18 novembre 2022
? l’approche de la Journée mondiale des toilettes (19 novembre), la Chronique de l’ONU s’est entretenue avec Jack Sim, Fondateur et Directeur de l’Organisation mondiale des toilettes. M. Sim, plus connu sous le nom de ? Monsieur Toilettes ?, a discuté du r?le important des toilettes et de l’assainissement dans la réalisation du développement durable; de son travail pour améliorer les systèmes d’assainissement; et des progrès réalisés pour atteindre l’objectif visant à garantir que chacun, partout dans le monde, a accès à des toilettes en bon état chaque fois que cela est nécessaire.
Aujourd’hui, 45 % de la population mondiale, soit 3,6 milliards de personnes, n’a pas accès à des toilettes s?res. Pourquoi le manque de toilettes et d’installations d’assainissement de base est-il un problème aussi grave ?
Pendant très longtemps, l’assainissement et l’hygiène ont fait partie de la gestion de l’eau, au nom plus noble. Ce sujet, qui est souvent mis sous le tapis, est littéralement occulté, donc rien n’est fait. J’ai donc demandé aux personnes travaillant dans le secteur du développement pourquoi cette question n’était tout simplement pas abordée. Personne ne veut parler d’assainissement ni de toilettes. Personne ne veut faire de dons pour aborder ce sujet terre à terre. Les gens préfèrent parler de questions plus nobles, comme le changement climatique, les forêts, l’eau, les enfants, les poissons et les animaux.
Trop peu de personnes sont prêtes à parler de l’assainissement de la manière la plus simple. Certaines l’appellent ? la gestion des boues fécales ?, ce qui est difficile à comprendre pour le commun des mortels. Je pense que nous devons l’appeler par son nom. Le fait d’aller aux toilettes doit devenir une chose normale, naturelle, au même titre que manger ou boire. Nous sommes dans le déni et c’est pourquoi les problèmes persistent.
La communauté internationale aborde dorénavant la question de l’assainissement sous un angle différent, car celle-ci fait officiellement partie de l’objectif 6 du programme de développement durable (ODD) prévoyant l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement.
D’après votre expérience, quelles sont les régions les plus touchées par le manque de toilettes et d’installations d’assainissement ?
Les pays du Sud : l’Inde et les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, voire les ?les du Pacifique. J’ai l’impression que la COVID-19 a permis de sensibiliser les populations à l’importance de l’hygiène. Le manque d’hygiène peut vous tuer, même si vous êtes une personne très riche.
J’espère que se laver les mains et être propre persistera après la pandémie. En 2003, le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) a émergé en Asie et tout le monde était attentif à la propreté et à l’hygiène. Un an après, le SRAS avait disparu et le lavage des mains a été négligé. Je pense qu’il faut rappeler à chacun que l’hygiène et l’assainissement permettent de sauver des vies.
尝’ ne traite pas seulement l’accès aux toilettes. Elle aborde aussi le traitement des eaux usées. Où sont-elles acheminées une fois la chasse d’eau tirée ? Au Brésil, par exemple, 50 % des matières fécales ne sont pas traitées. En 2009, nous avons organisé le Sommet mondial des toilettes à S?o Paulo (Brésil) et nous avons fait pression sur le Sénat pour qu’il présente un projet de loi destiné à permettre aux partenariats privé-public de construire des usines de traitement des eaux usées. Gr?ce à cette loi, 10 milliards de dollars, sur un total de 135 milliards de dollars d’investissements étrangers, ont déjà été alloués au traitement des eaux usées dans le pays au cours des trois dernières années. Suite à la modification de la loi, 94 % des usines de traitement des eaux usées appartiennent désormais à l’?tat. Nous espérons que de nombreux autres pays suivront cet exemple.
Cette année, le Sommet mondial des toilettes aura lieu au Nigéria. Le Président nigérien l’inaugurera, et le Ministre des ressources en eau est un champion de l’assainissement. Nous espérons laisser dernière nous une envie de changement et que le Gouvernement nigérien s’attaquera à la crise de l’assainissement. Le Nigéria tient à promouvoir l’hygiène dans le pays. Cette initiative fait suite à Clean India, la campagne menée par le Premier Ministre Modi, gr?ce à laquelle l’Inde a fabriqué 110 millions de toilettes.
Vous étiez un homme d’affaires prospère lorsque vous aviez une vingtaine d’années. Comment avez-vous pris conscience du manque de toilettes et décidé d’agir ?
? 40 ans, j’avais gagné de l’argent et je possédais 16 entreprises. Je n’ai pas fait d’études universitaires, car je n’étais pas bon sur le plan scolaire. Cette décision m’a fait gagner de nombreuses années, ce qui m’a permis de commencer à débuter très jeune dans les affaires.
Avoir 40 ans, c’était comme une mi-temps. J’ai commencé à réfléchir à ma vie. Je me suis dit : ? Jack, tu peux être l’homme le plus riche de ton quartier, mais à quoi bon essayer de gagner plus d’argent alors qu’il ne te reste que 40 ans à vivre avant d’avoir 80 ans ? ?
Je crois que cela m’a fait prendre conscience qu’il n’y avait peut-être pas de limite à gagner de l’argent, mais que notre durée de vie était limitée. J’ai finalement décidé d’utiliser mon temps à rendre service, car rendre service est l’atout le plus précieux.
Je voulais consacrer mon temps à quelque chose que personne ne voulait financer et j’ai décidé de me concentrer sur les toilettes parce que si tout le monde en a besoin, cela doit être une bonne chose. Mais comme c’est un sujet tabou ou peu glorieux de l’ordre du jour, personne ne veut s’en charger et il est négligé. J’ai donc vu une occasion et je l’ai saisie.
Ensuite, je me suis demandé s’il fallait que je parle des toilettes et de l’assainissement en y mettant des formes. Ce sujet est considéré comme indécent, très difficile à aborder, alors je l’ai rendu humoristique. J’ai utilisé une sorte de stratégie de ? guérilla marketing ? appelant l’Organisation mondiale des toilettes l’? OMT ?. Cela donnait l’impression que nous étions l’Organisation mondiale du travail !
Et maintenant vous êtes connu sous le nom de ? Monsieur Toilettes ?.
Oui, ce sont les médias qui ont commencé par m’appeler ? Monsieur Toilettes ?, et c’est resté. Tout le monde a continué à m’appeler Monsieur Toilettes !
J’ai appris que si vous pouvez faire rire, on vous écoutera et vous pourrez présenter les faits sur l’assainissement et l’hygiène. J’aime faire rire; cette fa?on de communiquer me convient donc parfaitement et est un outil idéal pour promouvoir le programme d’assainissement.
尝’Organisation mondiale des toilettes est la voie mondiale de l’assainissement et nous travaillons sans rel?che pour maintenir sa visibilité, car les problèmes à traiter comme la COVID-19, le changement climatique, le cancer et la tuberculose, sont tous en concurrence les uns avec les autres.
Et si nous arrêtons de fournir des informations sur la crise de l’assainissement, le sujet risque de dispara?tre de l’ordre du jour mondial.
Nous avons réussi à ne pas faire mourir le projet gr?ce à la de l’Assemblée générale par laquelle 193 pays ont adopté le 19 novembre, notre date de création, comme . Cela a renforcé la légitimité du programme sur l’assainissement.
Nous travaillons avec les décideurs au niveau national, car fournir des toilettes une par une ne permettra pas de résoudre le problème à grande échelle. Changer la politique gouvernementale fait bouger rapidement les choses.
Nous touchons un public de 2,5 à 3 milliards de personnes avec un budget très limité. Nous n’avons pas beaucoup d’argent, mais nous arrivons à toucher un grand nombre de personnes.
Je me sens privilégié d’avoir eu l’occasion de travailler sur ce projet au cours de ces 21 dernières années sans recevoir de salaire. Je serai toujours là, mais je dois aussi trouver la prochaine génération pour prendre la relève. Je dois faire de notre organisation une institution forte, car la vie des gens est en jeu.
Vous cherchez donc le prochain Monsieur ou la prochaine Madame Toilettes pour continuer le travail.
Il ne s’agit pas d’une seule personne, mais de nombreuses personnes. Nous ne pouvons plus nous permettre d’échouer. Nous avons de nombreux bénévoles dans le monde, mais nous devons transformer notre organisation en une institution.
Y a-t-il un objectif central pour l’Organisation mondiale des toilettes ? Un objectif quantifiable que vous essayez d’atteindre ?
尝’objectif c’est, qu’un jour, dans un avenir proche, tout le monde, partout dans le monde, aura accès à des toilettes propres et s?res ainsi qu’à un système d’assainissement correctement géré, et ce, à tout moment. Cela semble simple, un jour ce sera une évidence, mais aujourd’hui c’est beaucoup de travail.
Que fait l’Organisation mondiale des toilettes sur le terrain dans les pays du Sud ?
Nous travaillons avec les décideurs au niveau national, car fournir des toilettes une par une ne permettra pas de résoudre le problème à grande échelle. Changer la politique gouvernementale fait bouger rapidement les choses. Nous constatons une grande amélioration en Chine et en Inde. Maintenant, c’est au tour de l’Indonésie, du Viet Nam, des pays d’Afrique et d’Amérique latine. Jusqu’ici, je suis allé dans 61 pays – rien que pour voir des toilettes !
Atteindre l’objectif de l’assainissement pour tous est-il aussi une question de financement ? Vous avez mentionné l’importance de la politique gouvernementale, mais le financement est aussi important.
Le financement est utile, car nous devons payer les salaires. En fait, nous n’avons pas beaucoup d’employés; nous avons beaucoup de bénévoles, mais ils ont besoin de coordination.
Le financement permet aussi d’établir des normes. Nous recueillons toutes les normes liées à l’assainissement dans le monde, qui sont compilés dans un dép?t central d’informations afin qu’un chercheur ou un décideur puisse facilement les utiliser comme base d’étude ou de politique.
Cette année, la Journée mondiale des toilettes a pour thème ? Rendre visible l’invisible ?. Le thème de la Journée mondiale de l’eau était similaire. Pouvez-vous expliquer ce que cela signifie, en général, et comment vous l’envisagez ?
Je crois que c’est exactement ce dont nous avons parlé pendant cet entretien. Lorsque les gens refusent d’aborder le sujet des toilettes et de l’assainissement, le problème devient invisible. Notre travail consiste à le mettre sur le devant de la scène.
Demandez-leur d’imaginer ce que serait leur vie sans toilettes, puis dites-leur que des milliards de personnes n’en ont pas. On peut alors commencer à discuter.
Il y a aussi l’idée que les eaux souterraines sont invisibles, ou semblent l’être. Les gens ne pensent pas que leurs toilettes ont un effet sur la qualité de l’eau potable des puits, des eaux souterraines ou de l’eau d’irrigation.
Oui.
Cela correspond bien à l’idée que d’autres personnes pourraient se faire de cette invisibilité, car vous parlez d’une prise de conscience. 尝’assainissement est un sujet dont on ne veut pas parler en public, donc qui est occulté. Vous dites qu’il faut que ce sujet refasse surface. C’est ainsi que les choses se font.
Lorsqu’on n’en parle pas, on évacue le sujet et on l’oublie. Ce problème est donc invisible, mais dès que vous en parlez les sénateurs réalisent qu’il faut faire quelque chose, qu’ils sont d’accord et qu’ils sont prêts à présenter un projet de loi. Comme je l’ai dit précédemment, un projet de loi a été adopté au Brésil. Il a fallu sept mois pour qu’il devienne une loi. Je suis heureux d’avoir joué un r?le dans l’adoption de cette nouvelle loi sur l’assainissement.
Lorsque les gens refusent d’aborder le sujet des toilettes et de l’assainissement, le problème devient invisible. Notre travail consiste à le mettre sur le devant de la scène.
En effet, c’est formidable. Comme nous l’avons mentionné, l’objectif 6 traite de l’eau propre et de l’assainissement. ? votre avis, votre travail sur l’assainissement a-t-il un impact sur d’autres objectifs ?
Oui, sur beaucoup d’objectifs. Mais l’objectif sur la santé (ODD 3 sur la santé et le bien-être) est important, car si un jour vous ou votre enfant tombez malade et que vous ne pouvez pas aller travailler, vous risquez de ne pas être payé pour cette journée. Cela contribue à la pauvreté, une question abordée dans un autre objectif (ODD 1 sur l’éradication et la pauvreté). Avoir des toilettes s?res est également important pour les femmes (objectif 5 sur l’égalité entre les sexes).
尝’assainissement a des effets sur la vie aquatique (ODD 14). Sans pollution, les poissons sont en meilleure santé.
Et il a également des effets sur la sécurité alimentaire (ODD 2 : Faim zéro) ?
Oui, sur la nourriture aussi. Mais si l’on ne peut même pas commencer à aborder le problème des toilettes et de l’assainissement, on ne pourra pas l’améliorer. Je suis donc heureux qu’on y prête attention. La Journée mondiale des toilettes est le moment où nous devons en discuter.
Dernière question : Pensez-vous que les Nations Unies atteindront, d’ici à 2030, l’objectif sur l’assainissement ?
Je pense que c’est un processus très lent. La Covid-10 a empiré la situation et les pauvres souffrent même plus qu’avant la pandémie. Mais même avant, l’ONU aurait eu du mal à atteindre l’ODD sur l’assainissement. Malheureusement, le Programme à l’horizon 2030 est actuellement en perte de vitesse. Nous sommes plus intéressés à dépenser de l’argent pour la guerre en Ukraine.
Il y a donc ces deux facteurs que vous avez mentionnés : la COVID-19 et la guerre en Ukraine. Ils ont vraiment contribué à détourner l’attention des objectifs de développement durable.
Il faut aussi trouver un certain équilibre. Par exemple, si le changement climatique est important, il ne peut pas être le seul point de l’ordre du jour. Il y a d’autres questions urgentes, comme les sans-abri, la faim, l’eau et l’assainissement, l’éducation et les droits fonciers. Nous devons donner la même importance à tous les objectifs de développement durable.
Merci de nous avoir consacré du temps. Nous vous souhaitons le succès dans l’accomplissement de votre t?che importante.
La Chronique de l’ONU ne constitue pas un document officiel. Elle a le privilège d’accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingués ne faisant pas partie du système des Nations Unies dont les points de vue ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Organisation. De même, les frontières et les noms indiqués ainsi que les désignations employées sur les cartes ou dans les articles n’impliquent pas nécessairement la reconnaissance ni l’acceptation officielle de l’Organisation des Nations Unies.
