Dette de l'Afrique : une nouvelle urgence
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Dette de l'Afrique : une nouvelle urgence
Il y a de plus en plus de raisons d’espérer que l’année 2005 marquera une étape décisive dans la campagne visant à annuler une grande partie de la dette extérieure de l’Afrique – ce qui aurait été impensable lorsque le mouvement mondial anti-dette a pris forme il y a une vingtaine d’années. “Il est encourageant, ont déclaré des groupes de la société civile lors d’un Forum social africain tenu à Lusaka (Zambie) en décembre, qu’après de nombreuses années de mesures timorées, l’annulation intégrale soit envisagée” dans le cadre du Groupe des huit (G-8), du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale.
Cet optimisme se justifie également par d’autres faits récents, comme la décision d’annuler une partie importante de la dette de l’Iraq ou les appels croissants des dirigeants africains exigeant une solution et la prise de position du Royaume-Uni (qui préside le G-8 en 2005) en faveur d’une annulation pure et simple de la dette.
“On s’accorde de plus en plus à reconnaître que la prochaine étape consistera à annuler la dette à 100 %”, explique le Chancelier de l’Echiquier britannique, Gordon Brown.
Lors d’une réunion des ministres des finances du G-8 organisée en février, les pays les plus riches du monde sont parvenus à un accord de principe visant à annuler jusqu’à 100 % de la dette des pays les plus pauvres. M. Brown a proposé que les pays riches remboursent les sommes que les pays africains doivent à la Banque mondiale et au FMI et que les réserves d’or importantes détenues par le FMI soient vendues pour financer la remise de la dette. Cependant, les principaux pays donateurs ne se sont pas encore accordés sur la meilleure façon de procéder.
M. Brown a également annoncé que le Royaume-Uni rembourserait 10 % des sommes que 32 des pays les plus pauvres du monde doivent à la Banque mondiale et à la Banque africaine de développement afin de les libérer du “carcan de la dette”. Cette décision, qui coûtera 100 millions de livres par an jusqu’en 2015, devrait inciter les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon à faire de même.
Non à l’initiative PPTE
Les groupes de la société civile réunis à l’occasion du Forum social africain ont rejeté toute nouvelle tentative d’arrangement dans le cadre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Cette initiative a été lancée en 1996 pour ramener la dette de 41 pays (dont 34 pays africains) à des niveaux jugés “acceptables”. Mais pour des pays appauvris “ayant du mal à répondre aux besoins de base de leur population, l’annulation pure et simple de la dette multilatérale est la seule solution”, ont déclaré ces groupes. Ils ont instamment demandé aux pays créanciers de supprimer les conditions dont étaient assortis les programmes d’allégement de la dette, comme la privatisation et la libéralisation des échanges, car elles “mettent à mal notre économie depuis trop longtemps”.
L’initiative PPTE a été mise au point par la Banque mondiale et le FMI en vue de réduire de 100 milliards de dollars la dette des pays les plus pauvres envers les créanciers multilatéraux. Il s’agissait de ramener la dette des pays qualifiés à des niveaux “acceptables” : pas plus de 150 % de la valeur des exportations annuelles. D’après les calculs de la Banque, un pays dont le ratio est inférieur à 150 % a suffisamment de recettes à l’exportation pour s’acquitter du service de la dette.
Pour des pays appauvris "ayant du mal à répondre aux besoins de base de leur population, l'annulation pure et simple de la dette multilatérale est la seule solution".”
-- Forum social africain, décembre 2004
Mais huit ans plus tard, il est généralement admis que l’initiative a accordé trop peu de réductions à un nombre trop restreint de pays. Pour l’instant, un tiers environ de la dette a été annulé, mais d’après certaines estimations, l’encours de la dette des pays bénéficiant de l’initiative PPTE est encore de 90 milliards de dollars.
D’après une étude récente de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), les pays ayant bénéficié de l’initiative PPTE verront leurs remboursements augmenter de 2,4 milliards de dollars en 2003 à 2,6 milliards cette année, en partie à cause des méthodes de calcul de l’allégement de la dette utilisées dans le cadre de l’initiative PPTE. Au départ, la réduction de la dette est considérable, mais les obligations augmentent de nouveau lorsque de nouvelles sommes sont empruntées pour assurer le service de la dette existante et financer des programmes de développement de base.
D’après la CNUCED, les projections de recettes à l’exportation servant à établir le niveau de dette acceptable dans le cadre de l’initiative PPTE sont exagérément optimistes. La CNUCED estime qu’un grand nombre des 23 pays africains ayant satisfait aux conditions requises pour participer au programme en 2003 n’atteindront pas, contrairement aux prévisions, des niveaux de dette viables en 2020.
La Banque et le FMI admettent de plus en plus les lacunes de l’initiative PPTE. En 1999, les deux organismes ont essayé de restructurer ce programme en lançant l’initiative PPTE renforcée, l’objectif étant de permettre à un plus grand nombre de pays d’en bénéficier et d’accélérer l’allégement de la dette.
Evolution du débat
Au fil des ans, le débat sur l’allégement de la dette a évolué, quoique lentement, et la nécessité d’alléger la dette est maintenant reconnue par quasiment tous les pays industrialisés. Mais des désaccords subsistent quant à la manière d’y parvenir. Certains sont partisans d’une approche progressive, assortie de conditions rigoureuses, conformément à l’initiative PPTE. D’autres préfèrent une annulation intégrale et sans condition.
Il est généralement admis que la dette de l’Afrique est trop élevée. En pourcentage du produit intérieur brut et des recettes à l’exportation, la dette de l’Afrique – environ 350 milliards de dollars – est la plus élevée de toutes les régions en développement. Ce fort niveau d’endettement freine les investissements des pouvoirs publics en infrastructure et en développement humain, ce qui nuit aux investissements privés.
“L’Afrique a besoin de plus de financements, en plus de la réduction normale de la dette. Ce qu’il faut, c’est une annulation intégrale de la dette et en même temps une hausse considérable de l’aide publique au développement”, déclare M. Alpha Oumar Konaré, chef de la branche exécutive de l’Union africaine. “L’Afrique aujourd’hui a besoin de nouvelles ressources qui ne peuvent plus être fournies selon les vieilles recettes… Nous devons mettre fin à la politique de l’autruche et comprendre qu’il est nécessaire de trouver de nouveaux moyens de gérer la dette.”
Résistance à l’allégement
La Banque mondiale et le FMI restent tous deux opposés aux demandes d’annulation complète de la dette que leur doivent les pays les plus pauvres. Le Président de la Banque mondiale, James Wolfensohn, estime que cette décision ne peut être prise que par les gouvernements des pays riches, qui sont les principaux actionnaires de ces deux institutions.
Le FMI considère généralement que les dettes sont des obligations dont il faut s’acquitter. Le FMI affirme également que l’annulation de la dette pourrait encourager les pays riches à ne plus accorder de prêts et à réduire davantage les budgets de l’aide. La Banque mondiale s’oppose à l’annulation de la dette à cause des effets potentiellement négatifs que cela pourrait avoir sur sa cote de crédit. Annuler la dette reviendrait à reconnaître implicitement que la Banque a commis des erreurs dans sa stratégie de prêts.
Ces deux institutions estiment que l’annulation intégrale de la dette ne serait pas efficace car il n’y a aucune garantie que l’argent ainsi économisé bénéficierait aux destinataires escomptés : les pauvres. Dans un document d’orientation, le FMI avance l’argument selon lequel l’annulation sans condition de la dette augmente le risque que les sommes ainsi libérées soient gaspillées du fait de la corruption, de l’accroissement des dépenses militaires ou de projets irréalistes.
Le Premier Ministre australien John Howard est du même avis : “On ne peut garantir que ce qui est annulé ou ce qui fait l’objet d’un moratoire sera alloué sous forme d’aide, car les dettes ne sont généralement pas dues par ceux qui ont besoin d’assistance.” Elles sont souvent “dues par d’autres organisations et on ne peut garantir que si l’on accorde un moratoire ou si l’on annule la dette, ces sommes seront allouées là où il le faut”.
Certains des opposants à l’annulation intégrale expliquent que cela créerait un “risque subjectif” – en d’autres termes cela favoriserait des comportements risqués en laissant penser aux emprunteurs qu’ils se sortiront d’affaire même s’ils n’adoptent pas de “politiques adéquates”. La Banque mondiale estime qu’un grand nombre de pays lourdement endettés se trouvent dans cette situation en partie en raison de leur incapacité à gérer leurs ressources financières. En revanche, les “tigres” économiques de l’Asie de l’Est, la Chine et l’Inde, ont adopté de bonnes politiques, utilisant leurs emprunts pour réduire considérablement la pauvreté.
L’exemple de l’Iraq
À la fin de l’année dernière, les pays industrialisés ont, à la demande des Etats-Unis, annoncé qu’ils annuleraient une partie importante de la dette que leur devait l’Iraq. Ce pays doit 40 milliards de dollars au Club de Paris, un groupe informel de créanciers, constitué en grande partie d’Etats occidentaux. Cette somme représente environ un tiers de la dette extérieure de l’Iraq. Le nouvel accord du Club de Paris recommande une réduction à terme de 80 % de la dette due à ses membres, ce qui laisserait une dette en souffrance de 8 milliards de dollars.
Certains groupes n’ont pas tardé à citer l’exemple de l’Iraq pour demander qu’un traitement similaire soit accordé à d’autres pays en développement. “Comme l’Amérique l’affirme en Iraq, l’allégement de la dette est essentiel à la stabilité de pays dévastés par la guerre et à la prévention de nouveaux conflits”, explique M. Alan Whaites, directeur des politiques internationales de World Vision. Cette organisation non gouvernementale d’inspiration religieuse a indiqué dans un rapport que, moyennant 84 milliards de dollars, il serait possible d’annuler la totalité de la dette des 16 pays les plus durement touchés par des conflits récents.
Huit de ces pays se trouvent en Afrique subsaharienne. Il s’agit notamment de la République démocratique du Congo, du Rwanda et du Soudan. “Sans allégement de la dette, explique M. Whaites, ces pays resteront enchaînés aux contraintes de la stagnation économique faisant suite aux conflits et ne pourront parvenir à la viabilité”.
Les Etats-Unis ont défendu la cause de l’Iraq car, disent-ils, le pays a accumulé ses dettes sous une violente dictature, et les Iraquiens méritent un nouveau départ. À ce propos, le Président de la Banque mondiale, M. Wolfensohn fait remarquer : “La dette de l’Iraq ayant été allégée, de nombreux pays disent : ‘Nous avons également des dettes prises en charge par des individus qui n’auraient pas dû les prendre en charge.’” Selon eux, si la dette de l’Iraq a été allégée, la leur aussi devrait l’être.
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De l’avis de Jeffrey Sachs, professeur à l’université Columbia, il est “inacceptable” que le Club de Paris autorise une réduction importante de la dette de l’Iraq sans faire de même pour le Nigéria, une démocratie émergente très endettée. La plus grande partie de la dette du Nigéria a également été contractée sous des dictatures ; une proportion importante de la population vit dans la pauvreté et les revenus pétroliers par habitant de ce pays sont nettement inférieurs à ceux de l’Iraq. Comme un nombre croissant de pays africains, le Nigéria ploie également sous le poids de l’épidémie de VIH/sida qui, si elle n’est pas enrayée, risque de faire reculer le pays de nombreuses années sur le plan du développement humain.
“Alors que des pays pauvres se débattent pour faire face à la crise du VIH/sida, la Banque mondiale et le FMI persistent à leur demander de faire passer le remboursement de la dette avant les dépenses consacrées aux programmes de lutte contre le VIH/sida et aux soins de santé”, indique Mme Jakeya Caruthers, du groupe anti-dette Jubilé USA. Elle estime que les politiques instaurées par les donateurs, qui imposent des réductions des dépenses publiques, ainsi que la privatisation des services publics et la suppression des subventions, empêchent les gouvernements de fournir aux pauvres des services sociaux à un coût raisonnable. Conjuguées au service de la dette, ces politiques ”privent les pays africains de leur capacité à faire face au VIH/sida, ajoute-t-elle. Nous exigeons que la dette soit annulée pour lutter contre le VIH/sida.”
Mme Caruthers s’est jointe à un groupe de femmes et de filles qui, lors de la Journée mondiale du sida, ont manifesté devant les bureaux de la Banque mondiale et du FMI à Washington. Vêtues de rouge, elles ont formé une chaîne humaine représentant le symbole de la femme, pour souligner l’impact disproportionné qu’a le VIH/sida sur les femmes dans le monde En Afrique, près de 60 % des personnes séropositives sont des femmes. Les manifestants ont exigé que les sommes que les pays pauvres consacrent au service de la dette soient réaffectées à la santé, l’éducation et la lutte contre le VIH/sida.
En septembre 2004, Jubilé USA a envoyé plus de 600 fax au Trésor américain en signe de protestation et 11 000 cartes à la Banque mondiale et au FMI. Le groupe a également fait parvenir au G-8 une lettre émanant de 250 chefs religieux de premier plan dans laquelle il était demandé que la dette soit allégée.
Refus de payer
M. Sachs a encouragé les pays africains à envisager de tout simplement refuser d’assurer le service de leur dette tant que les pays créanciers ne l’auront pas annulée. “Les créanciers doivent procéder ainsi, sur la base de leurs engagements à long terme, a déclaré en juillet dernier M. Sachs, conseiller spécial du Secrétaire général de l’ONU, à des présidents africains assistant à une conférence sur la faim organisée à Addis-Abeba.
Si les créanciers n’annulent pas la dette, explique M. Sachs, l’Afrique devra choisir : “Devrait-elle sauver ses enfants mourants ou devrait-elle payer ses dettes ? Je pense qu’elle devrait sauver ses enfants. L’annulation unilatérale de la dette est préférable aux morts causées par la dette.” Il recommande aux pays africains qui cesseront d’assurer le service de la dette de garder des registres détaillés et transparents prouvant que l’argent est bien utilisé pour répondre à des besoins urgents de la population, comme des soins de santé.
African Forum and Network on Debt and Development (AFRODAD), une organisation non gouvernementale du Zimbabwe, estime que les pays africains devraient refuser d’assurer le service de la dette pour plusieurs raisons :
• Cette dette est en grande partie “odieuse” – elle provient de prêts contractés par des régimes corrompus ou dictatoriaux comme le gouvernement sud-africain de l’apartheid et le gouvernement zaïrois du défunt président Mobutu Sese Seko.
• Les sommes dues ont atteint des niveaux qui ne sont pas viables, en raison des taux d’intérêt élevés et de pratiques commerciales inéquitables imposées aux produits des pays africains.
• Les dettes dont le service ne peut être assuré sans appauvrir la population d’un pays devraient être considérées comme “immorales” et ne devraient pas être remboursées.
• Une partie de la dette est le résultat de programmes de réforme mal conçus sous la direction des créanciers, notamment des programmes d’ajustement structurel de la Banque mondiale et du FMI.
AFRODAD indique que même après avoir bénéficié de l’initiative PPTE, les gouvernements africains consacrent encore en moyenne 14 dollars par habitant et par an au service de la dette, contre 5 dollars par habitant pour la santé.
Obstacle au développement
Se joignant au débat, la CNUCED a publié en septembre un rapport dans lequel elle incite les créanciers à annuler la dette des pays africains pauvres. Il était noté dans ce rapport, intitulé “Développement économique en Afrique – viabilité de la dette : oasis ou mirage”, que le service continuel de la dette restreint les capacités de ces pays à atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) que s’est fixés la communauté internationale et qui consistent notamment à réduire la pauvreté de moitié d’ici à 2015.
“Le service de la dette à quelque niveau que ce soit est incompatible avec la réalisation des OMD dans de nombreux pays africains”, écrit la CNUCED. Pour que l’Afrique réalise les OMD, “il faut, au minimum, que les taux de croissance doublent pour atteindre de 7 à 8 % par an dans les dix prochaines années – impératifs financiers qui sont incompatibles avec les niveaux actuels et projetés du service de la dette”.
De 1970 à 2002, l’Afrique subsaharienne a reçu en tout 294 milliards de dollars du Nord et a remboursé 268 milliards de dollars au seul titre du service de la dette. Le service de la dette des pays africains constitue “un transfert de ressources inverse en direction des créanciers, provenant d’un groupe de pays qui n’en ont pas les moyens”, lit-on dans le rapport de la CNUCED.
L’organisme des Nations Unies note que même une annulation intégrale de la dette ne suffirait pas à atteindre les OMD mais constituerait pour de nombreux pays africains une première étape sur la voie du rétablissement de la croissance économique.
M. Brown, Chancelier de l’échiquier du Royaume-Uni, est du même avis. “De trop nombreux pays sont encore contraints de choisir entre le service de la dette et les investissements à réaliser dans le domaine de la santé, de l’éducation et de l’infrastructure qui leur permettraient d’atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement, dit-il. Nous devons redoubler d’efforts.”