Une bouée pour les pays à court d'argent
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Une bouée pour les pays à court d'argent
L’Afrique du Sud et le Nigéria ont beau être les plus grandes économies de l’Afrique, selon le Fonds monétaire international, des partenariats public-privé (PPP) permettent toutefois au Maroc, au Rwanda, à la Côte d’Ivoire et à quelques autres petits pays de posséder une infrastructure de classe mondiale.
Dans un article publié dans le numéro d’août 2016 de l'African Journal of Management Research, les auteurs Bernadine J. Dykes et Carla D. Jones décrivent les PPP comme des «Ìýaccords de coopération entre des gouvernements et des multinationales conclus pour financer, bâtir et gérer des projets d’infrastructureÌý».
Elles observent que ces dernières décennies «Ìýla participation de l'Afrique aux PPP était limitée par rapport aux autres continentsÌý», mais que dernièrement, en raison des pressions sur les budgets nationaux et de l'incapacité du secteur public de fournir des services efficaces, «Ìýles gouvernements africains recherchent de plus en plus de fonds de développement d'infrastructures pour répondre à la croissance de la population et à la demande de produits de baseÌý».
Avec un Produit intérieur brut d'environ 37 milliards de dollars dans les années 1990, selon la Banque mondiale, le Maroc ne pouvait pas se permettre d'énormes investissements dans l'infrastructure et remplir en même temps ses obligations budgétaires récurrentes, notamment payer les salaires des fonctionnaires et faire fonctionner son gouvernement.
Puis une opportunité lucrative s'est présentée il y a cinq ans. Le pays a profité de sa position unique sur le détroit de Gibraltar et de sa proximité avec l'Europe. Le Tanger-Med sera le plus grand port d'Afrique du Nord, et une composante d'un vaste plan visant à stimuler l'économie de la région.
L'idée est de créer un centre logistique pour attirer les fabricants à Tanger , etÌý transformer ainsiÌý la ville et sa région en un pôle logistique et d'exportation de marchandises vers les États-Unis, la Méditerranée et au-delà , l'Asie.
Le projet sera mis en œuvre, coordonné et géré par l'Agence Spéciale Tanger Méditerranée (une société privée avec des prérogatives publiques), opérant dans le cadre d'un accord avec le gouvernement en collaboration avec les différents ministères concernés.
En général, les PPP sont des arrangements contractuels appelés CETÌý: construction, exploitation et transfert. Ainsi,Ìý une société privée peut financer un projet routier et le gouvernement autoriser la société à exploiter la route pour une période déterminée. Cela permet à la société de récupérer ses investissements, après quoi elle transfère l'exploitation de la route à une agence gouvernementale. La route Dakar-Diamniadio au Sénégal, achevée en 2013, est un bon exemple. Le coût total du projet est estimé à 335 millions de dollars.
Déficit chronique
L'Afrique a besoin de 93 milliards de dollars par an pour son infrastructure, ce qui représente environ 15Ìý% de son PIB, note la Banque africaine de développement (BAD). Par conséquent, les PPP sont un élément vital pour les gouvernements à court d'argent.
«ÌýLes gouvernements ont de plus en plus recours aux PPP pour combler le déficit de financement et offrir une infrastructure plus efficace et plus rentableÌý», écrit Ventures Africa, un site Web consacré aux entreprisesÌý africaines.
Le Kenya, par exemple, nécessite des investissements dans son infrastructure à hauteur de 4 à 5 milliards de dollars par an pour couvrir ses besoins de financement. Des projets tels que le projet d'énergie éolienne du lac Turkana ont été réalisés avec succès grâce à des PPP.
La Tanzanie voisine a besoin de 8 milliards de dollars par an pour répondre à son déficit de financement des infrastructures. Au Ghana, un pays dont les déficits budgétaires sont en hausse, l'ancien ministre des Finances et de la Planification économique Seth Terkper déclare que le pays a besoin d'investir 1,5 milliard de dollars par an dans le développement des infrastructuresÌý; toutefois, d'autres analystes estiment que les besoins de financement pourraient être de 3,5 milliards de dollars.
Même l'Afrique du Sud, souvent présentée comme un modèle de PPP en Afrique, fait face à des problèmes d'énergie «Ìýque l'on peut qualifier de pénuries de courantÌý et de délestagesÌý», indique Ventures Africa. Les experts ne parviennent pas à s'entendre sur ce dont l'Afrique du Sud a besoin pour son infrastructure, mais les chiffres varient de 4,5 à 8 milliards de dollars par an.
Les secteurs public et privé considèrent généralement les projets de PPP comme étant gagnant-gagnantÌý: le gouvernement peut prétendre avoir réalisé les efforts visant à fournir des infrastructures ou des services pour les citoyens, et les investisseurs privés peuvent promouvoir leur participation au développement socioéconomique, même s'ils fixent leur regard sur les bénéfices.
Cependant, la perception qu'un gouvernement a des services ou des infrastructures, vus commeÌý une entreprise sociale, en particulier dans les pays pauvres, contraste avec les solutions de marché du secteur privé axées sur les profits, et mène souvent à des problèmes.
«ÌýComme dans de nombreux marchésÌý», signale l'Oxford Business Group, un cabinet britannique d'intelligence économique , «Ìýil y a eu des faux pas dans la mise en Å“uvre de certains projets de type PPP [au Maroc].
«ÌýLes partenariats avec les entreprises privées dans le secteur des services publics, par exemple, se sont heurtésÌý à une opposition concernant la modification des tarifs, ainsi qu'à des questions d'accès, le service public de l'eau gérée de manière privée dans de grandes villes suscitant des protestations quant à la tarification souligne Ìý», note l'Oxford Business Group .
Fin 2015, des investisseurs privés engagés par le gouvernement nigérian pour distribuer l'électricité ont soulevé un tollé général lorsqu'ils ont tenté d'augmenter les tarifs de l'électricité. Incapables d'établir leurs tarifs, les compagnies de distribution d'électricité du Nigéria en avril dernier ont indiqué avoir perdu environ 2,3 milliards de dollars depuis novembre 2013, quand elles ont assuméÌý la responsabilité de la distribution électrique.
Pour l'instant, les entreprises privées ne se hâtent pas de nouer desÌý PPP en Afrique. Dans son rapport 2015 sur lesÌý Tendances de financement des Infrastructures en Afrique , le Consortium pour les infrastructures en Afrique (ICA), une organisation encourageant l'accès aux services d'infrastructures durables sur le continent, note que l'incertitude et un manque de volonté politique entraventÌý la réussite des PPP.
L'ICA souligne que de nombreuses institutions publiques manquent de ressources , ce qui suscite la crainte d'un risque financier chez les investisseurs privés. Il a critiqué la faiblesse des cadres réglementaires et la corruption qui sévit dans certains pays.
La BAD énumère les facteurs défavorables à la réussite des PPPÌý: «Ìýl’inadéquation du cadre juridique et réglementaire des PPPÌý; l’absence de compétences techniques à même de gérer les programmes et projets de PPPÌý; la perception défavorable du risque pays chez les investisseurs, le poids limité de l’Afrique dans les échanges commerciaux et l’investissement au plan mondial, la taille réduite du marché, les infrastructures insuffisantes et les marchés financiers limitésÌý».
Selon le Dr Amit Thakker, directeur de Africa Healthcare Federation, qui préconise l’améliorationÌý des systèmes de soins sur le continent africain, les pays africains peuvent obtenir de meilleurs systèmes de soins grâce aux PPP. Il proposeÌý une stratégie en trois phases pour la mise en Å“uvre des PPP en Afrique.
La première phase, P1, consiste en l'instaurationÌý d'un dialogue entre les pouvoirs publicsÌý et un investisseur privé afin de clarifier les rôles et la vision, P2, en la «Ìýcréation et l'adaptation des cadres réglementaires et des obligations contractuelles ainsi queÌý l'institutionnalisation de lois sur les PPPÌý». P3 «Ìýsera l'étape de mise en Å“uvre du projet, qui comprendra l'élaboration et l'exploitation des projets et produits, suivie de l'évaluation et de l'échange d'informations et d'études de casÌý».
Certains pays modifient déjà leurs lois ou en adoptent de nouvelles pour améliorer l'environnement commercial. Au Kenya, les lois sur les PPP sont destinées à assurer au secteur privé une stabilité politique et une sécurité du marché. L'objectif du gouvernement est d'exécuter jusqu'à 80 % de ses projets à l'aide de financements par PPP en 2030.
Parmi les autres mesures d'incitation, en Tanzanie, la loi de finances 2014 permet au secteur privé de faire des propositions de PPP qui contournent les processus d'appel d'offres concurrentielles, permettant aux investisseurs de s'engager avec les partenaires de leur choix.
En décembre 2014, le parlement marocain a adopté une nouvelle loi sur les PPP qui permet aux investisseurs privés de diriger la planification, le financement et l'exécution des projets publics, bien que l'intérêt public puisse amener l'État à abandonner un projet.
Dans un article publié sur le site de la Banque mondiale, Laurence Carter énumère cinq facteurs clés qui ont contribué au succès de la route Dakar-Diamniadio au Sénégal. Le premier a été l'engagement politique. Le président Macky Sall a été le premier à rouler sur la route une fois achevée et à payer à un péage. Le deuxième, l'engagement des parties prenantes, notamment par la sensibilisation des communautés.
Le troisième, l'engagement du partenaire privé, le groupe Eiffage, une société française. Le quatrième, la participation des institutions de développement, notamment la BAD et la Banque mondiale. Enfin, M. Carter a indiqué que les usagers pouvaient voir «Ìýdes bénéfices clairs et visiblesÌý», notamment des trajets plus courts.
En dépit des nombreux problèmes associés aux PPP, les bénéfices potentiels sont irrésistibles pour de nombreux pays. Les pays encore en quête de la bonne recette de PPP devraient peut-êtreÌý étudier le modèle du Sénégal.