Il est économiquement judicieux d''accorder des prêts aux femmes
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Il est économiquement judicieux d''accorder des prêts aux femmes
Le ‘table banking’ (variante de la « tontine Â»)  est un concept financier qui peut paraître simple , mais qui  a changé la vie de milliers de femmes et  de leurs familles dans les zones rurales du Kenya.  L’idée est simple : chaque mois, les participantes se réunissent autour d’une table sur laquelle elles  déposent leur argent, qui peut alors être emprunté immédiatement par certaines d’entre elles. Ce dispositif permet d’éviter les frais  bancaires,  l’attente d’une approbation de la banque  ainsi que d’autres obstacles auxquels font face les Africaines qui souhaitent emprunter mais ne disposent pas de  garanties. Ces emprunts servent à   lancer des projets rémunérateurs.  
Joyful Women Organization (JoyWo) est l’un des groupes  qui fonctionne le mieux dans ce domaine au Kenya, rassemblant plus de 11 500 groupes de femmes, dont chacun compte entre 15 et 35 membres en moyenne. Lancée en 2009 par Rachel Ruto, l’épouse du vice-président William Ruto, l’organisation n’avait alors que 80 membres, venant principalement de la région d’Uasin Gishu d’où est originaire Mme Ruto, à 270 km environ au nord-ouest de la capitale Nairobi. Le groupe a débuté avec un fonds de roulement d’environ 800 dollars. Aujourd''hui , le groupe accueille  des membres venant de 44 des 47 régions du Kenya. Son fonds de roulement a atteint les 16 millions de dollars, alimenté par les contributions de ses membres, le remboursement des prêts, les subventions  et les dons reçus.   
Aujourd’hui, JoyWo accorde des prêts pour soutenir des projets dans les domaines de la culture sous serre ,  l’aviculture,  l’élevage bovin,  l’horticulture et  l’irrigation par aspersion.
Ces cinq dernières années, le revenu annuel moyen des plus de 740 organisations de femmes de ce type qui existent dans le monde a été d’environ 20 000 dollars, selon l’Association pour les droits de la femme et le développement. JoyWo s’est toutefois fixé des objectifs encore plus élevés.
 Des « battantes Â»
« Nous nous sommes engagés à aider les femmes à évoluer parce que j''estime que la  femme a de multiples facettes. Elle a  le pouvoir de créer, de favoriser le développement  et de transformer », a expliqué Mme Ruto à Afrique Renouveau.
Irene Chepkoech Tuwei, mère célibataire, rescapée de la polio, et qui avait des problèmes d''alcool,  a pu bénéficier du système mis en place par JoyWo alors qu''elle était au  chômage. Fin 2010, elle a rejoint l’organisation, apportant une contribution initiale de tout juste 2 dollars tirés de ses économies. Elle a fait alors un emprunt de 150 dollars, a acheté deux cochons et ouvert un stand d’épicerie.  En 2011, elle a fait un nouvel emprunt d’une valeur de 700 dollars afin d’améliorer son commerce et a acheté des poulets ainsi qu’une vache laitière, ce qui lui a permis d’accroître ses bénéfices. L’an passé, elle a fait un prêt de 3 000 dollars et a acquis un tracteur Ferguson qu’elle loue à des fermiers au prix de 150 dollars par acre de terres cultivées. En période faste, elle gagne jusqu’à 4 500 dollars par mois et de fait a considérablement augmenté ses parts dans l’association pour devenir l’une des principales épargnantes de JoyWo. Elle a également acheté une voiture et une moto pour faciliter ses affaires et ouvrira bientôt une station-service.  
« Le ‘table banking’ a transformé ma vie. Je veux montrer qu’une personne handicapée dans ce pays peut être un modèle de réussite », explique Irene, qui a pu raconter son histoire lors de plusieurs événements organisés par JoyWo dans d’autres provinces.   
La réussite de personnes comme Irene et l’influence de JoyWo ont été telles que la Commission de la condition de la femme, qui se réunit annuellement sous l’égide des Nations Unies, a invité Mme Ruto à New York en mars 2015 pour parler de l’approche innovante mise en place par JoyWo pour favoriser l’autonomisation des femmes grâce au système de ‘table banking’.   
Afin de faciliter les activités de JoyWo en zones rurales, les membres de l’organisation constituent de petits groupes de 15 à 35 personnes à l’échelle d’un village. Leur contribution financière dépend de leurs revenus et de la composition de leur groupe. Chaque groupe fixe sa contribution minimale et sa contribution maximale afin que toutes les femmes soient sur un pied d’égalité. Chaque membre reçoit un livret bancaire dans lequel sont  inscrites les transactions réalisées. 
Chaque membre peut emprunter jusqu’à deux fois son apport initial désigné sous le nom de ‘parts’. Cet emprunt à court terme doit être remboursé dans les trois mois suivants. Quant aux prêts à long terme, dont le montant peut atteindre trois fois la part initiale de chacun, un membre a de 6 à 36 mois pour les rembourser. Etant donné que les prêts sont décidés au niveau du groupe et que les membres se réunissent mensuellement, il faut un mois pour qu’un prêt à long terme soit accordé alors que les prêts à court terme sont versés sur le champ.   
Aux plus petits groupes, JoyWo accorde des prêts sans intérêts pour lesquels un garant suffit. Les petits groupes, qui se servent ensuite de cet argent pour accorder des prêts, proposent des intérêts à 10% pour les prêts à court terme et à 12% pour les prêts à long terme. Les intérêts permettent d’alimenter le fonds de roulement et servent à payer des dividendes aux membres à la fin de l’année. En 2014, ceux-ci ont touché 1,5 million de dollars de dividendes.    
Plus que de l’argent
Afin de promouvoir le ‘table banking’ dans tout le pays , Mme Ruto a compris qu’il fallait que tout emprunt soit assorti d’une formation. L''acquisition de compétences entrepreneuriales par exemple peut permettre d’améliorer les bénéfices d’une entreprise. Ainsi Mme Ruto a décidé de proposer différents types de formations commerciales, dont certaines appliquées au secteur de l’agriculture afin d’aider les paysans et les petits fermiers à devenir de véritables créateurs d’entreprise, étant donné que plus de 90% des membres de JoyWo vivent en zone rurale dans un pays où la subsistance des trois quarts de la population est assurée par l’agriculture.      
Encore des défis
Comme toute  autre organisation de cette taille qui grandit rapidement, JoyWo se heurte à certains problèmes, comme les défauts de paiement qui atteignent 2%.
«C’est pourquoi nous insistons pour que les  membres se connaissent et puissent se porter garants les uns des autres ,» explique Mme Ruto. 
JoyWo encourage la participation de personnes appartenant à divers secteurs professionnels sur une large échelle  socio-économique, indique-t-elle, en particulier dans les zones reculées où les personnes analphabètes sont obligées de compter sur les membres plus instruits du groupe. 
La pauvreté et l’inégalité des sexes vont de pair. Le Secrétaire général de l''ONU Ban Ki-moon estime que le monde ne pourra jamais atteindre pleinement ses objectifs si la moitié des habitants de la planète ne sont pas en mesure de réaliser leur potentiel. «.Afin d’être réellement porteur de changement,  le programme de développement pour l’après-2015 doit établir des priorités en matière d’égalité des  sexes et d’autonomisation des femmes », a-t-il estimé dans un message délivré lors de la Journée internationale de la femme.   
Alors que la troisième Conférence internationale sur le financement du développement débutera bientôt en Éthiopie, les défenseurs de l’égalité des sexes  espèrent que la promotion de cette égalité ainsi que l’autonomisation des femmes bénéficieront d''un  financement prioritaire. Dans le programme de développement pour l’après-2015, le financement des objectifs liés à la parité des sexes sera crucial  étant donné que les objectifs du Millénaire pour le développement dans ce domaine n’ont pu être atteints en raison d’un manque de fonds.   
Pendant ce temps, les femmes de JoyWo travaillent au développement de leurs projets. Et au lieu de se plaindre d’un manque de financement, l’organisation s’est fixé pour objectif d’utiliser les contributions de ses membres pour attirer, d’ici à 2017, un million de femmes des 47 régions du Kenya puis de se développer partout en Afrique de l’Est. L’organisation prévoit aussi de faire passer le montant total de ses prêts à long terme de 1,2 million de dollars à 12 millions d’ici à l’année prochaine.