Les populations autochtones représentent environ 476 millions de personnes vivant dans 90 pays du monde. Elles parlent une majorité écrasante des quelques 7 000 langues parlées dans le monde, et représentent 5 000 cultures diverses.

Le COVID-19 a fait peser une grave menace sur ces peuples qui n'ont déjà pas accès aux soins médicaux et services essentiels. Pourtant, les peuples autochtones cherchent leurs propres solutions à cette pandémie, en utilisant leurs connaissances, pratiques, ainsi que des mesures préventives traditionnelles et innovantes.

Dans la série ??Nous sommes autochtones??, l’Impact Universitaire des Nations Unies (UNAI) s’est entretenu avec des universitaires et des militants autochtones pour examiner les fa?ons dont la communauté autochtone mondiale contribue à la construction d’un avenir plus sain et plus durable pour nous tous.

L'écologie politique est une pratique combinant politique, économie et facteurs sociaux pour créer une approche intersectionnelle qui puisse répondre davantage aux besoins socio-économiques des personnes tout en soutenant l'environnement naturel.

En tant que gardiens de la Terre, l’existence des peuples autochtones est profondément ancrée dans les processus de développement durable. En effet, les peuples autochtones ont toujours fait preuve de créativité pour produire en respectant leurs ressources, que ce soit depuis les premières relations commerciales entre les peuples autochtones avec ce qui est aujourd'hui le Canada et la Compagnie de la Baie d'Hudson, jusqu'aux Yanomami d'Amazonie qui utilisaient des plantes forestières pour fabriquer leurs outils agricoles et halieutiques.

Tandis que les décisions gouvernementales, les décideurs politiques et les projets de développement de grande envergure continuent d'avoir des conséquences néfastes sur les terres et les ressources autochtones, les écologistes politiques autochtones utilisent leurs savoirs et leur compréhension des relations d’interdépendance avec l'environnement pour démontrer qu’une approche durable de la bonne gouvernance est possible.

Chercheuse et professeur anichinabée à l' (Centre de référence l'UNAI pour l’ODD 6 : Eau propre et assainissement), le Docteur Myrle Ballard étudie la fa?on dont les changements environnementaux affectent les moyens de subsistance des populations autochtones ainsi que l'intégration des savoirs autochtones dans les processus de prise de décision environnementaux.

En repensant à son enfance, le Docteur Ballard se souvient que pendant l’hiver, alors les conditions météorologiques étaient rudes, sa mère accueillait des veaux dans la cuisine familiale pour s'en occuper, et cela lui a permis de tirer les premières le?ons sur le lien avec la vie et la terre qui l'entouraient?: ??J'ai toujours été intéressée par ce qui se passait autour de moi, au niveau de la terre et de l'environnement. ? Le Docteur Ballard considère le développement durable comme un élément inhérent à sa culture?: ??Bien avant ma naissance, notre peuple, mes ancêtres utilisaient ces mots comme "durabilité" parce qu'ils étaient toujours sur la terre.??

Après avoir vécue les inondations dans sa ville natale, le Docteur Ballard s'intéresse beaucoup à la gestion de l'eau et de la pêche, et pense que personne d’autre ne conna?t mieux l'environnement que celles et ceux qui le gèrent depuis des siècles, et qui transmettent à chaque génération leurs savoirs sur les techniques d'observation terrestres et fluviales. En 2011, des précipitations plus abondantes que la moyenne ainsi que des vents violents ont provoqué une inondation au Manitoba d'une ampleur et d'une gravité sans précédent. La structure provinciale de contr?le des eaux n'a pas été en mesure de contr?ler les inondations, ce qui a entra?né l'évacuation et le déplacement de plus de 7 000 personnes dans les communautés avoisinantes au lac. Pour le Docteur Ballard, il est nécessaire d'inclure dans la planification environnementale la consultation menée par les autochtones : ??Les personnes n’accordent pas de crédibilité à nos systèmes de savoirs?; pourtant, il est grand temps qu'ils commencent à nous donner de la légitimité pour ce que nous savons.??

Le Docteur Ballard a également souligné la grave contamination du lac Winnipeg à cause d’une surexposition au phosphore et à l'azote provenant des eaux usées municipales et industrielles, du ruissellement agricole et de la pollution atmosphérique. Ces efflorescences nuisent à l'écosystème aquatique, menacent la pêche et réduisent l’utilisation du lac. En outre, en raison des projets hydroélectriques gouvernementaux et des infrastructures destinées à contr?ler les inondations dans les villes du sud, le niveau d'eau du lac Winnipeg continue de fluctuer, perturbant la faune aquatique, alors que beaucoup de personnes dépendent de la pêche pour survivre. La subvention du programme de recherche autochtone de l'Université du Manitoba a permis d’élaborer un partenariat avec les pêcheurs anichinabés et les scientifiques non autochtones pour restaurer les masses d’eaux en étudiant les nouveaux comportements et les maladies contractées par les poissons, ainsi qu’en analysant leur adaptabilité gr?ce aux sciences autochtones et occidentales en matière de gestion des milieux aquatiques. Ce partenariat démontre l'intérêt de travailler avec les populations autochtones rurales, car l'environnement lui-même peut être renouvelé et restauré plus durablement gr?ce à des mesures collectives.

Pour les peuples autochtones des Plaines, la terre est considérée comme un parent, un prolongement de la cellule familiale. Doctorant en écologie politique de l' et nêhiyawak (Cri des Plaines), Mylan Tootoosis a ainsi rappelé?qu’ ??une grande partie de nos pratiques de subsistance reposent sur cette relation considérée comme fondamentale dans notre évaluation des récoltes et de nos besoins, à tel point que nous possédons des lois régissant notre relation avec la terre et la nature??. Ces lois ancestrales ont contribué à maintenir un équilibre entre la satisfaction des besoins humains et l'atténuation de leurs conséquences.

Soulignant l'importance des Objectifs de Développement Durable comme cadre pour que les pays et les organisations puissent débattre et s'efforcer de restaurer et régénérer l'environnement, M. Tootoosis?rappelle ainsi : ??Bien que la terre et notre peuple ont été fortement impacté par la colonisation, nos lois et liens avec la terre ont été épargnés. Nous travaillons pour instaurer une grande partie de ces liens, et les Objectifs de Développement Durable sont un moyen d'entamer et de favoriser des débats indispensables??.

Tootoosis a aussi mis en avant les nombreux collectifs autochtones qui ont mis en place, avant la colonisation, des pratiques agricoles remarquables, désormais empiétées par une industrie agricole ultra-industrialisée, surexploitant les terres. La commercialisation de l'agriculture peut causer des dommages environnementaux irréversibles, qui ont des répercussions sur les droits de propriété autochtones et sur leur bien-être général. Le mouvement ne vise pas à éliminer l’ensemble des initiatives de colonisation agricole, mais plut?t à restituer les terres aux populations autochtones afin qu'elles puissent relancer leurs propres pratiques agricoles durables pour le bien-être de l’environnement et des ressources naturelles.

Tootoosis a relaté son cursus universitaire en écologie politique comme ??un mélange d’apprentissage formel mais aussi informel en matière de ressources naturelles ?. Le Docteur Ballard et lui ont convenu que le langage inclusif reste un principe directeur : à la place des ??conférences académiques??, seuls des débats véritables et ouverts avec et dans la langue des communautés autochtones peuvent créer un débat critique débouchant sur des décisions socio-économiques correctement étayées.

Tous les êtres humains ont à bénéficier d’un environnement solide, sain et prospère. Les collectifs autochtones ne doivent pas être les seuls à protéger Mère nature?: chacune et chacun qui profite de ses abondantes ressources doit aussi le faire. En incluant et en valorisant les peuples autochtones ainsi que leurs savoirs ancestraux, l'écologie politique autochtone a non seulement vocation à mieux comprendre les pratiques ancestrales dans un monde évolutif, mais aussi à générer des innovations crédibles pour le bien de la communauté, de la terre, et ainsi maintenir un mode de vie durable.

Ressources complémentaires :

?