Pour se mettre au « vert », l’Afrique émet des obligations
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Pour se mettre au « vert », l’Afrique émet des obligations
Johannesburg, Jozi de son petit nom, est la plus grande place commerciale du continent. La ville attire chaque année des millions de visiteurs, notamment des étudiants, des artistes et des chefs d’entreprise. Sa population de 4,8Ìýmillions d’âmes devrait atteindre les 6,5Ìýmillions d’ici 2040, selon la World Population Review.
Confronté à cette croissance sans précédent et à ses effets prévisibles sur l’infrastructure vieillissante et les services sociaux de la ville, Parks Tau, le maire de Johannesburg, a donné son accord à une voie de développement plus écologique lors de son discours annuel sur la situation de la ville, le 6 mai 2015. Dans sa liste d’innovations promises figurait la généralisation des toilettes à débit restreint et des urinoirs à faible consommation d’eau dans les foyers, les bureaux et les lieux marchands de Johannesburg, afin d’alléger la pression sur les réserves d’eau limitées de la ville.
Les déchets organiques seront transformés en combustible et en énergie, et des convertisseurs héliothermiques et des compteurs intelligents seront installés pour réduire la consommation d’électricité. En plus d’une pollution moindre, le maire espère également réduire la dépendance des navetteurs vis-à -vis des véhicules particuliers, en faveur de la marche et du cyclisme. Le maire a également promis d’améliorer le réseau de transport public et de passer au gazole afin de diminuer l’empreinte carbone de la ville.
Pour financer ces initiatives, la ville a mis en vente en juin 2014 sa toute première obligation «ÌýverteÌý» à la Bourse de Johannesburg (JSE). Ces obligations, d’une valeur de 143Ìýmillions de dollars et devant échoir en 2024, ont été sursouscrites à 150Ìý%Ìý: un succèsÌý! Lors d’un discours prononcé peu après la cotation de l’obligation, M.ÌýTau a déclaré qu’il s’agissait d’une preuve évidente de la «Ìýconfiance des investisseurs vis-à -vis de la ville de Johannesburg et de l’engagement en faveur de la bonne gestion de l’environnement et de la lutte contre les changements climatiquesÌý».
Une obligation est un type d’emprunt ou une reconnaissance de dette que les sociétés, les gouvernements ou les banques utilisent pour financer des projets. L’émetteur est tenu de rembourser la dette dans un délai convenu et à un certain taux d’intérêt. Ce qui confère à cette obligation l’étiquette «ÌýverteÌý», c’est que son produit est alloué à des projets climatiques et écologiques. En émettant ce type d’obligation, Johannesburg n’est pas uniquement devenue une pionnière en Afrique, mais également au sein du C40 Cities Climate Leadership Group, un réseau de mégalopoles échangeant des pratiques exemplaires et des solutions réalisables pour changer les régimes météorologiques.
Attrait de l’obligation «ÌýverteÌý»
Concernant leur cotation, les obligations vertes ne sont pas différentes des obligations conventionnelles. Leur attrait repose en grande partie sur le fait que les investisseurs pensent être «Ìýsocialement responsablesÌý» et produire des effets positifs sur l’environnement. Selon la principale conseillère en investissements durables à la Banque mondiale, Laura Tlaiye, les investisseurs reconnaissent de plus en plus les menaces que la dégradation de l’environnement et les changements climatiques font peser sur les valeurs financières à long terme, ce dont ils tiennent compte au moment de choisir leurs investissements.
Les investisseurs sont également attirés par ces prêts verts à revenu fixe, car ils promettent un rendement régulier et un remboursement total du capital une fois l’obligation échue. Et dans le cas de la Banque mondiale, l’une des plus importantes sources de financement des projets climatiquement rationnels dans les pays en développement, ses obligations se voient attribuer un triple «ÌýAÌý», ce qui indique qu’elles sont extrêmement sûres et ne comportent que peu de risques. Toutefois, la nécessité d’une plus grande clarté en matière d’utilisation des capitaux levés augmente au rythme de l’expansion du marché. Les institutions internationales finançant les projets de développement, comme la Banque européenne d’investissement (EIB), ont été les premières à se lancer sur le marché obligataire vert en 2007. Un an plus tard, La Banque mondiale s’associait au groupe financier suédois Skandinaviska Enskilda Banken AB (SEB), pour répondre au besoin des fonds de pension scandinaves qui cherchaient à investir dans des produits écologiques à revenu fixe. Depuis lors, la Banque mondiale a continué de mobiliser des capitaux pour des projets visant à atténuer les changements climatiques dans les pays en développement ou à aider les populations à s’y adapter.
À ce jour, la Tunisie a bénéficié d’un prêt de plus de 30Ìýmillions de dollars afin d’encourager une meilleure gestion de l’eau en utilisant plus efficacement les réseaux d’irrigation et d’eau potable du pays, tandis que le Maroc a obtenu des fonds destinés à la construction de la plus grande centrale d’énergie solaire d’Afrique du Nord pour tenter de limiter sa dépendance vis-à -vis du charbon et des autres combustibles fossiles. Jusqu’à présent, la Banque a émis l’équivalent de 8Ìýmilliards de dollars en obligations vertes dans le cadre de plus de 90Ìýtransactions effectuées dans 18Ìýdevises.
Des investisseurs socialement responsables
Les changements climatiques constituent présentement l’un des plus grands défis auxquels sont confrontés les pays développés et en développement, signale la Banque africaine de développement (BAfD), qui a mis sur pied en 2013 un programme d’obligations vertes. En l’absence d’effort concerté pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, renchérit la Société financière internationale, une structure de la Banque mondiale, les températures planétaires pourraient considérablement augmenter au cours de ce siècle. Pour que la hausse de ces températures ne dépasse pas 2Ìýdegrés Celsius, comme l’ont décidé les négociateurs lors de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), des dizaines de milliers de milliards de dollars devraient être investis dans des projets d’énergies renouvelables ces prochaines décennies.
Mark Gunther, chroniqueur et auteur économique pour le magazine en ligne Yale Environment 360, met en doute la capacité des obligations vertes à «Ìýfinancer une révolution d’énergies propresÌý», et se demande en tout état de cause d’où l’argent pourrait provenir. D’une certaine manière, indique-t-il, les obligations vertes sont le dernier exemple d’«Ìýobligations à thème destinées à un usage particulierÌý», en faisant référence aux obligations de la guerre de Sécession de 1862, qui ont permis de financer l’armée américaine, et aux obligations de la Seconde Guerre mondiale vendues à l’époque par des célébrités.
Ce marché brassant annuellement des milliards de dollars semble accroître l’appétit pour ces nouvelles dettes et susciter l’apparition de nouveaux types d’émetteurs, comme Johannesburg. En mars 2014, des sociétés comme Toyota se sont jointes à la mêlée pour financer des prêts personnels destinés à l’achat de voitures hybrides et électriques. Au cours de la même période, la multinationale de biens de consommation Unilever et le groupe énergétique français GDF Suez ont émis des obligations vertes pour financer leurs projets d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables.
Bien qu’il n’existe pas de norme de marché pour définir le terme «ÌývertÌý», Marilyn Ceci, responsable de Green Bonds au sein de JP Morgan, a écrit dans la plate-forme mondiale d’échange des connaissances dénommée Meeting of the Minds, en février 2015, qu’il existait les Green Bonds Principles (GBP), qui font office de directives volontaires concernant la transparence et la divulgation, et qui sont approuvées par les groupes environnementaux, les investisseurs et les émetteurs.
Transparence
Les quatre composants des GBP comprennent la description de l’utilisation du produit des obligations, un aperçu du processus décisionnel concernant la divulgation des critères utilisés pour l’évaluation et la sélection du projet, ainsi que le suivi du produit et le compte rendu au moins mensuel de son utilisation.
La Banque mondiale a tout de suite placé la barre très haut avec sa procédure rigoureuse de sélection, d’approbation, d’évaluation et de compte rendu en six étapes. Les critères d’admissibilité sont vérifiés par les experts du Centre for International Climate and Environmental Research (CICERO) basé en Norvège. Les investisseurs intéressés peuvent consulter le site Internet de l’institution pour obtenir des informations à jour sur les projets, accompagnées de photos, de graphiques et de résumés.
La Banque mondiale applique un «Ìýétalon de référenceÌý» pour la sélection de ses projets. Par exemple, le portefeuille d’obligations vertes de la Banque n’inclura pas de projets nucléaires ou portant sur l’extraction du gaz naturel par fracturation. La majeure partie des projets d’obligations vertes de la Banque sont développés dans des pays à revenu intermédiaire, tels que le Mexique et la Chine, et dans des pays du Maghreb comme l’Égypte, la Tunisie ou le Maroc, dont les projets à faible intensité de carbone battent leur plein.
Les projets mis en Å“uvre en Afrique subsaharienne reçoivent l’appui de l’Association internationale de développement (IDA), le fonds de la Banque pour les pays les plus pauvres, qui accorde au compte-goutte des «Ìýprêts à faible taux d’intérêt, des crédits ou des subventions provenant de bailleurs de fonds plutôt que de marchés de capitauxÌý».
Toutefois, si les pays africains du sud du Sahara ont fait leurs grands débuts sur la scène du marché obligataire international, leur présence sur le marché des obligations vertes n’en est qu’à ses balbutiements. Pour le moment, il semble que ce soit Johannesburg qui donne le ton avec sa cotation de la première «Ìýobligation verte » africaine de la région.