Afrique du Sud : une décennie de liberté
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Afrique du Sud : une décennie de liberté
Il y a dix ans, la première élection démocratique en Afrique du Sud mettait fin à l'un des systèmes de domination raciale le plus vilipendé dans le monde. Les représentants de la majorité africaine opprimée du pays accédaient pour la première fois au pouvoir. Alors que de nombreux Blancs craignaient de voir les nouvelles autorités se venger, le gouvernement du Président Nelson Mandela s'est engagé sur la voie de l'unité et de la réconciliation nationales.
"Nous avons choisi la voie qui semblait impossible à emprunter," a déclaré le 27 avril 2004, dixième anniversaire de l'élection historique, M. Thabo Mbeki, l'actuel Président. "Choisir une autre voie aurait condamné l'ensemble de notre peuple, Blancs et Noirs, à un conflit sanglant et catastrophique. Nous sommes fiers que chaque jour maintenant, les Sud-africains noirs et blancs découvrent qu'ils sont, après tout, gardiens les uns des autres."
Si la démocratie se consolide davantage et les tensions raciales se réduisent dans la vie politique, l'Afrique du Sud n'a toutefois pas encore réussi à surmonter les profondes disparités sociales et économiques. L'écart entre les nantis et les démunis demeure énorme, reconnaît le Président Mbeki ; il existe en fait deux économies "sans passerelle les reliant". Surmonter l'héritage politique du système haï de l'apartheid s'est révélé plus facile que trouver remède aux injustices économiques et sociales qu'il a léguées.
Avancées politiques et sociales
L'Afrique du Sud s'est dotée d'un système politique très ouvert et inclusif. Le pays dispose d'une large presse indépendante et virulente, la liberté d'association politique est largement respectée et on peut librement critiquer les dirigeants et leur demander des comptes. Pour de nombreux défenseurs des droits de l'homme, la constitution du pays, rédigée à l'issue de longs débats publics, est l'une des plus progressives au monde.
Malgré une histoire particulièrement violente, l'Afrique du Sud a traversé sa première décennie de liberté "sans connaître de conflit racial violent", faisait remarquer l'African national Congress (ANC), parti au pouvoir, dans une déclaration à l'occasion de l'anniversaire.
Des efforts conscients ont été également entrepris pour promouvoir la participation des femmes à la prise des décisions. Lors de la troisième élection générale après l'apartheid qui a eu lieu le 14 avril -- et que l'ANC a remportée avec une majorité de 70 % des suffrages -- la proportion de femmes parlementaires a légèrement augmenté, passant de 30 % à 33 %. Seulement 10 autres pays dans le monde enregistrent un taux plus élevé. Le nouveau gouvernement compte 21 femmes ministres et vice-ministres, soit 41 % du total. L'ANC a également désigné des femmes pour occuper quatre des neufs postes de premier ministre de province.
Lorsque l'ANC accédait au pouvoir en 1994, sa plateforme électorale comprenait l'ambitieux Programme pour la reconstruction et le développement, qui définissait des réformes sociales et économiques profondes en faveur de la majorité noire pauvre. Ce programme a par la suite perdu la place de choix qu'il occupait dans le cadre d'orientation politique du gouvernement et les promesses se sont révélées plus difficiles à tenir qu'on ne l'avait pensé au départ. Il n'empêche que lors de la présentation annuelle du budget au Parlement le 18 février, le Ministre des finances, M. Trevor Manuel, a pu relever quelques réalisations obtenues au cours de la dernière décennie:
- 1,6 million d'habitations construites ;
- 700 nouveaux dispensaires construits et 212 mis à niveau ; 215 dispensaires mobiles mis en place ;
- Approvisionnement en eau potable pour 9 millions de personnes de plus;
- Le nombre de bénéficiaires de prestations sociales est passé de 2,9 millions à plus de 7,4 millions ;
- 56 000 salles de classe ont été construites ;
Les effectifs scolaires ont augmenté de 1,5 million (passant à 12 millions), le nombre de filles et de garçons étant sensiblement égal.
"Toutefois," a poursuivi M. Manuel, "nous reconnaissons que la vulnérabilité reste profondément ancrée et qu'elle est exacerbée par le chômage croissant et les sombres vestiges de la dislocation et de l'exclusion sociales du passé."
Le sida et la faible croissance économique
Du fait de l'aggravation de l'épidémie du VIH/sida, il est devenu plus difficile de surmonter ces "sombres vestiges". Déjà latente il y a dix ans, la crise est depuis devenue un drame national. L'Afrique du Sud enregistre l'un des taux de prévalence du VIH les plus élevés en Afrique et dans le monde. En 2001, un adulte sur cinq était infecté, soit au total 4,7 millions de personnes, sans compter 250 000 enfants séropositifs. Quelque 360 000 Sud-africains sont morts au cours de cette seule année et le nombre d'orphelins du sida est passé à 660 000. D'ici à 2005, l'espérance de vie sera tombée à 47 ans, alors qu'elle était de 60 ans il y a dix ans.
Dans le budget de 2004, quelque 2,1 milliards de rand (300 millions de dollars E-U) ont été alloués aux programmes de lutte contre le VIH/sida, y compris l'approvisionnement en antirétroviraux. Cela étant, de nombreux militants en faveur de l'action contre le sida et autres observateurs ont critiqué le gouvernement, accusé de n'avoir pas agi plus tôt et de manière plus décisive pour trouver remède au problème.
De manière générale, la croissance économique a été plus faible qu'on ne l'escomptait. Au milieu des années 90, le gouvernement prévoyait que, pour réaliser les ambitieux objectifs sociaux et économiques, le produit intérieur brut devrait enregistrer une croissance annuelle moyenne de 3,8Ìý%. Or, M. Manuel a indiqué en février que la moyenne réelle de la dernière décennie n'a été que de 2,8Ìý%.
Le Ministre des finances a fait observer que l'économie sud-africaine subissait fortement les contrecoups de l'économie mondiale, qui se "caractérise par une croissance singulièrement irrégulière." Force est de constater en particulier que les économies d'Europe occidentale -- principaux partenaires commerciaux de l'Afrique du Sud -- continuent d'enregistrer un taux de croissance annuelle de moins de 1Ìý%.
Le secteur privé national n'a pas non plus été aussi dynamique que prévu. S'il est vrai que l'investissement privé sud-africain s'est accru au cours de la dernière décennie, il demeure toutefois à un faible niveau -- environ 16Ìý% du PIB, contre près de 30Ìý% au milieu des années 70.
Chômage et pauvreté
La faible croissance et la modicité des investissements ont contribué à l'augmentation du chômage. Selon les estimations du Congress of South African Trade Unions (COSATU), le plus grand syndicat du pays, jusqu'en 1999, quelque 330 000 emplois ont été perdus dans le secteur privé, essentiellement en raison de fermetures d'usines et de compressions du personnel. Par ailleurs, indique le COSATU, la politique gouvernementale de privatisation de certaines des plus grandes entreprises du secteur public a entraîné la suppression de 170 000 emplois supplémentaires.
Avec l'arrivée sur le marché de dizaines de milliers de nouveaux demandeurs d'emploi chaque année, le taux de chômage officiel ne cesse d'augmenter. Entre 1996 et 2002, il est passé de 33Ìý% à 41,8Ìý%.
D'importants acquis ont été enregistrés, pour ce qui est de surmonter les inégalités passées sur le marché du travail, où les salaires des travailleurs blancs étaient souvent plusieurs fois supérieurs à ceux des travailleurs noirs, peut-on lire dans le Rapport sur le développement humain 2003 pour l'Afrique du Sud, publié au début de l'année par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Toutefois, poursuit le rapport, "les possibilités d'emploi demeurent des plus faibles et ne peuvent donc permettre de renverser, voire de ralentir la tendance à un chômage massif."
Le plus alarmant, indique le rapport du PNUD, c'est que la pauvreté et les inégalités de revenu ont augmenté. Environ 21,9 millions de Sud-africains, soit 48,5Ìý% de la population, se retrouvent maintenant au-dessous du seuil de pauvreté national.
Evoquant une enquête sur le revenu des ménages effectuée en 2000, le PNUD indique dans son rapport que la part des ménages africains dans le dernier cinquième de la pyramide des revenus est passée de 29Ìý% à 33Ìý% entre 1995 et 2000. Dans le même temps, la part des ménages blancs dans le premier cinquième est passée de 60Ìý% à 66Ìý%. En outre, fait observer le PNUD, on assiste à "une polarisation croissante du revenu dans tous les groupes raciaux," en particulier parmi les Africains et ceux dénommés métis et indiens.
Reconnaissant le danger que ces disparités pourraient un jour poser pour l'Afrique du Sud, le gouvernement s'emploie à y porter remède. C'est ainsi qu'il a prévu dans le budget de 2004 de nouveaux crédits substantiels pour des programmes de travaux publics, le perfectionnement des compétences, la formation professionnelle et la formation de capital industriel.
La Ministre des travaux publics, Stella Scagau, a indiqué vers la fin de mai que le programme de travaux publics du gouvernement, d'un coût de 15 milliards de rand, visera à mettre en place des infrastructures essentielles et, ce faisant, à créer un million d'emplois nouveaux. Le gouvernement entend, à long terme, augmenter les taux de croissance et d'investissement en général de sorte à pouvoir réduire de moitié le chômage d'ici à 2014. En outre, le gouvernement s'est engagé à accélérer la distribution des terres aux Africains pauvres des zones rurales et à procéder plus prudemment à la privatisation des entreprises publiques.
Le Secrétaire général du COSATU, Zwelinzima Vavi, s'est félicité du "récent changement d'orientation" opéré dans la politique économique générale du gouvernement, qu'il a jugée comme étant un facteur qui a milité en faveur du soutien de la fédération syndicale à l'ANC pendant l'élection générale d'avril.
"On ne peut résoudre aucun des graves problèmes sociaux auxquels nous faisons face sans créer d'emplois et sans réduire, voire éliminer la pauvreté," a déclaré le Président Mbeki.Ìý