Promouvoir la croissance grâce aux marchés financiers africains
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Promouvoir la croissance grâce aux marchés financiers africains
Quelques jours avant que Facebook fasse son entrée en bourse le 18 mai dernier, l’engouement pour le géant des réseaux sociaux s’est déchaîné. Pour les médias, il s’agissait de la plus importante entrée en bourse qu’ait jamais connue une entreprise Internet. Les investisseurs trépignaient de joie devant cette rare occasion de réaliser rapidement des bénéfices. Les quelque 900 millions de fans qui avaient contribué à faire de Facebook un colosse mondial se demandaient publiquement ce qu’ils y gagneraient.
Sur le moment, l’entrée en bourse de Facebook censée être spectaculaire fut une déception — et faillit même tourner à la catastrophe. Cependant, elle démontra le double pouvoir des marchés financiersÌý: leur capacité à attirer des capitaux en faveur de la croissance d’une entreprise (16 milliards de dollars dans le cas de Facebook), couplée à un potentiel de déstabilisation des économies.
Le cas de Facebook a relancé le débat sur la capacité des bourses à promouvoir la croissance économique. Si on les soupçonne d’imperfections ce n’est pas sans fondement. L’absence de lois régulant le commerce de produits dérivés a été tenue en grande partie responsable de la crise financière mondiale de 2007. Si de telles pratiques ont pu se produire sur les plus grandes places boursières du monde, s’interrogent les critiques, comment les fragiles économies africaines peuvent-elles résister aux caprices des marchésÌý?
Une approche optimiste
Alors que les économies européennes sont aux prises avec la crise de la dette et que la croissance a fort ralenti aux Etats-Unis et dans le reste du monde, les investisseurs se tournent vers l’Afrique en raison de l’attractivité de son économie en expansion. En effet, «Ìýl’Afrique pourrait être sur le point de décoller économiquement, tout comme la Chine l’était il y a 30 ans et l’Inde, il y a 20 ans,Ìý» estime la Banque mondiale.
Cette année, l’économie de l’Afrique subsaharienne devrait, selon les prévisions, connaître une croissance de 5,9%, qui dépassera celle de l’Afrique du Nord estimée à 4,2% selon le Fonds monétaire international (FMI). Sept pays africains devraient compter parmi les dix économies les plus performantes au monde au cours de la période 2011-2015. Parmi les investisseurs, la perception de l’Afrique «Ìýest en train de devenir plus positive sur le long termeÌý» indique Ernst & Young, un cabinet d’audit financier international dans son Enquête sur l’attractivité de l’Afrique publiée en 2011, les prévisions pour les investissements en capital sur le continent devant atteindre 150 milliards de dollars en 2015.
Etant donné ces perspectives de croissance, l’enjeu pour les investisseurs est d’identifier les meilleurs moyens de pénétrer sur le marché. Les actions en bourse possèdent certains avantages par rapport aux sociétés de capital d’investissement (voir Capital-investissement : assurer l’envol des entreprises) pour lever des fonds d’investissement : les entreprises peuvent ainsi rassembler d’importantes sommes d’argent afin d’accroître leurs opérations sans contracter pour autant de larges prêts bancaires, les sociétés cotées doivent publier des rapports réguliers, et les bourses donner aux individus la possibilité d’investir directement dans de grandes entreprises.
, un site Internet qui surveille les places boursières en Afrique, indique qu’en mai 2012, six places boursières (au Kenya, à l’Ile Maurice, en Namibie, en Afrique du Sud, en Ouganda et en Zambie) avaient progressé d’au moins 27% (en dollars) en trois ans. La Zambie parvenait en tête avec un taux écrasant de 57%, grâce à une économie fleurissante soutenue par les prix croissants des matières premières. L’année dernière a été cependant une mauvaise année pour les bourses africaines en raison de la récession mondiale. Néanmoins, la bourse de Lusaka en Zambie, l’une des plus fortes, a connu une hausse de 18,3% et l’on prévoit des rendements à moyen terme au-dessus de la moyenne dans le reste de la région.
À ce jour, les places boursières en Afrique sont au nombre de 23 ; elles étaient 18 il y a dix ans. La plus récente est la Bourse du Rwanda (où quatre sociétés sont cotées), qui a officiellement ouvert ses portes au public il y a environ trois ans. D’autres pays, y compris la Gambie et la Sierra Leone, ont manifesté leur désir d’en créer une.
«ÌýL’existence d’une bourse revient très chère et il n’est pas viable commercialement d’avoir beaucoup de bourses sur le continent,Ìý» déclarait l’an dernier à des journalistes Nicky Newton-King, la première femme à diriger la Bourse de Johannesburg en Afrique du Sud.
Les marchés sont trop petits
De nombreux obstacles empêchent la croissance de places boursières en Afrique. Mise à part la Bourse de Johannesburg (JSE), la plus importante en terme de valeur marchande et du nombre de sociétés qui y sont cotées, les places boursières africaines sont encore petites et souvent dominées par une poignée de grandes corporations. Le conglomérat Dangote Group par exemple représente environ 30% de la bourse nigériane. Les ventes d’actions sont peu fréquentes et lorsqu’elles ont lieu, elles sont généralement limitées à quelques entreprises. Nombreuses sont celles à ne pas avoir accès à des moyens d’information sûrs et performants technologiquement ; sur certaines places, les ventes et achats sont réalisés à la main. Le manque de liquidités est un point faible important et, dans de nombreux cas, le public n’a pas confiance en l’honnêteté des places boursières.
Ces problèmes, dont beaucoup sont complexes, ne peuvent pas être résolus en une nuit. Ils nécessitent du temps et des ressources. Ils ne sont pas non plus les seuls points faibles — les manquements institutionnels sont tout aussi néfastes.
«ÌýLes effets déstabilisateurs de l’introduction des marchés boursiers au sein des économies lorsque les systèmes légaux, régulatoires et monétaires sont encore sous-développés peuvent générer une instabilité plus forte que des gains éventuels,Ìý» remarque Michel Isimbabi dans un article sur les marchés africains. Sans ces garde-fous, insistent les critiques, les opérateurs de marché peuvent utiliser les bourses financières pour boursicoter et spéculer.
L’étude d’Isimbabi, publiée par l’Université John Hopkins aux Etats-Unis dans Review SAIS, conclut pourtant qu’en dépit de ces critiques, il existe des preuves incontestables qu’une place boursière peut être un élément essentiel d’une économie en développement. Un certain nombre d’études du FMI aboutissent à la même conclusion : s’ils sont encadrés par des politiques et réformes appropriées, les marchés financiers peuvent aider les entreprises africaines à multiplier leurs opérations, qui contribueront en retour à la croissance économique.
L’accroissement des flux d’investissement
Heureusement, des environnements propices à la croissance des bourses financières commencent à s’instaurer en Afrique. La stabilité politique existe maintenant dans de nombreux pays — en dépit des troubles récents au Mali et en Guinée-Bissau — même dans des pays sortis de conflits tels que le Libéria, la Sierra Leone et la Côte d’Ivoire. Dans sa dernière enquête, la Fondation Mo Ibrahim, qui soutient la bonne gouvernance en Afrique, estime que «Ìýla stabilité politique en Afrique susaharienne a augmenté considérablement ces dernières années.Ìý»
Des politiques économiques viables et des institutions responsables représentent également un précieux avantage. Tout comme la stabilité politique, le rapport de la Banque mondiale de 2012 sur les perspectives de l’économie mondiale attribue l’accroissement des flux d’investissement vers l’Afrique à l’augmentation des prix des matières premières et à une amélioration de la stabilité macroéconomique. Le Rwanda, par exemple, est aujourd’hui l’une des économies africaines les plus florissantes grâce aux politiques pro-commerciales qu’il a mises en place et à un climat favorable aux investissements. L’Afrique du Sud — et dans une certaine mesure le Kenya — n’a cessé de développer des politiques pour attirer les investisseurs. Et le géant assoupi du continent, le Nigéria, est petit à petit, et en dépit des récents attentats perpétrés par le groupe Boko Haram, en train de s’organiser, guidé en cela par sa Ministre des finances, l’ancienne directrice générale de la Banque mondiale, Ngozi Okonjo-Iweala.
Par contre, les pays à hauts risques font les frais de l’insuffisance de leurs lois d’investissement et de leur manque de respect des droits de propriété. On pense au Zimbabwe. En raison des incertitudes sur la direction des politiques économiques du pays, la bourse du Zimbabwe –autrefois l’une des plus importantes et des plus actives d’Afrique — a perdu la moitié de sa valeur et réduit sa taille de moitié.
L’importance relativement faible des bourses africaines et l’absence de liquidités sont souvent citées par les investisseurs étrangers comme les principaux obstacles les empêchant d’investir dans la région. Les experts considèrent la création de bourses régionales comme une solution intéressante. «ÌýUne bourse régionale permettrait de disposer de plus de liquidités — indispensables aux ventes et achats — en mettant les titres à la disposition d’un plus large éventail d’investisseurs,Ìý» juge The Economist, le magazine hebdomadaire britannique.
L’intégration régionale est lente
Mais jusqu’à présent, l’intégration régionale a peu progressé. La coopération des places boursières est encore limitée aux aspects techniques et régulatoires. La valeur et la taille modestes des deux bourses régionales africaines — l’une composée de cinq pays en Afrique centrale, l’autre représentant huit pays d’Afrique de l’ouest disposant de la même monnaie — les rendent peu attractives pour les investisseurs.
L’accord de partenariat entre le FTSE, l’indice boursier britannique, et 16 des 22 membres de l’Association des bourses africaines (ASEA) pour lancer l’Index financier panafricain du FTSE en 2012 constitue la dernière tentative en matière d’intégration régionale. «ÌýL’index aidera à améliorer la visibilité des bourses africaines tout en donnant aux investisseurs la possibilité d’accéder aux actions africainesÌý» a déclaré Siobhan Cleary, la directrice de la stratégie et des politiques publiques de la Bourse de Johannesburg en réponse aux questions d’Afrique Renouveau.
Au début de l’année, la Bourse de Johannesburg a dévoilé une nouvelle stratégie conçue pour améliorer ses relations avec différentes places boursières d’Afrique par le biais de l’ASEA et du Comité des bourses de la Communauté de développement de l’Afrique australe (CoSSE). La JSE a proposé aux membres de la CoSSE d’utiliser son système d’opération avancé à un prix inférieur à celui du marché. Mise à part la Namibie, aucun n’a accepté «Ìýmais des discussions sont en cours avec d’autres bourses,Ìý» indique Mme Cleary.
Bien que les avantages qui résultent de l’intégration régionale soient évidents (marché de plus grande taille, coûts moins élevés et accroissement des liquidités), celle-ci ne bénéficie pas encore des conditions optimales pour se développer. D’après les experts financiers, il faudrait pour ce faire que les pays africains harmonisent leurs lois commerciales et leurs normes comptables, mettent en place des monnaies convertibles et instaurent entre eux un système de libre-échange. Le nationalisme tient ici un rôle non négligeable, les pays africains ayant tendance à considérer les places boursières comme des symboles nationaux et, de fait, ils ne sont pas pressés d’en abandonner le contrôle.
Il est certes vrai que les bourses ne sont pas le seul moyen pour les investisseurs de prendre une participation dans les entreprises africaines, tout comme elles ne sont pas à ce jour pleinement à la hauteur des enjeux. Cependant, en instaurant les politiques et mesures incitatives adéquates, les pays africains peuvent contribuer au développement de leurs marchés financiers, afin d’en faire les véhicules qu’utiliseront les Facebooks du futur pour réunir des capitaux afin d’étendre leurs activités commerciales.