CPI: Au-delà des menaces de retrait
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CPI: Au-delà des menaces de retrait
L’année dernière, trois pays africains—le Burundi, la Gambie et l’Afrique du Sud—ont exprimé leur intention de quitter la Cour pénale internationale (CPI) suscitant la crainte que d’autres pays ne suivent.
Après des années de critiques, les pays africains qui s’estiment lésés semblaient prêts à mettre leurs menaces à exécution.
En octobre 2016, le Burundi et l’Afrique du Sud adressaient un courrier officiel au Secrétaire général de l’ONU pour notifier leur décision. Au même moment, la Gambie, un petit pays d’Afrique de l’Ouest, indiqua également qu’elle se retirerait, avant de faire marche arrière presque immédiatement après l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement.
Depuis lors, le retrait tant redouté ne s’est pas concrétisé. Même après que l’Union africaine (UA) a prétendument élaboré une stratégie plaidant pour un retrait collectif. Pour n’avoir pas respecté les procédures, l’Afrique du Sud a été contrainte en mars par un tribunal de Pretoria revenir sur sa décision de retrait.
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« Bande d’inutiles » ; c’est en ces termes que Yoweri Museveni, le Président ougandais, a désigné la CPI, tandis que son homologue rwandais, Paul Kagame, a affirmé que la cour n’a jamais été au service de la « justice, mais de la politique déguisée en justice internationale ».
Le Président Kenyan Uhuru Kenyatta, naguère poursuivi par la CPI, a fustigé le tribunal, cet « outil au service de la politique du pouvoir mondial et non au service de la justice ».
Pour ces mécontents, la CPI aurait pris pour cible les pays africains et ferait preuve d’ingérence. Neuf des dix affaires actuellement en cours impliquent des pays africains.
Fatou Bensouda, procureur de la CPI en charge de l’instruction des crimes relevant de la CPI, à savoir le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les crimes d’agression, a toujours rejeté ces critiques qu’elle considère infondées puisque la plupart des cas ont été initiés par les pays eux-mêmes.
Pourtant, la CPI semble sensible aux critiques et a invité des chercheurs à débattre du sujet sur un forum en ligne.
Malgré toutes ces menaces et invectives, seul le Burundi pourrait quitter la CPI d’ici la fin de l’année.
Les avis sont contrastés. L’UA a adopté une stratégie de retrait massif mais certains pays comme le Nigeria y sont opposés.
« Le Nigeria n’est pas le seul à manifester son désaccord ; le Sénégal, le Cap Vert et d’autres pays rejettent également cette idée, » a déclaré le Ministre nigérian des Affaires étrangères, Geoffrey Onyeama à la fin du sommet de l’UA qui s’est tenu à Addis Abeba en janvier.
« Chaque pays a signé librement et volontairement le traité et si l’un souhaite se retirer, il le fera de la même façon », a-t-il affirmé.
« Quels que soient les problèmes que la CPI pourrait avoir, ce vilipendage est inexcusable » a déclaré Désiré Assogbavi, représentant d’Oxfam International auprès de l’UA.
Dès 1995, Oxfam et un groupe d’organisations de la société civile ont milité avec succès à la tête d’une coalition mondiale pour l’adoption du Statut de Rome en 1998 qui a conduit à la création de la CPI 2002.
« Certes, presque tous les cas devant le tribunal ont été initiés par les pays africains, y compris le premier cas historique de l’Ouganda. [Alors], pourquoi opérer un revirement maintenant et vilipender la CPI ? Quelle hypocrisie ! », s’interroge M. Assogbavi.
En janvier 2004, le président Yoweri Museveni et le procureur de la CPI de l’époque, Luis Moreno Ocampo, ont annoncé lors d’une conférence de presse à Londres que la CPI poursuivait l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) - un groupe rebelle en conflit avec le gouvernement. Peu après, la République démocratique du Congo se joignait aux poursuites, suivie de la République centrafricaine, de la Côte d’Ivoire et du Mali.
Dans le cas du Soudan et de la Libye, la CPI est rapidement intervenue suite au renvoi par le Conseil de Sécurité, tandis que pour le Kenya, les affaires ont été ouvertes à l’initiative du procureur mais avec la coopération totale, au moins initialement, du gouvernement.
Alors, pourquoi fustiger la CPI puisque la majorité des cas ont été ouverts à l’initiative des pays africains ?
Au cœur de cette méfiance réside ce qu’Allan Ngari, Chercheur à l’Institut d’études de sécurité d’Afrique du Sud appelle « la question taboue: l’immunité des chefs d’État. »
Au cours de la brève histoire de la CPI, deux chefs d’État africains en exercice ont été inculpés. Les accusations contre M. Kenyatta, le Président kényan, et son adjoint William Ruto ont été écartées, mais Omar El-Béchir, le Président soudanais, a été inculpé tandis que Laurent Gbagbo, ancien Président de la Côte d’Ivoire, comparaît actuellement.
Le Burundi aurait décidé de quitter le tribunal en signe de protestation contre la décision du Procureur de la CPI d’ouvrir une enquête à l’encontre de ses dirigeants. Yahya Jammeh, alors Président de la Gambie, aurait été motivé par des préoccupations similaires. L’Afrique du Sud avait tenté de se retirer, après avoir été censurée par sa propre Cour pour ne pas avoir exécuté un mandat d’arrêt de la CPI à l’encontre du Président soudanais en visite officielle.
Justice et politique
Les détracteurs soulignent que le Soudan et la Libye ont été renvoyés devant la CPI par le Conseil de Sécurité de l’ONU dont trois des cinq membres permanents (la Chine, la Russie et les États-Unis) ne sont mêmes pas membres de la CPI. Ils font en outre remarquer que le Conseil de sécurité a été moins prompt à renvoyer des pays comme la Syrie devant la CPI en raison de l’opposition marquée de certains de ces pays.
Même les partisans inconditionnels de la Cour, tels que l’ancien Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, partagent certaines de ces critiques. Dans The Guardian, il a déclaré que, « de manière flagrante, seuls deux des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU—le Royaume-Uni et la France— sont signataires du Statut de Rome [et sont donc des membres de la CPI], ce qui amène à penser que la Cour fait du deux poids, deux mesures.». Néanmoins, M. Annan recommande que le continent ne rompt pas avec la CPI qui « demeure la juridiction de dernier ressort la plus crédible du continent pour les crimes les plus graves ».
Ses opinions sont partagées par la majorité des organisations de la société civile en Afrique, qui doutent de la capacité de leurs gouvernements à juger des crimes graves, même si les membres de l’UA prônent la création d’une Cour africaine.
Pour de nombreux observateurs, le risque est que les réformes conduisent à ce que les pays réclament. Dès 2013, le Kenya a demandé à ce que les présidents en exercice ne soient pas inculpés, tandis que l’Afrique du Sud a insisté pour que leur immunité soit respectée.
L’année dernière, après l’échec de l’arrestation du Président soudanais, le gouvernement sud-africain a indiqué que le « principal problème avec la CPI est l’obligation d’arrêter les chefs d’État ». Cette obligation, selon Michael Masutha, Ministre de la Justice, est incompatible avec l’immunité diplomatique.
Même si Pretoria est revenu sur sa décision de retrait, d’anciens juges constitutionnels sud-africains ont continué en mars 2017 de maintenir la pressions auprès du Parlement contre le retrait de la CPI. Zak Yacoob, l’un d’eux formule la question dans les termes suivants : « en rejoignant la CPI, l’Afrique du Sud a fait le choix de dire que certaines violations des droits de l’homme sont tellement abominables, graves et punissables, qu’aucun leader, même chef d’État, ne devrait pouvoir s’en tirer. » Et d’ajouter : « La CPI travaille dans un cadre imparfait. Cependant, les nations influentes telle que l’Afrique du Sud et ses parlementaires, devraient prendre des initiatives visant à améliorer le fonctionnement de la CPI. Cette stratégie ne peut venir que de l’intérieur du système. »