L’Afrique et la Déclaration universelle des droits de l’homme
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L’Afrique et la Déclaration universelle des droits de l’homme
Les pays africains existaient à peine quand les Nations Unies ont adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948 à Paris, en France, trois ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
C’était la première fois qu’un document internationalement reconnu affirmait sans équivoque que tous les êtres humains étaient libres et égaux, quelles que soient leur couleur, leur croyance ou leur religion.
Mais de vastes portions du continent étaient encore sous domination coloniale des Occidentaux et seuls quatre pays d’Afrique, l’Égypte, l’Éthiopie, le Libéria et l’Afrique du Sud étaient membres de l’Organisation des Nations Unies.
A l’exception de l’Afrique du Sud, tous ces pays ont, à l’époque, signé la Déclaration.
Plus tard, la Déclaration universelle des droits de l’homme contribuera à propulser plusieurs territoires africains comme le Ghana, au rang de nations à part entière, et à inspirer la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, dans le but de mettre fin aux abus et établir des États démocratiques.
Près de dix ans après son adoption, Kwame Nkrumah, Premier ministre du Ghana, faisait écho au texte de la Déclaration en célébrant l’indépendance de son pays.
« La bataille est enfin terminée ! Désormais le Ghana, votre pays bien-aimé, est libre pour toujours ! », lançait-il à une foule enthousiaste, le 6 mars 1957, au Old Polo Grounds d’Accra, la capitale,.
L’ancienne colonie britannique venait d’accéder à l’indépendance.
La déclaration de M. Nkrumah mettait en avant les principes généraux d’égalité, de liberté et de justice pour tous les peuples, principes qui sont consacrés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme
Liberté et justice
En 1960, quelques mois avant l’indépendance de son pays, la République démocratique du Congo (alors République du Congo), Patrice Émery Lumumba, personnage historique du mouvement indépendantiste à l’échelle du continent, soulignera que la question de l’autodétermination en Afrique est, après tout, aussi celle des droits fondamentaux de l’homme et il insistera sur l’importance de la Déclaration en matière de lutte pour l’autodétermination politique en Afrique.Ìý
« Qu’il [l’Occident] nous donne aujourd’hui la preuve du principe de l’égalité et de l’amitié des races que ses fils nous ont toujours enseigné sur les bancs de l’école », déclarait-il à l’Université d’Ibadan, au Nigéria – centre intellectuel et universitaire de premier plan dans l’Afrique coloniale d’alors – « principe inscrit en grands caractères dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ».
Comme M. Nkrumah, Patrice Lumumba exprimait tout haut la pensée de nombreux dirigeants et mouvements indépendantistes africains qui demandaient justice quand il proclamait : « Les Africains doivent jouir, au même titre que tous les autres citoyens de la famille humaine, des libertés fondamentales inscrites dans cette Déclaration et des droits proclamés dans la Charte des Nations Unies ».
La proclamation de l’égalité, de la liberté et de la justice universelles aurait un impact sur l’histoire du continent, poussant à l’indépendance des anciennes colonies et renforçant le mouvement vers l’autodétermination de plusieurs colonies de l’Occident tout en favorisant l’émergence de nouveaux pays souverains. Elle allait aussi donner des idées à plusieurs mouvements de libération, notamment ceux qui luttaient contre l’apartheid en Afrique du Sud.
Le droit d’asile, celui de ne pas être soumis à la torture, les droits à la liberté de parole et à l’éducation sont quelques-uns des 30 droits et libertés énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.
La Déclaration traite également des droits civils et politiques, notamment le droit à la vie, à la liberté et à la vie privée, et des droits économiques, sociaux et culturels.
Elle fixe la norme des droits individuels et a inspiré, au fil des années, plusieurs textes législatifs sur les droits de l’homme à travers le monde, notamment la Charte de la liberté en Afrique du Sud.
Des pays africains de l’époque, l’Afrique du Sud était la seule à ne pas avoir signé la Déclaration : une indication de la profonde contradiction entre le projet d’apartheid et la Déclaration.
Il n’est pas surprenant que les militants anti-apartheid se soient inspirés de l’esprit de la Déclaration dans leur lutte contre l’apartheid. En 1955, le chef Albert Luthuli, président du Congrès national africain (ANC) de l’époque, appellait ainsi les « personnes de tous les horizons [à se retrouver] sur un pied d’égalité, sans distinction de race, de couleur ou de conviction, pour formuler une Charte de la liberté pour tous les peuples du pays ».
M. Luthuli, que la Fondation Nobel décrit comme « le dirigeant de dix millions d’Africains noirs dans leur campagne non-violente pour les droits civiques en Afrique du Sud », allait devenir, quelques années plus tard en 1960, le premier lauréat africain du prix Nobel de la paix.
Une charte africaine
Si les dirigeants africains avaient présenté leur quête d’indépendance nationale comme des revendications en faveur de la justice, de l’égalité et de la dignité pour tous, les deux premières décennies qui ont suivi l’indépendance de leurs pays ont été systématiquement marquées par les violations des droits de l’homme.
Dans la plupart des pays du continent, des régimes autoritaires ou à parti unique avaient remplacé les gouvernements élus.
« Les gouvernements africains semblent clairement avoir sacrifié leurs droits et libertés au profit du développement et de la stabilité politique », aurait ainsi déclaré Kéba Mbaye, l’un des futurs architectes de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
Des régimes tels que ceux d’Idi Amin (1971-1979) en Ouganda, de Macias Nguema (1969-1979) en Guinée équatoriale et de Jean-Bedel Bokassa en République centrafricaine (1966-1979) ont été accusés de violations massives et flagrantes des droits de l’homme.
Pour tenter de faire progresser les droits de l’homme sur tout le continent, l’Afrique a adopté sa propre Charte des Droits de l’Homme et des Peuples, entrée en vigueur le 21 octobre 1986.
La Charte a pour ambition de promouvoir les droits de l’homme selon une « perspective africaine », notamment en mettant l’accent sur les droits politiques collectifs et le droit à l’autodétermination nationale.
Le comité qui a rédigé la Charte était guidé par le principe selon lequel « celle-ci devait refléter la conception africaine des droits de l’homme [et] s’inspirer de la philosophie africaine du droit et répondre aux besoins de l’Afrique », observait Amnesty International dans un document éducatif sur le contenu de la Charte.
Néanmoins, la Charte reconnaissait clairement la Déclaration universelle des droits de l’homme dans son préambule, ainsi que les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.
« Forte et bien vivante »
Au fil des ans, les principes généraux de liberté, d’égalité et de justice énoncés dans la Déclaration allaient continuer à alimenter les revendications populaires en faveur de la démocratie et d’une plus grande responsabilité des régimes autoritaires ou à parti unique qui se sont éloignés de l’idéal de pays africains indépendants et prospères.
« La Déclaration universelle est forte et bien vivante », a déclaré Michelle Bachelet, la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, en septembre dernier. La Déclaration, a ajouté Mme Bachelet, « a poussé des millions de personnes à manifester, à se rassembler et à progresser » et a incité « des femmes et des hommes à exiger qu’il soit mis fin aux discriminations, à la tyrannie et à l’exploitation ».
Dans plusieurs pays du continent, notamment au Cameroun, en RDC, au Gabon, en Gambie, au Kenya, au Niger, à Madagascar, au Mali, au Sénégal, en Tanzanie et au Togo, des personnes sont descendues dans la rue pour revendiquer l’égalité, l’équité, la justice et la dignité.
Au cours des deux dernières décennies, sous la pression populaire, de nombreux pays africains, dont le Nigéria, la Gambie, le Libéria et le Zimbabwe se sont éloignés des systèmes autoritaires pour ouvrir leur espace politique.
Des élections démocratiques ont eu lieu, même si elles ne sont pas toujours considérées comme libres et équitables. Et des progrès ont été réalisés en matière de liberté d’expression et d’association avec des sociétés civiles dynamiques prônant la transparence et la responsabilité au sein de leurs gouvernements.
« IlÌý reste beaucoup de chemin à parcourir », a déclaré Mme Bachelet, « mais au cours des 70 dernières années, l’humanité a fait un millier de pas en avant. »
Des colonies aux États indépendants et plus tard à des sociétés plus ouvertes et pluralistes, le continent continue ses progrès.Ìý Ìý