Économie : l'essor des technologies de l'information
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Économie : l'essor des technologies de l'information
L'espace de 48 longues heures, le Sénégal a pratiquement cessé d'exister pour le reste du monde. Déterminés à forcer le gouvernement à renoncer à l'attribution à une société américaine la gestion des appels téléphoniques internationaux entrants, les employés de la Société nationale de télécommunications décident, en août 2010, de couper les liaisons téléphoniques et internet avec le reste du monde. Ces deux jours d'interruption de service affectent des dizaines d'institutions : banques, agences de voyage, bureaux de douane, centres d'appels téléphoniques, aéroport, port... Dans la presse, éditoriaux et titres rageurs se succèdent. "Notre économie a perdu 50 milliards de francs C.F.A.", soit 100 millions de dollars, regrette un confrère.
La Guinée et la Mauritanie, deux pays dont les communications internationales passent par le Sénégal, sont eux aussi affectées. "Il est triste que cela se produise alors que nous célébrons nos 50 ans d'indépendance", déplore alors un journal mauritanien. "Ceci démontre combien cette indépendance est incomplète."
Les vives réactions déclenchées par la crise sénégalaise illustrent l'importance des technologies de l'information et des communications (TIC) en Afrique : secteur économique vital, il est désormais aussi essentiel à d'autres.
Croissance sans précédent
Embryonnaire il y a une décennie, le secteur des TIC en Afrique connaît une croissance incomparable. Dans certains pays, des études relèvent que l'économie de l'information est en passe de devenir l'un des principaux moteurs de la croissance.
En 2009, en Afrique du Sud, le secteur des TIC a généré 24,2 milliards de dollars, soit plus de 7 % du produit intérieur brut (PIB) du pays, selon un rapport de Hot Telecom, un cabinet-conseil. La même année, en Tunisie, ce secteur représentait 10 % du PIB. En Tanzanie, sa part a atteint 20 %. Partout sur le continent, l'emprise des TIC s'étend rapidement. Les revenus annuels sur le continent sont évalués à environ 50 milliards de dollars.
Les investissements dans le secteur de la téléphonie mobile, principal moteur des TIC sur le continent, sont passés de 8,1 milliards de dollars en 2005 à près de 70 milliards aujourd'hui, indique l'Union internationale des télécommunications (UIT). Les opérateurs de téléphones mobiles sont devenus une source importante de rentrées fiscales pour les pays africains. Leurs contributions représentent en moyenne 7 % de ces rentrées. Dans certains pays, les opérateurs de téléphone sont les contribuables les plus importants, selon la GSM Association, qui représente les opérateurs à travers le monde.
Rapide adoption
Cette évolution rapide s'explique par trois changements majeurs survenus au cours des dix dernières années. Le premier changement est l'adoption massive des technologies de l'information sur le continent. En 2000, 11 millions d'Africains possédaient un téléphone mobile. Ils étaient près de 200 millions cinq ans plus tard. Désormais, ils sont presque 400 millions.
L'adoption du téléphone mobile en Afrique a défié toutes les prédictions. "Nos singulières habitudes" sont à blâmer remarquait récemment, non sans ironie, Charles Onyango-Obbo, chroniqueur au quotidien kenyan Daily Nation. M. Obbo évoquait ainsi les interminables conversations téléphoniques dont sont coutumiers les Africains, en dépit du coût élevé des appels.
De plus, de nombreux Africains ont rejoint le réseau internet : trois millions d'usagers en 2000 et plus de 100 millions en 2010. Et la tendance devrait se confirmer, à mesure que l'Afrique est davantage connectée au reste du monde, à travers notamment la construction de câbles sous-marins (voir Afrique Renouveau, octobre 2007). D'ores et déjà , les Africains sont les leaders mondiaux dans le domaine de l'internet mobile (voir Afrique Renouveau, décembre 2010).
L'importance des TIC dans d'autres secteurs économiques est elle aussi remarquable. Les bourses de Johannesburg, Nairobi, Lagos et Abidjan ne peuvent fonctionner sans ces technologies. Elles rendent les opérations bancaires plus faciles et accessibles à un plus grand nombre, permettent une assistance médicale plus rapide et efficace, et sont de plus en plus utilisées pour favoriser la participation politique.
Ruée des investisseurs
Au-delà de l'adoption massive des nouvelles technologies, un deuxième phénomène a également contribué à la croissance rapide du secteur des TIC : la ruée vers l'Afrique des investisseurs étrangers, sensibles aux énormes profits qu' offre le marché africain.
En 2008, la société britannique Vodafone, premier opérateur mondial de téléphonie mobile en termes de revenus, a commencé son déploiement en Afrique avec l'acquisition de 70 % de Ghana Telecom, pour 900 millions de dollars. Depuis, Vodafone s'est établie en Égypte et au Kenya, et est devenue propriétaire de plus de la moitié du capital de Vodacom, en Afrique du Sud. L'Afrique subsaharienne est officiellement l'un de ses trois principaux marchés.
L'an dernier, France Télécom annonçait son intention d'investir plus de 8,8 milliards de dollars en Afrique et au Moyen-Orient. Longtemps confiné dans les pays africains francophones, l'opérateur français est désormais présent ailleurs en Afrique, y compris sur le très anglophone marché kenyan.
Mais la présence la plus remarquée parmi les investisseurs étrangers est celle de la société indienne Bharti. Longtemps en quête d'une présence africaine, l'opérateur indien a dépensé la somme record de 10,7 milliards de dollars pour l'acquisition des avoirs de la koweïtienne Zain.
Ce ballet d'acquisitions constitue une rupture radicale avec le passé. Il y a dix ans, seuls quelques hommes d'affaires et compagnies voyaient en Afrique la promesse d'opportunités. Le Soudanais Mo Ibrahim est alors un des rares à oser l'aventure avec Celtel. Longtemps, cet opérateur de téléphone mobile partage l'essentiel du marché africain avec deux compétiteurs sud-africains: MTN et Vodacom.
L'époque des pionniers est désormais révolue. Et même si les retours sur investissements dans le secteur des TIC en Afrique sont à la baisse, ils continuent d'attirer les compagnies occidentales qui enregistrent chez elles des marges bénéficiaires réduites. Il y a cinq ans, en Afrique, "il fallait tout juste six mois pour recouvrer les investissements faits dans l'infrastructure pour de nouveaux clients", confie Marc Rennard, chef des opérations de France Télécom en Afrique et au Moyen-Orient. "Maintenant, il faut plus de deux ans. Mais ça reste très intéressant."
Réforme de la réglementation
Enfin, troisième changement important enregistré au cours des dix dernières années, les politiques et institutions mises en place pour encadrer le secteur des TIC en Afrique ont permis d'assurer sa croissance. Très vite, la plupart des pays africains ont ouvert leurs marchés du téléphone mobile et de l'internet à la compétition et à l'investissement privé. Dans la foulée, ils ont créé des agences de régulation chargées notamment de délivrer les licences d'exploitation et d'arbitrer les différends.
À mesure que les gouvernements mettaient au point des plans de développement des TIC, les régulateurs nationaux. Au Kenya, où le parlement a adopté un plan ambitieux pour transformer le pays en une plaque tournante régionale des TIC, l'agence nationale de régulation a récemment demandé aux opérateurs d'étendre la couverture aux zones rurales en échange d'une réduction des frais d'exploitation. L'agence leur a aussi demandé de réduire les frais des opérations bancaires par téléphone mobile.
Pour leur part, le Rwanda, l'Égypte, la Tunisie, le Kenya, l'Afrique du Sud et les Seychelles comptent parmi les pays qui ont adopté des plans ambitieux en vue de développer une économie du savoir. Longtemps connue pour ses abondantes ressources naturelles, l'Afrique assiste à l'essor d'un secteur dont seuls quelques esprits téméraires avaient, dès le départ, deviné le potentiel sur le continent.