18 d¨¦cembre 2014

En septembre 2013, au Zimbabwe, des braconniers ont vers¨¦ du cyanure dans un point d¡¯eau o¨´ un troupeau d¡¯¨¦l¨¦phants venait boire. Les cons¨¦quences ont ¨¦t¨¦ catastrophiques pour la faune locale. Plus de?300 ¨¦l¨¦phants, lions, rapaces, vautours et hy¨¨nes ont ¨¦t¨¦ tu¨¦s. C¡¯est, malheureusement, une histoire r¨¦currente. Partout dans le monde, les animaux sauvages sont pi¨¦g¨¦s, abattus, empoisonn¨¦s et massacr¨¦s et les for¨ºts sont d¨¦truites. La rapidit¨¦ de cette destruction m¨¨ne certaines esp¨¨ces sur la voie de l¡¯extinction.

On estime que quelque 22 000 ¨¦l¨¦phants sauvages sont tu¨¦s chaque ann¨¦e en Afrique. Le dernier rhinoc¨¦ros a d¨¦j¨¤ disparu du Viet Nam et du Mozambique et la population de tigres, estim¨¦e ¨¤?3 000 animaux, ne tient qu¡¯¨¤ un fil. De nombreux pays d¡¯Asie de l¡¯Est et du Pacifique ont perdu une grande partie de leurs for¨ºts en raison des activit¨¦s ill¨¦gales d¡¯exploitation foresti¨¨re.

Le massacre des esp¨¨ces sauvages et la destruction des for¨ºts ont pris des proportions industrielles. Les h¨¦licopt¨¨res et les armes automatiques ont remplac¨¦ les camions et les fusils. La criminalit¨¦ foresti¨¨re utilise aujourd¡¯hui des technologies modernes et a recours ¨¤ la corruption pour acheminer le bois d¡¯une r¨¦gion ¨¤ l¡¯autre. Ces activit¨¦s illicites sont motiv¨¦es par la cupidit¨¦.

La criminalit¨¦ li¨¦e aux esp¨¨ces sauvages g¨¦n¨¨re des profits consid¨¦rables pour les r¨¦seaux criminels, au m¨ºme rang que le trafic de stup¨¦fiants, d¡¯armes et d¡¯¨ºtres humains. Aucun continent n¡¯est ¨¦pargn¨¦. Selon l¡¯Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), elle repr¨¦sente entre 8 et 10 milliards de dollars, tandis que le trafic du bois ¨¤ partir de l¡¯Asie du Sud-Est vers l¡¯Union europ¨¦enne et les autres r¨¦gions du continent asiatique repr¨¦sente environ 3,5 milliards de dollars par an. Selon les estimations de l¡¯ONUDC, 30 ¨¤ 40 % des exportations de bois en provenance d¡¯Asie-Pacifique sont ill¨¦gales. La vente d¡¯ivoire d¡¯¨¦l¨¦phant, de cornes de rhinoc¨¦ros et de parties du tigre en Asie repr¨¦sentait, ¨¤ elle seule, quelque 75 millions de dollars en 2010. De nombreuses esp¨¨ces sauvages plus petites sont captur¨¦es pour la m¨¦decine traditionnelle, la nourriture, la d¨¦coration ou le march¨¦ des animaux de compagnie.

La situation des rhinoc¨¦ros r¨¦v¨¨le les cons¨¦quences d¨¦vastatrices du braconnage sur les esp¨¨ces menac¨¦es d¡¯extinction. Apr¨¨s des ann¨¦es de massacre ill¨¦gal, il ne reste que quelque 25 000 rhinoc¨¦ros ¨¤ l¡¯¨¦tat sauvage. Le prix de leur corne dans le pays d¡¯origine ne constitue que 1 % du prix de vente final, qui peut atteindre 20 000 ¨¤ 30 000 dollars par kilo. Les braconniers de rhinoc¨¦ros ont sp¨¦cialement cibl¨¦ l¡¯Afrique du Sud, qui abrite jusqu¡¯¨¤ 90 % de la population de rhinoc¨¦ros restante d¡¯Afrique. Le nombre d¡¯animaux tu¨¦s s¡¯est multipli¨¦ de mani¨¨re consid¨¦rable passant de 13 animaux en 2007 ¨¤ pr¨¨s de 1 000 en 2013.

Pour comble de cruaut¨¦, ces esp¨¨ces sont dans une spirale descendante sans pouvoir en ¨¦chapper. Plus les animaux sont rares, plus le prix de leur corne ou de leur fourrure est ¨¦lev¨¦ et plus les braconniers les chassent. La r¨¦duction drastique du nombre d¡¯animaux augmente les profits des braconniers. Aucun animal ne peut esp¨¦rer survivre ¨¤ cette situation, car cette chasse aux derni¨¨res esp¨¨ces sauvages est motiv¨¦e par l¡¯instinct cupide de l¡¯homme.

Les animaux ne sont, toutefois, pas les seules victimes. La criminalit¨¦ li¨¦e aux esp¨¨ces sauvages et aux for¨ºts pr¨¦l¨¨ve un lourd tribut sur les pays et les communaut¨¦s en d¨¦veloppement. Les ¨¦cosyst¨¨mes fragiles sont d¨¦truits et la biodiversit¨¦ est d¨¦grad¨¦e. Ces infractions ont des cons¨¦quences graves sur le d¨¦veloppement; elles sont souvent commises dans des pays o¨´ les institutions, d¨¦nu¨¦es de ressources, ne sont pas en mesure de prot¨¦ger les animaux ou le patrimoine naturel. Tout aussi important, ces infractions exploitent souvent les besoins des communaut¨¦s vuln¨¦rables dont la situation ¨¦conomique pr¨¦caire ne leur laisse souvent d¡¯autre choix que de participer ¨¤ ces activit¨¦s.

Les pays incapables de g¨¦rer efficacement leurs propres richesses naturelles font souvent face ¨¤ une mauvaise gouvernance, ¨¤ une corruption end¨¦mique et ¨¤ l¡¯instabilit¨¦. La confusion r¨¨gne quant au produit d¡¯activit¨¦s criminelles. Souvent, cet argent ? sale ? ne profite pas ¨¤ la soci¨¦t¨¦. Au lieu de promouvoir la prosp¨¦rit¨¦, il fragilise les entreprises l¨¦gitimes et affaiblit les institutions essentielles comme les syst¨¨mes de justice p¨¦nale.

Confront¨¦e ¨¤ cette crise grandissante de notre gestion de la riche biodiversit¨¦ de la plan¨¨te, la communaut¨¦ internationale a adopt¨¦ une s¨¦rie d¡¯accords en mati¨¨re de conservation, la plus importante ¨¦tant la Convention sur le commerce international des esp¨¨ces de faune et de flore menac¨¦es d¡¯extinction (CITES). Dans le cadre de cette Convention, les nations qui ne prennent pas de mesures pour prot¨¦ger les esp¨¨ces menac¨¦es peuvent ¨ºtre soumises ¨¤ la pression internationale et ¨ºtre passibles de sanctions.

La soci¨¦t¨¦ civile joue ¨¦galement un r?le. Tout en faisant pression sur les gouvernements pour qu¡¯ils prennent des mesures pour lutter contre la criminalit¨¦ environnementale, des organisations, comme le Fonds mondial pour la nature, sensibilisent le public. Les actions des consommateurs sont cruciales, car la criminalit¨¦ li¨¦e aux esp¨¨ces sauvages se nourrit du manque d¡¯informations et des mauvaises habitudes de consommation. Les gouvernements, les organisations non gouvernementales (ONG), les entreprises et les particuliers peuvent braquer une lumi¨¨re crue sur ce probl¨¨me et combler les lacunes dans les connaissances.

L¡¯ONUDC a ainsi pris des mesures pour examiner les aspects de l¡¯offre et de la demande des op¨¦rations ill¨¦gales. Notre travail souligne la n¨¦cessit¨¦ de soutenir fermement les efforts de conservation par une action int¨¦gr¨¦e des forces de police afin de porter un coup au trafic des esp¨¨ces sauvages. Cela est pleinement justifi¨¦ compte tenu des dangers qui menacent la biosph¨¨re de la plan¨¨te, un ¨¦l¨¦ment essentiel de la s¨¦curit¨¦ humaine.

La Convention des Nations Unies contre la criminalit¨¦ transnationale organis¨¦e et la Convention des Nations Unies contre la corruption sont l¡¯¨¦pine dorsale de cette action. Elles encouragent une meilleure coordination, de meilleures pratiques, le partage d¡¯information ainsi que des op¨¦rations conjointes entre les forces de police et les autorit¨¦s douani¨¨res. Parall¨¨lement ¨¤ ces actions, l¡¯ONUDC s¡¯attache ¨¤ promouvoir des syst¨¨mes de justice p¨¦nale et ¨¤ ¨¦laborer des statuts qui d¨¦finissent les activit¨¦s ill¨¦gales li¨¦es au commerce des esp¨¨ces sauvages comme un crime grave. Trop souvent, la l¨¦gislation en vigueur ne suffit pas pour dissuader les braconniers. Le r¨¦examen de la l¨¦gislation existante et l¡¯introduction de nouvelles lois permettent ¨¤ l¡¯ONUDC de mieux d¨¦tecter les activit¨¦s criminelles et de veiller ¨¤ ce que les sanctions impos¨¦es d¨¦couragent les auteurs de ces crimes.

L¡¯ONUDC est ¨¦galement membre du Consortium international de lutte contre la criminalit¨¦ li¨¦e aux esp¨¨ces sauvages (ICCWC). En collaboration avec d¡¯autres partenaires du Consortium, l¡¯ONUDC a mis au point un outil analytique qui permet aux pays d¡¯¨¦valuer leurs actions pr¨¦ventives et judiciaires visant ¨¤ lutter contre la criminalit¨¦ li¨¦es aux esp¨¨ces sauvages et aux for¨ºts. Cet outil a ¨¦t¨¦ utilis¨¦ au Bangladesh, au P¨¦rou, au Gabon et au N¨¦pal. De nombreux autres pays ont aussi manifest¨¦ un int¨¦r¨ºt.

La criminalistique est un autre domaine important. L¡¯ONUDC?¨¦labore actuellement de bonnes pratiques en mati¨¨re de techniques fond¨¦es sur l¡¯analyse de l¡¯ADN et de techniques d¡¯identification pour ¨¦tablir l¡¯origine et l¡¯?ge de l¡¯ivoire. En 2014, l¡¯ONUDC travaillera avec ses partenaires sur l¡¯¨¦laboration de directives concernant l¡¯analyse criminalistique des esp¨¨ces ligneuses cit¨¦es par CITES afin de d¨¦terminer les esp¨¨ces, la source g¨¦ographique du bois et de ses produits d¨¦riv¨¦s. Toutefois, pour vraiment faire obstacle aux r¨¦seaux criminels, nous devons cibler leurs revenus qui circulent dans les syst¨¨mes bancaires du monde entier. L¡¯ONUDC a l¡¯intention de r¨¦unir des experts en blanchiment d¡¯argent d¡¯Afrique australe et d¡¯Asie du Sud-Est pour partager leurs exp¨¦riences et leurs meilleures pratiques dans ce domaine.

Concernant la demande, elle travaille ¨¦troitement avec les nations o¨´ les produits sont achet¨¦s et consomm¨¦s afin de sensibiliser le public ¨¤ la criminalit¨¦ li¨¦e aux esp¨¨ces sauvages et aux for¨ºts. Il est particuli¨¨rement important d¡¯atteindre les jeunes qui seront la prochaine g¨¦n¨¦ration de consommateurs potentiels. Les travaux de l¡¯ONUDC s¡¯attachent aussi ¨¤ dissiper les nombreux mythes sur les produits de base issus des esp¨¨ces sauvages et ¨¤ apporter des preuves scientifiques. Le secteur touristique peut aussi s¡¯engager ¨¤ r¨¦duire la demande pour ces produits.

Pour cr¨¦er une approche int¨¦gr¨¦e face ¨¤ ces d¨¦fis complexes, l¡¯ONDC a lanc¨¦ un nouveau Programme mondial pour la lutte contre la criminalit¨¦ li¨¦e aux esp¨¨ces sauvages et aux for¨ºts. Il sera mis en ?uvre au cours des quatre prochaines ann¨¦es et sensibilisera le public ¨¤ la n¨¦cessit¨¦ de r¨¦duire de mani¨¨re drastique la demande pour la faune et la flore sauvages.

Il reste encore beaucoup ¨¤ faire. Pour commencer, les nations doivent, tout d¡¯abord, consid¨¦rer le commerce ill¨¦gal de ces esp¨¨ces comme un crime grave donnant lieu ¨¤ des sanctions graves, corriger les lacunes de leur l¨¦gislation pour s¡¯assurer que les criminels ne puissent ¨¦chapper aux sanctions pr¨¦vues par la loi; offrir une formation adapt¨¦e aux services de police, aux tribunaux et ¨¤ l¡¯appareil judiciaire; assurer une meilleure coop¨¦ration et une meilleure coordination entre les pays. Les criminels qui s¡¯infiltrent ¨¤ travers les fronti¨¨res et jouissent de la libert¨¦ doivent ¨ºtre une relique du pass¨¦.

La criminalit¨¦ li¨¦e aux esp¨¨ces sauvages d¨¦truit notre ¨¦cosyst¨¨me fragile. Certaines esp¨¨ces disparaissent ¨¤ un rythme alarmant. Ce qui est perdu aujourd¡¯hui ne pourra ¨ºtre sauv¨¦ demain. Si nous voulons inverser cette fuite en avant vers l¡¯extinction, les forces de police doivent, parall¨¨lement aux efforts de conservation, jouer un r?le actif et dynamique. L¡¯ONUDC fait tout ce qui est en son pouvoir pour veiller ¨¤ ce que ce soit le cas et nous avons l¡¯intention de faire encore plus ¨¤ l¡¯avenir. Car le message est simple : les animaux et les for¨ºts du monde entier ont besoin de notre aide. Nous devons agir d¨¨s aujourd¡¯hui pour sauvegarder leur avenir.?

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