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Chirurgie réparatrice, une solution pour les femmes excisées

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Chirurgie réparatrice, une solution pour les femmes excisées

De nouveaux progrès susceptibles de donner aux femmes une vie plus normale
Jocelyne Sambira
Afrique Renouveau: 
Alamy/Celia Mannings
A patient in Sierra Leone awaiting surgery to correct fistula, a condition often  caused by FGMEn Sierra Leone, une patiente attend une intervention chirurgicale destinée à corriger une fistule obstétricale, anomalie pathologique souvent causée par les MGF.
Photo: Alamy/Celia Mannings

Tonte Ikoluba était âgée de 13 ans lorsque sa grand-mère est venue au domicile familial pour l’exciser. Elle s’en souvient comme si c’était hier. Sa grand-mère la réconfortait en lui disant de ne pas s’inquiéter. Il était important pour elle d’accomplir ce rite, lui disait-on. Elle deviendrait ainsi une femme respectable et augmenterait ses chances de se marier un jour.

« J’ai fermé les yeux très fort et essayé de rassembler tout mon courage », a-t-elle confié. Elle voulait attendre encore un peu, mais sa grand-mère et une autre femme l'ont maintenue en place.

Tonte n’aime pas parler de ce jour-lĂ . Le souvenir est trop douloureux. Elle avait peur. Avant elle, sa soeur avait subi la mĂŞme intervention et elle avait tellement saignĂ© qu’on avait dĂ» lui faire une transfusion sanguine dans un hĂ´pital malien.Ěý

La mutilation gĂ©nitale fĂ©minine ou excision (MGF) est ainsi dĂ©finie par l’Organisation mondiale de la ł§˛ą˛ÔłŮĂ© : « Toute intervention chirurgicale consistant Ă  enlever totalement ou partiellement les organes gĂ©nitaux externes de la femme ou Ă  leur causer d’autres lĂ©sions pour des raisons non mĂ©dicales. »Ěý

La MGF/E est une coutume millĂ©naire qui, selon les communautĂ©s qui la pratiquent, constitue un Ă©lĂ©ment indispensable Ă  la bonne Ă©ducation d’une jeune fille. Selon l’Organisation mondiale de la ł§˛ą˛ÔłŮĂ©, environ 140 millions de jeunes filles et de femmes dans le monde vivent actuellement avec les sĂ©quelles de mutilations sexuelles. En Afrique, quelque 92 millions de jeunes filles de 10 ans et plus ont Ă©tĂ© mutilĂ©es sexuellement, ajoute l’Organisation.Ěý

Les conséquences sur la santé

Cette pratique entraîne des répercussions immédiates et durables sur la santé, explique Marci Bowers, une gynécologue de San Mateo en Californie. De nombreuses femmes, comme Tonte, souffrent des années durant après avoir été excisées, à cause des cicatrices et des infections fréquentes. La douleur est incessante, explique Tonte. Elle a 35 ans et est toujours célibataire, poursuit-elle, parce qu'elle ne supporte pas l'idée que quelqu’un la touche « en bas ». Pas même un médecin.

Le docteur Bowers a dĂ©clarĂ© Ă  Afrique Renouveau que pour ses patientes, la douleur constitue le principal problème. La plupart d'entre elles ont subi la forme de mutilation la plus extrĂŞme : l’infibulation, c’est-Ă -dire l’ablation du clitoris et la suture des lèvres de façon Ă  recouvrir le vagin. Seul un petit orifice est laissĂ© pour la miction, les menstrues, l’accouchement et les rapports sexuels.Ěý

Le docteur Bowers est une chirurgienne qui pratique la « chirurgie reconstructive » sur ses patientes. Elle répare le vagin et le clitoris, permettant ainsi à ces femmes de mener une vie plus normale. « Le tissu cicatriciel qui se forme autour du clitoris et le recouvre cause des sensations très désagréables. Mais pour les femmes infibulées, si l’on divise l'infibulation, le passage de l’urine et du sang menstruel se fera normalement pour la première fois depuis l’incision. Et elles ont la possibilité d’avoir des rapports sexuels ou d’enfanter sans une bande de constriction qui les en empêche. »

Elle explique que l’opération est efficace à 100 % pour soulager la douleur des patientes. « Le soulagement qu’elles ressentent est une des raisons pour lesquelles ces femmes sont heureuses d'avoir été opérées. »

Les progrès en chirurgie

La chirurgie rĂ©paratrice pour les patientes ayant subi une MGF/E existe depuis longtemps. Mais ce n’est qu’en 2004 que la technique de chirurgie rĂ©paratrice du clitoris a Ă©tĂ© mise au point par un urologue français, le Docteur Pierre Foldès. Elle consiste Ă  inciser le tissu cicatriciel, mettre Ă  nu les nerfs enfouis en dessous et greffer un nouveau tissu. Cette intervention permet de rĂ©duire les douleurs rĂ©siduelles chroniques associĂ©es Ă  la MGF/E, de retrouver une sensibilitĂ© clitoridienne et mĂŞme parfois d’atteindre l’orgasme.Ěý

Au Burkina Faso, où le Docteur Foldès a formé plusieurs chirurgiens, l’opération est proposée depuis 2006. Antérieurement, en 2001, le Gouvernement a financé et mis en place une chirurgie génitale réparatrice plus générale, indique le Comité national de lutte contre la pratique de l'excision. Dans le même temps, afin de proposer à plus grande échelle la chirurgie réparatrice du clitoris, sept chirurgiens de Dakar (Sénégal) ont récemment suivi une formation auprès du docteur Foldès et du docteur Abdoul Aziz Kassé, un oncologue sénégalais.

Le docteur Bowers a elle aussi été l’élève du docteur Foldès et effectue aujourd'hui le même travail bénévolement. Elle va opérer Tonte Ikoluba gratuitement et elle s'est en outre engagée à verser elle-même pour cette cause autant d’argent qu’elle recevrait de dons. En collaboration avec la Campagne de lutte contre les mutilations génitales féminines (CAGeM), un réseau international, elle contribuera à proposer cette intervention chirurgicale à un grand nombre de femmes en Afrique. L’organisation a été fondée en 1998 par un groupe de femmes médecins en Afrique, en réponse au taux élevé de mortalité infantile et maternelle dans les communautés pratiquant les MGF/E. Elle intervient également à New York, les États-Unis connaissant une progression de cette pratique du fait de flux migratoires en provenance de ces communautés.

La CAGeM fait actuellement construire un hôpital à Port Harcourt, dans le sud du Nigéria. Baptisé le Restoration Hospital, il sera ouvert à toutes les patientes de l'Afrique de l'Ouest et cette chirurgie réparatrice y sera gratuite. « Nous avons déjà 400 femmes sur liste d’attente. En outre, nous formons les médecins locaux afin qu’ils puissent continuer à opérer gratuitement lorsque nous partirons », explique le docteur Aberie Ikinko, directeur de la division américaine de l’organisation.

La plupart des femmes africaines n’ont pas les moyens de financer cette opération et ne peuvent pas non plus voyager aussi loin. Le docteur Ikinko a expliqué à Afrique Renouveau que des fonds sont levés à New York en vue d’envoyer des fournitures pour l’ouverture de l’hôpital. La CAGeM espère que le Restoration Hospital sera aussi en mesure d’offrir d’autres traitements gratuits aux femmes, notamment des opérations de la fistule obstétricale, anomalie qui se développe au cours d'une dystocie de plusieurs jours, souvent causée par la MGF/E.

Une campagne pour le changement

Lors de l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations Unies en septembre 2012, une rĂ©union de haut niveau a appelĂ© Ă  un engagement plus prononcĂ© et Ă  une action concertĂ©e de la part des gouvernements pour mettre un terme Ă  la pratique des MGF/E. Une rĂ©solution portant sur l’intensification de la lutte menĂ©e Ă  l’échelle internationale pour en finir avec les MGF/E a Ă©tĂ© approuvĂ©e pour la première fois, avec l’appui de la Première dame du Burkina Faso, Chantal CompaorĂ©. Celle-ci espère que les pays africains la ratifieront et s’approprieront la proscription de ce rite.Ěý

Après deux dĂ©cennies d’efforts mondiaux tendant Ă  faire cesser cette pratique, beaucoup de communautĂ©s acceptent dĂ©sormais ce changement. Pour la seule annĂ©e 2011, près de deux mille communautĂ©s Ă  travers l’Afrique ont renoncĂ© Ă  cette coutume, selon un rapport du Programme conjoint pour l'accĂ©lĂ©ration de l'abandon de la pratique des MGF/E. Mis en place en 2008 par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance et le Fonds des Nations Unies pour la population, ce programme vise Ă  encourager le changement au moyen d’une approche respectueuse de la culture et des droits de l’homme qui incite Ă  l'abandon collectif de la pratique.Ěý

Les prĂ©cĂ©dentes stratĂ©gies qui considĂ©raient le rite comme « barbare » ouĚý «ĚýrĂ©trograde » avaient engendrĂ© le ressentiment ainsi qu’une rĂ©action nĂ©gative de la part des communautĂ©s locales. Au lieu de mettre fin aux MGF/E, de telles campagnes avaient poussĂ© les adeptes Ă  simplement accomplir ce rite clandestinement et les avaient dissuadĂ©s de consulter des mĂ©decins, mettant ainsi la vie des jeunes filles en danger. Dernièrement, les efforts de sensibilisation ont plus particulièrement mis l'accent sur l’aspect Ă©ducatif. Les militants ont choisi de prĂ©senter les MGF/E comme un problème de santĂ© publique et ont fait valoir les consĂ©quences prĂ©judi-
ciables, voire mortelles, pour les jeunes filles et les femmes.Ěý

Bien que l’on espère de nouveau dĂ©sormais que la pratique soit interdite, peu d’attention avait Ă  ce jour Ă©tait accordĂ©e aux solutions offertes aux nombreuses jeunes filles et femmes ayant dĂ©jĂ  subi ces mutilations. La possibilitĂ© d’une chirurgie rĂ©paratrice est par consĂ©quent une aubaine pour des jeunes femmes comme Tonte. «ĚýIls m'ont enlevĂ© une part de fĂ©minitĂ© », dĂ©clare-t-elle.Ěý« Je me sens dĂ©munie, je veux Ă  nouveau me sentir entière. »