? l’occasion de la Journée internationale de la langue maternelle, le Coordonnateur des Nations Unies pour le multilinguisme, M. Movses Abelian, qui dirige également le Département de l’Assemblée générale et de la gestion des conférences au sein du Secrétariat des Nations Unies, présente sa vision pour une ONU multilingue, à l’image du monde dans lequel elle évolue, et au service de ce dernier.
Le 21 février, Journée internationale de la langue maternelle, est l’occasion de souligner le r?le pivot des langues re?ues en héritage dans la petite enfance, que nous les nommions langues maternelles, langues premières ou langues principales. Ces langues constituent en effet, pour tout un chacun, un socle sur lequel l’ensemble des apprentissages et des connaissances va venir se greffer – d’où l’importance de l’enseignement en langues maternelles, car l’on ne peut assimiler que ce que l’on comprend. Or, dans le monde, on estime qu’encore 40 % de la population n’a pas accès à une éducation dans une langue qu’elle parle ou comprend, ce qui induit des effets néfastes, démultiplicateurs, pour la réalisation de nombreux objectifs de développement durable.?
Les langues maternelles sont aussi un référentiel de base, à partir duquel d’autres langues vont pouvoir être acquises. C’est la raison pour laquelle, à l’ONU, nous insistons tant, par exemple, sur l’importance, pour nos linguistes, d’avoir une excellente ma?trise de leur langue maternelle, vers laquelle elles et ils traduisent ou interprètent, avec tous les degrés de nuances et de subtilités requis. Il est en outre intéressant de noter que, si une bonne ma?trise de la langue maternelle permet les conditions de l’apprentissage d’autres langues, ces dernières nous renseignent également, dans une sorte de mouvement circulaire perpétuel, sur nos propres langues maternelles, leur histoire, leurs ressemblances et dissemblances avec les langues en apprentissage et leur cheminement.
Cette année, les célébrations de la Journée internationale de la langue maternelle interviennent également quelques semaines après le lancement de la (2022-2032), et nous donne une occasion supplémentaire de souligner combien langues et cultures sont entremêlées et interdépendantes. Ce sont par les langues que s’expriment les cultures?; et les cultures alimentent les langues, les nourrissant et les enrichissant. Sans langue pour recevoir, transmettre ou véhiculer une culture, point de culture. Alors que l’ estime que près de la moitié des 7 000 langues répertoriées dans le monde est en danger, nous faisons face à un risque de perte de diversité linguistique d’une ampleur au moins équivalente à celle de la biodiversité, avec des conséquences qui restent à évaluer. La vulnérabilité des langues – qui sont un élément clé de l’identité – génèrent par exemple des tensions entre minorités linguistiques et groupes dominants. Avec la disparition d’une langue, c’est non seulement tout un système de pensée, une vision du monde, un cadre de référence qui sont à jamais anéantis, mais aussi toutes les connaissances et croyances ancestrales véhiculées par cette langue et ce, de fa?on irrémédiable. En effet, c’est tout un héritage, une lignée, qui sont rompus, et des descendants privés du lien les unissant à leurs ancêtres, leur histoire, leurs croyances.
Le 21 février nous offre aussi l’occasion de célébrer, plus généralement, la diversité linguistique et le multilinguisme, et leur apport inestimable – pourtant trop souvent sous-estimé – à la paix dans le monde, l’harmonie entre les peuples, et l’entente mutuelle, qui sont au fondement même de notre Organisation des Nations Unies.
Alors que le monolinguisme peut cloisonner et ériger des murs entre groupes linguistiques distincts, le multilinguisme permet, au contraire, de jeter des passerelles entre locuteurs, de créer les conditions propices à l’échange, à la communication, à la fluidité?; de passer, en somme, de l’incompréhension à la compréhension, de l’inconnu et du doute au connu et à la confiance. Ce qui est vrai à l’échelle des individus l’est également à l’échelle de l’Organisation?: l’ONU, pour comprendre et se faire comprendre des peuples qu’elle a la responsabilité de servir, se doit de faire usage d’une multiplicité de langues, et d’encourager, en son sein, la sensibilité culturelle nécessaire au respect de toutes les parties prenantes.
Fort de ce constat, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a élevé la question du multilinguisme – que lui-même incarne – au rang de priorité de son mandat. Il s’agit, pour lui, de faire en sorte que l’Organisation soit plus représentative de la diversité du monde dans lequel elle opère, selon la logique qu’une organisation plus représentative – par exemple assurant l’équilibre hommes-femmes – est aussi plus démocratique et légitime, et plus efficace. Dans ce contexte des langues, une organisation plus diverse, mieux à même de faire correspondre les besoins et les ressources en matière linguistique, sera aussi mieux outillée, par exemple, pour interagir avec les ?tats Membres ou la société civile, entretenir des bonnes relations avec les communautés locales sur le terrain, communiquer des messages de prévention de la maladie à coronavirus (COVID-19) et lutter contre la désinformation sur la COVID-19, échanger avec des victimes dont les droits fondamentaux ont été bafoués, ou encore recueillir et analyser des renseignements permettant aux opérations de paix d’anticiper les menaces et de s’en prémunir.
Pour ce faire, l’Organisation des Nations Unies dispose d’atouts considérables?: d’abord, elle dispose d’une base juridique favorable. Le multilinguisme est en effet inscrit au fondement même et au c?ur de la mission des Nations Unies?: sa charte constitutive érige en principe supérieur la non-discrimination sur la base de la langue et établit le principe d’égalité des langues officielles. Le multilinguisme comme norme d’une organisation multilatérale à vocation universelle a également été maintes fois rappelé par l’Assemblée générale depuis sa deuxième résolution, du 1er février 1946. ? partir du milieu des années 1990, les ?tats Membres se sont en outre organisés pour inclure à l’ordre du jour de l’Assemblée générale un point spécifique consacré au multilinguisme, et des résolutions sur le multilinguisme y ont été adoptées tous les deux ans depuis lors. Enfin, au cours de la dernière décennie, un basculement sémantique a été observé?; le multilinguisme se voyant progressivement conférer le statut, outre de principe fondateur de l’Organisation, celui de ??valeur fondamentale??, de moteur de la diplomatie multilatérale, permettant d’améliorer l’efficacité, les résultats et la transparence de l’Organisation.
Ensuite, notre Organisation présente un avantage supplémentaire?pour promouvoir la diversité linguistique?: un investissement de longue date dans les technologies, permettant des avancées considérables en matière de traitement de la documentation, et de gestion des urgences – telle la pandémie de COVID-19, qui s’est traduite par un basculement subit des séances en salle vers des réunions virtuelles.
Enfin, l’ONU dispose d’une chance immense, mais encore insuffisamment mise à profit, à savoir son personnel, dans l’immense majorité multilingue et multiculturel. En tant que Coordonnateur des Nations Unies pour le multilinguisme, je m’exerce à sensibiliser toutes les parties prenantes à adopter des méthodes de gestion des besoins en personnel intégrant la question linguistique. L’objectif, à terme, est de mieux mettre à profit, de valoriser et de renforcer, sur le plan stratégique, les ressources linguistiques internes à l’Organisation, qui sont la clé de vo?te d’un fonctionnement organisationnel véritablement multilingue, permettant l’égale participation de tous les fonctionnaires à notre ?uvre collective. Gr?ce à une main d’?uvre multilingue, adaptable et créative, mettant à profit les langues maternelles, l’ONU sera ainsi mieux placée pour faire face aux défis en évolution constante qui se posent à la paix et la sécurité internationales, au développement durable, et aux droits humains.
?
?
La?Chronique de l’ONU?ne constitue pas un document officiel. Elle a le privilège d’accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingués ne faisant pas partie du système des Nations Unies dont les points de vue ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Organisation. De même, les frontières et les noms indiqués ainsi que les désignations employées sur les cartes ou dans les articles n’impliquent pas nécessairement la reconnaissance ni l’acceptation officielle de l’Organisation des Nations Unies.?