Les technologies de l'information et de la communication sont profond¨¦ment enracin¨¦es dans le tissu de la soci¨¦t¨¦ et font partie int¨¦grale de la fa?on dont nous menons les affaires, nous divertissons, communiquons, nous informons de ce qui se passe au-del¨¤ de nos fronti¨¨res et m¨ºme dont nous nous nourrissons. Avec pr¨¨s de cinq milliards de t¨¦l¨¦phones portables dans le monde, les TIC sont de plus en plus pr¨¦sentes. Toutefois, leurs avantages demeurent in¨¦gaux - l'acc¨¨s ¨¤ la ? soci¨¦t¨¦ mondiale de l'information ? ne donne pas imm¨¦diatement la capacit¨¦ d'en faire partie. Il y a de nombreuses raisons ¨¤ cela. Les pays qui poss¨¨dent des ressources limit¨¦es peinent ¨¤ assurer l'approvisionnement en ¨¦lectricit¨¦ et la connectivit¨¦ dans les villages recul¨¦s et les zones urbaines en rapide expansion; les ¨¦coles et les bureaux sont sous-financ¨¦s par les gouvernementaux locaux charg¨¦s de fournir les services de base; et aussi fascinants que les derniers mod¨¨les d'ordinateurs, les tablettes et les smartphones puissent ¨ºtre, de nombreuses familles et entreprises n'ont simplement pas les moyens de les acheter. Le prix n'est pas la seule raison. D'autres facteurs, moins ¨¦vidents, emp¨ºchent de nombreuses personnes d'utiliser les TIC, simplement parce que la plupart de ces technologies sont con?ues par et pour les 30 % les plus riches de la plan¨¨te. Parmi ces facteurs sont : les contraintes dans les domaines de l'enseignement et de l'alphab¨¦tisme; la tr¨¨s grande diversit¨¦ des petites communaut¨¦s linguistiques; les interdictions politiques, religieuses et sociales; et les diff¨¦rences dans les mod¨¨les cognitifs - la fa?on dont les gens abordent et organisent l'information. Ces questions ne peuvent pas ¨ºtre trait¨¦es simplement en leur offrant des technologies plus rapides ou moins ch¨¨res. Quel que soit le contexte, une conception r¨¦ussie requiert des solutions adapt¨¦es aux besoins des utilisateurs et doit prendre en compte le contexte et les contraintes de la vie des gens. Or, ce manque de compr¨¦hension concernant l'utilisation des TIC par les pauvres est un probl¨¨me souvent n¨¦glig¨¦. L'¨¦tude du contexte et la conception li¨¦e aux contraintes est un sujet de recherche du groupe Technologies for Emerging Markets ¨¤ Microsoft Research India. Depuis six ans, nous r¨¦alisons des recherches sur les TIC au service du d¨¦veloppement mondial (souvent appel¨¦ TIC4D). Cet article pr¨¦sente bri¨¨vement deux de nos projets, illustrant l'importance de faire concorder la technologie et les contraintes. Dans chaque cas, la conception de la technologie est ¨¦troitement li¨¦e au contexte, aux besoins et aux capacit¨¦s des utilisateurs et des organisations d'aide qui travaillent avec eux. PASSER DU STYLO ET DU PAPIER AU MONDE NUM?RIQUE DANS LA MICROFINANCE En Inde, comme dans de nombreux pays en d¨¦veloppement, le papier demeure un ¨¦l¨¦ment essentiel dans la gestion de l'information. Dans n'importe quel organisme gouvernemental, h?pital ou ¨¦cole, des piles de papier et des copies au carbone, o¨´ sont consign¨¦es la majorit¨¦ des informations, s'entassent. Alors que les probl¨¨mes li¨¦s au papier sont bien connus, ce dernier pr¨¦sente de nombreux avantages. Il est bon march¨¦, ne n¨¦cessite pas la connaissance de langues, est facile ¨¤ utiliser et donne un sentiment de permanence que l'intangibilit¨¦ de l'information num¨¦rique ne peut ¨¦galer. Notre question est de savoir s'il est possible d'associer l'attrait pour le papier et sa simplicit¨¦ et les nombreux avantages de la manipulation des donn¨¦es num¨¦riques ? Pour examiner cette question, nous avons d¨¦cid¨¦ de nous concentrer sur les services bancaires et financiers offerts aux communaut¨¦s pauvres. On estime qu'actuellement 3,5 milliards de personnes dans le monde n'ont pas acc¨¨s aux services financiers formels. En Inde, les groupes d'entraide (SHG) pour le microcr¨¦dit ont r¨¦ussi ¨¤ fournir l'acc¨¨s de ces services aux pauvres qui n'ont pas de compte bancaire. Plus de six millions de ces groupes offrent des services d'¨¦pargne et de cr¨¦dit ¨¤ plus de 86 millions de m¨¦nages ruraux. Les femmes se r¨¦unissent une fois par semaine ou par mois par groupes de dix ou vingt et mettent en commun leurs ¨¦pargnes pour emprunter ¨¤ un taux plus int¨¦ressant ¨¤ la fois aupr¨¨s du groupe ayant r¨¦uni le capital et aupr¨¨s d'une banque associ¨¦e. Le probl¨¨me est le manque de fiabilit¨¦ de la gestion des donn¨¦es financi¨¨res. Par un accord commun, les ? f¨¦d¨¦rations ? de 150 ¨¤ 200 SHG travaillent avec un comptable d'une ville proche qui, chaque semaine, met leurs comptes ¨¤ jour. Malheureusement, les envois sont souvent compromis par le mauvais temps ou par des d¨¦lais dus ¨¤ la rectification des erreurs, ce qui emp¨ºche d'obtenir en temps voulu les informations ¨¤ destination et en provenance des SHG. Une erreur commise par une SHG lors de la saisie des donn¨¦es peut prendre des semaines avant d'¨ºtre corrig¨¦e, ce qui entra¨ªne un retard dans le paiement des int¨¦r¨ºts ou des sanctions p¨¦cuniaires. Dans un projet dirig¨¦ par le chercheur Aishwarya Ratan, nous avons travaill¨¦ avec des f¨¦d¨¦rations de groupes d'entraide dans les r¨¦gions rurales d'Inde afin de trouver une solution qui pourrait ¨ºtre utilis¨¦e efficacement par les clients ¨¤ revenu bas, sans grande connaissance ni formation. Nous avons cr¨¦¨¦ une application sur une tablette num¨¦rique portable bon march¨¦ sur laquelle on peut ¨¦crire ¨¤ l'encre et qui offre des informations visuelles et audio instantan¨¦es dans la langue locale. Elle permet aussi de cr¨¦er simultan¨¦ment une version num¨¦rique des donn¨¦es qui peuvent ¨ºtre envoy¨¦es au comptable assortie d'une version papier qui peut ¨ºtre conserv¨¦e par le SHG. Test¨¦ dans deux exp¨¦rimentations sur le terrain aupr¨¨s de 201 membres de groupes d'entraide au Bengale occidental et dans l'Orissa, ce syst¨¨me a permis d'am¨¦liorer la pr¨¦cision des donn¨¦es et l'efficacit¨¦ du processus. Deux facteurs ont essentiellement contribu¨¦ ¨¤ ce succ¨¨s. D'abord, le fait que les comptes sont pr¨¦sent¨¦s sous forme ¨¦lectronique assortis d'un exemplaire papier, ce qui permet de pouvoir avoir acc¨¨s ¨¤ l'information ¨¤ tout moment. Ce sentiment de permanence est tr¨¨s rassurant pour ceux qui sont peu familiaris¨¦s avec les syst¨¨mes ¨¦lectroniques et qui vivent dans des environnements difficiles o¨´ les pannes d'¨¦lectricit¨¦ sont fr¨¦quentes. Puis, la possibilit¨¦ pour chaque membre de consulter ses soldes cr¨¦diteur et d¨¦biteur par des r¨¦ponses audio automatis¨¦es. Il est important de noter que de nombreux membres des SHG sont analphab¨¨tes. De fait, souvent les SHG recrutent une personne instruite du village pour enregistrer leurs comptes. Le feedback audio a permis ¨¤ chaque membre d'avoir des informations sur sa situation financi¨¨re ¨¤ la fin de la r¨¦union au lieu d'attendre les relev¨¦s du comptable. Il a ¨¦galement permis d'instaurer une certaine confiance dans le syst¨¨me; il n'y avait pas de doute possible quant ¨¤ la fiabilit¨¦ des informations saisies par la personne qui consigne les donn¨¦es. Ce deuxi¨¨me point souligne l'importance de la communication orale dans de nombreuses r¨¦gions des pays en d¨¦veloppement. La plupart des TIC sont con?ues par et pour les soci¨¦t¨¦s alphab¨¦tis¨¦es. Mais que se passe-t-il quand les utilisateurs cibl¨¦s ne savent pas lire ? Un autre projet de notre groupe concerne l'utilisation de l'interaction orale sur les t¨¦l¨¦phones portables pour fournir l'information et donner une voix aux populations rurales indiennes qui ont des difficult¨¦s ¨¤ communiquer entre elles ou ¨¤ se faire entendre. LES M?DIAS SOCIAUX POUR L'INDE RURALE VIA LE T?L?PHONE PORTABLE Lorsqu'on parle de ? soci¨¦t¨¦ mondiale de l'information ?, on entend implicitement l'Internet. Or, de nombreux pays n'y ont pas acc¨¨s. En 2010, le taux de p¨¦n¨¦tration d'Internet en Inde ¨¦tait environ de 6,9 %. En revanche, le taux de p¨¦n¨¦tration mobile s'¨¦l¨¨ve ¨¤ 68 % et continue de progresser rapidement. Pour l'Inde et de nombreux autres pays du Sud, le t¨¦l¨¦phone portable est le premier et probablement le seul outil de communication que les gens veulent avoir ou dont ils ont besoin, sans compter la t¨¦l¨¦vision ou la radio. Des appareils ¨¤ co?t r¨¦duit, des tarifs d'appels ¨¤ bas prix et un moyen de communication orale sont essentiels au succ¨¨s du mobile. Nous avons cherch¨¦ ¨¤ cr¨¦er des syst¨¨mes qui permettent l'utilisation de t¨¦l¨¦phones portables bon march¨¦ avec des contenus en langue locale afin d'¨¦changer des informations avec les communaut¨¦s locales et le reste du monde. Notre plus grand d¨¦fi en mati¨¨re de conception des TIC en Inde est la tr¨¨s grande diversit¨¦ linguistique. Des centaines de langues et de dialectes sont parl¨¦s dans ce pays. Par exemple, dans les r¨¦gions tribales du Chhattisgarh, plus de cinq millions de personnes parlent le gondi, le kurukh et le kui. Il n'y a cependant aucun m¨¦dia (presse ¨¦crite ou m¨¦dia audio/visuel) dans ces langues tribales et tr¨¨s peu de journalistes. En outre, il est ill¨¦gal en Inde de diffuser des nouvelles sur la radio communautaire. Nous nous sommes demand¨¦ si nous pouvions cr¨¦er un syst¨¨me qui permettrait aux citoyens de ces r¨¦gions de partager leurs propres informations ¨¤ l'aide de leurs t¨¦l¨¦phones portables. En partenariat avec CGNet, l'Institut de technologie du Massachussetts et le Centre international pour les journalistes, le chercheur Bill Thies a mis au point CGNet Swara, un service de journalisme citoyen sur t¨¦l¨¦phone portable destin¨¦ aux populations tribales du Chhattisgarh. Avec ce syst¨¨me, toute personne peut diffuser des informations, faire part de probl¨¨mes, de plaintes dans sa langue locale en appelant un num¨¦ro et en enregistrant son message. Pour ¨¦viter le pollupostage ou les contenus inappropri¨¦s, l'authenticit¨¦ de l'information est v¨¦rifi¨¦e par des mod¨¦rateurs qui la diffusent sur le site. La population locale peut alors ¨¦couter au t¨¦l¨¦phone ou sur Internet les messages enregistr¨¦s. La population locale n'a pas acc¨¨s ¨¤ Internet, mais celui-ci est important pour que les informations soient diffus¨¦es sur une plus grande ¨¦chelle et aux m¨¦dias traditionnels. L'ann¨¦e derni¨¨re, le service a re?u des milliers d'appels et publi¨¦ des centaines d'informations. Pr¨¨s de la moiti¨¦ des messages concernent la gouvernance et la r¨¦paration des pr¨¦judices : des travailleurs non pay¨¦s dans le cadre d'un programme d'emploi gouvernemental, des probl¨¨mes li¨¦s aux ¨¦coles rurales ou aux centres de sant¨¦, la corruption et le retard de paiement des salaires des enseignants. D'autres messages ont trait aux informations et aux ¨¦v¨¦nements locaux, y compris des rapports sur la pollution et les urgences sanitaires (comme l'arsenic dans les sources d'eau, les ¨¦pid¨¦mies de chol¨¦ra et de diarrh¨¦e). Et ce qui est ¨¦tonnant, un nombre important de messages sont consacr¨¦s ¨¤ des histoires et ¨¤ des chansons tribales. Comme indiqu¨¦ ci-dessus, une fonction importante de CGNet Swara est d'assurer aux informations locales une diffusion plus large. Un exemple qui illustre ce point est l'histoire tragique d'un p¨¨re de famille. Pendant qu'il allait de bureau en bureau, r¨¦clamant que le gouvernement lui paie les arri¨¦r¨¦s de traitement, son fils est mort ¨¤ l'h?pital. Cette histoire diffus¨¦e sur CGNet Swara a ¨¦t¨¦ reprise par la British Broadcasting Corporation et ensuite par les grands journaux quotidiens indiens The Indu et The Times of India. Un avantage important de ce syst¨¨me est qu'il suffit d'avoir un t¨¦l¨¦phone portable pour utiliser CGNet Swara. Les interactions et la navigation sont r¨¦alis¨¦es en appuyant sur une touche du t¨¦l¨¦phone avec une fonction Voix et une interface tr¨¨s simple. Cette fonctionnalit¨¦ est essentielle pour les utilisateurs tribaux analphab¨¨tes, car elle permet ¨¤ ceux qui ont ¨¦t¨¦ jusqu'ici exclus de la soci¨¦t¨¦ de l'information d'y participer dans une langue qu'ils comprennent et d'en b¨¦n¨¦ficier. La technologie d¨¦velopp¨¦e dans ces deux projets a ¨¦t¨¦ enti¨¨rement d¨¦termin¨¦e par les besoins sp¨¦cifiques des personnes vivant dans un contexte diff¨¦rent de celui des chercheurs de Microsoft Research et, tr¨¨s vraisemblablement, du v?tre. La cl¨¦ du succ¨¨s de ces deux projets repose non pas sur la technologie, mais sur la compr¨¦hension dans la fa?on dont elle r¨¦pond aux besoins et aux capacit¨¦s sp¨¦cifiques des utilisateurs. La technologie de l'information peut b¨¦n¨¦ficier ¨¤ un grand nombre de gens pauvres des pays du Sud si elle correspond ¨¤ leurs besoins r¨¦els et non pas ¨¤ ceux que nous imaginons. Sans cette compr¨¦hension, les TIC ne sont que de simples petits morceaux de m¨¦tal et de plastique. .