Il est aujourd’hui universellement admis que la traite transatlantique d’Africains, encha?nés et asservis, a été le plus grand crime contre l’humanité commis pendant?l’époque moderne telle que nous la définissons aujourd’hui. Par son ampleur et sa brutalité sociale, psychologique, spirituelle et physique visant en particulier les Africains en tant que groupe ethnique, ce commerce extrêmement lucratif, ainsi que la suppression du caractère inhumain de l’esclavage et de sa nature criminelle qui s’en est suivie, a été omniprésent et a usurpé les valeurs morales.?
Les données démographiques que représentaient l’entreprise économique gigantesque de la traite des esclaves et de l’esclavage sont aujourd’hui bien connues, en grande partie gr?ce à près de trois décennies de recherches scientifiques et historiques réalisées notamment par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) ainsi que par des initiatives récentes, dont le Programme d’action éducative sur la traite transatlantique des esclaves et de l’esclavage. Environ 12 à 20 millions d’Africains ont été asservis dans l’hémisphère occidental après avoir fait une traversée de 6 à 10 semaines. Au cours de cette traversée, appelée aujourd’hui ??la traversée du milieu??, 20?% de sa ? cargaison humaine?? a péri. Les maladies et la mort étaient des conséquences courantes de cette tragédie humaine.
Les Cara?bes ont été au c?ur du crime contre l’humanité induit par la traite des esclaves et l’esclavage. Environ 40?% des Africains réduits à l’esclavage ont été envoyés vers les ?les des Cara?bes qui, au XVIIe siècle, étaient le marché principal pour la main-d’?uvre asservie, devant le Brésil portugais. Les plantations de cannes à sucre de la région, détenues et exploitées principalement par des colons anglais, fran?ais, hollandais, espagnols et danois, ont utilisé la vie des Noirs dès que ces derniers étaient importés.
C’est dans les Cara?bes que l’esclavage-marchandise a pris sa forme juridique la plus extrême dans l’instrument connu sous le nom de Code des esclaves, qui a été institué la première fois à la Barbade par les Anglais. Adoptée en 1661, cette loi globale définissait les Africains comme des ??pa?ens?? et des ??sauvages?? ne pouvant pas être régis par les mêmes lois que les chrétiens. Les législateurs ont ensuite défini les Africains comme des êtres non humains, une forme de propriété qui devait être détenue pour toujours par les acheteurs et leurs héritiers. Ce Code s’est répandu dans les Cara?bes et est, finalement, devenu le modèle appliqué à l’esclavage dans les colonies anglaises d’Amérique du Nord, qui allaient devenir les ?tats-Unis.
, et la Caroline du Sud, aux ?tats-Unis, a adopté le même statut. De cette fa?on, l’esclavage des Noirs est devenu la principale institution de gouvernance sociale et économique de l’hémisphère. Ce fut la base de la création de richesses à la fois dans la production et le commerce. Dans la plupart des sociétés, les investisseurs esclavagistes sont devenus l’élite politique et économique. Le capitalisme et l’esclavage des Noirs étaient étroitement liés. L’économie atlantique, dans tous ses aspects, était efficacement soutenue par l’esclavage des Africains.?
L’héritage de l’institution sociale et économique de l’esclavage se retrouve partout dans ces sociétés et est particulièrement dominant dans les Cara?bes. Si le colonialisme est en recul depuis les réformes nationalistes du milieu du XXe siècle, il persiste en tant que caractéristique politique de la région. L’Europe demeure une puissance coloniale sur?plus de 15?% de la population de la région, et la relation entre les ?tats-Unis et Porto Rico est généralement considérée comme étant colonialiste.
Dans la plupart des sociétés des Cara?bes, les populations de descendants africains représentent une proportion importante ou majoritaire de la totalité des habitants. Les nombreux héritages de plus de 300 ans d’esclavage pesant sur la culture populaire ainsi que sur la conscience continuent d’être des facteurs très handicapants. Le fléau du racisme, fondé sur la suprématie blanche, par exemple, reste virulent dans la région. Le racisme institutionnel continue d’être une force critique expliquant la persistance de la domination économique des Blancs. La pratique de la démocratie politique a permis d’instaurer une culture de l’égalité économique, mais il reste beaucoup à faire pour offrir l’égalité des chances à tous.
Il y a cinquante ans, en 1972, George Beckford, un Professeur d’économie à l’Université des Antilles, a publié une monographie fondamentale intitulée?, dans laquelle il explique l’appauvrissement de la majorité des Noirs dans les Cara?bes en termes de mécanisme institutionnel de l’économie et de la société coloniales. La pertinence de cette thèse reste frappante aujourd’hui, et les conversations sur la légitimité de la démocratie trouvent encore un écho dans ces recherches.
Ensuite, il y a les préoccupations concernant les marqueurs habituels du sous-développement économique, comme l’analphabétisme généralisé, la faim endémique, la maltraitance systémique des enfants, les établissements publics de santé défaillants, les infrastructures de communication primitives, les bidonvilles généralisés, les taux de scolarisation chroniquement bas ainsi que les mauvais résultats scolaires à tous les niveaux du système éducatif. , ce qui témoigne de l’hostilité à l’égard de l’éducation populaire?sous le colonialisme qui persiste dans les politiques publiques récentes. Les inégalités sociales et raciales extrêmes sont un héritage de l’esclavage dans la région qui continue de hanter les sociétés et d’entraver les efforts de développement des institutions régionales et mondiales.
Le colonialisme a persisté pendant plus d’un siècle après la fin officielle de l’esclavage, laissant les communautés noires faire face au désespoir économique et la classe politique émergente nettoyer les dég?ts laissés par l’administration coloniale. L’esclavage des Noirs était une forme moderne de pillage racial, et les conséquences évidentes de cette extraction économique se sont traduites?pas un sous-développement structurel. Les Cara?bes abritent certaines des populations les plus exploitées économiquement et socialement du monde moderne.?
Avant l’apparition et les ravages de la pandémie de COVID-19, la région des Cara?bes était en proie aux maladies chroniques non transmissibles. . Cette autre pandémie est abordée sous l’angle de la culture raciste du colonialisme, dans laquelle la population noire est généralement considérée dépendante d’aliments à forte teneur en sucre et en sel.
On observe fréquemment que 60?% de la population noire de la région ?gée de plus de 60 ans est atteinte de diabète de type 2 et d’hypertension. La Jama?que et la Barbade, les deux géants historiques de la production de sucre dans les plantations et de l’esclavage, luttent aujourd’hui pour éviter les amputations qui sont souvent rendues nécessaires à cause de complications médicales résultant de la gestion incontr?lée de ces maladies.
La résistance à l’oppression de l’esclavage et au colonialisme ethnique a fait des Cara?bes un lieu principal de la politique?de la liberté et du désir démocratique. Les révoltes sur les navires négriers ont entra?né des rébellions dans les plantations ainsi que dans les villes. Le militantisme populaire et communautaire a créé un héritage d’opposition au racisme et à la domination ethnique. Les Cara?bes sont le berceau de la révolution ha?tienne, qui a donné naissance au premier ?tat libre noir et, ultérieurement, à de nombreuses démocraties constitutionnelles.
Le mouvement Black Lives Matter est donc également enraciné dans la culture politique des Cara?bes, qui a contribué au soulèvement de la communauté noire?aux ?tats-Unis. Ensemble, ces mouvements?ont jeté les bases d’une contribution mondiale à la réforme politique dans le respect de la démocratie.
Le monde post-colonial et post-moderne ne sera jamais plus le même gr?ce à cet héritage de la résistance et au symbole de la justice raciale – des éléments clés de l’humanité s’élevant à son potentiel le plus élevé. En éliminant les effets toxiques du racisme ethnique hiérarchique de toutes les sociétés et en leur permettant d’adopter une perspective horizontale sur la diversité ethnique et culturelle ainsi que sur les modes de vie, le XXIe siècle sera meilleur que toute autre période antérieure de la modernité.?
C’est pour cette raison, et pour d’autres encore, que les Cara?bes sont devenues l’épicentre de la lutte mondiale en faveur de la justice réparatrice. Leur campagne en faveur de réparations pour les crimes de l’esclavage et du colonialisme a servi de modèle aux pays du Sud en veillant à mettre en place des conditions égales pour le développement au sein de l’ordre économique international. En outre, elle sert de modèle à de nouvelles formes d’égalité, notamment en matière de justice climatique et de santé publique. Présenter les preuves d’erreurs passées facilite l’appel à un nouvel ordre mondial qui inclut l’équité dans l’accès et l’égalité dans la participation.?
La contribution des Cara?bes, permettra donc de faire du monde un lieu plus s?r pour les citoyens qui considèrent que vivre sans craindre d’être victimes de la violence, du ciblage ethnique et de la discrimination raciale est un droit humain. Les formes actuelles d’esclavage et d’oppression sociale extrême sont aujourd’hui identifiées plus clairement et traitées avec une opposition publique et politique similaire à celle des formes traditionnelles. Les Cara?bes sont bien placées pour s’acquitter de cette obligation diplomatique envers le monde à la suite de leur propre histoire tourmentée et leur long chemin vers la justice.?
La région peut et doit être l’incubateur d’un nouveau leadership mondial qui célèbre la pluralité culturelle, la grandeur des sociétés multiethniques et l’intégration des droits de l’homme et des droits civils de tous comme une question de bon sens et de vie commune. En résumé, les Cara?bes, dont l’histoire moderne a commencé au c?ur du crime contre l’humanité, peuvent renverser ce monde et devenir le centre d’une nouvelle conscience qui célèbre la justice et la liberté pour tous.
?
La?Chronique de l’ONU?ne constitue pas un document officiel. Elle a le privilège d’accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingués ne faisant pas partie du système des Nations Unies dont les points de vue ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Organisation. De même, les frontières et les noms indiqués ainsi que les désignations employées sur les cartes ou dans les articles n’impliquent pas nécessairement la reconnaissance ni l’acceptation officielle de l’Organisation des Nations Unies.?