01 mars 2019

La num¨¦risation progressive du monde a une incidence sans pr¨¦c¨¦dent sur toutes les sph¨¨res de notre vie. Au cours des 20 derni¨¨res ann¨¦es, la technologie a touch¨¦?chaque secteur de la soci¨¦t¨¦?moderne et l'utilisation de la technologie num¨¦rique, en particulier, est devenue partie int¨¦grante de la vie quotidienne. Aujourd'hui, de nombreux services et ressources ne sont accessibles que par des dispositifs num¨¦riques. Les robots et l'intelligence artificielle (IA) transformeront aussi radicalement notre vie, y compris dans la prise en charge des personnes??g¨¦es.?

En m¨ºme temps, le monde fait face?¨¤?une r¨¦volution d¨¦mographique. Dans tous les pays, la proportion de personnes??g¨¦es augmente et on estime que d'ici?¨¤?2050, plus de 20?% de la population mondiale aura 60 ans ou plus. Si cette augmentation sera plus marqu¨¦e et plus rapide dans les pays en d¨¦veloppement, l'Asie est la r¨¦gion qui compte le plus grand nombre de personnes??g¨¦es, l'augmentation la plus forte ayant lieu en Afrique.?

Les personnes??g¨¦es sont souvent per?ues?comme un groupe homog¨¨ne alors qu'en r¨¦alit¨¦, elles constituent le groupe le plus h¨¦t¨¦rog¨¨ne de tous les groupes d'?ge. Certaines seront sans doute en bonne sant¨¦?et en mesure de vivre de?mani¨¨re?ind¨¦pendante?ou autonome tout au long de leur vie. D'autres deviendront de plus en plus tributaires de l'aide d'autrui pour plusieurs raisons comme la maladie, le handicap ou la perte de mobilit¨¦?et n¨¦cessiteront?¨¦ventuellement diff¨¦rents degr¨¦s de soins particuliers. S'assurer que toutes ces personnes seront en mesure de vivre de mani¨¨re autonome dans la mesure du possible, quelles que soient leurs conditions physiques, mentales ou autres, est un domaine o¨´?les?nouvelles technologies, y compris les technologies d'assistance, les applications int¨¦gr¨¦es?¨¤?l'environnement et la robotique pr¨¦sentent un potentiel important.??

Les technologies d'assistance et la robotique peuvent?¨ºtre?utilis¨¦es?dans trois principaux domaines?: aider?¨¤?surveiller le comportement et la sant¨¦?des personnes??g¨¦es; aider celles-ci ou les soignants dans les t?ches quotidiennes; et r¨¦pondre au besoin d'interaction sociale.?

La technologie peut permettre aux machines d'ex¨¦cuter des?t?ches?routini¨¨res?simples, comme apporter des repas et des m¨¦dicaments aux patients. Les dispositifs d'assistance et la robotique peuvent compenser les faiblesses physiques en permettant aux personnes??g¨¦es de s'alimenter, de faire leur toilette, leurs courses ou de se lever de leur lit de mani¨¨re autonome. Ils peuvent accro?tre leur capacit¨¦?¨¤?g¨¦rer elles-m¨ºmes les activit¨¦s du quotidien, telles que les courses ou le m¨¦nage, sans d¨¦pendre des soignants ou des membres de la famille.??

Des milieux de vie intelligents, ¨¦quip¨¦s de capteurs et disposant d'autres applications qui surveillent la sant¨¦?et le comportement des personnes ?g¨¦es et contribuent ¨¤?pr¨¦venir les risques, peuvent leur permettre de vivre de mani¨¨re ind¨¦pendante dans leur propre logement et leur ¨¦viter d'int¨¦grer une structure r¨¦sidentielle. Les bracelets ¨¦lectroniques, l'assistance au moyen d'un syst¨¨me mondial de positionnement, les applications de voyage optimis¨¦es par les technologies et autres solutions accessibles permettent aux personnes ?g¨¦es, y compris celles pr¨¦sentant des troubles cognitifs, de voyager et de se d¨¦placer seules. Les applications ax¨¦es sur la m¨¦moire et la communication peuvent servir la capacit¨¦?cognitive des personnes ?g¨¦es et, par extension, leur autonomie de vie.??

Les robots sont capables d'accomplir des t?ches que les ¨ºtres humains ne peuvent ni ne souhaitent effectuer, ou qu'ils ne peuvent effectuer, aussi bien ou aussi efficacement. L'utilisation de ces machines lib¨¨re le personnel qui pourrait se consacrer davantage aux volets ou aux parties des soins n¨¦cessitant des interactions humaines. ??mesure qu'ils ¨¦voluent, ces robots commencent ¨¤?prendre en charge un nombre croissant de t?ches d'assistance ou de soins m¨¦dicaux et fonctionnent de mani¨¨re de plus en plus autonome. Pour certains, cela pourrait sembler une utopie, mais pour qu'il devienne possible de transf¨¦rer l'autorit¨¦?de la d¨¦cision?de l'homme ¨¤?des algorithmes, il suffit que les performances des algorithmes surpassent les performances moyennes des humains.??

L'application de la technologie d'assistance et de la robotique touche in¨¦vitablement ¨¤?l'exercice par les personnes ?g¨¦es de leurs droits fondamentaux, notamment leur dignit¨¦?et leur autonomie, leur autod¨¦termination au moyen de l'information, la non-discrimination ¨¤?leur ¨¦gard et l'¨¦galit¨¦?avec les autres. Le recours progressif?¨¤?ces technologies pr¨¦sente un immense potentiel, mais rec¨¨le aussi des difficult¨¦s et des ambig¨¹it¨¦s concernant leurs droits fondamentaux. Cette question n¨¦cessite une r¨¦flexion plus pouss¨¦e et,?¨¤?termes, des mesures pour faire en sorte que leurs droits fondamentaux soient efficacement prot¨¦g¨¦s, aujourd'hui et ¨¤?l'avenir.??

??l'heure actuelle, on ne trouve aucune r¨¦f¨¦rence expresse au droit aux technologies d'assistance dans les Principes des Nations Unies pour les personnes ?g¨¦es, ni dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ni dans le Pacte international relatif aux droits ¨¦conomiques, sociaux et culturels. En l'absence d'un instrument particulier relatif aux personnes ?g¨¦es et bien qu'elles ne soient pas applicables ¨¤?toutes les personnes ?g¨¦es, les dispositions de la Convention relative aux droits des personnes handicap¨¦es fournissent quelques indications en ce qu'il y est reconnu l'importance de l'acc¨¨s aux technologies d'assistance.??

L'ancienne Haute Commissaire aux droits de l'homme, Navi?Pillay, ainsi qu'un nombre croissant d'?tats, consid¨¨rent qu'il est n¨¦cessaire de passer des principes aux droits et d'envisager l'¨¦laboration d'un instrument multilat¨¦ral juridiquement contraignant pour?¨¦tablir des normes et des obligations universelles en ce qui concerne les droits fondamentaux des personnes??g¨¦es.?

Cr¨¦¨¦?en 2010 par l'Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale, le Groupe?¨¤?composition non limit¨¦e sur le vieillissement est charg¨¦?d'examiner le cadre international en vigueur des droits fondamentaux des personnes??g¨¦es afin d'y d¨¦celer?d'¨¦ventuelles lacunes et de trouver les moyens de les combler, notamment en?¨¦tudiant, le cas?¨¦ch¨¦ant, la possibilit¨¦?de mettre en??uvre d'autres instruments et d'autres mesures. Cette ann¨¦e, pour la premi¨¨re fois, le Groupe de travail a consacr¨¦?ses d¨¦bats sur des domaines sp¨¦cifiques o¨´?l'exercice?par les personnes??g¨¦es des droits fondamentaux pourrait?¨ºtre affect¨¦?et n¨¦cessite une meilleure protection.?

Lors de sa prochaine session en?2019,? le?Groupe continuera de?mener?des d¨¦bats interactifs sur les?¨¦l¨¦ments normatifs. Les deux domaines sur lesquels il concentrera son attention?¨C?l'autonomie et l'ind¨¦pendance ainsi que les soins palliatifs?¨¤?long?terme?¨C?seront transform¨¦s par la num¨¦risation progressive. Ce sera une occasion d'¨¦tudier plus avant les?¨¦l¨¦ments de fond d'un droit?¨¤?l'aide?¨¤?la vie quotidienne des personnes??g¨¦es.?Pr¨¦sent¨¦?en 2017 au Conseil des droits de l'homme1, le rapport de l'Experte?ind¨¦pendante?consacr¨¦ ¨¤?l'incidence des technologies d'assistance et de la robotique, de l'intelligence artificielle et de l'automatisation sur les droits fondamentaux des personnes??g¨¦es sera pris en compte parmi d'autres?¨¦l¨¦ments lors de ces d¨¦bats normatifs.?

L'autonomie est un th¨¨me central des discussions relatives aux technologies d'assistance et ¨¤?la robotique pour les personnes ?g¨¦es. Elle englobe aussi le droit de refuser une certaine forme d'assistance, telle que celle d'un robot. Avant d'obtenir le consentement d'une personne, il est imp¨¦ratif de lui fournir des informations simples et pr¨¦cises sur la technologie utilis¨¦e afin qu'elle puisse?¨¦valuer les risques et les avantages associ¨¦s aux technologies.?

L'emploi de technologies d'assistance et de la robotique aura une incidence importante et sans ¨¦gale sur le droit ¨¤?la vie priv¨¦e, ¨¤?savoir la protection des donn¨¦es personnelles, et sur l'autod¨¦termination en mati¨¨re d'information. Les informations recueillies lorsque des personnes ?g¨¦es recourent ¨¤?des technologies d'assistance et ¨¤?la robotique seront particuli¨¨rement sensibles, car elles se rapportent ¨¤?la sant¨¦?de personnes, ¨¤?leurs choix de vie, ¨¤?leurs convictions politiques, philosophiques et religieuses ainsi qu'¨¤?leurs habitudes sexuelles. Cela peut concerner les personnes ?g¨¦es elles-m¨ºmes, mais aussi leurs soignants, les membres de leur famille et leurs amis.??

Le droit ¨¤?l'autod¨¦termination en mati¨¨re d'information, tel qu'il est d¨¦fini par la Cour constitutionnelle f¨¦d¨¦rale allemande, fait partie du droit g¨¦n¨¦ral de la personnalit¨¦?d'un individu et de sa dignit¨¦, et il conf¨¨re ¨¤?l'individu le pouvoir de d¨¦cider quand et dans quelles limites des faits concernant sa vie personnelle peuvent ¨ºtre?divulgu¨¦s2. Afin de comprendre les cons¨¦quences qu'ont les robots autonomes pour le droit ¨¤?l'autod¨¦termination en mati¨¨re d'information, il convient d'¨ºtre conscient des fa?ons dont les donn¨¦es sont et seront utilis¨¦es par les robots de soins. Le cadre normatif existant, tel que l'article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui ¨¦nonce le principe relatif ¨¤?la r¨¦duction?du nombre de donn¨¦es utilis¨¦es, continue de fournir des orientations essentielles ¨¤?cet ¨¦gard,?m¨ºme si les robots et l'intelligence artificielle ont, par d¨¦finition, besoin de grandes quantit¨¦s de donn¨¦es pour fonctionner correctement.??

L'emploi des technologies d'assistance et de la robotique peut soit renforcer la dignit¨¦?des personnes??g¨¦es, soit la compromettre. Il doit donc faire l'objet d'un examen rigoureux et ne peut pas remplacer les soins humains. La mesure dans laquelle il est judicieux de recourir ¨¤?une machine plut?t qu'¨¤?un ¨ºtre humain variera en fonction des circonstances, de la t?che en jeu et de la personne. Fond¨¦?sur une approche ax¨¦e sur les droits de l'homme, le soutien devrait ¨ºtre un moyen d'ouvrir de nouvelles perspectives et non pas une m¨¦thode visant ¨¤?maintenir la personne dans un ¨¦tat stable. Les technologies d'assistance devraient entretenir les capacit¨¦s humaines et renforcer la dignit¨¦?humaine. Ces objectifs devraient ¨ºtre?int¨¦gr¨¦s d¨¨s le stade de la conception des dispositifs d'assistance et de la robotique et jusqu'¨¤?leur application.??

Si la plupart des technologies d'assistance et nombre des robots utilis¨¦s actuellement sont des syst¨¨mes automatis¨¦s qui agissent selon?un?sc¨¦nario?pr¨¦alablement?programm¨¦, la gamme des nouvelles technologies qui voient le jour fonctionnent de mani¨¨re bien plus autonome, et vont des syst¨¨mes qui sont encore supervis¨¦s par l'homme aux robots enti¨¨rement autonomes gr?ce ¨¤?l'intelligence artificielle, capables de d¨¦cider en toute ind¨¦pendance et de fa?on dynamique s'il y a lieu d'ex¨¦cuter?une t?che ainsi que du moment et de la fa?on de proc¨¦der.??

L'approche fond¨¦e sur les droits de l'homme doit donc ¨ºtre?int¨¦gr¨¦e au stade de la conception des technologies d'assistance. Une telle conception garantit que la technologie ne d¨¦consid¨¦rera?pas les personnes ?g¨¦es et qu'elle tiendra compte de leurs diff¨¦rents besoins et pr¨¦f¨¦rences, en accordant l'attention voulue aux groupes?vuln¨¦rables, y?compris?¨¤?ceux qui ont des besoins importants en assistance, aux personnes handicap¨¦es sur le plan cognitif ou autre, et aux???immigrants???de?l'¨¨re num¨¦rique, notamment. Il est n¨¦cessaire de continuer ¨¤?rechercher des m¨¦canismes appropri¨¦s de responsabilisation et de surveillance concernant les technologies d'assistance et, en particulier, les robots, afin que ces m¨¦canismes prennent en consid¨¦ration?de mani¨¨re?ad¨¦quate?la situation des personnes ?g¨¦es et qu'ils soient fond¨¦s sur les normes relatives aux droits de l'homme.??

En 1942, l'auteur de science-fiction Isaac Asimov formulait???les trois lois de la robotique??.???1. Un robot ne peut porter atteinte ¨¤?un ¨ºtre humain, ou en restant passif, permettre qu'un ¨ºtre humain soit expos¨¦?au danger. 2. Un robot doit ob¨¦ir aux ordres qui lui sont donn¨¦s par un ¨ºtre humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la premi¨¨re loi. 3. Un robot doit prot¨¦ger son existence tant que cette protection n'entre pas en conflit avec la premi¨¨re ou la deuxi¨¨me loi.3???Aussi visionnaires qu'aient ¨¦t¨¦?ces lois ¨¤?l'¨¦poque (elles sont ant¨¦rieures ¨¤?la D¨¦claration?universelle des droits de l'homme), l'incidence sans pr¨¦c¨¦dent de la num¨¦risation progressive sur toutes les sph¨¨res de notre vie exige que nous reprenions ce d¨¦bat pour faire en sorte que le cadre des droits de l'homme rem¨¦die comme il convient aux probl¨¨mes engendr¨¦s?par ce ph¨¦nom¨¨ne.????

Notes?

1?A/HRC/36/48.?

2?Cour constitutionnelle f¨¦d¨¦rale?allemande, BVerfGE 65, 1, II 1 (a).?

3?Isaac Asimov,? I, Robot? (New York, Gnome Press, 1950).?