Beaucoup d’Africains diplômés ne décrochent pas d’emploi.
Ruth Rono a obtenu son diplôme de l’Université de Chuka, au Kenya, en 2015, avec mention très bien. Sans emploi après de nombreuses années d’efforts, Mme Rono a été forcée d’accepter des emplois sous-qualifiés.
Dans le Sud, Banji Robert a obtenu un baccalauréat en économie et en mathématiques de l’Université de Zambie en 2016 et aurait volontiers accepté un poste de débutant. Deux ans plus tard, sans succès, M. Robert, frustré, est devenu caissier dans une épicerie.
« Il n’est pas facile de payer des factures et encore moins de fonder une famille » déclare M. Robert, 25 ans. « La pression est trop forte quand on n’a pas de travail alors qu’on a fait des études. »
Diplômé en études du développement, Robert Sunday Ayo, 26 ans, chauffeur de taxi à Abuja, au Nigeria, se trouve dans une situation similaire. « C’est triste et très frustrant de ne pas pouvoir trouver du travail avec un CV comme le mien », déplore-t-il.
Compétences de base
L’une des raisons du chômage des diplômés est que « beaucoup trop de jeunes d’Afrique sortent de l’école sans avoir les compétences de base », déclare Siddarth Chatterjee, coordonnateur résident des Nations Unies au Kenya. « Quelque chose ne fonctionne donc pas dans l’investissement dans l’éducation. »
Selon la Banque mondiale, environ 60 % des chômeurs en Afrique sont des jeunes, et beaucoup ont recours à la criminalité, la radicalisation ou la migration souvent périlleuse à travers la Méditerranée vers l’Europe, déclare M. Chatterjee.
Avec l’automatisation croissante, la situation des diplômés pourrait s’aggraver dans les années à venir.
Selon le Centre africain pour la transformation économique, basé à Accra, près de 50 % des diplômés universitaires ne trouvent pas d’emploi.
La cause profonde du problème est une inadéquation entre l’éducation qu’ils reçoivent et les besoins du marché de l’emploi, affirme Sarah Anyang Agbor, commissaire de l’Union Africaine (UA) chargée des ressources humaines, de la science et de la technologie.
« Les leçons que nous avons enseignées dans les années 90 sont les mêmes que celles que nous enseignons aujourd’hui », confie Joseph Odunga, qui a enseigné les mathématiques au Kenya et au Botswana.
Mme Agbor, qui déclare également : « Dans la plupart des pays [d’Afrique], les systèmes éducatifs ont été orientés vers l’obtention d’un diplôme plutôt que vers l’acquisition de qualifications et de compétences qui favorisent une intégration réussie dans le monde du travail. »
Secteurs porteurs
Des secteurs comme la construction, la fabrication, l’économie numérique, les transports, les banques, les soins médicaux et l’ingénierie ont toujours besoin de candidats qualifiés, affirme Anne-Elvire Esmel, chargée des communications stratégiques à l’AfroChampions Initiative, qui encourage les entreprises locales africaines.
L’inadéquation entre les besoins du marché du travail et les compétences de nombreux diplômés est soulignée par le récent lancement par le gouvernement kenyan du programme axé sur les compétences, « Competency-Based Curriculum » ,
qui enseigne les technologies numériques aux étudiants pour les aider à rejoindre le secteur en croissance des applications numériques.
Mme Esmel souhaite que les pays développent « des cours plus adaptés à la résolution des problèmes économiques, en fournissant aux diplômés des compétences pratiques pour le marché du travail et en investissant dans les STEM - sciences, technologie, ingénierie et mathématiques. »
« Nous avons d’énormes besoins en infrastructures et nous devrions offrir des possibilités à une population jeune et nombreuse au cours de la prochaine décennie », affirme Mme Esmel. Elle souligne la nécessité de disposer de techniciens compétents dans l’industrie du bâtiment et de la construction et dans les centrales électriques et énergétiques.
Le problème, cependant, est que « l’enseignement et la formation professionnels techniques [EFPT] sont stigmatisés comme une filière d’apprentissage, malgré sa capacité à promouvoir l’acquisition et le développement de compétences entrepreneuriales et innovantes pour le travail indépendant », déplore M. Chatterjee.
Avec une allocation adéquate des ressources, dit-il, « la modernisation des installations d’enseignement et d’apprentissage dans les établissements d’EFPT, ainsi que la formation et le développement professionnel continu des enseignants d’EFPT » seront possibles.
L’Afrique subsaharienne consacre 5 % de son PIB à l’éducation. En 2015, à Incheon, en Corée du Sud, le Forum mondial de l’éducation, organisé par l’UNESCO avec le soutien d’autres entités des Nations Unies et de la Banque mondiale, a adopté une déclaration qui exige que les pays consacrent 4 à 6 % de leur PIB ou 15 à 20 % de leurs dépenses publiques à l’éducation. Un rapport montre que le Zimbabwe, Eswatini (ex Swaziland) et le Sénégal ont atteint ou dépassé l’objectif de 6 % du PIB, tandis que le Sud-Soudan, la République Démocratique du Congo, la Guinée-Bissau, l’Ouganda ou Madagascar, consacrent moins de 2,5 % de leur PIB à l’éducation.
Une autre préoccupation concerne les dépenses élevées du système éducatif (85 % en moyenne), dont 56 % sont consacrées aux salaires.
L’ancienne Secrétaire d’Etat à l’éducation du Kenya, Amina Mohammed, est moins critique, affirmant que « la plupart des systèmes éducatifs comportent des programmes de développement des compétences. C’est pourquoi, au fil des ans, la plupart des pays africains ont développé un capital humain qui est le moteur du programme de développement ».
Mme Mohammed a déclaré à Afrique Renouveau : « Le chômage en soi n’est pas une résultante exclusive des systèmes éducatifs et de l’inadéquation des compétences. Il y a beaucoup d’autres facteurs qui conduisent au chômage, dont la stabilité sociopolitique, les structures économiques et la dynamique mondiale, et la croissance économique générale des pays ».
Créer des emplois
Mme Mohammed suggère que l’Afrique a surtout besoin d’entrepreneurs pour créer des emplois. « Nous avons besoin de Silicon Valleys africaines. Les économies qui prospèrent dans le monde entier reposent sur les fondements d’un environnement propice à l’essor de l’entreprenariat.
« Des multinationales mondiales telles que Facebook, Twitter, LinkedIn et WhatsApp emploient des centaines de milliers de personnes, directement ou indirectement » ajoute Mme Mohammed.
Beaucoup attendent avec impatience la création d’une zone de libre-échange continentale africaine, un marché panafricain unique de biens et services qui devrait entrer en vigueur dans les mois à venir et qui permettra aux jeunes Africains qualifiés de circuler librement pour trouver un emploi.
Pourtant, Aya Chebbi, l’envoyée de l’UA pour la jeunesse, affirme que sans les compétences adéquates, les jeunes n’y trouveront peut-être pas leur compte. Elle appelle à la mise à jour des programmes d’enseignement afin de les adapter au marché du travail actuel.
Mme Chebbi affirme que les jeunes peuvent perfectionner leurs compétences entrepreneuriales s’ils se concentrent sur les sciences, la technologie, l’ingénierie, l’entrepreneuriat et les mathématiques et ont accès à une formation en entreprise.
En décembre 2018, le Maroc a accueilli le premier Forum africain sur la formation professionnelle. L’objectif était de créer un modèle de partenariat entre les pays africains pour promouvoir l’accès des jeunes à la formation professionnelle. Le forum a relevé que les pays africains attachent une importance croissante à la formation professionnelle.
Le secteur privé doit compléter les efforts des gouvernements, conseille Mme Esmel.
Mme Agbor pense de même : « Le secteur privé doit être étroitement lié aux systèmes d’éducation et de formation pour répondre aux besoins du marché du travail. » Elle encourage les entreprises à offrir aux jeunes des programmes d’apprentissage, de stage, de mentorat et même de certification des compétences.Ìý Ìý Ìý