D'hier à aujourd'hui, regards croisés sur l'indépendance

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D'hier à aujourd'hui, regards croisés sur l'indépendance

Africa Renewal
Afrique Renouveau: 
山Photo / Evan Schneider
Kwame Nkrumah speaking before the United Nations in 1961Kwame Nkrumah lors d'un discours aux Nations Unies en 1961.
Photo: ONU / Yutaka Nagata

LES ANNEES D’INDEPENDANCE

“L'aube d'une ère nouvelle”

Kwame Nkrumah, premier président du Ghana, le 23 septembre 1960, devant l'Assemblée générale des Nations Unies à New York.

L'impact monumental sur le monde moderne du réveil de l'Afrique est un fait majeur de notre époque. La grande vague du nationalisme africain balaie tout sur son passage et se présente comme un défi lancé aux puissances coloniales, afin qu'elles procèdent à une juste restitution, après des années d'injustices et de crimes commis contre notre continent (…)

Des années durant, l'Afrique a été la victime du colonialisme et de l'impérialisme, de l'exploitation et de la dégradation. Du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest, ses enfants ont enduré les chaînes de l'esclavage et de l'humiliation. Pendant ce temps, les exploiteurs et les décideurs autoproclamés de notre destin souillaient nos terres, avec une incroyable sauvagerie, sans pitié, sans honte, sans respect. Ces jours sont révolus et à jamais révolus. Et en ce jour, dans cette auguste Assemblée des Nations Unies, m'adressant à vous, moi, un Africain, porteur d'un message de paix et de liberté, annonce au monde l'aube d'une ère nouvelle (…)

J'estime que les Nations Unies représentent la seule organisation capable de combler nos espoirs pour le futur de l'humanité (…) Les Nations Unies doivent, par conséquent, être à la hauteur de leurs responsabilités en demandant à ceux, qui à l'instar de l'autruche proverbiale, enfouissent leur tête dans le sable impérialiste, de la relever afin d'admirer le soleil flamboyant qui parcourt le ciel de la rédemption de l'Afrique. Les Nations Unies doivent inviter toutes les nations possédant des colonies en Afrique à leur accorder une indépendance totale (…) Aujourd'hui est un jour nouveau pour l'Afrique et, cette année, au moment où je vous parle, treize pays africains ont pris leur place dans cette auguste assemblée en tant qu'États indépendants et souverains (…) Nous sommes désormais vingt-deux dans cette Assemblée et beaucoup d'autres s'apprêtent à nous rejoindre.

“Le dur labeur de chaque citoyen”

Jomo Kenyatta, premier président du Kenya, le 27 mai 1963, après sa victoire aux élections et peu avant l'indépendance.

En ce jour mémorable, qui voit le Kenya entamer la dernière étape avant son accession à l'indépendance, j'en appelle à la coopération de chaque homme et de chaque femme afin de bâtir une nation nouvelle.

Nous avons l'ambition de créer une société juste, dans laquelle chaque citoyen malade aura accès aux soins médicaux. Nous croyons qu'aucun enfant ne devrait être privé d'accès à l'instruction, simplement parce que sa famille est pauvre. Le gouvernement s'efforcera d'en finir avec la pauvreté abjecte dont tant de gens sont victimes parmi nous.

Pour atteindre ces objectifs, nous n'attendrons pas la charité venue de l'extérieur. Nous ne compromettrons pas notre indépendance en quémandant l'aide. Le gouvernement proclamera clairement que nos progrès, notre espoir, nos ambitions seront réalisés grâce au dur labeur de chaque citoyen.

Kenyan President Jomo Kenyatta, addressing a mass rally in 1965Jomo Kenyatta, Président du Kenya, lors d'un rassemblement en 1965.
Photo: Bill Fairbairn

“Honoré et humble”

Edward Frederick Mutesa II, premier président de l'Ouganda, le 9 octobre 1962, discours prononcé lors de l'accession à l'indépendance.

Je suis à la fois honoré et sans prétention (…) d'avoir pu vivre jusqu'à ce jour lors duquel les Britanniques nous ont rétrocédé le pouvoir, au terme de 68 ans de protectorat.

Maintenant que nous sommes indépendants, je vous exhorte tous à consacrer vos talents à la gloire de nos royaumes ainsi qu'à celle de l'État ougandais. Que nos différences d'identités, de religion et de couleur ne constituent pas des barrières devant nous séparer.

“La pauvreté dans la liberté est préférable à l'opulence dans l'esclavage”

Ahmed Sékou Touré, premier président de la Guinée, discours prononcé le 26 août 1958.

Nous préférons la pauvreté dans la liberté à l'opulence dans l'esclavage (...)

Nous ne confondons pas non plus la jouissance de ce droit à l'indépendance avec la sécession d'avec la France, à laquelle nous entendons rester liés et collaborer à l'épanouissement de nos richesses communes (…)

En dehors de tout sentiment de révolte, nous sommes des participants résolus et conscients à une évolution politique en Afrique Noire, condition essentielle à la reconversion de tout l'acquis colonial vers et pour les populations africaines.

“Nous sommes et nous voulons rester français”

Philibert Tsiranana, premier président de Madagascar, discours à l'Assemblée nationale française, 29 mai 1958.

Nous considérons qu'il vaut mieux avoir une indépendance bien préparée, car une indépendance politique anticipée nous conduirait à la dépendance la plus atroce qui soit, la dépendance économique. Nous continuons à faire confiance à la France et comptons sur le génie français pour trouver, le moment venu, une formule comparable à celle du Commonwealth britannique. Car, nous Malgaches, nous ne voudrons jamais nous séparer de la France. De culture française nous sommes, et nous voulons rester français.

“Ta souffrance n'a pas été vaine”

Félix Houphouët-Boigny, premier président de la Côte d'ivoire, discours de l'indépendance, 7 août 1960.

Peuple de mon pays laisse éclater ta joie. Quel peuple plus que toi mérite sa joie. Tu as souffert plus que tous les autres en patience longtemps. Mais ta souffrance n'a pas été vaine. Tu as lutté mais pas inutilement puisque la victoire tu la connais aujourd'hui. Le besoin de dignité que tu portais en toi, le voici enfin satisfait. Tu es libre et avec fierté tu entres dans la grande famille des nations.

“Nous allons faire du Congo le centre de rayonnement de l'Afrique tout entière”

Patrice Lumumba, premier ministre du Congo, discours de l'indépendance du Congo, 30 juin 1960.

Cette indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd'hui dans l'entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d'égal à égal, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier cependant que c'est par la lutte qu'elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n'avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang (…)

Ce que fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions le chasser de notre mémoire. Nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou nous loger décemment, ni d'élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir (…)

La République du Congo a été proclamée et notre cher pays est maintenant entre les mains de ses propres enfants. Ensemble, mes frères, mes sœurs, nous allons commencer une nouvelle lutte, une lutte sublime qui va mener notre pays à la paix, à la prospérité et à la grandeur. Nous allons établir ensemble la Justice sociale et assurer que chacun reçoive la juste rémunération de son travail.

Nous allons montrer au monde ce que peut faire l'homme noir quand il travaille dans la liberté, et nous allons faire du Congo le centre de rayonnement de l'Afrique tout entière. Nous allons veiller à ce que les terres de notre patrie profitent véritablement à ses enfants. Nous allons revoir toutes les lois d'autrefois et en faire de nouvelles qui seront justes et nobles.

Nous allons mettre fin à l'oppression de la pensée libre et faire en sorte que tous les citoyens puissent jouir pleinement des libertés fondamentales prévues dans la déclaration des Droits de l'Homme.

Congolese Prime Minister Patrice Lumumba (left) at the United Nations in July 1960Le Premier ministre du Congo, Patrice Lumumba (à gauche), au siège des Nations Unies en juillet 1960, en compagnie du représentant de son pays à l'ONU, Thomas Kanza.
Photo: Photo ONU / MB

REGARDS
CONTEMPORAINS

“Le vrai bilan des indépendances n'est ni l'échec ni la réussite”

Kä Mana, philosophe congolais. Le Potentiel, Kinshasa, 14 mai 2010.

Ni dans le champ économique, ni dans le champ politique, ni dans le champ social ni même dans le champ de la vraie libération culturelle, rien de vraiment significatif n'est visible cinquante ans après les indépendances. (…)

Une fois cela dit, il faut vite ajouter que seule une lecture superficielle de la situation africaine ferait croire que l'Afrique est perdue. En profondeur, il existe une Afrique de l'espoir qui s'est bâtie au cours des cinq dernières décennies (…)

L'Afrique renaît et ressuscite en profondeur, malgré des signes de surface qui font croire que le continent se meurt (…) Le vrai bilan des indépendances n'est ni l'échec ni la réussite, mais la réussite dans l'échec et l'échec dans la réussite.

“Si les Africains veulent la démocratie, c'est à eux d'en payer le prix”

Achille Mbembe, chercheur camerounais, Le Messager, Douala, avril 2010.

Tant que la logique de l'extraction et de la prédation qui caractérise l'économie politique des matières premières en Afrique n'est pas brisée, et avec elle les modes existants d'exploitation des richesses du sous-sol africain, nous n'irons pas loin. (…)

Ce à quoi il faudrait arriver, c'est à une sorte de "New Deal" continental collectivement négocié par les différents États africains et par les puissances internationales — un "New Deal" en faveur de la démocratie et du progrès économique qui viendrait compléter et clore une fois pour toutes le chapitre de la décolonisation (…)

Si les Africains veulent la démocratie, c'est à eux d'en payer le prix. Personne ne le paiera à leur place. Ils ne l'obtiendront pas non plus à crédit. Ils auront néanmoins besoin de s'appuyer sur de nouveaux réseaux de solidarité internationale, une grande coalition morale en dehors des États — la coalition de tous ceux qui croient que sans sa part africaine, notre monde décidément sera plus pauvre encore en esprit et en humanité.

“Il est possible de progresser rapidement”

Kofi Annan, ancien Secrétaire général de l'ONU, le 19 mai 2010 à Yaoundé au Cameroun, lors de la clôture de la Conférence Afrique 21, marquant le 50e anniversaire des indépendances africaines.

Les changements auxquels nous avons assisté de notre vivant sont énormes. J'ai encore en mémoire le souvenir de l'accession à l'indépendance du Ghana. J'étais alors un jeune étudiant qui du haut de ses dix-neuf ans était plein d'espoir. Cinquante ans plus tard, bon nombre de ces espoirs de jeunesse formulés à Accra se sont réalisés (…)

La décennie écoulée en particulier, a été marquée par de remarquables progrès. Des guerres inutiles et cruelles sont passées à l'histoire. L'accroissement du volume des échanges commerciaux et des investissements locaux et étrangers ont favorisé une croissance économique impressionnante. De nouveaux partenaires ont émergé, la démocratie et les droits de l'homme ont pris racine, la gouvernance s'est améliorée, la société civile s'est renforcée et la révolution agricole démarre au moment òu de plus en plus de gens bénéficient d'opportunités nouvelles (…)

Les défis à venir sont importants (…) Mais les nombreux succès enregistrés ces 50 dernières années ont démontré qu'il est possible de progresser rapidement — même dans les situations les plus difficiles…

Asha-Rose Migiro, 山deputy secretary-generalAsha-Rose Migiro, Vice-Secrétaire générale de l'ONU. "Nous ne pouvons pas ignorer la corruption, le népotisme ou la tyrannie."
Photo: Photo ONU / Eskinder Debebe

“Nous devons, honnêtement, regarder la réalité en face”

Asha-Rose Migiro, Vice-Secrétaire générale de l'ONU, le 18 mai 2010 à Yaoundé au Cameroun, lors de l'ouverture de la Conférence Afrique 21, marquant le 50e anniversaire des indépendances africaines.

Au moment où nous célébrons les réussites, les opportunités et le potentiel de l'Afrique, nous devons également, en toute honnêteté, faire face à la réalité et aux défis auxquels le continent est confronté. Nous ne pouvons pas ignorer la corruption, le népotisme ou la tyrannie. Nous ne pouvons pas permettre que la volonté populaire soit violée par la fraude électorale, les changements anticonstitutionnels de gouvernement ou les manipulations de la loi au profit d'intérêts tapis dans l'ombre. La paix et le développement durable doivent se bâtir sur les fondations solides de la bonne gouvernance.

La bonne nouvelle, chers amis, est que beaucoup de choses sont déjà en train de se faire. Ces évolutions se font notamment par le biais du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD), et son mécanisme africain d'évaluation par les pairs; par le biais de réformes politiques et la mobilisation de ressources disponibles dans les pays africains.

La mauvaise nouvelle est que beaucoup reste à faire en très peu de temps. Des millions de jeunes appellent à l'aide d'un cri vibrant et requièrent une attention immédiate.

“Le combat pour la libération est économique”

Abdoulaye Wade, président du Sénégal, discours prononcé le 4 avril 2010, lors des célébrations de l'indépendance.

En comparant notre pays à certains de l'Asie qui étaient au même niveau que nous à l'indépendance en 1960, nous nous apercevons qu'ils sont allés beaucoup plus vite que nous. Nous devons réfléchir pour comprendre pourquoi. Le combat pour la libération n'est donc pas fini. Il se pose aujourd'hui en termes économiques et se gagne sur le front du développement (…)

Avec ce cinquantenaire de notre indépendance, nous concluons une étape symbolique de l'histoire de notre pays, pour engager un nouveau compte à rebours qui se poursuivra jusqu'au centenaire. Et de notre propre cadence, dépendra le rythme du Sénégal en marche vers ses cent ans (…)

Tous, ensemble, nous devons avoir la claire conscience qu'une dépendance économique prolongée nous mènera, à terme, à l'érosion de notre indépendance politique.

“Les jeunes Africains doivent changer le monde”

Ali Bongo, Président du Gabon, le 18 mai 2010 à Yaoundé au Cameroun, lors de l'ouverture de la Conférence Afrique 21, marquant le 50e anniversaire des indépendances africaines.

Quelle vision de l'Afrique ont les jeunes Africains ? Comment perçoivent-ils les initiatives de développement ? Comment peuvent-ils s'intégrer aux nouveaux enjeux du développement ? (…)

Nous sommes les dépositaires des aspirations de nos concitoyens, de la stabilité politique et de la cohésion sociale. Nous sommes en devoir de ne pas les laisser au bord de la route, au risque de les voir sombrer dans des comportements répréhensibles (…)

La dure et la vraie réalité est que l'Afrique n'a pas suffisamment investi dans le capital humain pour tirer profit du capital que représente sa population juvénile. Dans l'absolu, l'Afrique n'a pas assez investi simultanément dans les TIC, la santé, l'éducation et les infrastructures de transport, les télécommunications, les logements sociaux, l'eau, l'assainissement, etc. La responsabilité est donc plurielle et partagée. Celle des administrations qui ont conçu et mis en œuvre des politiques et programmes désarticulés et sans impact sur les réalités et les spécificités de cette jeunesse. C'est elle qui fait aussi que des jeunes professionnels qualifiés ont préféré expatrier leurs talents plutôt que de servir la patrie, faisant de nos pays, des pépinières de talents pour les pays occidentaux (…)

Le progrès auquel aspirent nos jeunes Africains, c'est-à-dire nos dirigeants de demain, doit être plus que par le passé au cœur des programmes de gouvernants africains que nous sommes (…)

Pour ma part, je reste convaincu que les jeunes Africains peuvent changer le monde et doivent changer le monde (…) Les jeunes en Afrique ont tant besoin que leurs avis et suggestions soient pris en compte par le pouvoir public.

Part of a large crowd in Kinshasa, Democratic Republic of the Congo, this 30 June, celebrating the 50th anniversary of the country's independence.A Kinshasa, en République démocratique du Congo, beaucoup ont assisté aux célébrations du 50e anniversaire de l'indépendance du pays
Photo: Photo ONU / Evan Schneider

“Le travail amorcé par nos aînés n'est pas terminé”

Joseph Kabila, président de la République démocratique du Congo, discours prononcé le 30 juin 2010, lors des célébrations de l'indépendance.

Le cinquantenaire n'est pas un anniversaire ordinaire. C'est un moment particulier d'évaluation, en vue d'un nouveau départ.

Où en sommes-nous donc aujourd'hui, cinquante ans après le 30 Juin 1960?

Il est indéniable que nous avons connu des victoires remarquables. C'est le cas notamment :

  • De la préservation de l'unité nationale et de l'intégrité territoriale;
  • Du rétablissement de la paix à l'intérieur du pays, et avec nos voisins;
  • De la réconciliation nationale;
  • De l'instauration du multipartisme politique et syndical;
  • De la libéralisation des médias et de l'économie;
  • De la transition consensuelle qui a permis des élections libres, transparentes et démocratiques;
  • De la démocratie dans notre pays, encore jeune certes, cependant bien réelle et vivante.

Il est également indéniable que nous avons aussi connu de regrettables ratés, notamment en matière de développement, de progrès social et des droits humains. Comme Nation et comme peuple, nous sommes, quoiqu'à des degrés divers, collectivement responsables de cette relative insuffisance de performance….

Mes chers compatriotes, la liberté, la démocratie et le développement sont des quêtes permanentes. Le travail amorcé par nos aînés n'est pas terminé. Nous avons donc beaucoup de défis à relever….