06 janvier 2016

Lorsque le premier rapport de Climatescope a été publié en 2012 par le Fond d’investissement multilatéral de la Banque interaméricaine de développement et Bloomberg New Energy Finance, beaucoup ont été probablement surpris qu’un pays d’Amérique centrale soit classé en deuxième position, après le Brésil, parmi les ?tats d’Amérique latine dans l’indice d’évaluation du climat de l’investissement pour les énergies propres. Et le fait qu’il s’agissait du Nicaragua, un pays où, il y a seulement une décennie, la production d’électricité à partir de combustibles fossiles était élevée (près de 80 %), en a surpris plus d’un. Parmi les 10 premiers pays, on comptait le Panama (3e), le Costa Rica (8e) et le Guatemala (9e).

Ces résultats reflètent un développement très intéressant qui a eu lieu dans la région au cours des derniers dix ans : une inversion délibérée caractérisée par une part de combustibles fossiles toujours croissante dans la production d’électricité. La demande énergétique à partir des combustibles fossiles est devenue un fardeau de plus en plus lourd pour les pays dépendant entièrement des importations de pétrole, spécialement en 2007 et 2008 lorsque les cours ont monté en flèche.

Pendant les années 1990, après dix ans de troubles politiques et de guerres civiles, les pays d’Amérique centrale ont ouvert, à divers degrés et de manières différentes, leur secteur de l’énergie à la participation privée : des marchés de gros compétitifs en El Salvador, au Guatemala, au Nicaragua et au Panama aux systèmes d’acheteur unique au Costa Rica et au Honduras. Ce changement a été motivé par le besoin de nouveaux investissements pour satisfaire la demande énergétique croissante ainsi que par l’influence des institutions financières internationales fondées sur le Consensus de Washington.

La baisse des cours du pétrole, des cadres réglementaires encourageant les gains à court terme, l’absence de politiques à long terme et la prise en compte de la gestion du risque de la part des investisseurs privés ont débouché sur un recours accru aux produits dérivés du pétrole pour la production d’électricité dans tous les pays, sauf au Costa Rica, pays qui a continué d’accorder une grande importance au développement des ressources renouvelables. Pour l’ensemble de la région, la part des sources d’énergie renouvelable dans la production d’électricité a diminué, passant de 91 % en 1990 à moins de 60 % en 2005. Cette année-là, la production à partir du pétrole a été la plus élevée au Nicaragua (77 %) et au Honduras (70 %). Cette situation s’est détériorée lorsque les prix du pétrole ont augmenté.

Pour faire face à cette hausse dans un secteur très dépendant du pétrole, les gouvernements ont pris un certain nombre de mesures disparates, dont certaines n’étaient pas fiables, comme une augmentation des subventions pour la consommation d’énergie. Toutefois, d? en partie aux efforts de collaboration régionaux et à l’aide des organisations internationales, au milieu des années

2000, tous les pays avaient fait des déclarations politiques reconnaissant la nécessité d’augmenter l’utilisation des sources d’énergie renouvelable et de promouvoir l’efficacité énergétique.

? la fin de la décennie, ces initiatives ont commencé à porter leurs fruits et, en 2014, les énergies renouvelables étaient la source de près de 64 % de la production d’électricité dans la région. Au Nicaragua, la part des sources renouvelables dans la production d’électricité est passée de 23 % en 2005 à 52 % en 2014 et, au Guatemala, de 46 à 70 % durant la même période.

Cela a constitué une réussite impressionnante, même si certains pays ont connu moins de succès. Il reste encore beaucoup à faire pour que la région exploite pleinement son potentiel d’énergies renouvelables, considéré comme suffisant pour répondre aux besoins du secteur de l’énergie (Dolezal et autres, 2013). Une étude intitulée The Way Forward for Renewable Energy in Central America, publiée par le WorldWatch Institute en collaboration avec l’INCAE Business School, a montré la nécessité de renforcer le climat d’investissement, d’améliorer la gouvernance et l’efficacité administrative et de combler les lacunes dans les informations. Elle a défini quatre domaines appelant des améliorations en matière de politique et de financement afin d’instaurer plus rapidement ? des systèmes énergétiques durables à partir des énergies renouvelables ?.

1.? Intégrer les politiques et les objectifs relatifs aux énergies renouvelables dans les divers organismes gouvernementaux.

2.? ?valuer les instruments politiques existants liés aux énergies renouvelables et, si nécessaire, procéder à des ajustements par un ensemble de mesures.

3.? Simplifier les processus administratifs pour le développement de nouveaux projets d’énergies renouvelables afin qu’ils soient moins co?teux et qu’ils prennent moins de temps.

4.? ?tablir des indicateurs clairs pour mesurer, évaluer et enregistrer les progrès en matière de politiques et d’environnements d’investissement relatifs aux énergies renouvelables.

Le rapport a également défini quatre domaines appelant des améliorations en matière de connaissances et de communication :

1.? Fournir un plus grand nombre d’évaluations détaillées des sources potentielles d’énergie renouvelable dans la région et les rendre publiques.

2.? ?valuer les possibilités qui s’offrent sur le plan technique contre les courbes de charge existantes et futures et exploiter les ressources renouvelables tout en recherchant des gains d’efficacité et en créant des réseaux électriques intelligents par le biais d’une planification intégrée de l’énergie.

3.? ?valuer et communiquer les effets socio-économiques des différents scénarios, y compris les effets sur les?économies locales et la création d’emplois.

4.? Accro?tre les efforts pour appuyer la recherche dans les énergies renouvelables aux niveaux national et régional; sensibiliser le public aux énergies renouvelables et développer les connaissances sur ce sujet ainsi que les ressources humaines du gouvernement, du secteur bancaire et des industries du secteur privé (Dolezal et autres, 2013,-p. 12-13).

La mise en ?uvre est en cours dans tous ces domaines malgré, parfois, un manque de concertation et des progrès inégaux selon les pays. Depuis la publication du rapport WorldWatch-INCAE, des centrales photovolta?ques commerciales ont été construites au Guatemala et au Honduras, la production d’énergie éolienne a? augmenté au Nicaragua et au Panama et la réglementation de la distribution de panneaux photovolta?ques pour la production d’électricité a connu des évolutions positives au Guatemala, au Panama, en El Salvador et au Costa Rica.

Au cours de ces dernières années, un autre événement important a été l’intégration du marché régional de l’électricité en Amérique centrale, qui encourage les échanges d’électricité, comme dans le cas du Système d’interconnexion électrique des pays d’Amérique centrale – l’installation d’une ligne de transmission allant du Guatemala au Panama. Les transactions effectuées sur le marché régional ont doublé en moins d’un an et, depuis janvier 2013, certaines réglementations du marché ont commencé à être appliquées et ont, depuis, plus que quadruplé.

Le marché régional permet une utilisation plus efficace des capacités nationales en matière de production d’électricité, mais l’impact sur le développement des ressources renouvelables n’est pas clair puisqu’il dépendra des politiques adoptées par chaque pays. Par exemple, des discussions sont actuellement en cours entre les décideurs et des investisseurs concernant l’introduction du gaz naturel, ce qui nécessite une approche régionale en raison de la taille des investissements nécessaires.

Alors que le gaz naturel est considéré par certains comme un ? combustible de transition ? vers les ressources d’énergie renouvelable plus propre et moins co?teux, d’autres le considèrent comme une menace aux projets à petite échelle qui ne pourraient pas faire face à la concurrence dans un environnement où les prix définissent la politique. Que la région puisse utiliser le gaz naturel pour permettre de réaliser la transition vers une énergie plus propre ou qu’elle continue d’être tributaire des investissements liés à d’autres combustibles importés, ce qui peut engendrer une augmentation brutale des prix similaire à celle du pétrole, dépendra des décisions qui seront prises aujourd’hui.

Malgré des écarts et quelques reculs, les tendances actuelles dans le secteur de l’énergie ont montré la capacité des pays d’Amérique centrale d’élaborer des politiques nationales et régionales et d’encourager les investissements privés et publics pour faire face aux questions énergétiques. Cette expérience peut servir de base

à la recherche de solutions durables pour relever d’autres défis qui sont parfois négligés malgré leur importance : la précarité?énergétique et l’efficacité énergétique dans le secteur du transport.

Les pays d’Amérique centrale, en particulier ceux dont le taux d’électrification est le plus faible, comme le Guatemala, le Honduras et le Nicaragua, ont fait, ces vingt dernières années, des progrès importants en matière d’accès à l’électricité. Le Guatemala a augmenté le pourcentage de foyers connectés au réseau passant de?36 % en 1990 à 90 % en 2014 et, dans tous les pays, le niveau d’électrification est supérieur à 80 %. Toutefois, plusieurs millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité – une situation qui requiert des solutions au-delà de l’extension du réseau traditionnel.

Il faut aussi prendre en compte le fait que l’électricité représente entre 6 et 22 % de la consommation énergétique totale dans les pays d’Amérique latine (OLADE, 2014). Au Guatemala et au Nicaragua, la source d’énergie la plus importante est la biomasse. Son utilisation dans la consommation énergétique totale est également élevée au Honduras et en El Salvador.

Ce combustible, principalement utilisé dans le secteur résidentiel sous forme de bois de chauffage, est un indicateur de précarité énergétique. Selon une étude publiée par l’Institut national des forêts du Guatemala (INAB), 98 % de la biomasse est utilisée dans le pays pour répondre aux besoins énergétiques résidentiels et 70 % des ménages utilisent le bois de chauffe pour la cuisson, le chauffage et l’eau chaude Larra?aga, 2012).

Il est bien établi que l’utilisation des technologies traditionnelles pour la combustion de la biomasse a des conséquences négatives sur l’environnement, la santé et l’économie, mais cette question ne s’est vu accorder jusqu’à maintenant que peu d’attention dans les politiques énergétiques nationales par rapport aux questions plus ? urbaines ? liées aux prix de l’électricité et de l’essence. De nombreuses tentatives ont été faites pour contribuer à une solution par la distribution de cuisinières à bois efficaces, mais aucune n’a atteint l’échelle requise.

Le Plan d’action national du Guatemala pour des cuisinières et des combustibles propres, qui a pour objectif d’installer 65 000 appareils efficaces par an, est un pas dans la bonne direction. L’objectif vise à adopter une approche tenant compte des desirata du marché, à promouvoir l’entrepreunariat dans la production et la vente de cuisinières, à encourager le micro-financement pour leur achat et à accro?tre la demande par des activités d’information destinées aux clients. Cet effort, mené par le Programme national sur la concurrence avec la participation du gouvernement et des parties prenantes, est encore dans la phase initiale de son déploiement et les résultats ne sont pas encore visibles.

Le secteur du transport, qui utilise presque deux tiers de carburants dérivés du pétrole, représente l’autre défi majeur. En 2013, le pétrole représentait deux tiers de la consommation énergétique totale au Panama et plus de 60 % au Costa Rica et en El Salvador, principalement en raison de son utilisation dans les transports publics et privés (OLADE, 2014).

La situation de ce secteur est plus problématique que celle du secteur de l’énergie, car les solutions vont au-delà de l’investissement dans les combustibles ou les technologies propres. Elles nécessitent une approche systémique qui implique une coordination entre les nombreux organismes gouvernementaux et, dans de nombreux cas, les divers niveaux de gouvernement ainsi que l’engagement d’un grand nombre de parties prenantes.

Pour les populations d’Amérique latine, ce défi n’est pas seulement une question de viabilité pour l’environnement, mais une question de concurrence et de qualité de vie. De nombreuses propositions ont été faites et un grand nombre d’initiatives intéressantes ont été entreprises, mais elles restent assez isolées et leur mise en ?uvre fait souvent défaut.

Les pays d’Amérique centrale doivent réunir les efforts des partenaires régionaux, nationaux et internationaux pour promouvoir la cohérence politique, la coordination institutionnelle, les capacités et les investissements nécessaires pour combattre la précarité énergétique et promouvoir un secteur du transport plus propre. Ces facteurs sont essentiels pour atteindre la durabilité de la production et de l’utilisation de l’énergie sous toutes ses formes.

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Dolezal, Adam, et autres (2013). The Way Forward for Renewable Energy in Central America. Status Assessment, Best Practices, Gap Analysis. Washington : The Worldwatch Institute. Disponible sur le site worldwatch.org/system/files/The%20Way%20Forward%20for%20Renewable%20Energy%20in%20Central%20America_low-res2.pdf.

Alliance mondiale pour des cuisinières propres (2014). Plan de Acción Nacional de Guatemala para Estufas y Combustibles Limpios. Guatemala City.

Larra?aga, Marcos Martín, et autres (2012). Oferta y demanda de le?a en la República de Guatemala. Guatemala, Instituto Nacional de Bosques de Guatemala (INAB).

Organisation latino-américaine de l’énergie (OLADE) (2014). Informe de Estadísticas Energéticas 2014. Quito, ?quateur.

Nations Unies, Commission économique pour l’Amérique latine et les Cara?bes (2011). Centroamérica: Estadísticas del subsector eléctrico, 2010. LC/MEX/L.1039. Mexico, D.F.

Nations Unies, Commission économique pour l’Amérique latine et les Cara?bes (2015). Centroamérica: Estadísticas de producción del subsector eléctrico, 2014. LC/MEX/L.1184. Mexique, D.F.

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