Souvenirs d¡¯un ex-enfant soldat
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Souvenirs d¡¯un ex-enfant soldat
Mon nom est Mohamed Sidibay. Je suis n¨¦ en Sierra Leone, un beau pays nich¨¦ sur les c?tes d'Afrique de l'Ouest.
J'avais tous justes cinq ans quand la guerre civile nous a engloutis. Enlev¨¦ par les rebelles, j'ai v¨¦cu dans un monde o¨´ mes ravisseurs, au lieu de me faire craindre Dieu,? m'ont appris? ¨¤ avoir peur des enfants intoxiqu¨¦s par les drogues qui brandissaient des fusils AK-47 plus grands qu'eux et qui ¨¦taient oblig¨¦s de choisir entre tuer, ou ¨ºtre tu¨¦s.
J'¨¦tais l'un de ces enfants soldats. J'ai v¨¦cu dans un monde o¨´ votre meilleur ami pouvait vous tuer si sa? vie en d¨¦pendait.
A cinq ans seulement, j'ai ¨¦t¨¦ t¨¦moin de mon premier meurtre. En 1997, la guerre civile avait atteint mon village. C'est seulement apr¨¨s avoir ¨¦t¨¦ enlev¨¦ de chez moi que j'ai compris le malheur? qui m'arrivait. L'homme que j'appellerais plus tard G¨¦n¨¦ral a tu¨¦ mes parents devant moi. C'est comme ?a que j'ai rencontr¨¦ la guerre.
Des ann¨¦es ont pass¨¦. Une nuit, je me suis enfui pour Freetown, la capitale de la Sierra Leone. Ce fut l'une des nuits les plus longues de ma vie : j'ai dormi sur un banc en bois trop petit pour moi et j'ai pass¨¦ la plus grande partie de la nuit ¨¤ chasser les moustiques et ¨¤ tenter de me r¨¦chauffer. Quand je me suis r¨¦veill¨¦, j'avais tellement pleur¨¦ que mon visage ¨¦tait couvert du r¨¦sidu blanc et sal¨¦ de mes larmes. J'aurais aim¨¦ alors que les choses soient diff¨¦rentes.
Un pr¨ºtre italien m'a h¨¦berg¨¦ et m'a recommand¨¦ ¨¤ une ONG qui, gr?ce aux technologies, mettait en contact des ¨¦tudiants avec des enseignants du monde entier. C'est comme ?a que j'ai commenc¨¦ mon ¨¦ducation. J'ai bient?t ¨¦t¨¦ parrain¨¦ pour int¨¦grer une ¨¦cole primaire sierra- l¨¦onaise.
La guerre m'a priv¨¦ de mon enfance. Elle m'a laiss¨¦ orphelin et sans abri. En Sierra Leone, l¡¯essentiel des atrocit¨¦s a ¨¦t¨¦ commis par des enfants juste assez grands pour attacher leurs lacets. J'¨¦tais l'un de ces enfants. Au lieu des cartouches d'encre des imprimantes, ce sont les chargeurs des armes ¨¤ feu que j'ai appris ¨¤ changer. Bien avant de savoir ¨¦crire 1, 2 et 3, je ma?trisais la ? comp¨¦tence ? qui consiste ¨¤ cribler un mur de plomb. ? l'¨¦poque, plus on avait l'air jeune, pire ¨¦tait le carnage que nous infligions.
La guerre civile a finalement pris fin en 2002, mais il a fallu continuer ¨¤ lutter. Pour moi, la bataille de la r¨¦int¨¦gration commen?ait. En m'¨¦vitant, les miens m'ont inflig¨¦ le pire ch?timent qu'une communaut¨¦ ¨¦troitement li¨¦e puisse faire subir ¨¤ un enfant soldat repenti. J'¨¦tais tourn¨¦ en ridicule? par les anciens pour mon impudence? et les jeunes de mon entourage ¨¦taient m¨¦chants avec moi.
Un jour, il s¡¯est produit quelque chose d'inattendu. Un ¨¦tranger m'a dit la v¨¦rit¨¦ que je ne voulais pas entendre : je pouvais prendre mon destin en main si je r¨¦ussissais ¨¤ m¡¯instruire. Mais comment faire ? J'avais dix ans. Je ne savais ni lire, ni ¨¦crire. Par o¨´ commencer ? Je m'interrogeais : l'¨¦ducation m'aiderait-elle ¨¤ oublier mon exp¨¦rience du meurtre et de la guerre ? Avait-elle le pouvoir de faire cesser mes cauchemars?
Nous savons que les guerres se terminent toutes un jour ou l'autre, mais les cicatrices et le fardeau, eux, peuvent se prolonger pour l¡¯¨¦ternit¨¦. C'est la vie, n'est-ce pas ? Les choses ne se passent pas toujours comme nous le souhaitons.
En 2007, ¨¤ l'?ge de 12 ans, j'ai ¨¦t¨¦ invit¨¦ ¨¤ parler de mon exp¨¦rience d'enfant soldat dans deux universit¨¦s am¨¦ricaines. Ce qui ¨¦tait cens¨¦ n¡¯¨ºtre qu¡¯un bref voyage est devenu un s¨¦jour permanent quand j'ai refus¨¦ de monter dans l¡¯avion qui devait me ramener chez moi. J'ai quitt¨¦ l'a¨¦roport de New York avec seulement 40 dollars en poche, un iPod Nano, mon passeport, une paire de jeans blancs et une chemise orange.
Je suis rest¨¦ parce que l'Am¨¦rique m'avait rendu espoir et, plus tard, m'a accord¨¦ l'asile ¨¤ Maplewood dans le New Jersey, o¨´ je me suis inscrit ¨¤ l'¨¦cole secondaire. ? 14 ans, j'allais pour la premi¨¨re fois rentrer ¨¤ l'¨¦cole secondaire, au sein d¡¯une communaut¨¦ compl¨¨tement diff¨¦rente de celle que j'avais connue.? Faire en sorte que ma nouvelle vie s'accorde avec mon pass¨¦ a continu¨¦ d'¨ºtre un d¨¦fi pour moi.
Je n'avais jamais imagin¨¦ finir des ¨¦tudes secondaires et encore moins ¨ºtre dipl?m¨¦ de l'universit¨¦. L'¨¦ducation m'a offert des choix et des chances et pr¨¦sent¨¦ des d¨¦fis.
L'¨¦ducation peut donner ¨¤ ceux qui n'ont pas de chance la possibilit¨¦ de se relever et de conna?tre le monde. Par le biais de mon travail sur le projet My Hero au sein de la? Commission internationale pour le financement de possibilit¨¦s d'¨¦ducation dans le monde, je consacre d¨¦sormais ma vie ¨¤ d¨¦fendre cette cause et ¨¤ rendre service.
L'¨¦ducation est un don dont je reconnais la valeur. Je crois que m¨ºme si nous pouvions donner le monde entier aux gens, cela n¡¯emp¨ºcherait pas le monde de s'¨¦crouler. Mais si nous leur donnons une ¨¦ducation, ils peuvent le reconstruire. ?
Mohamed Sidibay a re?u son dipl?me du lyc¨¦e de Columbia ¨¤ Maplewood dans le New Jersey. Il doit entrer cette ann¨¦e ¨¤ l'universit¨¦ George Washington.