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Bilan d’un demi-siècle d’indépendance

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Bilan d’un demi-siècle d’indépendance

Après l'ivresse de la liberté et les durs défis de la réalité, de nouvelles perspectives s'ouvrent pour un continent au riche potentiel
Afrique Renouveau: 
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United Nations
Cameroon and 16 other African countries celebrate their 50th anniversary of independence this yearLe Cameroun et 16 autres pays africains célèbrent cette année le 50e anniversaire de leur indépendance.
Photograph: ACP Press and Information / Robert L. Iroga

Asha-Rose Migiro avait un aveu à faire. À l'ouverture de la conférence internationale de deux jours consacrée au bilan des 50 ans d'indépendance de près d'une vingtaine de pays africains, en présence des dignitaires locaux et internationaux rassemblés dans la capitale du Cameroun, la Vice-Secrétaire générale de l'ONU, a d'abord avoué qu'elle était trop jeune pour célébrer l'indépendance du Cameroun le 1er janvier 1960. Cependant, a-t-elle poursuivi, évoquant l'indépendance de son propre pays, "je me rappelle clairement la joie dans mon école quand la Tanzanie est devenue indépendante. C'était vraiment des jours grisants pour l'Afrique."

Depuis lors, l'Afrique a connu des réussites notables, a déclaré Mme Migiro. Le continent a produit de grandes figures comme Julius Nyerere et Nelson Mandela ainsi que des millions de "héros et d'héroïnes anonymes" qui consacrent leurs efforts quotidiens à offrir une vie meilleure à leurs enfants.

"Cependant, a ajouté Mme Migiro, tout en célébrant les succès, les opportunités et le potentiel de l'Afrique, nous devons aussi nous pencher sur les réalités et les défis auxquels est confronté le continent." Trop de bébés continuent à mourir en bas âge, trop peu d'enfants trouvent une place à l'école, trop d'agriculteurs ne parvienent pas à apporter leurs récoltes jusqu'au marché et trop d'usines sont immobilisées faute de pièces de rechange, de main d'œuvre qualifiée ou d'investissement, a-t-elle précisé.

Ce bilan en demi-teintes du cinquantenaire de l'Afrique indépendante est typique des réactions que l'événement a inspirées à travers le continent. King Mensah, célèbre chanteur togolais, a déclaré à une chaîne de télévision française, "en 50 ans, il y a eu de bonnes choses, mais il y a encore beaucoup de travail." Il a ajouté que si on ressuscitait son père mort il y a 25 ans, "il pourrait rentrer à la maison sans demander son chemin à personne. Il n'y a pas eu beaucoup de changements ! Ça ne veut pas dire que les politiques n'ont rien fait du tout, mais il y a eu plus de choses négatives que positives."

Erreurs et tâtonnements

Les dirigeants africains eux-mêmes, bien qu'ils mettent souvent l'accent sur les progrès réalisés, ont néanmoins reconnu certains problèmes.

"Des tâtonnements ? Bien sûr, des erreurs ? Sans doute nous en avons faits, mais pouvait-il en être autrement ?" a reconnu le Président camerounais Paul Biya à l'ouverture des travaux de la conférence. Et d'expliquer qu'au lieu d'évoquer : "la faim, les pandémies, la guerre civile, les pressions extérieures et même la corruption pour justifier nos échecs, nous préférons les assumer et dire 'nous avons fait de notre mieux'."

Cette conférence, intitulée "Africa 21 : l'Afrique, une chance pour le monde" marquait le 50e anniversaire de l'indépendance de 17 pays africains, principalement des ex-colonies françaises dont le Cameroun, mais aussi du Nigéria, de la Somalie et de la République démocratique du Congo (RDC). Plus qu'une simple célébration, la conférence de ³Û²¹´Ç³Ü²Ô»åé avait pour but de stimuler la réflexion des dirigeants politiques, des experts universitaires, des représentants de la société civile, des gens d'affaires, et des bailleurs de fonds sur les expériences vécues par le continent ces 50 dernières années — et sur les perspectives d'avenir qui se présentent à lui. Quel que soit le bilan qu'ils tirent de ce passé, la plupart se sont accordés pour affirmer que le continent recèle un énorme potentiel.

Showing the flag at the Independence Day march in Cameroon: President Paul Biya and other leaders note, however, that most African countries remain highly dependent on an international economy over which they have little influence.Des drapeaux brandis bien haut lors du défilé de la fête nationale du Cameroun : le Président Paul Biya et d'autres dirigeants africains notent cependant que la plupart des pays d'Afrique restent fortement dépendants d'une économie internationale sur laquelle ils ont peu d'influence.
Photo: ACP Presse et information / Robert L. Iroga

'Indépendance inachevée'

Pour Kofi Annan, ancien Secrétaire général de l'ONU, l'accession à l'indépendance a provoqué une réorientation fondamentale des pays africains. "Libérés du contrôle des capitales européennes, ils ont cherché leurs propres méthodes de gouvernement et leurs propres orientations politiques et ont forgé leurs identités nationales. Un grand nombre de ces pays ont fait d'énormes efforts pour développer des économies fonctionnelles et des systèmes politiques qui donnent la priorité aux besoins de leurs propres citoyens, plutôt qu'à ceux de consommateurs éloignés."

Certains participants à la conférence ont cependant remis en question la portée de ces changements. La plupart des économies africaines reposant toujours en grande partie sur des financements extérieurs et sur les revenus des matières premières, les rapports commerciaux restent ceux qui avaient été développés pendant la période coloniale. Le Président Biya a remarqué qu'avec la mondialisation, en Afrique "les économies nationales sont toujours soumises aux fluctuations d'une économie mondiale sur laquelle les gouvernements ont peu d'influence."

"Formellement, les États [africains] ont accédé à la souveraineté internationale en 1960," analysait l'historien sénégalais Ibrahima Thioub dans le quotidien français Le Monde. "Mais ce changement juridique ne signifie pas la fin de la colonisation, c'est à dire d'une exploitation économique doublée d'une soumission à une autre culture."

Si le Royaume-Uni, la Belgique et le Portugal ont tous maintenu des relations commerciales et politiques développées avec leurs anciennes colonies africaines, les liens conservés par la France sont restés plus serrés et ont suscité de nombreux commentaires.

Les sommets franco-africains organisés annuellement par Paris depuis un quart de siècle et dont le plus récent s'est tenu en juin à Nice symbolisent ces liens. Jusqu'en 1989, la France entretenait 15 000 soldats sur des bases en Afrique. Ce chiffre est tombé à 10 000 au cours des 20 années suivantes.

Dans son discours du 4 avril marquant la fête de l'indépendance, le président sénégalais Abdoulaye Wade notait que de nombreux jeunes de son pays, mais aussi des officiers de l'armée n'appréciaient pas la présence d'une base française sur la péninsule du Cap Vert près de Dakar. Ils la considéraient comme le signe d'une "indépendance inachevée," a-t-il ajouté avant d'annoncer sa fermeture prochaine. Propos vite suivis d'effet puisque, depuis le 9 juin, la base est sous contrôle sénégalais.

Waiting for treatment at a hospital in Sudan: Improvements in health care have extended Africans' average life expectancy in most countries, despite the ravages of AIDS.Des patients attendent dans un hôpital au Soudan : les améliorations dans le domaine de la santé ont entrainé la hausse de l'espérance de vie dans la plupart des pays africains malgré les ravages du sida.
Photo: Photo ONU / Fred Noy

Améliorer la gouvernance

À ³Û²¹´Ç³Ü²Ô»åé, le Président Biya a insisté sur les difficultés survenues peu après les indépendances. Il y avait peu de fonctionnaires compétents, peu d'officiers au sein des armées, peu de cadres qui revenaient au pays après leurs études à l'étranger. Dans ce contexte, édifier les nouveaux États "n'a pas été… une tâche aisée."

Pour le philosophe congolais Kä Mana, depuis toujours, pour les populations du Congo (ex-Zaïre), le pouvoir colonial belge était synonyme de violence. Elles espéraient que l'indépendance mettrait fin à cette situation. Malheureusement, le nouvel État congolais fut immédiatement la proie de nouvelles violences, de mouvements sécessionnistes à base ethnique, de mutineries de l'armée et de rivalités politiques avivées par les compagnies minières étrangères et les affrontements de la Guerre froide. Depuis l'assassinat en 1961 de Patrice Lumumba, Premier ministre visionnaire, des années de dictature et deux guerres civiles qui ont causé plusieurs millions de victimes, le peuple congolais n'a guère connu la paix. C'est "la violence qui a dominé les cinq décennies de notre indépendance".

Ailleurs en Afrique, troubles politiques, guerres, régimes autoritaires civils ou militaires se sont succédés également.

Au début des années 1990, lorsque le continent a été balayé par les mouvements en faveur de la démocratie, beaucoup ont parlé de luttes pour la "seconde indépendance" . Depuis lors, la plupart des pays africains ont adopté une forme ou une autre de multipartisme et des systèmes électoraux qui offrent aux peuples la possibilité de choisir présidents et parlementaires. Pour de nombreux participants à la conférence de ³Û²¹´Ç³Ü²Ô»åé, cette évolution est un des succès les plus notables des 50 dernières années. Ils jugent que ces développements placent l'Afrique dans une meilleure position pour affronter les défis auxquels elle fait face.

Cependant, des intellectuels africains estiment que ces récentes évolutions démocratiques affectent davantage la forme plutôt que le fond. Pour Achille Mbembé, universitaire camerounais réputé : "dans la plupart des cas, les Africains ne sont toujours pas à même de choisir librement leurs dirigeants. Trop de pays sont toujours à la merci de satrapes dont l'unique objectif est de rester au pouvoir à vie."

À la conférence de ³Û²¹´Ç³Ü²Ô»åé certains commentaires étaient tout aussi sévères. "L'Afrique a été libérée — au niveau des États. Mais dans de nombreux pays les peuples n'ont pas été libérés parce qu'ils n'ont pas obtenu le droit d'être maîtres de leur destin et de vivre dans une démocratie." C'est ce qu'a relevé l'Égyptien Mohamed ElBaradei, ancien directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique et lauréat du Prix Nobel de la paix en 2005.

M. Annan a indiqué de son côté que malgré l'amélioration au cours de la dernière décennie du système de gouvernance en Afrique, "il y a encore un long chemin à parcourir. Il y a encore trop de cas de corruption, d'accaparement des ressources par les élites, d'inégalités croissantes de richesse et de chances de promotion sociale, de fraudes électorales et d'adhésion sélective au principe de l'état de droit." L'amélioration de la gouvernance est donc, a-t-il poursuivi, la mesure la plus cruciale pour faire avancer la situation sur le continent. "C'est avec des gouvernements énergiques et une bonne gouvernance que l'on changera le cours des choses."

Student in Malawi: The continent’s future lies with its youth.Des étudiants du Malawi : l'avenir du continent est dans les mains de sa jeunesse.
Photo: Photo ONU / Evan Schneider

Progrès et potentiel

La plupart des participants à la conférence ont aussi pris note de ces progrès, malgré un environnement international défavorable. Jean Ping, le président de la Commission de l'Union africaine, s'est déclaré lui-même "résolument optimiste." Après tout, a-t-il fait remarquer, 50 ans "c'est à la fois beaucoup et peu," et il a fallu à d'autres pays et d'autres régions bien plus longtemps après leur indépendance pour obtenir des résultats tangibles.

Les statistiques démontrent que l'Afrique a réalisé des gains notables : en 1960, l'espérance de vie atteignait à peine 42 ans. En 2007 elle avait progressé à 55 ans malgré les ravages récents du sida. La mortalité infantile est passée de 153 décès pour 1 000 naissances à 82. En 1960, peu d'enfants africains allaient à l'école. Des efforts ont été faits en faveur de l'éducation malgré les dures contraintes financières des années 1980 et 1990. Grâce à l'initiative "Éducation pour tous", le taux de scolarisation dans le primaire est passé de 58 % en 1991 à 77 % en 2006 et le taux d'inscription à l'université a doublé.

Ces améliorations sont significatives au vu de la très forte progression qu'a connue la population africaine. On estime qu'il y avait 280 millions d'Africains sur le continent en 1960. Aujourd'hui, note Mme Migiro, on en compte un milliard, "dont plus de la moitié ont moins de 25 ans."

Cette relative jeunesse du continent pose de sérieux défis que le président du Gabon, Ali Bongo, a souligné dans son discours. "Quelle vision de l'Afrique pour les jeunes Africains ? " s'est-il interrogé. Les pays africains n'ont jusqu'à présent pas assez investi dans le développement humain — notamment dans l'éducation et la formation professionnelle — ni dans la création d'emplois susceptibles d'empêcher le départ à l'étranger de jeunes Africains qualifiés et talentueux. Leur énergie et leurs talents peuvent aider à transformer l'Afrique, a insisté le Président Bongo. De plus, a-t-il ajouté : "les jeunes Africains peuvent et doivent changer le monde."

Les femmes doivent également obtenir une place plus centrale, a précisé Mme Amina Hassane Wangari du Niger, présidente du West Africa Businesswomen's Network. Elles sont au cœur du développement du continent et peuvent être, selon elle, au cœur de la démocratie africaine si elles parviennent à des postes de responsabilité plus importants.

Les dirigeants africains doivent faire plus pour le développement de leur pays, a déclaré le cardinal ghanéen Peter Kodwo Appiah Turkson, au nom du pape Benoît XVI. Selon lui, l'adoption par les dirigeants africains du Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) qui a pour but de faire naître un continent "d'Africains et d'Africaines confiants en eux-mêmes" a constitué un grand pas en avant dans cette direction.

"L'Afrique a un potentiel illimité," a encore affirmé Mme Migiro. En plus de ses populations jeunes et talentueuses, elle possède des richesses minières immenses, 40 % du potentiel hydroélectrique non exploité dans le monde et de "vastes ressources géothermales et solaires inexploitées."

En raison de sa richesse, l'Afrique a vu son importance géostratégique augmenter sur la scène mondiale, a souligné M. Annan. Elle attire davantage l'attention des investisseurs et fait mieux entendre sa voix dans les débats internationaux, comme l'a prouvé le Sommet de Copenhague sur les changements climatiques en décembre 2009 ou les discussions entre les pays industrialisés et les pays en développement du Groupe des 20. "Avec un quart des États de la planète et un milliard d'habitants, a indiqué M. Annan, l'Afrique est un géant endormi qui s'apprête à s'éveiller."