L’influence en politique n’est pas une affaire de quotas
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L’influence en politique n’est pas une affaire de quotas
« Si vous voulez avoir de l’influence en politique, il faut d’abord peser sur la formulation des politiques ». Ainsi s’exprimait récemment Betty Kaari Murungi, une militante pour la justice sociale, devant un parterre de femmes entrepreneurs et directrices d’entreprise à Nairobi, (Kenya).Ìý
Avocate de profession et directrice de Urgent-Action Fund Africa, une association féministe de défense des droits de l’homme, Mme Murungi exerce aussi des responsabilités au sein de la Commission Vérité et réconciliation du Kenya, dont elle a été vice-présidente. Plusieurs femmes de l’envergure de Mme Murungi étaient présentes lors du sommet S.H.E. (She Helps Empower) qui s’est tenu à Nairobi en juin dernier pour donner aux femmes la possibilité de partager des conseils pratiques sur la manière de faire progresser leurs entreprises et leurs carrières.
Pour la Kényane Carol Odera, gourou de la mode et journaliste pour le magazineÌý True Love, « femmes et affaires font bon ménage. Nous ne sommes pas ici pour remplir des quotas, explique-t-elle. La moitié du ciel nous appartient, … sauf pour les postes de direction ».
La « moitié du ciel »
Selon les Nations Unies, les femmes représentent un peu plus de la moitié de la population mondiale. Pourtant leur accès aux ressources, à l’éducation et aux revenus n’est pas à la hauteur de ce chiffre. Les femmes constituent souvent l’épine dorsale des sociétés auxquelles elles appartiennent et constituent la grande majorité des travailleurs agricoles. Selon le Programme alimentaire mondial, huit travailleurs sur dix dans le secteur agricole en Afrique sont des femmes et celles-ci sont les seuls soutiens de famille dans un tiers des foyers africains. Les femmes sont aussi plus nombreuses que les hommes à travailler dans le secteur informel. Ìý
Même si très peu d’études existent à leur sujet, le nombre d’entreprises africaines dirigées par des femmes, est en augmentation. C’est ce qu’explique Maxwell Awumah de SciDev.Net, un site d’information consacré au rôle de la science et de la technologie dans le développement. Bien que le secteur informel offre la possibilité de générer des revenus raisonnables, la Banque africaine de développement note que la plupart des travailleurs de ce secteur ne disposent pas de revenus sûrs ni de protection sociale. L’Organisation internationale du Travail qualifie d’ailleurs ce groupe, essentiellement composé de femmes, deÌý« travailleurs pauvres ».Ìý
Malgré l’augmentation considérable du taux d’inscription des filles dans les écolesÌý primaires et secondaires (et dans l’enseignement supérieur, compte non tenu de l’Afrique subsaharienne), le nombre d’emplois détenus par des femmes n’augmente pas. Pour la Banque mondiale, le faible niveau d’emploi des femmes est préoccupant.
De nombreuses Africaines ont gravi les échelons en tant qu’activistes ou grâce à leurs compétences entrepreneuriales. La Sénégalaise Magatte Wade, par exemple, est présidente-directrice général d’une entreprise qui fabrique des boissons à base de plantes, ainsi que des cafés et des thés biologiques qui se vendent partout aux États-Unis. En 2011, l’entreprise de Magatte Wade, Adina, faisait plus de 3 millions de dollars de chiffre d’affaires annuel selon un document de recherche établi sous la direction du Programme des Nations Unies pour le développement. Bien qu’un rapport de la Banque mondiale sur la main-d’oeuvre féminine affirme que la participation de ces dernières à l’économie devrait les encourager à une plus grande participation politique, ceci reste l’exception en Afrique.
Quotas par sexe
ONU-Femmes, l’entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes, note qu’aussi bien au sein du corps politique que dans les conseils d’administration, les femmes donnent rarement leur avis pour les décisions qui les concernent. Pour améliorer cette situation, la plupart des pays en développement ont instauré des quotas et d’autres mesures spéciales et temporaires, comme la désignation de sièges réservés aux femmes pour leur permettre de gravir les échelons politiques. Cette tendance s’est développée suite à la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes qui s’est tenue à Pékin en 1995. Près de 20 % des parlementaires à travers le monde sont désormais des femmes selon le rapport 2013 sur les objectifs du Millénaire pour le développement.Ìý
Certains pays font mieux que d’autres. Suite à une campagne électorale très suivie au Kenya en mars 2013, un cinquième des sièges du Parlement sont allés à des femmes, dont le nombre dans cette institution a ainsi doublé. Au Rwanda, 51 % des législateurs sont des femmes, le pourcentage le plus élevé au monde (voir l’article d’Afrique Renouveau intitulé « NEPAD : les Africaines s’imposent »). L’Afrique du Sud est en troisième position avec 44 % de femmes au Parlement.
Le nombre croissant de femmes parlementaires n’est pas le seul signe encourageant pour l’égalité des sexes en Afrique, écrit Rainitou Sow pour Make Every Woman Count, une organisation qui Å“uvre pour l’autonomisation des femmes. La plupart des pays ont désormais des politiques d’égalité des sexes que lesÌý ministères sont chargés d’appliquer.
Il semble d’ailleurs que ces efforts payent. Plus que jamais, les Africaines assument des charges publiques, y compris aux postes les plus prestigieux. Au Malawi, Joyce Banda est devenue la deuxième femme africaine à accéder au poste de président après son homologue libérienne Ellen Johnson-Sirleaf. La dirigeante du Libéria est également lauréate du prix Nobel de la paix, qu’elle partage avec sa compatrioteÌý Leymah Gbowee et la Yéménite Tawakkol Karman. Wangari Mathaai, une écologisteÌý kényane décédée en 2011, a été la première africaine à recevoirÌý ce prix. Pour la première fois de son histoire, la Commission de l’Union africaine est dirigée par une femme, la Sud-africaine Nkosazana Dlamini-Zuma. Ailleurs sur le continent, plusieurs pays comme le Zimbabwe et la Gambie ont des femmes pour vice-présidentes.Ìý
Grâce à une résolution adoptée en 2000 par le Conseil de sécurité qui aborde l’impact démesuré de la guerre sur les femmes ainsi que le rôle clé que celles-ci jouent dans le règlement des conflits, les femmes sont de plus en plus nombreuses à servir dans le cadre des opérations de paix à travers le monde.
Influencer les politiques
Étant donné le nombre de plus en plus important de femmes parlementaires et le rôle décisif que les femmes jouent dans l’économie en Afrique, on serait en droit de penser qu’elles ont aussi gagné en influence sur les politiques qui les touchent directement. Mais les pratiques culturelles ont la vie dure et les traditions sont difficiles à changer.
Certains parlementaires ont réussi à introduire des lois favorables aux femmes. En 2011, l’Angola a ainsi adopté une loi érigeant la violence familiale en infraction pénale. Le Kenya a rejoint 24 autres pays africains pour interdire la mutilation génitale. Dans d’autres pays les progrès sont moins évidents. Au Mali, un projet de loi sur la famille introduit en 2009 pour améliorer les droits des femmes a été retiré après avoir été bloqué par des groupes musulmans conservateurs. La loi a finalement été adoptée trois ans plus tard, non sans avoir été « substantiellement édulcorée ».
Les droits fonciers sont eux aussi particulièrement résistants aux réformes quand il s’agit des femmes (voir l’article d’Afrique Renouveau intitulé « Droits fonciers : le combat des femmes »). Les femmes agricultrices en Afrique n’ont aucun poids décisionnaire sur les politiques agricoles de leurs pays et peu d’accès au crédit, aux engrais ou aux semences.Ìý
Le nombre de femmes à des postes de direction continuant d’augmenter sur tout le continent, celles-ci doivent trouver les moyens de traduire leur présence politique en actes et en influence. En d’autres termes, la politique des quotas en Afrique ne suffira pas à renforcer la voix des femmes du continent.