La bonne gouvernance, clé du progrès
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La bonne gouvernance, clé du progrès
Jamais encore, avant le 27 juin dernier, l'image de la Guinée n'avait été associée à des files interminables de foules enthousiastes massées devant des bureaux de vote. Ce jour là pourtant, 52 ans après l'indépendance et de longues crises politiques, une ambiance festive a régné dans le pays, et pour cause : pour la première fois, des millions de Guinéens choisissaient leur président parmi 24 candidats. Devant les bureaux de vote où ils s'étaient rassemblés en grand nombre, des heures durant, ils firent preuve d'une patience infinie.
"Pendant de longues années, les élections libres ont été une chimère, expliquait ce jour là Abdoulaye Baillo Diallo, collaborateur d'un candidat, à un journaliste du Wall Street Journal. Maintenant, c'est une réalité". Pour sa part, Amadou Diallo, médecin militaire, déclarait au New York Times : "Avant, on savait que les élections étaient décidées d'avance." Cette fois, en revanche, selon divers observateurs, le processus aura été transparent et libre, tournant une nouvelle page dans l'histoire du pays.
De fait, depuis que la Guinée est devenue indépendante de la France en 1958, le pays a été gouverné par des autocrates civils et militaires. Une trajectoire qui reflète une tendance générale sur le continent.
Autoritarismes
Dans les pays où l'indépendance a été le résultat d'une lutte acharnée, les partis et dirigeants nationalistes ont vite gouverné sans partage. En 1964 au Kenya, un an à peine après l'indépendance, l'opposition s'est fondue au sein du parti présidentiel de Jomo Kenyatta, créant un parti unique au pouvoir pendant près de 40 ans.
Au Ghana, le parti de la Convention du Peuple (CPP) de Kwame Nkrumah est devenu parti unique en 1964 et M. Nkrumah "président à vie".
Ailleurs, les autorités ayant hérité du pouvoir suite au départ des puissances coloniales ont supprimé elles aussi, très tôt, les organisations et opinions dissidentes. Au Gabon, le Président Bongo décrète le parti unique en 1968. Il prend fin en 1990. De 1966 à 1990 le Cameroun voisin connaît le même sort.
Peu après les indépendances, face à l'insatisfaction croissante que suscitent des pouvoirs incapables d'améliorer le niveau de vie des populations, les dictatures militaires se multiplient. Au cours de la seule année 1963, trois gouvernements sont victimes de coups d'État, au Togo, au Dahomey (renommé Bénin par la suite) et au Congo-Brazzaville. En 1975, les militaires sont au pouvoir dans près de la moitié des pays du continent.
Entre 1960 et 1990, rares sont les pays africains (comme le Sénégal, Maurice et le Botswana), où des partis politiques d'opposition et la société civile ont droit de cité.
Pour les défenseurs du parti unique, nul besoin de multipartisme puisque les valeurs et institutions démocratiques sont inscrites dans les cultures africaines. Julius Nyerere, Président de la Tanzanie, suggère que la vie familiale africaine repose sur l'égalité, la liberté et l'unité. Selon le Président sénégalais Léopold Sédar Senghor, les conceptions africaines de la démocratie reposent sur la "palabre" ou le dialogue, qui permet à chacun de s'exprimer à tour de rôle. "Une fois que toutes les opinions ont été exprimées, la minorité suit la majorité, donc il y a unanimité."
De plus, ajoutent les défenseurs du parti unique, les systèmes multipartites sont onéreux et inefficaces, compte tenu notamment des nombreux défis auxquels les pays du continent doivent alors faire face. Le pluralisme risque, poursuivent-ils, d'alimenter les divisions et d'entraver les efforts de développement et de construction d'une identité nationale. Le débat public, la critique et les élections sont superflus.
Au fil du temps cependant, l'absence de mécanismes de contrôle populaire facilite les dérives : abus de pouvoir, instauration de régimes despotiques, violations des droits de l'homme et corruption généralisée. Les pouvoirs autoritaires ne tiennent ni leurs promesses de progrès sociaux et économiques ni celles d'unité nationale.
Tournant critique
Au début des années 1990, les mobilisations contre les systèmes autoritaires atteignent leur point culminant. Des foules descendent dans la rue et réclament le droit de parole, des élections libres et des institutions représentatives. C'est de remise en cause du style de gouvernance dont il est question.
"Les Africains demandent essentiellement trois choses, précise en juin 1990 Edem Kodjo, ancien secrétaire général de l'Organisation de l'unité africaine (devenue plus tard l'Union africaine) : la transparence, des dirigeants responsables et la participation au processus politique."
Au lendemain de la chute du mur de Berlin et de la fin de la Guerre froide, la plupart des pays occidentaux sont favorables à la démocratisation. La bonne gouvernance, le respect des droits de l'homme et la lutte contre la corruption deviennent des conditions à l'aide.
Face à la pression, de nombreux régimes ouvrent des espaces démocratiques. En République du Congo, au Bénin et au Zaïre (renommé plus tard République démocratique du Congo), des conférences nationales sont organisées. Pouvoirs en place, société civile, chefs spirituels et oppositions mènent des débats animés comme jamais auparavant. Des élections plus ou moins ouvertes ont eu lieu, parfois dans une ambiance très tendue. En 1992, au plus fort de la poussée démocratique, 32 scrutins présidentiels et législatifs sont organisés sur le continent.
Fin des monopoles
Dans son premier Rapport sur la gouvernance * publié en 2005, la Commission économique pour l'Afrique (CEA) estime que "la culture de l'autoritarisme politique qui s'est traduite par la présence dominante de dictatures militaires et de systèmes à parti unique dans de nombreux pays africains a progressivement laissé la place ces 20 dernières années aux systèmes démocratiques des partis concurrentiels. Le gouvernement n'a plus le monopole sur la conduite des affaires publiques, les populations y participent aussi."
Dans plusieurs pays (dont le Ghana, la Zambie, le Mali et le Bénin) les changements de régime par voie électorale sont désormais courants. Les limites des mandats présidentiels sont respectées, de même que la liberté de la presse. Les violations des droits de l'homme sont moins fréquentes et les partis politiques et la société civile participent aux débats politiques.
En revanche, dans d'autres pays, les élections ne sont pas toujours libres, justes ou transparentes. Les partis majoritaires profitent du contrôle qu'ils exercent sur les ressources gouvernementales et des présidents modifient unilatéralement les dispositions constitutionnelles en vue de se maintenir au pouvoir. Les libertés des médias et les activités de la société civile sont souvent menacées.
Mais même les pays qui n'ont pas connu de changement de régime progressent en matière de gouvernance. En 2008, le Rwanda est devenu le premier pays du monde où les femmes détiennent la majorité des sièges au parlement, avec 56% des sièges.
Difficultés persistantes
En dépit de leur plus grande représentation dans la gestion des affaires publiques, l'influence des femmes sur le fonctionnement des institutions reste modeste. L'accès à la justice demeure coûteux pour la majorité, et les agents des forces de l'ordre sont parfois les pires violateurs des droits de l'homme. Pour la CEA : "les plus graves menaces à la bonne gouvernance ont aujourd'hui pour nom la corruption, la violence et la pauvreté, lesquelles compromettent la transparence, la sécurité, la participation et les libertés fondamentales."
La nécessité de consolider la gouvernance dans la plupart des pays d'Afrique fait l'unanimité. "La bonne gouvernance est essentielle à l'amélioration des performances économiques et à l'accélération du progrès économique", soulignait en mai dernier Abdoulie Janneh, le secrétaire exécutif de la CEA, lors de la conférence internationale de Yaoundé marquant le 50e anniversaire de l'indépendance de certains pays africains.
Cinquante ans après la plus grande vague d'indépendances africaine, le bilan mitigé du continent en matière de gouvernance rappelle la nécessité d'initiatives telles que le Mécanisme africain d'évaluation par les pairs, ** mis en place dans le cadre du Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD). Lancé en 2003, ce mécanisme volontaire examine les progrès des pays participants en matière de gouvernance. À ce jour, 28 pays en sont membres. Onze ont fait l'objet d'examens détaillés, menés par leurs pairs et assortis de recommandations.