Renforcer l’épargne intérieure en Afrique
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Renforcer l’épargne intérieure en Afrique
Et si les riches africains décidaient d’investir leurs revenus en Afrique plutôt qu’en dehors du continent ? Et si les 80 % d’Africains qui n’ont pas de compte en banque avaient accès aux services financiers du secteur bancaire conventionnel ? Et si les gouvernements africains investissaient leurs revenus nationaux de manière productive ? “Les taux d’épargne augmenteraient considérablement et l’Afrique pourrait peut-être satisfaire ses besoins en ressources financières et au-delà”, répond Samuel Gayi, économiste principal pour l’Afrique à la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) de Genève.
La capacité des pays africains à financer une plus grande part de leurs besoins de développement à partir de leurs ressources intérieures, “leur donnerait la flexibilité indispensable pour formuler et mettre en œuvre des politiques adaptées” pour répondre aux défis du développement, orienter leurs ressources vers les secteurs à haute priorité tout en “renforçant la capacité de leurs Etats”, affirme le rapport 2007 de la CNUCED intitulé : Le Développement Économique en Afrique, Retrouver une marge d’action: La mobilisation des ressources intérieures et l’État développementiste.
On estime que l’Afrique perd chaque année des centaines de milliards de dollars à cause de la fuite des capitaux, de la fraude fiscale, du rapatriement des profits par les sociétés multinationales et du montant élevé du remboursement de la dette extérieure. Mais simultanément, le large “secteur informel” de l’économie possède des ressources financières considérables qui ne sont pas déposées sur des comptes en banque et qui ne passent pas non plus par d’autres canaux du secteur financier traditionnel.
Malgré cela, jusqu’à très récemment la plupart des conférences et des sommets internationaux qui se penchaient sur le financement du développement économique et social de l’Afrique s’occupaient généralement des moyens de mobiliser de plus importantes ressources extérieures. Cela est en train de changer. Mais les flux de l’aide publique au développement (APD) restent volatiles, et comme le note le rapport de la CNUCED “une dépendance excessive vis-à-vis des flux de capitaux étrangers” rend ces pays vulnérables aux chocs externes. De plus, la part du total mondial des investissements étrangers directs (IED) de la région est restée basse.
Un fonds panafricain
En conséquence, les gouvernements africains se préoccupent de plus en plus de mieux mobiliser leurs ressources intérieures. Au sommet de l’Union africaine tenu en juillet 2007 au Ghana, les dirigeants du continent ont lancé une initiative destinée à exploiter les ressources locales pour financer le développement des infrastructures africaines. Le Fonds panafricain de développement des infrastructures (PAIDF) qui rentre dans le cadre du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), le plan de développement du continent, cherche à trouver des ressources principalement auprès des fonds de pension publics et privés et des sociétés de services fiduciaires de l’Afrique.
Le PAIDF investira directement dans les grands projets d’infrastructure africains : énergie, réseau routier, informatique et télécommunications, adduction d’eau. Il investira aussi dans le capital de sociétés propriétaires d’infrastructures ou d’équipements similaires, ou qui en contrôlent, en assurent le fonctionnement ou la gestion. Firmino Mucavele, à l’époque directeur du secrétariat du NEPAD à Pretoria en Afrique du Sud, déclarait que l’objectif était d’investir dans les projets qui généreront des rendements importants.
En juillet 2008, le fonds s’est fixé l’objectif de recueillir 1 milliard de dollars dont environ 625 millions avaient été obtenus à la date de son lancement. Les actionnaires potentiels du PAIDF sont des fonds de pension régionaux réputés, tels que la société d’investissement public (Public Investment Corporation) sud-africaine qui détient des actifs de plus de 90 milliards de dollars, et des fonds similaires du Nigeria, du Ghana, de Namibie et du Botswana.
Jusqu’ici, les gestionnaires des fonds de pension africains publics et privés qui cherchaient à obtenir sécurité et rendements élevés, investissaient une grande partie de leurs ressources dans des sociétés et des valeurs mobilières à l’extérieur de l’Afrique, contribuant ainsi à la sortie des capitaux du continent. En essayant de diriger une petite portion de ces flux financiers vers l’intérieur, ainsi que par d’autres initiatives parallèles, les gouvernements africains tentent aujourd’hui de renforcer l’épargne nationale sur le continent.
De faibles taux d’épargne
L’Afrique subsaharienne a le taux d’épargne le plus bas du monde en développement. Bien que les chiffres varient d’un pays à l’autre, selon les estimations de la Banque mondiale l’épargne intérieure brute de la région se situait en moyenne en 2005 à 18 % du produit intérieur brut (PIB), contre 26 % en Asie du Sud et presque 43 % en Asie orientale et dans les pays du Pacifique.
Dans certains pays, ce taux est même à la baisse. L’Afrique du Sud représente à elle seule presque 40 % du PIB de l’Afrique subsaharienne, mais malgré cela en 2006 le taux d’épargne intérieure brute est tombé à 13 %, contre 26,7 % au début des années 1980.
En Ouganda, le taux d’épargne n’est que de 10 % du PIB. Japheth Katto, directeur de l’Autorité des marchés financiers du pays, a déclaré récemment que ce taux ne s’améliorerait pas dans un avenir proche “à moins que des efforts concertés soient faits pour accroître le rayon d’action du secteur financier."
Bien que quelques pays aient atteint des taux d’épargne plus élevés, le fonds de l’affaire est que le taux d’épargne de la région “n’est pas compatible avec les besoins d’investissement de 25 % du PIB nécessaires pour réduire la pauvreté d’ici à 2015”, soutient Jean Thisen, haut responsable des affaires économiques à la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), établie à Addis Abeba en Ethiopie.
Les obstacles à l’épargne
Il y a de nombreuses causes à ce faible taux d’épargne en Afrique, dont des services financiers inadéquats. L’éloignement physique des institutions bancaires et des exigences de dépôt et de solde minimum élevés font que la majorité de la population n’a pas accès aux services bancaires. En conséquence, seulement 20 % des familles africaines détiennent un compte en banque.
En Afrique de l’Est, l’Ethiopie, l’Ouganda et la Tanzanie ont tous moins d’une agence bancaire pour 100 000 habitants. Le rapport est meilleur pour certains pays d’Afrique australe ; plus de 4 en Namibie, plus de 3 au Zimbabwe et presque 4 au Botswana.
Les exigences de solde minimum des banques et les frais de tenue de compte sont trop élevés pour de nombreux Africains. Selon un rapport de 2007 de la Banque mondiale, ouvrir un compte au Cameroun exige un dépôt de 700 dollars. C’est une somme supérieure au revenu annuel de nombreux Camerounais.
De nombreuses banques requièrent également une importante documentation pour ouvrir un compte. Au Cameroun, en Sierra Leone, en Ouganda et en Zambie, les banques exigent au minimum quatre documents, dont une carte d’identité ou un passeport, une lettre de recommandation, un bulletin de salaire et une preuve de domiciliation.
Même quand les gens disposent d’un peu d’argent, il peut n’y avoir qu’une faible incitation à épargner. Au Ghana, les intérêts rétribuant l’épargne sont négligeables, alors que les taux d’intérêts annuels sur les prêts vont de 23 à 25 %.
Le faible niveau de l’épargne déposée dans le système bancaire fait que beaucoup de banques n’ont que des fonds limités à prêter. En conséquence, selon les estimations de la Banque mondiale, les entreprises de l’Afrique subsaharienne financent entre la moitié et les trois quarts de leurs nouveaux investissements sur leur épargne propre. Un tel “auto-investissement” peut être productif, mais les spécialistes jugent que les bénéfices non distribués ne sont pas normalement suffisants et que ceci restreint les activités de nombreuses entreprises.
Une épargne qui attend d’être mobilisée
En Afrique, de nombreuses activités économiques se déroulent dans le secteur informel. De nombreux ménages ont des économies, mais “le problème est qu’elles sont conservées sous des formes non financières, a déclaré M. Gayi à Afrique Renouveau, elles ne sont pas suffisamment dirigées vers des investissements productifs."
De nombreux Africains conservent encore la plus grande partie de leur épargne sous forme de bétail, de stocks de marchandises destinées au commerce, de céréales, de bijoux ou de matériaux de construction. Les données sont peu nombreuses, mais certains experts estiment qu’environ 80 % des avoirs détenus par les ménages ruraux d’Afrique le sont sous une forme non financière.
Avoir accès à cette épargne nécessite “l’introduction de nouveaux produits ou instruments financiers qui répondent aux besoins d’épargne des ménages”, estime M. Gayi de la CNUCED. Des produits qui “permettent un accès facile” à cette épargne et autorisent “de petites transactions à intervalles fréquents” encourageraient les ménages à passer au système bancaire conventionnel, rendant ainsi ces avoirs disponibles pour l’investissement productif, affirme-t-il.
En Ouganda, selon une enquête approfondie citée par le Fonds d’équipement des Nations Unies (FENU), au cours des 12 mois de l’étude, les détenteurs de comptes bancaires avaient épargné trois fois plus que ceux qui détenaient leurs avoirs dans les “secteurs semi-formel et informel."
Le FENU notait dans son rapport 2004 qu’au Rwanda environ un demi-million de comptes d’épargne avec livret, dont le montant moyen de dépôts était de 57 dollars, avaient mis près de 40 millions de dollars en circulation en 2001. “Bien que cela puisse apparaître relativement insignifiant, expliquait le FENU, la circulation appropriée de ces fonds sous forme de produits de crédit pourrait avoir un effet démultiplicateur important pour l’économie du Rwanda.”
Réforme bancaire et élargissement de la clientèle
Dans de nombreux pays d’Afrique, gouvernements et banques changent la manière dont ils opèrent. Au Nigeria, une série de réformes du secteur bancaire lancées en 2004 a limité la participation de l’Etat dans les banques et introduit une plus forte concurrence, ce qui a mené au rachat des petites banques par des banques plus importantes et à des fusions.
La filiale de la Standard Trust Bank au Ghana, aujourd’hui United Bank of Africa, a introduit un compte “zéro-depôt” qui permet d’ouvrir un compte sans, dans un premier temps, déposer d’argent, ce qui a multiplié son nombre de clients.
Au Ghana, la libéralisation du secteur financier a introduit une plus grande concurrence et forcé les banques à être plus novatrices et à faire des efforts pour attirer la clientèle. En 2006, Barclays Bank Ghana a commencé à travailler avec des agents susu qui déposent l’épargne collective de leurs mandants à la banque, qui les rétribue et leur accorde des facilités d’emprunt.
Le susu est la plus ancienne forme de collecte de l’argent au Ghana. Dans ce système, un groupe fait une contribution régulière à un fonds commun détenu par un agent percepteur susu. Chaque membre du groupe reçoit à tour de rôle à la fin d’un cycle le total des sommes recueillies pour les investir ou répondre à d’autres besoins. Dans certains cas, l’argent est remboursé aux membres tous les 31 jours, une contribution d’un jour étant perçue pour couvrir les frais du fonds.
Beaucoup de commerçantes des marchés préfèrent confier leur argent à un percepteur susu que de laisser leurs marchandises sans surveillance sur le marché pendant qu’elles vont à la banque. A la différence des banquiers traditionnels, les percepteurs susu passent à l’étal ou à la maison de leurs clients pour recueillir leur contribution quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle, suivant les circonstances. Il n’y a pratiquement pas de formalités pour le client. L’activité de ces agents percepteurs sur des marchés qui sont hors de la portée des banques traditionnelles est fondée sur les rapports personnels, la confiance et différentes formes de garantie.
Le Ghana compte environ 5 000 de ces percepteurs qui ont plus de 2 millions de clients. La banque Barclays collabore aujourd’hui avec 100 de ces intermédiaires et espère en recruter d’autres.
Au Bénin, à la suite de la réforme du secteur financier opérée dans les années 1990, le gouvernement a introduit un programme de caisses d’épargne rurales pour mieux servir les plus pauvres. Le FENU notait dans son rapport 2004 que “l’économie a connu une croissance annuelle de 5 % au cours des cinq dernières années à la suite de ces interventions.” Il ajoutait qu’une bonne politique financière et la mise en place de systèmes d’épargne sûrs et accessibles amélioreraient le taux d’épargne et que des investissements intérieurs accrus stimuleraient la croissance de l’économie.
Pour accroître l’épargne, “la réglementation bancaire doit être adaptée pour encourager les institutions de microfinance qui ont les capacités de mobiliser légalement les économies de leurs clients ou du grand public”, déclare M. Thisen de la CEA.
Le retour des caisses d’épargne postales
Pendant des décennies, les gouvernements ont utilisé leur réseau postal extensif pour mobiliser de petits montants d’épargne et fournir des services financiers de base dans les zones rurales et urbaines. Récemment, les réformes du secteur financier de nombreux pays africains ont élargi l’offre de produits présentés par ces banques postales.
La caisse d’épargne de la poste kenyane, fondée en 1978, fournit toute une gamme de services et constitue un système bancaire évolué. L’année dernière, la “Banque postale”, nom qui lui est communément attribué, a recueilli 12 milliards de shillings kenyans (1 dollar U.S. = 68,7 shillings kenyans) de l’épargne nationale et a réalisé des bénéfices de 174 millions de shillings, principalement par l’investissement des fonds ainsi recueillis. Les directeurs de cette caisse d’épargne pensent que ces recettes pourraient encore être améliorées par la poursuite de l’expansion de la caisse et une diversification de ses produits et services. La caisse cherche à faire amender la loi sur la caisse d’épargne postale pour pouvoir offrir des prêts et des facilités de crédit aux personnes à faibles revenus et aux microentreprises.
L’Institut mondial des caisses d’épargne estime que le nombre de comptes d’épargne postaux dépasse dans certains pays celui de tous les comptes de dépôt détenus par les banques ordinaires. La caisse nationale d’épargne postale du Bénin gérait en 2001 environ 360 000 comptes d’épargne, par comparaison aux 162 000 des banques traditionnelles. Au Kenya en 2003, le nombre de comptes postaux atteignait presque celui des comptes de dépôt bancaires.
Selon Hugues Kamewe, un conseiller financier de l’Institut, les caisses d’épargne postales ont un rôle vital à jouer dans l’infrastructure économique et sociale des pays d’Afrique où la majorité de la population économiquement active n’a pas accès aux banques traditionnelles.
La contribution des nouvelles technologies
Les récents développements technologiques de la téléphonie mobile peuvent aider à améliorer l’accès des plus pauvres aux services financiers, et on l’espère, à mobiliser l’épargne. En Afrique du Sud, en République démocratique du Congo, en Zambie et au Kenya la téléphonie mobile a étendu les services bancaires à des régions éloignées où les banques traditionnelles étaient physiquement absentes ou trop chères. Les abonnés au téléphone peuvent ouvrir un compte, vérifier leur solde, régler des factures ou transférer de l’argent (cf. Afrique Renouveau, janvier 2008).
Bien que peu d’Africains aient un compte en banque, selon l’Union internationale des télécommunications, près de 80 millions ont un téléphone cellulaire. FinMark Trust, un cabinet d’études qui veut rendre les services financiers plus accessibles, rapporte qu’au Kenya et au Botswana 17 % de ceux qui n’ont pas de compte en banque ont néanmoins un téléphone mobile. Au Kenya, 1 million de personnes utilisent le système de paiement par téléphonie mobile M-Pesa.
Viser l’investissement
“Développer l’épargne et s’assurer qu’elle est orientée vers des investissements productifs est essentiel pour la croissance économique”, note le rapport 2005 du Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies intitulé Mobiliser les ressources financières nationales pour le développement. Le rapport affirme que “ces objectifs devraient par conséquent être une préoccupation centrale des décideurs nationaux."
Actuellement cependant, les pays africains n’ont pas la capacité d’orienter efficacement l’épargne nationale vers les investissements productifs à cause de leurs “systèmes financiers peu diversifiés” et d’institutions financières peu performantes, note M. Gayi. Il suggère la mise sur pied de fonds d’investissements à long terme. “Les ressources nécessaires pourraient être mises en commun par un large rassemblement d’opérateurs financiers possédant d’importantes liquidités, comme les compagnies d’assurance, les banques privées ou les fonds de pension."
Quand il y a un boom des matières premières ou des revenus d’exportation plus élevés que prévus, ajoute M. Gayi, “une partie de cette aubaine pourrait être allouée à ce fonds.” “Les politiques qui aident les pays africains à améliorer la mobilisation et l’utilisation de leurs ressources nationales pourraient ainsi profiter à l’économie en général.”