11 juillet 2011

Le 26 mai 2011, j'ai c¨¦l¨¦br¨¦ mon soixante-dix neuvi¨¨me anniversaire et il m'a sembl¨¦ que deux semaines seulement s'¨¦taient ¨¦coul¨¦es depuis mes seize ans.

Mais je ne pouvais nier que du temps s'¨¦tait ¨¦coul¨¦, mesur¨¦ par les quelque 11 000 dessins humoristiques politiques que j'ai produits quotidiennement pendant ses ? deux semaines ?.

Je pense que ce qui importe le plus dans un dessin humoristique ¨¤ caract¨¨re politique, c'est le dessin, l'humour et tout ce qui va avec. Le r¨¦el int¨¦r¨ºt de chacun des dessins est le message qu'il transmet aux trois cents millions de ? boss ? que j'ai conquis au cours des ann¨¦es - mes lecteurs assidus. Je leur envoie jour apr¨¨s jour les conclusions graphiques de mes interpr¨¦tations politiques, ¨¦conomiques et militaires d'¨¦v¨¦nements internationaux qui sont parfois passionnants, parfois prosa?ques.

Ces ? deux semaines ? ont ¨¦t¨¦ pour moi une p¨¦riode d'¨¦tudes approfondies, ardues et riches. J'¨¦tais comme un chasseur dont la mission quotidienne ¨¦tait de rep¨¦rer puis de traquer ma cible politique en mouvement, l'acculer et la transporter sur mon dos jusqu'¨¤ mes studios o¨´ je la fa?onnais minutieusement. Je choisissais les meilleurs morceaux, les arrosais de quelques gouttes d'huile d'olive, y ajoutais un peu de sel avec l'humour puis du poivre avec des dessins mordants - apr¨¨s avoir not¨¦ sous mon dessin quelques mots pour faciliter la compr¨¦hension des lecteurs. Puis je testais mon croquis aupr¨¨s de mes quatre coll¨¨gues - il fallait que les chroniqueurs des bureaux des actualit¨¦s, de la r¨¦daction et des grands reportages adorent mon nouveau dessin - et que le quatri¨¨me, le chroniqueur sportif, n'y comprenne rien. C'¨¦tait ainsi que j'accomplissais ma t?che ¨¤ la recherche de la recette id¨¦ale pour pr¨¦parer un dessin savoureux et propice ¨¤ la r¨¦flexion. Alors je le mettais au micro-ondes apr¨¨s avoir pass¨¦ deux ¨¤ quatre heures ¨¤ le rendre ¨¤ grands traits puis d¨¦posais le repas dans l'assiette de mes lecteurs. Cette proc¨¦dure que j'ai r¨¦p¨¦t¨¦e tant de fois m'a appris comment me retrouver dans les chemins de l'histoire contemporaine et m'a fait comprendre deux points essentiels.

Le premier, c'est que les bons gagnent, que la d¨¦mocratie est victorieuse, que l'harmonie est propice au bonheur et que la justice est un moyen de garantir la long¨¦vit¨¦, ¨¤ la fois physique et politique. Le mal, la tyrannie, la dictature et les camps de concentration conduisent seulement en enfer.

Le deuxi¨¨me, ¨¤ ma surprise, c'est que je ne pouvais pas grouper dans un dessin tous les ¨¦l¨¦ments exprim¨¦s dans le premier point. G¨¦n¨¦ralement, je peux comprendre assez rapidement un ou deux messages dans une caricature politique. J'ai d¨¦couvert qu'une caricature r¨¦ussie - connue sous le nom de ? bombe intelligente des m¨¦dias ? - n'¨¦tait efficace que comme un outil permettant de se concentrer sur un seul objectif ¨¤ la fois.

J'avais besoin de toute urgence d'un outil graphique strat¨¦gique que je pourrais inventer en partant de z¨¦ro. Apr¨¨s soixante-trois ans de caricatures politiques, j'ai compris que le message qu'elles transmettaient ¨¦tait fort, mais qu'il fallait aller plus loin. Je devais simplement revenir ¨¤ ma table de dessin pour concr¨¦tiser d'une mani¨¨re coh¨¦rente cette r¨¦v¨¦lation de la victoire du bien sur le mal.

Alors que les dessins politiques peuvent cibler un lectorat particulier comme celui de la section ? Week in Review ? du New York Times, le message que je voulais transmettre devait s'adresser ¨¤ tous et ¨ºtre compris par tous. Je voulais trouver un medium pouvant ¨ºtre un symbole positif qui pourrait ¨ºtre exprim¨¦ par une esth¨¦tique graphique inspir¨¦e par la bonne volont¨¦. Il fallait aussi que le dessin sonne juste, qu'il soit une pi¨¨ce de collection, une pi¨¨ce pouvant ¨ºtre pr¨¦sent¨¦e et qu'il utilise un langage commun accessible ¨¤ tous.

En 1968, d¨¨s que je me suis install¨¦ aux ?tats-Unis avec ma femme Tamar, j'ai d¨¦cid¨¦ de cr¨¦er dans ma nouvelle maison des peintures qui contenaient une m¨ºme id¨¦e - un motif qui se retrouvait d'untableau ¨¤ l'autre. Les toiles ¨¦taient plac¨¦es au plafond les unes ¨¤ c?t¨¦ des autres et sur le mur. Un probl¨¨me s'¨¦tait pos¨¦ toutefois au niveau du sol, car il ¨¦tait ¨¦vident que le tableau n'¨¦tait pas adapt¨¦ ¨¤ ce support. Cela a consid¨¦rablement chang¨¦ les r¨¨gles du jeu : l'?uvre artistique elle-m¨ºme, afin de survivre, devait changer sa personnalit¨¦ physique tout en conservant les m¨ºmes motifs que ceux qui ¨¦taient repr¨¦sent¨¦s au plafond et sur le mur. Le motif a donc pris la forme de carr¨¦s et de rectangles (imitant les toiles) faits des m¨ºmes couleurs que celles qui apparaissent sur les vraies toiles. Une fois la porte de sortie atteinte, les choses ont pris un tour ¨¦trange. Il fallait que l'?uvre continue son chemin ¨¤ l'ext¨¦rieur. Puisqu'elle pouvaitchanger de mat¨¦riau comme un cam¨¦l¨¦on et puisqu'il lui fallaitsurvivre comme tapis d'ext¨¦rieur expos¨¦ ¨¤ la neige, au verglas et ¨¤ la pluie, il fallait qu'elle devienne une mosa?que, une nouvelle sorte de tableau. En somme, elle pouvait continuer sa course, que le mat¨¦riau soit naturel ou artificiel. Tout support pouvait devenir une peinture. La continuit¨¦ conf¨¦rerait ¨¤ l'ensemble un sentiment d'unit¨¦, offrant un sentiment de relaxation, de familiarit¨¦ et donc de confort ¨¤ tous ceux qui voyaient cette ?uvre et savaient ce qu'elle repr¨¦sentait. Ils comprenaient qu'elle poursuivait sa course dans la cour en portant le m¨ºme message positif, cr¨¦ant un d¨¦nominateur commun, une promesse de bonne volont¨¦ d'une cour ¨¤ l'autre, d'une ville ¨¤ l'autre et d'un continent ¨¤ l'autre.

La peinture Uniting Painting est actuellement expos¨¦e dans la zone de d¨¦militarisation entre la R¨¦publique de Cor¨¦e et la R¨¦publique populaire d¨¦mocratique de Cor¨¦e. L'?uvre est plac¨¦e sur satellite mobile. Le 19 mai 2011, elle a ¨¦t¨¦ expos¨¦e au sommet du mont Everest (voir photos), ¨¦tablissant sa pr¨¦sence dans le lieu le plus ¨¦lev¨¦ du monde. Elle est ¨¦galement expos¨¦e dans deux lieux ¨¤ New York, dont l'ONU. Pendant le projet de r¨¦novation du b?timent abritant le Secr¨¦tariat ¨¤ New York, seule une partie de l'?uvre est expos¨¦e. Des n¨¦gociations sont en cours sur la possibilit¨¦ de cr¨¦er un projet artistique dans le lieu le plus bas du globe, au nord de la mer Morte o¨´ J¨¦sus a ¨¦t¨¦ baptis¨¦ par Jean-Baptiste dans le fleuve Jourdain.

Les projets d'Uniting Painting avancent au niveau des ?tats. Certains dirigeants voient dans cette ?uvre un moyen d'exprimer des aspirations politiques et sociales. En l'acceptant pleinement comme une ?uvre artistique contemporaine, elle nous permet d'exprimer de mani¨¨re non conflictuelle le lib¨¦ralisme et les relations sociales amicales. Le N¨¦pal est un pays marqu¨¦ par de grandes diff¨¦rences politiques qui est pass¨¦ r¨¦cemment de la monarchie ¨¤ la d¨¦mocratie. M¨ºme si d'importantes tensions demeurent, il y a une chose sur laquelle tout le monde est d'accord, c'est que l'art est un facteur d'unit¨¦ nationale. ? Le fait qu'il attire les touristes, cr¨¦e des emplois et fait conna¨ªtre notre pays comme un centre artistique important de l'Asie, encourage chaque parti politique ¨¤ soutenir cette id¨¦e et ¨¤ renforcer notre prestige ¨¤ la fois en tant que nation et comme N¨¦palais ¨¤ titre individuel ?, a d¨¦clar¨¦ le 25 avril 2011 le Pr¨¦sident n¨¦palais, Ram Baram Yadav, lorsqu'il a remis les trois peintures d'Uniting Painting ¨¤ des sherpas du N¨¦pal. Ceux-ci les ont transport¨¦s au sommet du mont Everest, le tr¨¦sor de beaut¨¦ du pays. Ils ont atteint le sommet de la montagne le 19 mai, peu avant midi, et y ont pr¨¦sent¨¦ mon ?uvre.

?

La?Chronique de l¡¯ONU?ne constitue pas un document officiel. Elle a le privil¨¨ge d¡¯accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingu¨¦s ne faisant pas partie du syst¨¨me des Nations Unies dont les points de vue ne refl¨¨tent pas n¨¦cessairement ceux de l¡¯Organisation. De m¨ºme, les fronti¨¨res et les noms indiqu¨¦s ainsi que les d¨¦signations employ¨¦es sur les cartes ou dans les articles n¡¯impliquent pas n¨¦cessairement la reconnaissance ni l¡¯acceptation officielle de l¡¯Organisation des Nations Unies.?