On assiste depuis dix ans ¨¤ un essor fulgurant des technologies de l'information et de la communication dans le monde. En 1999, Geoffrey Kirkman1 a ¨¦crit que la moiti¨¦ de la population mondiale n'avait jamais pass¨¦ un seul coup de t¨¦l¨¦phone. En 2001, la situation a significativement chang¨¦, avec un r¨¦seau mobile couvrant plus de 90 % de la population mondiale et, d'ici ¨¤ 2015, plus de la moiti¨¦ de la population mondiale devrait utiliser des t¨¦l¨¦phones portables. Malgr¨¦ la persistance de la pauvret¨¦ g¨¦n¨¦ralis¨¦e, l'utilisation des t¨¦l¨¦phones portables dans les pays africains au cours des derni¨¨res ann¨¦es a augment¨¦ plus rapidement que dans les autres r¨¦gions du monde. On estime aujourd'hui ¨¤ 500 millions le nombre d'abonn¨¦s sur le continent par rapport ¨¤ 246 millions en 2008. ? la fin de 2010, l'Afrique d¨¦passait l'Europe occidentale pour le nombre de connexions mobiles. En outre, m¨ºme si l'Afrique, avec 100 millions d'internautes, est en retard dans ce domaine, entre 2000 et 2001, elle a enregistr¨¦ un taux de p¨¦n¨¦tration d'Internet qui atteint plus de 2 000 %, soit plus de cinq fois que dans le reste du monde. L'augmentation spectaculaire de l'acc¨¨s aux TIC s'est accompagn¨¦e de nombreuses publications sur leur contribution ¨¤ la croissance ¨¦conomique, au d¨¦veloppement et ¨¤ la r¨¦duction de la pauvret¨¦. Les plus optimistes les d¨¦crivent comme le moyen permettant aux pays en d¨¦veloppement de sauter les ¨¦tapes du d¨¦veloppement et les barri¨¨res de la technologie pour r¨¦aliser ¨¤ la fois la croissance ¨¦conomique et favoriser un d¨¦veloppement g¨¦n¨¦ralis¨¦. D'autres, moins optimistes quant aux avantages directs qui sont attribu¨¦s aux TIC, estiment que promouvoir de fa?on unidimensionnelle leur utilisation peut accro¨ªtre la d¨¦pendance des pays pauvres ainsi que le foss¨¦ entre les r¨¦gions urbaines et rurales, les riches et les pauvres et entre les g¨¦n¨¦rations. Alors qu'il est fort possible qu'il y ait un lien entre les TIC et la r¨¦duction de la pauvret¨¦, les m¨¦canismes par lesquels la connexion a lieu ne sont pas bien compris. En effet, quelle que soit l'importance du changement du niveau de vie, la direction du lien de causalit¨¦ entre les deux est sujet ¨¤ controverse. Les probl¨¨mes de causalit¨¦ invers¨¦e et de fausse corr¨¦lation qui s'appliquent ¨¤ la relation entre les investissements dans l'infrastructure et l'augmentation de la production sont ¨¦galement pertinents pour l'analyse du lien entre les TIC et la pauvret¨¦. M¨ºme avant l'¨¨re actuelle de la t¨¦l¨¦phonie mobile et de l'usage d'Internet, un lien de causalit¨¦ a ¨¦t¨¦ ¨¦tabli entre l'infrastructure des t¨¦l¨¦communications et la production ¨¦conomique sur la base des donn¨¦es issues des 21 pays de l'Organisation de coop¨¦ration et de d¨¦veloppement ¨¦conomiques (OCDE). Ce lien a ¨¦galement ¨¦t¨¦ ¨¦tabli pour la t¨¦l¨¦phonie mobile et les donn¨¦es de 113 pays au cours d'une p¨¦riode de 20 ans, ce qui a montr¨¦ qu'une augmentation de 1 % du taux de p¨¦n¨¦tration des t¨¦l¨¦communications engendre une augmentation de 0,03 % du produit int¨¦rieur brut (PIB) (Torero et von Braun, 20062). Cette corr¨¦lation positive entre les TIC et la croissance ¨¦conomique s'¨¦tend au monde en d¨¦veloppement par les d¨¦penses directes consacr¨¦es ¨¤ l'infrastructure et au service de l'information et de la communication, ainsi que par ses effets multiplicateurs. On estime que les op¨¦rateurs de t¨¦l¨¦phonie mobile ont investi plus de 90 milliards de dollars en Afrique et, dans certains pays, ces entreprises sont aujourd'hui les plus rentables et une source importante d'emplois. Les revenus et les d¨¦penses en t¨¦l¨¦communications contribuent en moyenne ¨¤ 7 % du PIB dans de nombreux pays africains, tandis que les investissements dans les communications ont atteint 5 % du total des investissements sur le continent. L'expansion mondiale des TIC a ¨¦galement eu un impact en amont. L'or, le tantale, l'¨¦tain et le tungst¨¨ne sont utilis¨¦s dans la fabrication des t¨¦l¨¦phones portables et d'autres appareils TIC et le cobalt est un composant important utilis¨¦ dans les piles. La Zambie et la R¨¦publique du Congo fournissent le mat¨¦riau brut utilis¨¦ dans plus de la moiti¨¦ des piles rechargeables au lithium-ion dans le monde. Les TIC peuvent aussi avoir un impact plus important sur le d¨¦veloppement et sont un outil puissant pour l'autonomisation et la cr¨¦ation d'emplois ainsi que pour l'acc¨¨s ¨¤ l'¨¦ducation et aux autres services sociaux. On a constat¨¦ que les t¨¦l¨¦phones portables permettent aux entreprises du secteur non structur¨¦ d'attirer de nouvelles activit¨¦s. Dans la province du Kerala, en Inde, l'exemple connu de l'usage du t¨¦l¨¦phone portable parmi les p¨ºcheurs a montr¨¦ des avantages ¨¤ la fois pour les producteurs et pour les clients par un meilleur acc¨¨s ¨¤ l'information et aux march¨¦s (Jensen, 20073). D'autres ¨¦tudes montrent m¨ºme que le r?le des TIC n'est pas limit¨¦ ¨¤ promouvoir la croissance, mais comprennent aussi des aspects qui ne sont pas li¨¦s au d¨¦veloppement, comme l'autonomisation et la s¨¦curit¨¦ incluant la gouvernance en ligne et le renforcement des responsabilit¨¦s. Il n'est cependant pas garanti que les TIC aient un effet positif sur la r¨¦duction de la pauvret¨¦. Dans leur ¨¦tude, Torero et von Braun montrent que leur acc¨¨s d¨¦pend du revenu, de l'¨¦ducation et des ressources et que la fracture num¨¦rique fait partie d'une fracture de d¨¦veloppement plus vaste. Ils soutiennent que le d¨¦veloppement ¨¦conomique contribue ¨¤ une utilisation accrue des TIC plut?t que l'inverse. L'acquisition des connaissances en mati¨¨re de TIC est aussi importante pour d¨¦terminer leur acc¨¨s et leur usage. Cela va au-del¨¤ de la scolarit¨¦ classique et englobe des t?ches cognitives comme la formulation des questions, la r¨¦solution des probl¨¨mes et l'application des connaissances (Warschauer, 20044). L'expansion des TIC a ¨¦galement des effets n¨¦gatifs directs. On a constat¨¦ que les d¨¦penses engag¨¦es ¨¦taient une cause de conflit au sein des m¨¦nages, encourageaient les hommes ¨¤ exercer un contr?le sur les ressources et ¨¦taient pr¨¦lev¨¦es sur le budget consacr¨¦ ¨¤ la nourriture ou ¨¤ d'autres besoins essentiels. En effet, des pr¨¦occupations ont ¨¦t¨¦ exprim¨¦es sur l'usage possible de min¨¦raux de conflit dans la fabrication des t¨¦l¨¦phones portables ainsi que le recours ¨¤ la main-d'oeuvre enfantine. Comme pour toute technologie, les TIC doivent ¨ºtre plac¨¦es dans le contexte local des capacit¨¦s et des besoins et requi¨¨rent une ¨¦conomie politique saine ainsi qu'une volont¨¦ politique de s'attaquer en priorit¨¦ aux probl¨¨mes de d¨¦veloppement. Les lacunes de l'information concernant l'impact des TIC sur la r¨¦duction de la pauvret¨¦ ont suscit¨¦ des craintes des responsables qui sont fortement incit¨¦s ¨¤ investir une par-tie importante du budget national dans l'infrastructure des TIC en se fondant sur des donn¨¦es incompl¨¨tes. Dans cette situation, il est tentant de se demander si les investissements repr¨¦sentent une option int¨¦ressante pour les communaut¨¦s pauvres. Une erreur couramment commise dans de nombreuses ¨¦tudes est le fait de collecter des donn¨¦es ¨¤ un niveau trop g¨¦n¨¦ral et de n¨¦gliger les donn¨¦es de niveau micro¨¦conomique n¨¦cessaires ¨¤ l'interpr¨¦tation des tendances ¨¤ unniveau macro¨¦conomique. ?tant donn¨¦ que les changements au niveau du bien-¨ºtre des personnes et des m¨¦nages ne sont pas directement li¨¦s ¨¤ la modification de la production ¨¦conomique nationale, il est important d'aller au-del¨¤ et d'analyser le r?le et l'impact des TIC sur la r¨¦duction de la pauvret¨¦ au niveau micro¨¦conomique. Pour mieux comprendre le lien entre TIC et pauvret¨¦ au niveau micro¨¦conomique, un groupe de chercheurs d'Afrique de l'Est et d'Afrique australe a lanc¨¦ un projet de quatre ans intitul¨¦ Pauvret¨¦ et TIC dans l'Afrique de l'Est en milieu urbain et rural (PICTURE-Afrique) qui a ¨¦t¨¦ financ¨¦ par le Centre de recherches pour le d¨¦veloppement international. Utilisant une base de donn¨¦es unique recueillies aupr¨¨s de m¨¦nages au Kenya, au Rwanda, en Tanzanie et en Ouganda en 2007, puis en 2010, PICTURE-Afrique recense les in¨¦galit¨¦s en mati¨¨re d'acc¨¨s aux TIC en Afrique de l'Est, ainsi que les obstacles. Il a ¨¦t¨¦ d¨¦montr¨¦ que les chances d'acc¨¨s ¨¦taient multipli¨¦es par deux lorsque les revenus ¨¦taient plus ¨¦lev¨¦s et qu'une ann¨¦e de scolarisation suppl¨¦mentaire augmentait de pr¨¨s de 30 % les chances d'acc¨¨s. Par ailleurs, on a constat¨¦ que vivre en milieu rural et ¨ºtre une femme r¨¦duisait d'environ 50 % les chances d'acc¨¨s aux TIC. Ces relations n'ont pas chang¨¦ de mani¨¨re significative dans les deux ¨¦tudes, ce qui sugg¨¨re un certain parti pris. On a constat¨¦ que les m¨¦nages et les personnes qui n'y ont pas acc¨¨s ¨¦taient dot¨¦s d'un faible capital financier, physique et humain. Une analyse du lien de causalit¨¦ entre les TIC et la r¨¦duction de la pauvret¨¦ indique que ces technologies ont un impact l¨¦ger, mais positif, sur les groupes les plus pauvres et que la t¨¦l¨¦phonie mobile, en particulier, est un outil utile qui peut leur permettre d'am¨¦liorer leurs moyens de subsistance ¨¤ moyen terme (6 ¨¤ 10 ans). L'essor rapide de la t¨¦l¨¦phonie mobile dans les pays en d¨¦veloppement refl¨¨te la convergence du moins pour cet aspect du d¨¦veloppement. Les ¨¦l¨¦ments concrets pr¨¦sent¨¦s par des ¨¦tudes comme PICTURE-Afrique sugg¨¨rent que les b¨¦n¨¦fices ¨¦conomiques de cet essor peuvent s'accumuler plus rapidement parmi les populations pauvres. Si c'est le cas, cela signifie que non seulement les TIC contribuent ¨¤ la r¨¦duction de la pauvret¨¦, mais sont favorables aux pauvres en ce qui concerne la mani¨¨re dont ces b¨¦n¨¦fices sont partag¨¦s. Toutefois, il faut reconna¨ªtre qu'elles offrent seulement des opportunit¨¦s et ne sont pas une panac¨¦e. Au lieu d'¨ºtre un avantage inconditionnel pour les pauvres, il semble probable que leur impact sera d¨¦termin¨¦ par le contexte o¨´ ces technologies sont d¨¦ploy¨¦es, la pr¨¦paration des utilisateurs et les opportunit¨¦s d'application qui existent. L'acc¨¨s ¨¤ l'information par les TIC est donc une question non seulement de connectivit¨¦, mais aussi de capacit¨¦ d'utilisation des nouveaux outils et de contenu accessible et utile. Il faut am¨¦liorer les politiques et leur mise en oeuvre pour mettre en place un secteur des t¨¦l¨¦communications qui augmente le taux d'acc¨¨s ¨¤ un tarif r¨¦duit. Il faut, en m¨ºme temps, affecter davantage de ressources au d¨¦veloppement des connaissances en mati¨¨re de TIC et mieux r¨¦glementer les entreprises qui fournissent leur acc¨¨s. .
Notes 1 Kirkman, G. (1999). Ce n'est pas qu'une question de connexions. une discussion sur certaines questions relatives aux technologies de l'information et au d¨¦veloppement international. atelier sur le commerce ¨¦lectronique et le d¨¦veloppement. The Media laboratory at the Massachusetts Institute of Technology, Cambridge, Massachusetts. 2 Torero, M. et von Braun, J. (2006). information and Communication Technologies for Development and Poverty Reduction: The Potential of Telecommunications. Washington, Johns Hopkins University Press et iFPRi. 3 Jensen, R. (2007). ? The Digital Provide: information (Technology), market performance, and welfare in the South Indian fisheries sector. ? The Quarterly Journal of Economics 121(3): 879-924. 4 Warschauer, M. (2004). Technology and social inclusion: Rethinking the digital divide. Massachusetts, The MIT Press.
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