Un pacte de paix porteur d'espoir au Sénégal
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Un pacte de paix porteur d'espoir au Sénégal
Alors que le gouvernement et les dirigeants rebelles se réunissaient à Ziguinchor pour signer un accord de paix mettant fin à l’un des confits civils les plus longs de l’Afrique, ailleurs en Casamance, la région le plus au Sud du Sénégal, la population bénéficiait déjà des bienfaits de la paix. Avec l’appui financier du gouvernement, de la Banque mondiale et d’autres donateurs, quelque 35 kilomètres de routes de campagne reliant 10 localités reculées ont été construites au cours des deux dernières années. Une vingtaine de projets ont été achevés dans le domaine de l’éducation, dont une école normale qui a ouvert à Nyassa en septembre, de même qu’un dispensaire et un centre de production textile et de vêtements. Non loin de là, à Youtou, la construction d’un centre culturel communautaire a commencé. Dans le village de Mpack – autrefois en première ligne de la guerre – un nouveau marché a été construit.
Face à des progrès aussi concrets, M. Mamadou Mbodji, représentant du Forum Civil, organisation non gouvernementale, considère l’accord signé le 30 décembre 2004 comme une transition plus qu’un nouveau début. “Sur le plan économique – ainsi que sur le plan social – la paix est arrivée en Casamance. Même dans la sphère militaire, il y a eu un arrêt des combats. Aujourd’hui, l’accord officialisera cette situation."
Cet accord témoigne d’une volonté politique émanant des plus hauts niveaux des deux camps. Le Président Abdoulaye Wade a assisté à la cérémonie et l’accord a été signé par son ministre de l’intérieur et par le père Augustin Diamacoune Senghor, secrétaire général du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC).
Devant des milliers de personnes manifestant leur enthousiasme, le Président Wade s’est engagé au nom de son gouvernement à négocier les détails d’un accord définitif. Il a promis que 80 milliards de francs CFA (près de 160 millions de dollars des Etats-Unis) provenant du gouvernement et des organismes donateurs seraient affectés aux programmes de reconstruction et de développement de la Casamance, ainsi qu’à la réinsertion des anciens combattants du MFDC.
Le père Diamacoune a demandé à tous les membres et partisans du MFDC de respecter l’accord, qui constitue une renonciation explicite à la violence armée et engage le mouvement à poursuivre ses objectifs par des voies politiques. Ce point a été confirmé par la présence de 99 membres d’Atika, la branche armée du MFDC, portant des tee-shirts ornés du mot “paix”.
“La paix changera beaucoup de choses dans la région, notamment pour l’économie, indique M. Samba Sylla, homme d’affaires de Ziguinchor. Maintenant, la région est asphyxiée sur le plan économique à cause de son isolement. Mais une fois que la paix reviendra, nous pourrons espérer bénéficier de nouveaux débouchés.”
Une guerre sans fin
La guerre de Casamance a été la guerre la plus longue et la plus persistante d’Afrique. Bien qu’elle n’ait jamais pris l’ampleur de nombreux autres conflits de la région, elle a causé d’importantes souffrances à la population de la Casamance, ainsi que dans les régions situées de l’autre côté de la frontière du Sénégal. Les organismes humanitaires estiment que 5000 personnes au total ont été tuées pendant les deux décennies de combats, que plus de 60 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur de leur pays et que des dizaines de milliers de personnes ont cherché refuge dans les pays voisins, la Guinée-Bissau et la Gambie. Un règlement définitif du conflit de la Casamance contribuerait à réduire les tensions dans l’ensemble de la région. La paix a récemment été rétablie en Sierra Leone et de façon plus précaire au Libéria, mais la Côte d’Ivoire reste en proie aux rivalités de forces armées et la Guinée-Bissau, pays voisin, demeure instable sur le plan politique.
L’isolement relatif de la Casamance par rapport au reste du pays a joué un rôle important dans le conflit. Cette région est en effet séparée de la plus grande partie du nord du Sénégal par la Gambie (voir carte). En plus de cet isolement géographique, la Casamance diffère également sur le plan social et ethnique. Près des deux tiers de la population de cette région sont des Diola, tandis que les Wolof, qui sont le groupe le plus important à l’échelle nationale, ne constituent que 5 % de la population de Casamance.
Des aspirations régionalistes existaient avant l’indépendance acquise en 1960. Mais le Président Léopold Sédar Senghor a réussi dans une certaine mesure à les juguler en nommant d’importants Casamançais à des postes du gouvernement. Dans les années 1970, il est devenu plus difficile de créer des emplois publics en raison de l’austérité économique, et de graves sécheresses ont conduit de plus en plus de Wolof et d’autres habitants du nord du pays à émigrer à Ziguinchor et dans les campagnes fertiles de la Casamance. Ces pressions démographiques – venant s’ajouter à une loi de réforme agraire qui remettait en question les droits fonciers traditionnels – ont exacerbé les ressentiments locaux.
La répression à l’origine de la rébellion
En décembre 1982, des centaines de Casamançais, dont de nombreuses femmes, ont manifesté à Ziguinchor. Les autorités ont riposté en procédant à de multiples arrestations. Le Président Wade a reconnu que la répression du gouvernement contre des manifestations pacifiques de femmes était une “erreur” qui avait ouvert la voie aux rébellions ultérieures.
Un an plus tard, une autre manifestation importante a eu lieu à Ziguinchor, les manifestants et le MFDC nouvellement créé réclamant ouvertement l’indépendance de la Casamance. L’armée a répliqué en tirant des coups de feu, tuant environ 24 civils d’après les chiffres officiels, et peut-être beaucoup plus selon d’autres sources. Des centaines de personnes ont été arrêtées.
Les manifestations pacifiques n’étant maintenant plus possibles, un certain nombre de dirigeants du MFDC ayant échappé aux arrestations ont pris le maquis pour commencer à organiser une branche armée du mouvement, Atika (“guerrier” en langue Diola). Ils ont passé la plupart des dix années suivantes à recruter, à former et à acquérir des armes, provenant notamment de caches d’armes abandonnées par l’ancien mouvement de libération de la Guinée-Bissau et d’achats effectués dans la région.
En 1990, Atika a commencé à se livrer à des attaques systématiques des camps et des patrouilles de l’armée sénégalaise. Les forces armées ont répliqué par des déploiements et des rafles de grande envergure. Un calme relatif a été rétabli le long de la frontière avec la Gambie après la signature en 1991 d’un accord de cessez-le-feu avec le Front du Nord du MFDC. Mais des combats ont éclaté sporadiquement ailleurs pendant le reste de la décennie.
L’armée a été accusée par Amnesty International et des groupes locaux de défense des droits de l’homme d’avoir torturé et exécuté sommairement des partisans présumés du MFDC. Les rebelles ont été mis en cause dans des attaques perpétrées contre des civils et dans la pose de mines terrestres qui ont entraîné des centaines de blessures graves et de décès. Du fait de l’insécurité générale, environ 230 villages casamançais ont été abandonnés, tandis que la production agricole et le tourisme se sont considérablement ralentis dans la région.
Lien avec la Guinée-Bissau
Au début, l’un des avantages du MFDC était de pouvoir agir depuis ses bases arrière situées de l’autre côté de la frontière avec la Guinée-Bissau. La présence d’un grand nombre de réfugiés casamançais, ainsi que les liens ethniques et familiaux avec les communautés locales, ont facilité la pénétration du MFDC dans ce pays.
Avec le temps, la présence du MFDC est devenue un facteur déstabilisant en Guinée-Bissau. Lorsque le gouvernement a tenté de limoger un commandant de l’armée accusé d’avoir vendu des armes au MFDC, cela a déclenché en 1998-99 une guerre civile brève mais intense. Alors que les combattants du Front du Sud, organisation radicale du MFDC, ont rejoint les forces de l’opposition, le Sénégal a déployé 2500 soldats en renfort du gouvernement.
Grâce aux efforts de paix régionaux, un semblant de paix a été rétabli en Guinée-Bissau, bien que la situation politique y reste précaire. La fin de la guerre civile a modifié le conflit que connaissait la Casamance, car la plupart des membres du MFDC ont été expulsés de Guinée-Bissau en 2000–01. Ce revers militaire – auquel est venu s’ajouter le recul du MFDC dans l’opinion publique en Casamance – a fini par inciter la plupart des factions du groupe à renoncer aux combats armés.
Entre-temps, le parti d’opposition politique national, dirigé par M. Wade, a gagné les élections présidentielles sénégalaises de 2000. Dans l’un de ses tout premiers discours, le Président Wade a proclamé que la fin du conflit en Casamance serait la “priorité des priorités” de son gouvernement.
Les premières tentatives de négociation du gouvernement avec le MFDC se sont enlisées, en partie du fait de scissions au sein des sections politiques et militaires du mouvement. Mais progressivement, d’autres groupes de la société casamançaise – des femmes, des associations de jeunes, des artistes et des musiciens, des fonctionnaires et des chefs traditionnels – ont commencé à organiser des réunions, des manifestations de rue et d’autres interventions pour exiger des deux camps qu’ils s’assoient à la table de négociations. Cela a poussé divers dirigeants du MFDC à renoncer à la lutte armée et a ouvert la voie à l’accord du 30 décembre dernier.
Du fait de cette mobilisation politique interne, le processus de paix du Sénégal s’est principalement constitué dans le pays même, contrairement à la plupart des autres accords récents conclus en Afrique. Bien que la Guinée-Bissau et la Gambie, pays limitrophes, aient contribué à améliorer les conditions propices à la paix, aucun médiateur extérieur n’est intervenu dans les pourparlers. “Aucun gouvernement ou organisme étranger n’a servi de garant”, commente M. Pape Samba Kâne, rédacteur en chef du journal indépendant Taxi.
Priorité au développement
Bien que le MFDC ait à l’origine revendiqué l’indépendance, M. Robert Sagna, maire de Ziguinchor, a constaté lors de ses discussions avec les rebelles que ces derniers se plaignaient le plus souvent d’être exclus du développement économique et politique de la région et voulaient être “reconnus comme des Sénégalais à part entière”.
A mesure que les accords de cessez-le-feu ont été mis en place, le gouvernement et divers organismes donateurs ont commencé à remédier à la marginalisation relative de la région. Le cabinet ministériel dans son intégralité s’est réuni à Ziguinchor en juillet 2003 – c’était la première fois qu’il se réunissait en dehors de Dakar, la capitale – pour décider de l’allocation d’environ 67 milliards de francs CFA affectés par des organismes donateurs à la reconstruction et au développement de la Casamance. Il a notamment été prévu de bâtir une université régionale et un deuxième lycée à Ziguinchor, de rétablir la liaison par bateau entre la Casamance et Dakar, de remettre en état le réseau routier, de construire un pont sur la rivière de Gambie et de moderniser les deux aéroports locaux, ainsi que d’établir des fonds spéciaux visant à redynamiser les services touristiques de la Casamance et à financer des petites entreprises gérées par des femmes.
Le gouvernement a également encouragé la jeunesse du pays à se porter volontaire pour participer aux activités de reconstruction. Travaillant aux côtés de soldats de l’armée ordinaire, des dizaines de jeunes sont venus en Casamance pour remettre en état l’infrastructure et pour reconstruire des maisons destinées à abriter des personnes déplacées revenant dans la région.
Les rebelles et le reste de la population ont ainsi pu constater les bienfaits concrets de la paix – et les effets positifs de la collaboration avec d’autres Sénégalais pour faire progresser le développement de la région. La plupart des dirigeants du MFDC ne revendiquent plus l’indépendance et semblent maintenant favorables à l’adoption d’un statut politique différent pour la Casamance.
Un mois après la signature de l’accord, les négociateurs du gouvernement et du MFDC se sont de nouveau réunis à l’occasion de la première d’une série de réunions visant à définir les détails d’un règlement complet de la situation. Les deux camps sont convenus de créer des comités composés de représentants du gouvernement, de l’armée et du MFDC, chargés de superviser le désarmement et la démobilisation d’anciens rebelles, ainsi que leur réinsertion dans des activités productives ou au sein de l’armée et de la police. Des progrès ont également été réalisés en ce qui concerne la mise en place de programmes de déminage et le rapatriement des réfugiés et des personnes déplacées.
“Le travail de consolidation, au moyen d’un dialogue continuel, reste à faire, souligne M. Alioune Tine, responsable d’une association nationale des droits de l’homme. Le désarmement, la démobilisation, la rééducation et la réinsertion sociale doivent réussir. Nous devons renforcer tout ce qui détruit l’économie de guerre, en faveur d’une économie de paix. Nous devons faire en sorte que la lueur se transforme en flamme.”