COMMENT LES CHOSES ONT COMMENC?
La cr¨¦ation du Groupe des 77 a marqu¨¦ le point de d¨¦part de ma carri¨¨re professionnelle et de ma mission consacr¨¦e ¨¤ la cause des pays en d¨¦veloppement.
En 1966, je pr¨¦parais mon doctorat ¨¤ l¡¯Universit¨¦ de Californie, ¨¤ Berkeley, et cherchais un sujet de th¨¨se. Mon professeur, Ernst B. Haas, m¡¯a conseill¨¦ de contacter Leo Mates, une personnalit¨¦ politique et un intellectuel yougoslave ¨¦minent et l¡¯un des architectes du Mouvement des non align¨¦s. Ce dernier m¡¯a parl¨¦ de la cr¨¦ation de la CNUCED et du Groupe des 77 et m¡¯a sugg¨¦r¨¦ de prendre comme sujet de th¨¨se la prise de d¨¦cisions au sein de la CNUCED et le syst¨¨me de groupes dans ce cadre.
J¡¯ai accept¨¦ cette id¨¦e avec enthousiasme pour plus d¡¯une raison. J¡¯¨¦tais int¨¦ress¨¦ par son aspect politique. Ayant grandi en Yougoslavie, la cause des pays en d¨¦veloppement et des pays non align¨¦s m¡¯¨¦tait ch¨¨re. Le sujet ¨¦tait nouveau et personne ne s¡¯y ¨¦tait probablement jamais attaqu¨¦. Cela signifiait orienter mon travail sur les Nations Unies, ce qui correspondait ¨¤ mon int¨¦r¨ºt universitaire pour les relations internationales et l¡¯Organisation internationale. Cela impliquait, ce qui ¨¦tait important pour moi, le renforcement des liens formels avec mon pays qui ¨¦tait l¡¯un des membres influents du G77 et m¡¯assurait aussi un avenir orient¨¦ vers l¡¯ONU et les causes mondiales en m¡¯¨¦loignant de la tentation d¡¯entreprendre une carri¨¨re universitaire ou gouvernementale.
?LA PREMI?RE RENCONTRE
Lorsque j¡¯ai franchi les portes du Palais des Nations ¨¤ Gen¨¨ve en avril 1967, j¡¯ai pris contact avec les d¨¦l¨¦gu¨¦s de la CNUCED et les membres du Secr¨¦tariat et leur ai pos¨¦ des questions sur le syst¨¨me du groupe; ils m¡¯ont regard¨¦ avec surprise et curiosit¨¦. Issu d¡¯une universit¨¦ am¨¦ricaine et arm¨¦ de mon questionnaire sur le syst¨¨me de groupes, peu familiaris¨¦ avec l¡¯environnement politiquement explosif de la CNUCED, certains ont d? penser que j¡¯¨¦tais un ? agent ? envoy¨¦ par le Nord. W. Malinowski, le chef de la Division des transports de la CNUCED, par exemple, consid¨¦rait mes motifs comme tr¨¨s suspects. M¨ºme K. Vidas de la d¨¦l¨¦gation ne savait pas exactement quoi penser.
Un soir, peu apr¨¨s mon arriv¨¦e, j¡¯ai aper?u Raul Prebisch devant une boutique situ¨¦e dans une rue d¨¦serte du vieux quartier de Gen¨¨ve. Je me suis approch¨¦ et me suis pr¨¦sent¨¦. Puis je lui ai demand¨¦: ? En tant que fonctionnaire qui est, par d¨¦finition, cens¨¦ ¨ºtre ? neutre ? entre les parties adverses, comme le G 77 et le Groupe B, comment conciliez-vous votre secr¨¦tariat et la d¨¦fense des objectifs de d¨¦veloppement et le soutien ouvert au groupe des pays en d¨¦veloppement ? ? Cette question pol¨¦mique sur le Groupe B a sembl¨¦ l¡¯irriter. Il a r¨¦pondu fermement : ? Si, dans une rue, vous voyez un adulte battre un enfant, resteriez-vous simplement les bras crois¨¦s ¨¤ regarder la sc¨¨ne parce que vous ¨ºtes cens¨¦ ¨ºtre ¡®neutre¡¯ ? ? Cette premi¨¨re rencontre avec Ra¨²l Prebisch, quoique br¨¨ve, a ¨¦t¨¦ d¨¦terminante. Elle a forg¨¦ ma vision du monde et m¡¯a fait comprendre la mission des Nations Unies dans le monde. Elle a influenc¨¦ et fa?onn¨¦ mon travail, mes attitudes et mes actions dans les ann¨¦es et les d¨¦cennies qui ont suivi ainsi que ma philosophie de la vie.
?L¡¯ENTHOUSIASME POUR LA CNUCED ET POUR LE GROUPE DES 77 ? LEURS D?BUTS
Cette p¨¦riode a ¨¦t¨¦ passionnante et difficile. C¡¯est lors du Cinqui¨¨me Conseil du commerce et du d¨¦veloppement que j¡¯ai tir¨¦ l¡¯une de mes premi¨¨res ? le?ons ?. Pendant que j¡¯¨¦coutais les d¨¦bats, ¨¦merveill¨¦ par leur importance, j¡¯ai remarqu¨¦ le Rapporteur uruguayen Mateo Magarifios de Mello. Lorsque je me suis renseign¨¦ sur lui, on m¡¯a dit que vu sa propension ¨¤ faire des interventions rh¨¦toriques fr¨¦quentes et longues lors des expos¨¦s, il avait ¨¦t¨¦ nomm¨¦ rapporteur pour emp¨ºcher qu¡¯il n¡¯intervienne trop souvent pendant les d¨¦bats. C¡¯est ainsi qu¡¯a d¨¦but¨¦ ma formation en diplomatie multilat¨¦rale internationale.
L¡¯apprentissage a ¨¦t¨¦ rapide et riche en ¨¦v¨¦nements. Au d¨¦but, j¡¯ai interview¨¦ des d¨¦l¨¦gu¨¦s et des fonctionnaires du Secr¨¦tariat en leur posant des questions sur le m¨¦canisme du syst¨¨me de groupes. J¡¯ai vite compris que la question en jeu ¨¦tait beaucoup plus importante : il s¡¯agissant de la confrontation Nord-Sud concernant la nature du syst¨¨me mondial et de l¡¯ordre ¨¦conomique. Comme j¡¯¨¦tais mieux inform¨¦, les d¨¦l¨¦gu¨¦s et les membres du Secr¨¦tariat ¨¦taient plus dispos¨¦s ¨¤ me parler. Souvent, il semblait que j¡¯en savais plus sur les travaux que les fonctionnaires internationaux ou les d¨¦l¨¦gu¨¦s ¨¤ l¡¯emploi souvent tr¨¨s charg¨¦s, ce qui m¡¯a valu un compliment de Diego Cordovez.
Les couloirs du Palais d¨¦bordaient d¡¯activit¨¦ et d¡¯enthousiasme. La CNUCED et le Groupe des 77 allaient changer le monde. ? la villa rose Le Bocage, situ¨¦e ¨¤ proximit¨¦, l¡¯Accord g¨¦n¨¦ral sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et son Directeur g¨¦n¨¦ral Wyndham White ¨¦taient inquiets et incertains de leur avenir. Des personnalit¨¦s et des experts ¨¦minents du Nord et du Sud, des missions permanentes de Gen¨¨ve aupr¨¨s de l¡¯ONU et des capitales nationales ont pris part aux d¨¦bats. K. B. Lall (Inde), Alexandre Koj¨¨ve et Andr¨¦ Philip (France), Hortensio Brillantes (Philippines) Hern¨¢n Santa Cruz (Chili), Janez Stanovnik (Yougoslavie), Richard Gardner (?tats-Unis), Paul Jolles (Suisse) ont ¨¦t¨¦, avec de nombreux autres, actifs sur la sc¨¨ne de la CNUCED. Plusieurs pays en d¨¦veloppement ont jou¨¦ un r?le de premier plan et cru fermement au projet commun du Tiers-Monde. Ils ont, entre autres, inclus le Br¨¦sil, l¡¯Inde, l¡¯Alg¨¦rie, le Mexique, le Chili, la Yougoslavie, l¡¯Indon¨¦sie, les Philippines, le Nigeria et le Ghana. Ces pays ont ¨¦t¨¦ la force motrice du Groupe des 77 et lui ont conf¨¦r¨¦ le dynamisme dont il avait besoin, illustrant l¡¯importance de l¡¯engagement et la contribution des pays individuels ¨¤ la cause commune du Sud.
Fait tr¨¨s important, le Secr¨¦tariat de la CNUCED a jou¨¦ un r?le de premier plan. Il ¨¦tait compos¨¦ d¡¯une petite ¨¦quipe d¡¯experts et de personnalit¨¦s ¨¦minentes de Sud et du Nord mis en place par Prebisch qui ¨¦taient s¨¦duits par le nouveau programme de commerce et de d¨¦veloppement, la nouvelle organisation et, surtout, l¡¯¨¦mergence du G77. Le Secr¨¦tariat a travaill¨¦ ¨¦troitement avec le G77, lui a apport¨¦ un soutien technique, logistique et politique et a ¨¦t¨¦ une source d¡¯inspiration. Wladek Malinowski (Pologne), Sidney Dell et Alfred Maizels (Royaume-Uni), R. Krishnamurti (Inde), Christophe Eckenstein (Suisse) et Diego Cordovez (?quateur) ont ¨¦t¨¦ parmi ceux qui ont apport¨¦ un appui crucial ¨¤ Ra¨²l Prebisch dans cette nouvelle initiative mondiale.
J¡¯ai rapidement am¨¦lior¨¦ mes connaissances sur le Groupe des 77, la CNUCED et la rencontre Nord-Sud ayant lieu dans ses murs ainsi que sur l¡¯¨¦volution de l¡¯agenda pour le d¨¦veloppement international. Les pays d¨¦velopp¨¦s du Nord, c¡¯est-¨¤-dire le Groupe B, n¡¯¨¦taient pas r¨¦ellement enthousiasm¨¦s par l¡¯¨¦mergence du G77, le syst¨¨me de groupes, la CNUCED et son Secr¨¦tariat. Leurs d¨¦l¨¦gu¨¦s m¡¯ont souvent dit que le Groupe des 77 ¨¦tait une cr¨¦ation artificielle, une coalition h¨¦t¨¦roclite de pays qui n¡¯avaient rien, ou tr¨¨s de choses, en commun et qui ne pourraient pas s¡¯unir sur des questions impliquant des int¨¦r¨ºts nationaux sp¨¦cifiques. Ils estimaient aussi que le syst¨¨me de groupes n¡¯¨¦tait pas un moyen efficace pour mener des d¨¦bats ¨¤ l¡¯ONU.
Comme je l¡¯avais anticip¨¦, j¡¯ai ¨¦t¨¦, dans la premi¨¨re phase du jeu, un ? pionnier ? dans ce domaine de recherche sp¨¦cifique. J¡¯ai donc re?u une bourse du Carnegie Endowment for International Peace pour assister ¨¤ la CNUCED de 1968 ¨¤ New Delhi ¨¤ condition que j¡¯¨¦crive un texte qui serait ensuite publi¨¦.
J¡¯ai suivi attentivement les d¨¦bats de la conf¨¦rence et en me servant aussi de ma recherche ¨¤ Gen¨¨ve, ai ¨¦crit pour la s¨¦rie de monographies n¡ã 568 de l¡¯? International Conciliation?, UNCTAD : North-South Encounter, publi¨¦ en mai 1968. C¡¯¨¦tait ma premi¨¨re publication sur la nouvelle organisation et ses controverses. Sur un autre registre plus l¨¦ger, j¡¯ai rencontr¨¦ ma future ¨¦pouse pendant cette longue r¨¦union, des amis disant en plaisantant que ce fut le seul r¨¦sultat concret de la conf¨¦rence qu¡¯un journal local avait appel¨¦ ? la conf¨¦rence qui ne prend aucune d¨¦cision ?.
De retour ¨¤ Berkeley, j¡¯ai commenc¨¦ ¨¤ ¨¦crire ma th¨¨se que j¡¯ai termin¨¦e en 1970. Je l¡¯ai remani¨¦e pour qu¡¯elle soit publi¨¦e dans le premier ouvrage sur la CNUCED intitul¨¦ UNCTAD: Conflict and Compromise, The Third World¡¯s Quest for an Equitable World Economic Order through the United Nations1. Les chapitres du Groupe des 77 et le syst¨¨me de groupes ¨¦taient fond¨¦s sur les interviews et mes analyses sur les dynamiques du G77 et le nouveau syst¨¨me de n¨¦gociations multilat¨¦rales qu¡¯il a engendr¨¦.
LA CNUCED ET LE PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR L¡¯ENVIRONNEMENT (PNUE)
Gr?ce probablement ¨¤ ma recherche et ¨¤ mes publications, on m¡¯a propos¨¦ un emploi ¨¤ la CNUCED. En septembre 1971, je suis entr¨¦ dans son secr¨¦tariat comme membre de la Division de l¡¯information qui ¨¦tait dirig¨¦e par Tibor Mende. Manuel P¨¦rez- Guerrero avait remplac¨¦ Ra¨²l Prebisch au poste de Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral. Soixante-huitard enthousiaste avec un doctorat en poche qui s¡¯identifiait ¨¤ la cause du Groupe des 77 et endossait la mission visant ¨¤ promouvoir un changement syst¨¦mique mondial, ma premi¨¨re t?che fut d¡¯¨¦crire une brochure sur le r?le et les objectifs de la CNUCED ¨¤ des fins d¡¯information. J¡¯ai travaill¨¦ dur, mais le projet de texte a ¨¦t¨¦ rang¨¦ au fond d¡¯un tiroir. On ne m¡¯a jamais demand¨¦ de le revoir, de le recommencer ou m¨ºme expliqu¨¦ la raison de son refus. Peut-¨ºtre avais-je ¨¦t¨¦ trop franc pour que ce texte soit publi¨¦ par un Secr¨¦tariat ? neutre ? ?
En 1973, les travaux de la CNUCED ¨¦taient devenus un travail routinier et c¡¯est avec plaisir que j¡¯ai eu la possibilit¨¦ de travailler pour le PNUE nouvellement cr¨¦¨¦ et d¡¯aller en Afrique et ¨¤ Nairobi.
La premi¨¨re session du Conseil? d¡¯administration du PNUE, qui s¡¯est tenue ¨¤ Gen¨¨ve en 1973, a soulign¨¦ l¡¯importance du Groupe des 77. Le Conseil d¨¦terminait les priorit¨¦s du programme de la nouvelle organisation et l¡¯allocation des ressources financi¨¨res venant du Fonds de l¡¯environnement. Le G77 n¡¯¨¦tait pas pr¨ºt lorsque le Conseil s¡¯est r¨¦uni, en partie sous l¡¯influence des pays d¨¦velopp¨¦s qui soutenaient que le syst¨¨me de groupes n¡¯avait pas lieu d¡¯¨ºtre au PNUE et que la division Nord-Sud, comme celle au c?ur de la CNUCED, ne devrait pas s¡¯appliquer, et ne s¡¯appliquait pas, lorsqu¡¯il s¡¯agissait des questions environnementales. Depuis longtemps cependant, les pays d¨¦velopp¨¦s agissaient en tant que groupe et avaient d¨¦fini une strat¨¦gie claire des objectifs qu¡¯ils voulaient atteindre.
R¨¦alisant vers la fin de la session qu¡¯ils avaient peu d¡¯influence sur les d¨¦bats tant que leurs d¨¦l¨¦gations intervenaient individuellement, les pays en d¨¦veloppement, motiv¨¦s par certains de leurs d¨¦l¨¦gu¨¦s, guid¨¦s par le Chili, ont commenc¨¦ ¨¤ agir en tant que Groupe des 77. Cela a irrit¨¦ le Secr¨¦tariat de PNUE et les d¨¦l¨¦gations des pays d¨¦velopp¨¦s, et non sans raison. Le r¨¦sultat qu¡¯ils esp¨¦raient atteindre avait chang¨¦ : les priorit¨¦s du programme et l¡¯allocation des fonds n¡¯¨¦taient plus orient¨¦es sur l¡¯¨¦valuation et la gestion pr¨¦conis¨¦es par les pays d¨¦veloppement, mais sur le programme environnement et d¨¦veloppement qui ¨¦tait un p?le d¡¯int¨¦r¨ºt pour les pays en d¨¦veloppement.
? Nairobi, le G77 n¡¯a pas r¨¦ussi ¨¤ exercer l¡¯influence qu¡¯il avait eue durant la premi¨¨re session du Conseil, en partie parce qu¡¯il y avait peu d¡¯ambassades des pays en d¨¦veloppement dans cette ville, que le Groupe n¡¯y disposait pas d¡¯une base permanente, comme ¨¤ Gen¨¨ve, et aussi parce que le Secr¨¦tariat n¡¯¨¦tait pas activement engag¨¦ ¨¤ lui apporter son appui. C¡¯est pour ces raisons, et ¨¤ cause des pressions exerc¨¦es par les pays du Groupe B, que les questions li¨¦es ¨¤ l¡¯environnement et au d¨¦veloppement ont ¨¦t¨¦ progressivement rel¨¦gu¨¦es ¨¤ l¡¯arri¨¨re-plan, alors qu¡¯elles ¨¦taient au premier plan lors de la Conf¨¦rence de Stockholm en 1972 et, en 1974, au Colloque de Cocoyoc organis¨¦ par la CNUCED et le PNUE sur les modes d¡¯utilisation des ressources naturelles, l¡¯environnement et les strat¨¦gies de d¨¦veloppement. Mais, comme les d¨¦cennies suivantes l¡¯ont montr¨¦, les probl¨¨mes irr¨¦solus ne peuvent tout bonnement pas ¨ºtre ¨¦cart¨¦s et la plupart de ces controverses Nord-Sud ont resurgi avec force, en particulier celles concernant le changement climatique.
LA COMMISSION SUD ET LE CENTRE SUD
La Commission Sud a ¨¦t¨¦ cr¨¦¨¦e en 1987, d¡¯une part, pour donner une impulsion au Groupe des 77 en lui offrant des instruments intellectuels et politiques ¨¤ un moment o¨´ il semblait ¨¤ bout de souffle et affaibli apr¨¨s son heure de gloire dans la d¨¦cennie 70 avec la revendication d¡¯un Nouvel Ordre ¨¦conomique international et, d¡¯autre part, pour catalyser la cr¨¦ation de l¡¯organisation mondiale des pays en d¨¦veloppement, d¨¦sign¨¦e comme le ? secr¨¦tariat du Tiers-Monde ?. Sa t?che consistait ¨¤ fournir un appui politique, significatif et logistique au G77 et, donc, d¡¯aider ¨¤ surmonter le d¨¦ficit institutionnel cr¨¦¨¦ par les pressions croissantes qui s¡¯exer?aient sur le Secr¨¦tariat de la CNUCED pour qu¡¯il cesse de soutenir le Groupe, pressions qui se sont intensifi¨¦es dans la p¨¦riode qui a suivi le Sommet de Cancun en 1981.
La Commission a longuement d¨¦battu de la question institutionnelle. Certains se montraient sceptiques quant ¨¤ la possibilit¨¦ d¡¯¨¦tablir une institution et de trouver les ressources et le soutien politique n¨¦cessaires pour une telle initiative parmi les pays en d¨¦veloppement. D¡¯autres objectaient qu¡¯une telle institution ¨¦tait essentielle si le G77 voulait renforcer sa position et ¨ºtre efficace sur la sc¨¨ne internationale. Le Pr¨¦sident de la Commission, Julius K. Nyerere, ¨¦tait parmi ceux qui ¨¦taient convaincus qu¡¯une organisation du Sud ¨¦tait indispensable. Le rapport de la Commission intitul¨¦ ? D¨¦fis au Sud ? proposait la cr¨¦ation d¡¯un Secr¨¦tariat du Sud, comme institution modeste lors du stade initial.
Alors qu¡¯il y avait des espoirs que cette recommandation soit envisag¨¦e s¨¦rieusement et mise en ?uvre par les pays en d¨¦veloppement, beaucoup se montraient sceptiques l¡¯¨¦gard de la Commission. Il fut donc d¨¦cid¨¦ de cr¨¦er un bureau de suivi temporaire, le Centre Sud, dirig¨¦ par Julius Nyerere, qui serait charg¨¦ de promouvoir les recommandations du rapport, en particulier celle concernant un Secr¨¦tariat du Sud. Aux termes d¡¯un mandat de deux ans, les anciens membres de la Commission se r¨¦uniraient pour examiner la r¨¦ponse aux recommandations pr¨¦sent¨¦es.
Les travaux et les activit¨¦s du Centre Sud ont ¨¦t¨¦ favorablement accueillis par le Groupe des 77 ¨¤ New York et se sont r¨¦v¨¦l¨¦s utiles. Par exemple, ¨¤ la veille de la Conf¨¦rence des Nations Unies sur l¡¯environnement et le d¨¦veloppement de 1992 ¨¤ Rio, Maurice Strong a t¨¦l¨¦phon¨¦ au Pr¨¦sident Nyerere pour lui dire que le G77 n¡¯avait pas de position commune avant cette manifestation. Il a sugg¨¦r¨¦ que le Centre apporte son concours. Un groupe d¡¯experts dirig¨¦ par Gamani Corea a ¨¦t¨¦ r¨¦uni dans un d¨¦lai tr¨¨s court et ¨¦labor¨¦ un document que Julius Nyerere a ensuite pr¨¦sent¨¦ au Groupe des 77 ¨¤ New York. Il a ¨¦t¨¦ examin¨¦ et a permis de d¨¦finir la position du Groupe ¨¤ la Conf¨¦rence de Rio, un autre exemple illustrant l¡¯importance du soutien intellectuel et technique pour le Groupe.
Faute d¡¯avoir obtenu une r¨¦ponse ¨¤ la recommandation institutionnelle de la Commission, et compte tenu de l¡¯exp¨¦rience utile avec le travail du Centre, il a ¨¦t¨¦ d¨¦cid¨¦ de proroger le mandat du Centre Sud en 1992 et d¡¯essayer d¡¯en faire une organisation permanente. Pendant la r¨¦union minist¨¦rielle du G77 ¨¤ l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale de l¡¯ONU en 1994, 44 ?tats membres du Groupe des 77 ont sign¨¦ l¡¯accord intergouvernemental portant cr¨¦ation du Centre Sud. Luis Fernando Jaramillo, Pr¨¦sident du G77 alors en fonction, (Colombie), a jou¨¦ un r?le important pour mobiliser les pays membres ¨¤ signer l¡¯accord. En 1995, apr¨¨s l¡¯enregistrement d¡¯un nombre suffisant de ratifications, le Centre Sud est devenu une organisation intergouvernementale des pays en d¨¦veloppement.
Peu apr¨¨s, l¡¯Administrateur du Programme des Nations Unies pour le d¨¦veloppment (PNUD), Gustave Speth, a indiqu¨¦ qu¡¯une proposition de projet du Centre Sud pourrait ¨ºtre envisag¨¦e pour renforcer le bureau du G77 ¨¤ New York. Cela comprenait l¡¯ouverture d¡¯un bureau du Centre Sud en m¨ºme temps que le Bureau du G77 afin d¡¯apporter ¨¤ ce dernier un soutien op¨¦rationnel.
M¨ºme si l¡¯id¨¦e du Bureau du Centre ¨¤ New York ne s¡¯est pas mat¨¦rialis¨¦e, due en partie ¨¤ des difficult¨¦s logistiques et juridiques, le projet, qui a ¨¦t¨¦ approuv¨¦, a permis d¡¯engager Mourad Ahmia de la Mission permanente de l¡¯Alg¨¦rie comme membre du personnel du bureau du G77 o¨´ il a rejoint Arturo Lozano (Mexique) en 1995. Aujourd¡¯hui, presque deux d¨¦cennies apr¨¨s, cette ¨¦quipe de deux membres continue d¡¯apporter le soutien vital et de renforcer la m¨¦moire institutionnelle n¨¦cessaires au fonctionnement du Groupe.
Le Pr¨¦sident Nyerere s¡¯est souvent plaint de ne pas voir un ? oncle riche ? pour l¡¯aider ¨¤ financer le nouveau Centre Sud. Ici, l¡¯Administrateur du PNUD a tenu lieu d¡¯oncle riche, illustrant l¡¯importance cruciale de la disponibilit¨¦ des ressources financi¨¨res pour prendre des initiatives, mener des actions, renforcer les institutions et permettre leur fonctionnement ainsi que pour assurer l¡¯appui et l¡¯engagement de personnes qualifi¨¦es et d¨¦termin¨¦s dans les initiatives prises collectivement par les pays en d¨¦veloppement.
En 2015, le Centre Sud f¨ºtera son 20e anniversaire en tant que centre de r¨¦flexion intergouvernemental du Sud, un h¨¦ritage important de la Commission Sud. Il accomplit un travail important et joue un r?le utile en soutenant les causes et les objectifs communs du Sud et du Groupe des 77. Petit et insuffisamment financ¨¦, il est loin d¡¯¨ºtre le modeste ? Secr¨¦tariat du Sud ? de 25 professionnels de haut niveau recommand¨¦ dans le rapport de la Commission. Toutefois, il montre clairement l¡¯utilit¨¦ et l¡¯importance du soutien institutionnel pour l¡¯action collective des pays en d¨¦veloppement sur la sc¨¨ne internationale. Il offre aussi une tribune pour continuer ¨¤ renforcer les institutions Sud-Sud au niveau mondial afin d¡¯¨¦tablir ce que certains continuent d¡¯appeler l¡¯? OCDE du Sud ?.
SUR LE R?LE PRIMORDIAL DES PERSONNALIT?S ET DU LEADERSHIP
En conclusion, on ne peut que souligner l¡¯importance des personnalit¨¦s et du leadership dans les principales ¨¦tapes de l¡¯histoire du groupe des 77.
On peut seulement se demander si la CNUCED aurait vu le jour et si le programme du Sud aurait ¨¦volu¨¦ si Ra¨²l Prebisch n¡¯avait pas dirig¨¦ ce processus, sans son travail et son exp¨¦rience en Am¨¦rique latine et, plus tard, ¨¤ la CEPAL, sans sa vision personnelle, son charisme et son dynamisme, sans sa conviction exprim¨¦e dans son rapport de 1964 ¨¤ la CNUCED I qu¡¯il est possible ? de fa?on consciente et d¨¦lib¨¦r¨¦e d¡¯influencer les forces techniques et ¨¦conomiques afin d¡¯atteindre des objectifs mondiaux ?, sans l¡¯importance qu¡¯il accordait au Sud, sans son engagement envers celui-ci et sans sa volont¨¦ de promouvoir sa cause et d¡¯affronter le Nord dominateur. Il a r¨¦ussi ¨¤ remplir sa mission bien qu¡¯il ait ¨¦t¨¦ cens¨¦ ¨ºtre un fonctionnaire international ? neutre ? dans la confrontation constante entre le Nord et le Sud concernant le d¨¦veloppement.
Il est peu probable qu¡¯il ait pu concr¨¦tiser l¡¯objectif de cr¨¦er une organisation de l¡¯ONU consacr¨¦e au commerce et au d¨¦veloppement sans le soutien de personnes engag¨¦es et enthousiastes, ¨¤ la fois dans son ¨¦quipe du Secr¨¦tariat et dans les d¨¦l¨¦gations et les minist¨¨res des pays en d¨¦veloppement.
Les premi¨¨res exp¨¦riences ont incit¨¦ les pays d¨¦velopp¨¦s ¨¤ examiner attentivement le recrutement des effectifs au Secr¨¦tariat de la CNUCED, et ¨¤ l¡¯assainir, et ¨¤ imposer des contraintes ¨¤ ses dirigeants et ¨¤ ses fonctionnaires. Leur directive tacite ¨¦tait ? Jamais plus un autre Prebisch ? ou un ? autre Gamani Corea ?. Il s¡¯agissait d¡¯une d¨¦cision strat¨¦gique, pleinement mise en ?uvre jusqu¡¯¨¤ ce jour dans l¡¯ensemble du syst¨¨me de l¡¯ONU avec l¡¯objectif d¡¯amoindrir le soutien apport¨¦ aux pays en d¨¦veloppement et de contribuer ¨¤ affaiblir les actions et les demandes du G77 sur la sc¨¨ne internationale.
Il ne fait aussi aucun doute que sans Julius K. Nyerere, qui avait l¡¯appui politique et mat¨¦riel total de son pays, la Tanzanie, et qui pouvait compter sur un groupe de personnes et de chefs de gouvernement engag¨¦s, y compris le Premier Ministre Mahathir (Malaisie) et le Pr¨¦sident Suharto (Indon¨¦sie) qui sont intervenus ¨¤ des moments critiques, le Centre Sud n¡¯existerait pas aujourd¡¯hui comme organisation intergouvernementale du Sud.
Le monde du Sud a besoin de dirigeants de la trempe de Julius. K. Nyerere et de Ra¨²l Prebisch ainsi que d¡¯une grande organisation au niveau mondial qui donnerait l¡¯¨¦nergie et l¡¯¨¦lan au Groupe des 77 et au Mouvement des non align¨¦s pour relever les d¨¦fis communs en continuant leur lutte pour la paix mondiale, le d¨¦veloppement et un ordre ¨¦conomique et politique mondial juste. ??
?Notes
?1? Gosovic, Branislav (1972). UNCTAD : Conflict and Compromise; The Third World¡¯s Quest for an Equitable World Economic Order through the United Nations. Leiden : Sijthoff.
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