Les hommes pour les droits des femmes

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Les hommes pour les droits des femmes

Des initiatives sud-africaines contre la violence sexuelle et les inégalités entre les sexes
Afrique Renouveau: 
Johannesburg
iAfrica Photos / Eric Miller
South African civil society groups Des groupes de la société civile sud-africaine tentent de modifier les attitudes des hommes à l’égard des femmes, et de les mobiliser dans la lutte contre la violence à leur encontre.
Photo: iAfrica Photos/ Eric Miller

Lorsqu’un vieil homme leva la main pour prendre la parole au cours de la troisième journée d’un atelier sur la parité des sexes organisé à Hoedspruit, une communauté rurale du nord de l’Afrique du Sud, Bafana Khumalo sentit le découragement l’envahir. Animateur de cet atelier qui s’adressait surtout aux hommes, il avait déjà abordé les questions de la virilité et du rôle de l’inégalité des sexes dans la montée en flèche des taux de HIV en Afrique du Sud.

Bafana Khumalo craignait que l’intervenant affirme que l’égalité entre les hommes et les femmes était une notion contraire à la culture africaine et que l’autonomisation des femmes était un facteur de conflits familiaux. Les aînés étant très respectés dans les communautés rurales, il savait que l’intervenant avait les moyens de faire échouer l’atelier.

“A mon retour à la maison hier, j’ai appelé mes fils et ma femme et je leur ai dit ce qu’on faisait dans cet atelier”, a dit le vieil homme. Il a expliqué à ses enfants que les choses devaient changer à la maison, qu’il n’était plus acceptable que leur mère qui rentre fatiguée de sa journée de travail soit obligée de faire la cuisine, le ménage, de laver la vaisselle et tout ranger elle-même. Ce n’était tout simplement pas juste.

Dorénavant, leur a-t-il intimé, ils devront mettre la main à la pâte. “Il vous faudra commencer à ranger les affaires et préparer le dîner de manière qu’à son retour à la maison votre mère puisse constater qu’on l’a tous aidée. Je suis trop vieux pour apprendre à faire la cuisine, mais je suis disposé à faire la vaisselle”, a-t-il ajouté.

L’adhésion de ce participant à l’un des principaux messages de l’atelier, à savoir que l’image de l’homme n’est pas inaltérable, mais façonnée par la société, et donc sujette à changement, a été un moment important pour Bafana Khumalo. Les conventions sociales assimilent la virilité à “la domination et l’agressivité, la conquête sexuelle et l’intrépidité”, souligne-t-il. Les normes sociales définissent par ailleurs les rôles attribués aux hommes et aux femmes. Pour modifier ces relations, il est impératif d’examiner toutes les facettes de l’inégalité entre les sexes.

“C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’on avançait, a-t-il confié à Afrique Renouveau. Cette situation s’est produite dans toutes les régions où nous avons lancé notre programme.”

De tels ateliers contribuent en effet à modifier les attitudes. Des études menées par le réseau Men as Partners (MAP) d’Afrique du Sud indiquent que 71 % des hommes qui y participent estiment que les femmes devraient avoir les mêmes droits que les hommes, contre 25 % seulement pour l’ensemble de la population masculine. Interrogés sur la question de savoir s’il était normal de battre leur femme de temps à autre, 82 % des participants aux ateliers ont répondu par la négative et 38 % de non-participants par la positive.

“Besoin d’être différents”

Bafana Khumalo est le codirecteur de Sonke Gender Justice, une organisation non gouvernementale créée en 2006. Celle-ci s’attaque à deux fléaux majeurs en Afrique du Sud : la violence contre les femmes et les taux très élevés de VIH. M. Khumalo a milité dans la lutte contre l’apartheid et, une fois ce régime renversé, a rempli des fonctions diverses dans l’Eglise luthérienne et a notamment été pasteur. Mais il a réalisé que sa véritable vocation était de mobiliser les hommes pour mettre fin à la violence contre les femmes. Il a organisé des ateliers à cette fin qu’il a souvent animés en compagnie du codirecteur et cofondateur de Sonke, Dean Peacock. Celui-ci était rentré en Afrique du Sud après avoir passé plus d’une dizaine d’années à militer dans les rangs des mouvements pour les hommes aux Etats-Unis.

M. Khumalo se dit frappé par l’empresse-ment avec lequel les hommes de ses ateliers abordent les questions liées à la violence contre les femmes et leur rôle dans cette violence. “Ils ont exprimé le désir sincère d’être des hommes et des pères différents de ceux de la génération précédente.”

A South African woman whose daughter was raped and died of AIDS Une femme sud-africaine dont la fille a été violée et est morte du sida.
Photo: iAfrica Photos/ Eric Miller

Bafana Khumalo et Dean Peacock sont persuadés que l’autonomisation des femmes ne suffit pas à obtenir l’égalité entre les sexes, et affirment que le comportement et les attitudes des hommes sont les principaux facteurs à l’origine de la propagation du VIH et de la violence contre les femmes.

“Cette violence n’est pas simplement l’expression de sautes d’humeur ou de manque de sang-froid de la part des hommes, déclare Dean Peacock à Afrique Renouveau. De par leur éducation, les hommes ont intériorisé l’idée que virilité implique agressivité, domination sur les femmes et conquête sexuelle. Les hommes craignent souvent d’être rejetés par leurs amis et communautés s’ils ne sont pas de ‘vrais’ hommes, d’être jugés comme ‘faibles’ s’ils s’excusent, transigent ou partagent l’autorité. Plutôt que de chercher à régler les conflits, ils ont recours à la violence, pas seulement contre les femmes, mais aussi entre eux.”

Viols, violence et VIH

De nombreuses études indiquent que l’Afrique du Sud est le pays qui compte le plus grand nombre de cas de viols signalés dans le monde. D’après une enquête menée par le Medical Research Council (MRC) d’Afrique du Sud auprès de 1 370 volontaires de sexe masculin vivant dans 70 villages, près d’un homme sur quatre s’était déjà livré à des violences sexuelles : 16, 3 % avaient violé une personne autre que leur partenaire ou participé à un viol collectif, alors que 8,4 % avaient fait subir des sévices sexuels à une partenaire intime.

D’autres études indiquent que la première expérience sexuelle de nombreuses adolescentes ou jeunes femmes a été non-consensuelle. C’est, d’après les recherches effectuées en 2004 par l’Université de Witwatersrand, le cas de près d’un tiers des femmes ayant eu des relations sexuelles. La même année, le MCR a rapporté qu’en Afrique du Sud une femme était tuée toutes les six heures par un partenaire intime - soit le taux officiel le plus élevé du monde.

Les chercheurs sud-africains ont également révélé en 2004 dans la prestigieuse revue médicale Lancet que les femmes qui avaient des partenaires masculins violents ou autoritaires risquaient davantage d’être séropositives, probablement car les hommes violents avaient plus souvent tendance à être porteurs du VIH et à imposer des pratiques sexuelles à risque à leurs partenaires.

La violence contre les femmes n’est certes pas l’apanage de l’Afrique du Sud, une femme sur trois étant victime de violences conjugales dans le monde.

Au-delà de l’autonomisation de la femme

Après la fin de l’apartheid en 1994, le nouveau gouvernement a fait de l’égalité entre les sexes un objectif prioritaire. La constitution de 1996 a été parmi les premières dans le monde à accorder une attention particulière à la protection et la promotion des droits de la femme et à l’égalité entre les sexes. Tout en affirmant l’égalité de tous les citoyens devant la loi et leur droit de bénéficier de la même protection et des mêmes avantages juridiques, la constitution a établi une commission sur l’égalité des sexes chargée de faire progresser la démocratie et les droits de l’homme pour tous les citoyens.

Men protest violence against women in Johannesburg Des hommes protestent contre la violence à l’égard des femmes à Johannesburg (Afrique du Sud). Sur la banderole est écrit : “Protégez nos femmes et nos enfants.”
Photo: Associated Press / Denis Farrell

Six ans plus tard, l’une des membres de la commission, Sheila Meintjes, a fait remarquer que “sans la mobilisation des hommecute;chs comme partenaires, nos efforts risquent d’être voués à l’&eaec”. Cette affirmation inspire encore les militants dans ce domaine.

Bafana Khumalo et ses collègues de Sonke estiment que les progrès actuellement réalisés en faveur de l’égalité entre les sexes n’aboutiront pas si les hommes ne changent pas. “Les attitudes des hommes et la notion de virilité sont liées à notre héritage patriarcal”, explique-t-il. “Nous comprenons aujourd’hui que nos efforts visant à transformer les relations entre les sexes, entrepris au lendemain de l’avènement de notre démocratie il y a 13 ans, ont eu tendance à privilégier l’autonomisation de la femme.” La priorité accordée à la lutte contre l’oppression des femmes a donné à certains hommes l’impression d’être exclus.

Tout en réaffirmant l’importance de l’autonomisation des femmes, Bafana Khumalo ne manque pas de souligner un phénomène négatif : “Faire prendre conscience de ses droits à une femme qui vit dans une relation de maltraitance n’est pas toujours la chose à faire, explique-t-il. En effet, celle-ci rentrera chez elle plus lucide, prête à revendiquer ses droits. Son partenaire se sentira menacé et, par peur de l’inconnu, réagira de manière plus violente encore.”

Risque de violence pour les hommes

Il est donc impératif à son avis de prouver aux hommes qu’exercer sur les femmes moins de pouvoir présente également des avantages pour eux. “Nous aurons alors moins tendance à nous en servir de manière négative”, dit-il.

Mais les femmes ne sont pas les seules à souffrir de la violence, les hommes en subissent également les conséquences. Le National Injury Mortality Surveillance System de l’Afrique du Sud a ainsi rapporté qu’en 2003 il y avait eu dans le pays environ six fois plus d’hommes que de femmes victimes d’homicides (7 359 contre 1 197).

Pour sa part, Dean Peacock estime qu’il s’agit aussi d’une forme de violence fondée sur le sexe. “Il n’est pas seulement question de la violence d’un homme contre une femme, dit-il. Il existe aussi une violence d’homme à homme, un autre moyen de réaffirmer la domination masculine. Si les hommes comprenaient qu’ils payent eux-mêmes un lourd tribut à cette violence, ils essaieraient de trouver d’autres moyens plus pacifiques pour exprimer leur virilité."

L’idée que se font les hommes de leur virilité a d’autres incidences néfastes. Mike Matyeni, organisateur à Sonke Gender Justice qui ne cache pas sa séropositivité et a participé activement aux campagnes Treatment Action et Men as Partners, souligne les liens sous-jacents qui existent entre les attitudes culturelles et la transmission du VIH. La conception de la virilité de nombreux hommes les pousse à refuser d’utiliser un préservatif, dit-il à Afrique Renouveau. Ils estiment en effet que ce moyen contraceptif compromet leur sexualité et leur sentiment d’être un “homme”.

D’autres affirment que puisqu’ils ont versé une dot à la famille de la mariée, leur épouse n’a pas son mot à dire. Certains hommes refusent de se soumettre à un test de dépistage ou de se soigner, de peur de passer pour des “mauviettes” et d’être nargués par leurs amis. Bon nombre d’entre eux font appel aux guérisseurs traditionnels. D’autres estiment qu’il est gênant ou humiliant d’être soigné par les nombreuses femmes qui travaillent dans les centres de santé du pays. Ils ne se font donc pas soigner même lorsqu’il y a de fortes chances qu’ils soient séropositifs ou malades.

“One Man Can”

Les premières initiatives destinées à sensibiliser les hommes ont été menées en coopération avec les organisations féminines. L’Agisanang Domestic Abuse Prevention and Training (ADAPT) a ainsi mis au point un programme de sensibilisation des hommes à la violence domestique. Le programme proposait entre autres des sketches improvisés dans les gargotes des “townships” et des manifestations d’hommes. Le président de l’époque, Nelson Mandela, a assisté à l’un de ces spectacles. Au fil des ans, de plus en plus de groupes d’hommes se sont formés pour étudier spécifiquement les rôles, responsabilités, attitudes et comportements masculins.

Cette tendance a entraîné une action plus globale. Des agences gouvernementales ont lancé leurs propres campagnes. Des organisations de la société civile se sont mobilisées, en lançant notamment des programmes comme Fathers Speak Out et en créant le réseau Men as Partners et le Forum des hommes d’Afrique du Sud. Des fédérations de syndicats et des groupes confessionnels ont mis au point des programmes consacrés à l’égalité des sexes et au VIH. Parmi leurs activités figurent la tenue d’ateliers de formation, la mise en scène de spectacles, l’organisation de débats informels dans les tavernes, l’exécution de peintures murales illustrant les différents aspects du programme et le lancement d’initiatives qui mobilisent les membres des communautés.

Mais l’ambition de Sonke Gender Justice est de dépasser les ateliers de formation et petites réunions en faveur d’une mobilisation plus large des hommes et des femmes dans le cadre de campagnes d’envergure. L’objectif est de sensibiliser un plus grand nombre d’organisations et de communautés et de mener une action au niveau national. La campagne “One Man Can” (Ce qu’un seul homme peut faire) illustre cette approche globale.

Financée par des donateurs comme l’UNICEF, l’Organisation internationale pour les migrations, des fondations privées et des organismes gouvernementaux, cette campagne a été lancée dans les neuf provinces du pays et est progressivement mise en place dans les pays voisins. Elle a pour objectif de faire participer les hommes et les garçons à la lutte contre la violence domestique et sexuelle et d’encourager l’établissement de rapports sains et équitables et de respect mutuel entre les sexes. La mobilisation de la société civile favorise les changements au sein des familles et des communautés et incite les autorités à se montrer plus actives.

Prendre position

“Nous encourageons les hommes à s’exprimer sur ces questions, à prendre position, plutôt que de se contenter d’observer sans rien faire”, poursuit Bafana Khumalo. Lorsqu’un homme voit une femme battue par son fiancé ou son mari ou entend des cris derrière une porte fermée, il doit assumer ses responsabilités. “Les femmes ont peur de nous, elles ont peur d’entendre des pas qui les suivent dans la nuit. Il faut leur prouver que nous sommes attentifs à leurs préoccupations et que nous ne tolérons plus les comportements inacceptables des hommes à leur égard”, dit-il.

La campagne entend également faire comprendre que les hommes sont capables d’aimer passionnément, mais avec respect et sensibilité. La complexité et la diversité des messages de la campagne dépassent les déclarations d’intention, offrant des conseils sur la manière d’instaurer la confiance entre partenaires et avec les femmes en général. Les messages expliquent que la violence empêche les femmes de vivre pleinement et de se sentir en sécurité et que le respect mutuel repose sur le dialogue entre hommes et femmes, quelle que soit la nature de leurs rapports. Ce n’est qu’à cette condition que les hommes comprendront que “non, c’est non”, que l’utilisation du préservatif est importante, que la justice et le respect des droits sont essentiels sur le plan personnel et collectif, et que les autorités doivent s’acquitter davantage des obligations prévues dans la constitution.

En encourageant les hommes à s’impliquer directement dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes, la campagne les incite aussi à défendre leurs principes et à ne pas céder aux pressions exercées par leurs amis pour maltraiter les femmes ou les humilier. Il incombe aux hommes de briser le cycle de la violence.

Sensibiliser amis et femmes

Les hommes qui ont modifié leurs attitudes et se sont impliqués dans la campagne rappellent souvent les limites de leur éducation. Zithulele Dlakavu, organisateur de “One Man Can” et acteur, écrivain et metteur en scène de spectacles éducatifs, se souvient de l’hostilité affichée par son meilleur ami vis-à-vis de son engagement. Très proche depuis l’adolescence, son ami n’arrivait pas à comprendre pourquoi Zithulele avait changé à ce point. “Tu n’est pas un homme”, lui a-t-il lancé.

Mais ce qui dérangeait Zithulele est que son ami battait sa fiancée. Il lui en a parlé et a réussi à le convaincre de ne plus le faire.

Mais ce ne sont pas seulement les hommes qui doivent changer. Les épouses ou fiancées se moquent souvent des hommes qui leur proposent de partager les tâches ménagères ou de prendre des décisions communes. Lors d’un débat qui s’est déroulé il y a trois ans à Soweto, un faubourg de Johannesburg, un groupe d’organisateurs évoquait les réactions des femmes à leur nouveau comportement. L’un d’eux, de retour d’un atelier, avait fait le ménage et préparé le dîner. Sa fiancée a cru que c’était une façon indirecte de lui faire savoir qu’il n’était pas content de la manière dont elle s’occupait de lui ou du foyer. Un autre a été vertement tancé par sa femme lorsqu’il lui a demandé de prendre une certaine décision. “Tu n’es plus capable de prendre des décisions, comme un vrai homme ?”, lui a-t-elle répliqué.

Un autre encore a entendu dans un minibus une jeune femme confier à son amie : “Je fais des bêtises, c’est normal qu’il me frappe. Comment saurais-je autrement qu’il m’aime ?” Lorsque le militant a tenté de lui expliquer que personne n’avait le droit de la battre, les deux femmes et d’autres hommes présents ont poussé de hauts cris.

Si Bafana Khumalo, comme d’autres militants, s’investit autant dans son travail, c’est parce qu’il espère voir un jour une société plus sûre, pas seulement pour sa femme et ses sœurs, mais pour sa fille aussi. “Je veux apporter ma pierre à l’établissement d’une société où je ne devrai plus me soucier d’avoir à protéger ma femme, où ma fille pourra marcher sans peur de se faire maltraiter, où elle pourra grandir en étant elle-même et vivre sa vie en conséquence. Je veux une société dans laquelle ma femme et ma fille pourront vivre sans de telles craintes.”