les Nations Unies et d'autres organisations intergouvernementales ont continu¨¦ d'employer le pronom ? il ? conform¨¦ment ¨¤ la tradition selon laquelle le pronom masculin signifie et comprend le pronom f¨¦minin. Malgr¨¦ leurs dispositions antidiscriminatoires clairement d¨¦finies et fr¨¦quemment invoqu¨¦es stipulant que le sexe en tant que caract¨¦ristique ou statut ne peut ¨ºtre utilis¨¦ ¨¤ des fins discriminatoires ou de d¨¦ni des droits de l'homme, les documents publi¨¦s par les Nations Unies n'ont pas r¨¦ussi ¨¤ garantir que les droits de l'homme soient applicables de mani¨¨re ¨¦gale aux deux sexes8. M¨ºme ¨¤ l'ONU, les postes ¨¦lev¨¦s ¨¦taient r¨¦serv¨¦s aux hommes, les femmes ¨¦tant cantonn¨¦es aux emplois administratifs peu r¨¦mun¨¦r¨¦s, perp¨¦tuant ainsi la s¨¦gr¨¦gation professionnelle. Toutefois, ¨¤ partir des ann¨¦es 1970, des progr¨¨s importants ont ¨¦t¨¦ r¨¦alis¨¦s par plusieurs organisations intergouvernementales et non gouvernementales ainsi que par des organisations gouvernementales pour r¨¦duire les disparit¨¦s entre les sexes.
LE CEDAW : Ãå±±½ûµØTRAIT? INTERNATIONAL POUR LES DROITS DES FEMMES
Une ¨¦tape importante fut la r¨¦solution de l'Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale de l'ONU en d¨¦cembre 1972, qui a d¨¦clar¨¦ 1975 l'Ann¨¦e internationale de la femme. En 1975, la premi¨¨re conf¨¦rence mondiale de l'ONU sur les femmes, qui s'est tenue ¨¤ Mexico, a proclam¨¦ 1976-1985 la D¨¦cennie des femmes des Nations Unies. D'importants efforts ont ¨¦t¨¦ d¨¦ploy¨¦s et un grand nombre de mesures ont ¨¦t¨¦ prises pendant la D¨¦cennie : davantage de conf¨¦rences sur les femmes ont ¨¦t¨¦ organis¨¦es, des institutions sp¨¦cialis¨¦es ont ¨¦t¨¦ cr¨¦¨¦es, comme le Fonds de d¨¦veloppement pour les femmes (UNIFEM) et l'Institut de recherche et de formation international pour la promotion de la femme (instraw), qui a promu le Service de la promotion de la femme au statut de ? division ? et plac¨¦ les droits des femmes sur l'agenda d'autres conf¨¦rences et organisations. L'¨¦v¨¦nement le plus important de la D¨¦cennie fut, sans doute, la pr¨¦paration de la Convention sur l'¨¦limination de toutes les formes de discrimination ¨¤ l'¨¦gard des femmes (CEDAW), qui a ¨¦t¨¦ adopt¨¦e par l'Assembl¨¦e en 1979.
La cedaw a ¨¦t¨¦ l'aboutissement d'un long processus, mais a connu une impulsion nouvelle en 1973 avec la Commission de la condition de la femme (CCF). Dans son dossier de travail, la Commission a d¨¦clar¨¦ que ni la D¨¦claration sur l'¨¦limination de la discrimination ¨¤ l'¨¦gard des femmes (1967), ni les trait¨¦s des droits de l'homme juridiquement contraignants n'avaient r¨¦ussi ¨¤ am¨¦liorer la situation des femmes. Elle a ¨¦galement plaid¨¦ pour la convocation d'une seule convention g¨¦n¨¦rale qui contraindrait les ?tats ¨¤ ¨¦liminer les lois discriminatoires ainsi que la discrimination de fait. Compos¨¦e de 30 articles divis¨¦s en six parties, la cedaw d¨¦finit la ? discrimination ¨¤ l'¨¦gard des femmes ? dans le premier article comme suit : ? Aux fins de la pr¨¦sente Convention, l'expression "discrimination ¨¤ l'¨¦gard des femmes" vise toute distinction, exclusion ou restriction fond¨¦e sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de d¨¦truire la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice par les femmes, quel que soit leur ¨¦tat matrimonial, sur la base de l'¨¦galit¨¦ de l'homme et de la femme, des droits de l'homme et des libert¨¦s fondamentales dans les domaines politique, ¨¦conomique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine. ?
Les 15 articles suivants de la Convention (articles 2 ¨¤ 16) sp¨¦cifient les domaines de discrimination, le domaine juridique, la structure l¨¦gale, la vie politique et publique, l'¨¦ducation, l'emploi, la sant¨¦, l'environnement rural, le mariage et la famille, o¨´ les ?tats doivent s'engager ¨¤ prendre des mesures pour ¨¦liminer la discrimination. Les deux derni¨¨res parties (articles 17 ¨¤ 30) sont consacr¨¦es ¨¤ la mise en ?uvre de la Convention. ? Aux fins d'examiner les progr¨¨s r¨¦alis¨¦s dans l'application de la pr¨¦sente Convention ?, l'Article 17 ¨¦tablit le Comit¨¦ pour l'¨¦limination de la discrimination ¨¤ l'¨¦gard des femmes ou cedaw, un organe de surveillance et de conseils. Le Comit¨¦ ¨¦value les rapports soumis p¨¦riodiquement par les ?tats parties, interroge les d¨¦l¨¦gations gouvernementales qui pr¨¦sentent le rapport, guide et conseille les ?tats parties pour atteindre l'objectif de la Convention et formule des recommandations g¨¦n¨¦rales qui aident ¨¤ interpr¨¦ter l'objet et la port¨¦e de la Convention.
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Les recommandations g¨¦n¨¦rales formul¨¦es par le Comit¨¦ ont ¨¦t¨¦ importantes pour ¨¦laborer les clauses de la Convention et attirer l'attention sur les violations des droits de l'homme fond¨¦es sur le sexe ainsi que sur les comportements et les pratiques qui portent atteinte ¨¤ la dignit¨¦ des femmes. En mettant l'accent sur des questions comme la violence fond¨¦e sur le sexe, l'in¨¦galit¨¦ des salaires entre les hommes et les femmes occupant le m¨ºme emploi, la sous-estimation et la sous-r¨¦mun¨¦ration des travaux m¨¦nagers des femmes, la polygamie et d'autres pratiques maritales qui d¨¦savantagent les femmes et portent atteinte ¨¤ leur dignit¨¦, les recommandations g¨¦n¨¦rales ont ¨¦largi la port¨¦e de la CEDAW et en a fait un document vivant. En d'autres termes, elles ont permis de rectifier certaines limites dans la formulation de la CEDAW , comme prendre les hommes comme une norme, en demandant aux ?tats parties de veiller ¨¤ ce que les femmes jouissent de droits ? sur un pied d'¨¦galit¨¦ avec les hommes ?, ou ne pas faire explicitement r¨¦f¨¦rence ¨¤ certaines violations dont les femmes font principalement l'objet.
La popularit¨¦ de la CEDAW, attest¨¦e par le nombre important de ratifications, a ¨¦t¨¦ une initiative encourageante. Elle est entr¨¦e en vigueur le 3 septembre 1981, moins de deux ans apr¨¨s son adoption par l'Assembl¨¦e le 18 d¨¦cembre 1979. Selon le Haut Commissariat aux droits de l'homme, au 15 f¨¦vrier 2008, 185 pays sur les 192 ?tats Membres sont devenus parties ¨¤ la Convention. Toutefois, 78 pays (42 % des ?tats parties) ont formul¨¦ des d¨¦clarations ou des r¨¦serves lors de la ratification, de l'accession ou de la succession, ce qui leur permet de limiter leurs obligations en vertu du trait¨¦9 . Faisant partie des instruments des droits de l'homme qui comptent le plus grand nombre de r¨¦serves10 , laCEDAW semble ¨ºtre ? l'instrument des droits de l'homme le moins respect¨¦ par ses ?tats parties11 ?. Les r¨¦serves peuvent ¨ºtre lev¨¦es ¨¤ un stade ult¨¦rieur. ? ce jour, 14 ?tats ont lev¨¦ leurs r¨¦serves et un nombre similaire a retir¨¦ ou modifi¨¦ les r¨¦serves qui avaient ¨¦t¨¦ formul¨¦es pour certaines dispositions. Toutefois, il est peu probable que les r¨¦serves ¨¦mises en vertu d'incompatibilit¨¦s culturelles ou religieuses soient retir¨¦es de sit?t. Ces r¨¦serves minent ? l'objet et l'objectif ? du trait¨¦ et le rendent inapplicable ¨¤ toutes fins pratiques.
Les objections culturelles et religieuses aux dispositions peuvent ¨ºtre contest¨¦es par deux arguments : premi¨¨rement, on devrait faire remarquer que le r¨¦gime des droits de l'homme des Nations Unies, y compris les r¨¦gimes r¨¦gionaux, s'attaquent essentiellement ¨¤ certaines valeurs culturelles; et deuxi¨¨mement, m¨ºme si des conflits peuvent exister entre les objectifs (par ex. la pr¨¦servation de la culture versus l'¨¦limination des normes culturelles discriminatoires) ou entre deux ou trois droits de l'homme (par ex. le droit des peuples ¨¤ l'autod¨¦termination versus les droits de l'homme), les r¨¦gimes internationaux des droits de l'homme requi¨¨rent de r¨¦soudre ces conflits en r¨¦affirmant les principes d'universalit¨¦ et de d'¨¦galit¨¦ en dignit¨¦.
PROMOTION DES DROITS DE L'HOMME COMME CONTRE-CULTURE
Bien que la reconnaissance et le respect de certains droits ¨¦nonc¨¦s dans la D¨¦claration universelle des droits de l'homme figurent dans les r¨¦f¨¦rences culturelles et les textes religieux de nombreuses communaut¨¦s, les normes et les pratiques culturelles traditionnelles comprennent aussi de nombreuses clauses discriminatoires. La nouveaut¨¦ de la D¨¦claration universelle et des documents des droits de l'homme suivants ne r¨¦side pas seulement dans son universalisme - la notion que tous les peuples d¨¦tiennent certains droits du fait qu'ils sont des ¨ºtres humains - mais aussi dans son d¨¦sir de mettre fin ¨¤ toutes les formes de violations qui ont ¨¦t¨¦ autoris¨¦es dans les cultures existantes. En d'autres termes, les droits de l'homme internationaux suivent un sch¨¦ma r¨¦actif : quand les violations sont signal¨¦es, les droits qui ont ¨¦t¨¦ viol¨¦s dans les cultures dominantes sont inscrits dans les d¨¦clarations et les trait¨¦s pour qu'ils soient prot¨¦g¨¦s. Dans le cas des femmes, de nombreuses violations des droits humains et de nombreuses discriminations ont ¨¦t¨¦ non seulement autoris¨¦es par la culture mais aussi encourag¨¦es ou produites par les normes culturelles. C'est pourquoi la cedaw fait sp¨¦cifiquement r¨¦f¨¦rence ¨¤ la culture, ainsi qu'aux traditions et aux coutumes incarn¨¦es dans les cultures, et souligne la n¨¦cessit¨¦ de changer les normes, les valeurs et les pratiques culturelles discriminatoires.
- Elle souligne que ? le r?le traditionnel de l'homme dans la famille et dans la soci¨¦t¨¦ doit ¨¦voluer autant que celui de la femme si on veut parvenir ¨¤ une r¨¦elle ¨¦galit¨¦ de l'homme et de la femme ? (pr¨¦ambule);
- Les ?tats parties [.] acceptent [.] ? de prendre toutes les mesures appropri¨¦es, y compris des dispositions l¨¦gislatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition r¨¦glementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination ¨¤ l'¨¦gard des femmes; (article 2[f]);
- Les ?tats parties doivent prendre dans tous les domaines, notamment dans les domaines politique, social, ¨¦conomique et culturel, toutes les mesures appropri¨¦es, y compris des dispositions l¨¦gislatives, pour assurer le plein d¨¦veloppement et le progr¨¨s des femmes, en vue de leur garantir l'exercice et la jouissance des droits de l'homme et des libert¨¦s fondamentales sur la base de l'¨¦galit¨¦ avec les hommes (article 3);
- Les ?tats parties doivent prendre toutes les mesures appropri¨¦es : (a) Pour modifier les sch¨¦mas et les mod¨¨les de comportement socioculturel de l'homme et de la femme en vue de parvenir ¨¤ l'¨¦limination des pr¨¦jug¨¦s et des pratiques coutumi¨¨res, ou de tout autre type, qui sont fond¨¦s sur l'id¨¦e de l'inf¨¦riorit¨¦ ou de la sup¨¦riorit¨¦ de l'un ou l'autre sexe ou d'un r?le st¨¦r¨¦otyp¨¦ des hommes et des femmes (article 5).
CONFLITS ENTRE DROITS CONCURRENTS
L'universalit¨¦ des droits de l'homme, et en particulier les droits de femmes, sont souvent remis en cause par les tenants du relativisme culturel. Leurs arguments, en particulier lorsqu'ils sont combin¨¦s aux accusations d'imp¨¦rialisme culturel, posent un dilemme ¨¤ la communaut¨¦ des droits de l'homme. Comment peut-on reconna¨ªtre les cultures des peuples et le droit ¨¤ l'autod¨¦termination quand plusieurs aspects de ces cultures violent syst¨¦matiquement un certain nombre de droits de l'homme ? La question est particuli¨¨rement importante pour les droits des femmes. Toutes les soci¨¦t¨¦s contemporaines ¨¦tant des soci¨¦t¨¦s patriarcales, la promotion des droits des femmes s'oppose aux valeurs ? culturelles ? patriarcales, aux normes religieuses ainsi qu'aux autres structures hi¨¦rarchiques de tous les pays. Suivre rigoureusement les principes du relativisme culturel revient donc ¨¤ nier les droits des femmes dans toutes les soci¨¦t¨¦s et ¨¤ remettre en cause les aspects des droits de l'homme internationaux en faveur de l'¨¦mancipation des femmes au nom de la pr¨¦servation des valeurs culturelles.
En ce qui concerne la culture et la religion, nous devons nous poser les questions suivantes : Qui parle au nom des peuples et de la religion ? Qui d¨¦finit le sens de la culture ou interpr¨¨te les sources religieuses et d¨¦veloppe les doctrines ? Les cultures, bien entendu, ne sont ni monolithiques ni statiques, mais il existe dans chaque culture un certain groupe de personnes qui ont tout int¨¦r¨ºt ¨¤ ce qu'elles soient monolithiques et statiques. En d'autres termes, les cultures sont fond¨¦es sur des structures de pouvoir et en ¨¦tablissant des normes et des valeurs, elles perp¨¦tuent ces structures. Les valeurs ¨¦tablies culturellement (et officiellement) privil¨¦gient certains membres de la soci¨¦t¨¦ et d¨¦savantagent d'autres, les privil¨¦gi¨¦s tendant ¨¤ user de leur pouvoir pour maintenir ces valeurs qui justifient et renforcent leurs positions. Sans une d¨¦mocratisation de l'interpr¨¦tation et des processus de prises de d¨¦cision, le relativisme culturel et la pr¨¦servation de la culture finissent par servir seulement les int¨¦r¨ºts de groupes privil¨¦gi¨¦s.
De m¨ºme, tous les textes religieux et toutes les traditions orales sont re?us dans un contexte culturel, puis filtr¨¦s et int¨¦gr¨¦s aux normes culturelles dominantes. Toujours ouverts ¨¤ l'interpr¨¦tation, leurs messages peuvent ¨ºtre rejet¨¦s et affaiblis par les structures de pouvoir en place. Les religions peuvent donc incarner des normes contradictoires, qui sont utilis¨¦es de mani¨¨re s¨¦lective et r¨¦interpr¨¦t¨¦es ¨¤ la fois par les classes privil¨¦gi¨¦es et par ceux qui contestent la compr¨¦hension de la religion et de ses valeurs. Il va sans dire que, dans les syst¨¨mes patriarcaux, ce sont les hommes privil¨¦gi¨¦s qui dictent les normes culturelles et religieuses, m¨ºme si les femmes participent ¨¤ leur transmission et ¨¤ leur perp¨¦tuation. Peu d'attention est g¨¦n¨¦ralement accord¨¦e aux interpr¨¦tations ¨¦galitaires et ¨¦mancipatrices faites par les femmes et par ceux qui d¨¦fendent leurs droits.
QUE FAUT-IL FAIRE ?
Les droits de l'homme ¨¦tant ¨¦troitement li¨¦s ¨¤ la culture, l'expansion, la pleine reconnaissance et la protection des droits de l'homme n¨¦cessiteront la transformation des normes culturelles et de leurs bases mat¨¦rielles. Le respect des droits de l'homme internationaux n¨¦cessitera donc une ¨¦volution des m?urs culturels ainsi qu'un engagement politique. La d¨¦fense des droits de l'homme doit comprendre : (1) l'analyse des normes culturelles en termes de conformit¨¦ avec les principes des droits de l'homme; (2) la reconnaissance des diverses interpr¨¦tations des cultures et des sources religieuses; (3) la n¨¦cessit¨¦ pour les ?tats parties aux conventions de formuler des r¨¦serves sp¨¦cifiques, indiquant quand et comment ils les retireront.
Pour contrer les th¨¦ories relativistes, les universalistes font g¨¦n¨¦ralement valoir le fait que plusieurs droits ¨¦nonc¨¦s dans la D¨¦claration universelle et d'autres instruments des droits de l'homme existaient et ¨¦taient respect¨¦s dans les traditions culturelles et religieuses de la plupart des soci¨¦t¨¦s. M¨ºme si ces affirmations peuvent ¨ºtre ¨¦tay¨¦es concr¨¨tement, comme je l'ai d¨¦j¨¤ fait remarquer, les normes et les pratiques culturelles traditionnelles comportent ¨¦galement de nombreuses r¨¨gles discriminatoires. Il est important de reconna¨ªtre les aspects des deux cultures - ¨¦galitaires/¨¦mancipatrices et discriminatoires/oppressives - et de les analyser pour voir dans quels cas et de quelle mani¨¨re elles appliquent le principe d'universalit¨¦. Puisque les droits de l'homme accordent une place importante ¨¤ la dignit¨¦ humaine, le principe d'universalit¨¦ signifie que chacun est ¨¦gal en droits et en dignit¨¦. Il convient donc d'examiner les cultures pour relever les contradictions avec le principe d'¨¦galit¨¦. Une fois mis ¨¤ jour, les aspects ? ¨¦galitaires ? des cultures peuvent ¨ºtre mis en valeur et li¨¦s aux droits de l'homme internationaux en termes de principes12 .
Les ¨¦valuations critiques sur les cultures et l'interpr¨¦tation ¨¦galitaire des sources culturelles existent d¨¦j¨¤, mais ces voix sont g¨¦n¨¦ralement r¨¦prim¨¦es dans les pays et ignor¨¦es dans les d¨¦bats internationaux. Les nations et les autres membres de la communaut¨¦ internationale des droits de l'homme doivent se d¨¦partir de l'habitude de tol¨¦rer les discriminations culturelles au nom du respect des diff¨¦rences, attribuant les violations seulement ¨¤ la culture, mettant la culture et la religion sur un pied d'¨¦galit¨¦ et consid¨¦rant les cultures comme monolithiques et statiques. Alors qu'une attention consid¨¦rable a ¨¦t¨¦ accord¨¦e aux conflits entre religions et communaut¨¦s et la domination d'un groupe sur un autre, c'est-¨¤-dire les droits de minorit¨¦s religieuses et ethniques, aucun effort n'a ¨¦t¨¦ men¨¦ pour examiner les diff¨¦rences et les h¨¦g¨¦monies ¨¤ l'int¨¦rieur des communaut¨¦s. La reconnaissance par les ?tats parties et les forums internationaux de la diversit¨¦ au sein d'une culture et d'une communaut¨¦ religieuse apporterait un soutien aux autres voix et contribuerait ¨¤ d¨¦mocratiser les processus d'interpr¨¦tations.
Il est possible de contrer les arguments relativistes et les r¨¦serves formul¨¦es dans les trait¨¦s en invoquant le fait que les normes internationales des droits de l'homme requi¨¨rent l'¨¦volution des coutumes et des traditions et que les ¨¦l¨¦ments d'une religion qui sont pr¨¦sent¨¦s comme une exigence soient ouverts ¨¤ l'interpr¨¦tation. Les ?tats qui soutiennent ces th¨¦ories devraient ¨ºtre tenus non seulement d'expliquer pleinement leurs r¨¦serves mais aussi de fixer un calendrier de leur retrait. Le comit¨¦ d'experts qui supervise la mise en ?uvre de la CEDAW a d¨¦j¨¤ pris des mesures ¨¤ cet ¨¦gard. Par exemple, il a ¨¦mis plusieurs recommandations pour inciter les ?tats parties qui ont formul¨¦ des ? r¨¦serves g¨¦n¨¦rales ?, d¨¦clarant qu'ils appliqueront la Convention tant que ses dispositions ne sont pas en contradiction avec la loi islamique, la charia, de clarifier les points qui font l'objet de r¨¦serves13 . Il a ¨¦galement soulev¨¦ la question de l'interpr¨¦tation : ?[.] lors de sa r¨¦union de 1987, le Comit¨¦ de la CEDAW a adopt¨¦ une d¨¦cision demandant que les Nations Unies et les institutions sp¨¦cialis¨¦es encouragent ou entreprennent des ¨¦tudes sur la situation des femmes qui sont soumises ¨¤ la loi et aux coutumes islamiques, en particulier sur la condition et l'¨¦galit¨¦ des femmes dans la famille, sur des questions comme le mariage, le divorce, la garde des enfants, les droits fonciers ainsi que leur participation ¨¤ la vie publique de la soci¨¦t¨¦, prenant en compte le principe de l'ijtihad [effort d'interpr¨¦tation] de l'islam14 . ?
Les ?tats parties affect¨¦s par la d¨¦cision l'ont naturellement d¨¦nonc¨¦e comme ¨¦tant une menace ¨¤ leurs libert¨¦s religieuses et ont rejet¨¦ les recommandations du Comit¨¦, mais celui-ci a remis cette question sur le devant de la sc¨¨ne. En 1994, il a amend¨¦ les directives pour la pr¨¦paration des rapports afin de fournir des directives compl¨¦mentaires et sp¨¦cifiques aux ?tats Parties qui ont ¨¦mis des r¨¦serves fond¨¦es sur la culture et la religion. Jane Connors a fait un r¨¦sum¨¦ de la situation : ? Ces ?tats devront expliquer de mani¨¨re sp¨¦cifique la raison de leurs r¨¦serves, pourquoi ils consid¨¨rent qu'elles sont n¨¦cessaires, leur effet pr¨¦cis sur la l¨¦gislation et la politique nationales et donner des informations sur toutes les r¨¦serves similaires qu'ils auraient formul¨¦es dans d'autres trait¨¦s des droits de l'homme qui garantissent des droits semblables. Ces ?tats devront ¨¦galement indiquer les mesures qu'ils envisagent de prendre pour limiter les effets des r¨¦serves ou pour les retirer et, quand cela est possible, de fixer un calendrier pour leur retrait. Le Comit¨¦ a fait, en particulier, r¨¦f¨¦rence ¨¤ ?. [certains ?tats], indiquant que le Comit¨¦ consid¨¨re que ces r¨¦serves sont incompatibles avec l'objet et le but de la Convention et n¨¦cessitent un effort particulier de la part des pays qui doivent expliquer les effets de leurs r¨¦serves et en donner l'interpr¨¦tation 15 . ?
Dans le cadre de son effort, le Comit¨¦ devrait aussi encourager la pr¨¦sentation de rapports parall¨¨les qui pr¨¦senteraient non seulement les ¨¦valuations de ce qui a ou n'a pas ¨¦t¨¦ fait par les ?tats concern¨¦s pour mettre en ?uvre la Convention, mais aussi d'autres interpr¨¦tations de la culture ou des sources religieuses. Ces rapports fourniraient au Comit¨¦ les informations n¨¦cessaires pour contester la validit¨¦ des r¨¦serves ¨¦mises par les ?tats parties et leur permettre de reconna¨ªtre la diversit¨¦ dans leur soci¨¦t¨¦. Ils permettraient aussi de soutenir les femmes et les d¨¦fenseurs des droits des femmes en validant leur droit d'interpr¨¦ter leurs sources culturelles et religieuses. ?
Notes
1 Dans ce contexte, le terme ? civilisation ? est employ¨¦ comme terme sociologique en r¨¦f¨¦rence aux soci¨¦t¨¦s qui atteignent un niveau ¨¦lev¨¦ de productivit¨¦ ¨¦conomique, d¨¦bouchant sur la sp¨¦cialisation des emplois, la stratification sociale et l'¨¦tablissement d'institutions. Les nations iroquoises sont un cas int¨¦ressant. Le r?le important que jouaient les femmes iroquoises dans la conduite des affaires publiques a amen¨¦ de nombreux observateurs impressionn¨¦s ¨¤ classer ces nations comme ? matriarcales ?. M¨ºme si les femmes iroquoises jouissaient d'une certaine autorit¨¦, elles ne pouvaient pas ¨ºtre chefs ou si¨¦ger au Conseil des a¨ªn¨¦s - l'organe directeur le plus ¨¦lev¨¦ de la Conf¨¦d¨¦ration des Six nations iroquoises. Les femmes avaient principalement un droit de veto et exer?aient une influence indirecte en raison de leur contr?le sur la nourriture et d'autres approvisionnements. Aucune soci¨¦t¨¦ matriarcale - en tant qu'oppos¨¦ de la soci¨¦t¨¦ patriarcale - n'a ¨¦t¨¦ enregistr¨¦e dans l'histoire. M¨ºme si certaines soci¨¦t¨¦s anciennes ont instaur¨¦ des relations plus ¨¦galitaires entre les sexes, l'¨¦quilibre du pouvoir a g¨¦n¨¦ralement pench¨¦ en faveur des hommes. Voir, Rayna R. Reiter, ed., Toward an Anthropology of Women. New York: Monthly Review Press, 1975.
2 Pour les informations statistiques actuelles sur les ¨¦carts entre les sexes dans de nombreux domaines, voir le Rapport sur le d¨¦veloppement humain 2007/2008. New York: Oxford University Press, 2007, tableaux 28-33.
3 Majid Fakhry. Averroes: His Life, Work. Oxford: Oneworld Publications, 2001.
4 Pour saint Thomas d'Aquin, la femme (cr¨¦¨¦e dans la cr¨¦ation des choses) a seulement un r?le important dans la reproduction (la procr¨¦ation). Voir, Saint Thomas d'Aquin, Summa Theologicae, question XCII, art. 1, Whether Woman Should Have Been Made in the First Production of Things, disponible ¨¤
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5 John Stuart Mill et Harriet Taylor Mill. Essays on Sex Equality. Edit¨¦ avec Alice S. Rossi qui a ¨¦galement ¨¦crit un essai d'introduction. Chicago: University of Chicago Press, 1970.
6 Mary Ann Glendon. A World Made New. New York: Random House, 2001:68.
7 Glendon 2001:111-112 et 162.
8 Hilary Charlesworth. ? Human Rights as Men's Rights. ? In Women's Rights Human Rights: International Feminist Perspectives. ?dit¨¦ par Julie Peters et Andrea Wolper. New York: Routledge, 1995: 103-113.
9 L'article 28 permet d'¨¦mettre des r¨¦serves lors de la ratification de la Convention, ¨¤ condition qu'elles soient compatibles avec ? l'objet et le but ? de la Convention. Bien qu'il ne soit pas fait mention des ? d¨¦clarations ? dans le texte, celles-ci tendent ¨¤ employer un langage similaire ¨¤ celui employ¨¦ dans les r¨¦serves et jouent le m¨ºme r?le concernant les obligations des ?tats. Dans le cadre de cet essai, aucune distinction ne sera donc faite entre les d¨¦clarations et les r¨¦serves.
10 Henry J. Steiner et Philip Alston, International Human Rights in Context: Law, Politics, Morals. Deuxi¨¨me ¨¦dition. Oxford: Oxford University Press, 2000, p. 180.
11 Belinda Clark, ? The Vienna Convention Reservations Regime and the Convention on the Discrimination against Women. ? American Journal of International Law 85:2 (avril 1991): 281-321, at p. 318.
12 Cette ¨¦tude du Coran, texte sacr¨¦ et autorit¨¦ supr¨ºme de l'islam, montre que les femmes musulmanes sont ¨¦gales aux hommes sur le plan spirituel, mais pas sur le plan social, et plaide pour que l'¨¦galit¨¦ spirituelle reconnue dans le texte sacr¨¦ devienne la norme pour red¨¦finir les r?les sociaux. Voir Zehra Arat, ? Women's Rights in Islam: Revisiting Qur'anic Rights." In Human Rights: New Perspectives, New Realities. ?dit¨¦ par Peter Schwab et Adamanta Pollis, eds., Boulder, CO: Lynne Rienner Publishers, 2000: 69-94.
13 Michele Brandt et Jeffrey A. Kaplan. "The Tension between Women's Rights and Religious Rights: Reservations to CEDAW by Egypt, Bangladesh and Tunisia." The Journal of Law and Religion 12:1 (1995-96): 105-142; Connors, 1997; Clark, 1991.
14 Documentation ONU E/1987/SR/11.
15 Jane Connors. ? The Women's Convention in the Muslim World ?. In Human Rights as General Norms and a State's Right to Opt Out: Reservations and Objections to Human Rights Convention. ?dit¨¦ par J. P. Gardner. London: British Institute of International and Comparative Law, 1997: 85-103, at pp. 99-100.
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