缅北禁地

Les travailleurs du Burkina Faso sont en col猫re. A quatre reprises en 2005 et de nouveau en mai de cette ann茅e, les syndicats ont paralys茅 l鈥檃ctivit茅 茅conomique de ce pays en d茅clenchant une s茅rie de gr猫ves g茅n茅rales. Des milliers de personnes ont manifest茅 dans les rues de ce pays de l鈥橝frique de l鈥橭uest pour protester contre la faiblesse des salaires, la chert茅 de la vie, les pertes d鈥檈mploi et l鈥檌nsuffisance des avantages sociaux.

"C鈥檈n est assez des privations鈥�. Manifestation de travailleurs au Nig茅ria. La main-d鈥櫯搖vre africaine compare ses conditions de vie pr茅caires 脿 la richesse des classes dirigeantes.

Photo: Reuters / George Esiri

Le plus souvent, les gr茅vistes ont compar茅 leurs conditions de vie pr茅caires 脿 celles des classes dirigeantes du pays. A l鈥檕ccasion d鈥檜ne manifestation 脿 Bobo-Dioulasso, la capitale 茅conomique du pays, le responsable syndicaliste Bakary Millogo a d茅nonc茅 la 鈥減aup茅risation g茅n茅ralis茅e鈥� des travailleurs, compar茅e aux modes de vie 鈥渟candaleux et ostentatoires鈥� des hauts responsables gouvernementaux.

Le Burkina, a affirm茅 un 茅ditorialiste du quotidien ind茅pendant L鈥�Observateur Paalga, 鈥渃ourt le risque d鈥檜ne explosion sociale aux cons茅quences impr茅visibles鈥�. Le danger est d鈥檃utant plus grand, a poursuivi le journaliste, que la pauvret茅 chronique coexiste avec des signes ostentatoires de richesse. 鈥淟es uns prennent l鈥檃vion pour aller soigner un rhume des foins pendant que les autres bouffent les pissenlits par la racine parce qu鈥檌ls n鈥檕nt pas l鈥檃rgent pour aller traiter un simple palu.鈥�

鈥淟鈥檌ndigence et l鈥檌n茅galit茅 criante sont des fl茅aux si 茅pouvantables de notre 茅poque鈥�qu鈥檈lles ont leur place aux c么t茅s de l鈥檈sclavage et de l鈥檃partheid.鈥�

鈥擭elson Mandela, ancien pr茅sident de l鈥橝frique du Sud

Le P猫re Balemans, pr锚tre catholique au franc parler, estime que 鈥渓鈥櫭ヽart entre les riches et les pauvres se creuse de plus en plus鈥�. A son avis, cette situation est d鈥檃utant plus difficile 脿 g茅rer que la croissance 茅conomique est relativement 茅lev茅e et 鈥減rofite surtout aux riches鈥�.

Ce ph茅nom猫ne est aussi inqui茅tant ailleurs en Afrique. De nombreux Africains estiment en effet que les in茅galit茅s s鈥檃ccentuent, une infime minorit茅 s鈥檈nrichissant alors que les rangs des pauvres ne cessent d鈥檃ugmenter.

A Dakar, le d茅veloppement spectaculaire du secteur de la construction dans la capitale s茅n茅galaise 鈥渁 fait na卯tre une classe moyenne, a r茅cemment d茅clar茅 au quotidien parisien Le Monde Fatimata Sy, directrice d鈥檜n centre social, tandis que la pr茅carit茅 et la pauvret茅 gagnent du terrain 脿 l鈥檃utre extr茅mit茅 de l鈥櫭ヽhelle sociale鈥�.

Bidonville de Kibera 脿 Nairobi (Kenya) : il faudrait allouer plus de ressources aux pauvres.

Photo: Reuters / Thomas Mukoya

Des enqu锚tes men茅es en 2002 et 2003 dans 15 pays africains par des chercheurs africains et am茅ricains ont r茅v茅l茅 que, de l鈥檃vis de la vaste majorit茅 des habitants, la situation continuait de se d茅t茅riorer. Lorsque les chercheurs du projet AfroBarometer leur ont demand茅 si les politiques 茅conomiques gouvernementales nuisaient aux int茅r锚ts de la majorit茅 pour ne profiter qu鈥櫭� quelques-uns, 61听% des plus de 23 000 personnes consult茅es ont r茅pondu par l鈥檃ffirmative. Ce n鈥檈st que dans trois des 15 pays (Lesotho, Mozambique et Namibie) que la majorit茅 des personnes interrog茅es n鈥櫭﹖ait pas de cet avis.

鈥淢aux sociaux鈥�

Dans les ann茅es 1980 et 1990, lorsque les 茅conomies africaines 茅taient en stagnation ou en d茅clin, les 茅conomistes des grandes institutions financi猫res internationales pouvaient facilement imputer la pauvret茅 g茅n茅ralis茅e du continent 脿 l鈥檃bsence de croissance 茅conomique. La reprise de la croissance, affirmaient-ils, finirait par profiter 脿 tous, notamment les classes d茅favoris茅es. Ce point de vue est de plus en plus contest茅 dans la mesure o霉, malgr茅 une croissance 茅conomique soutenue depuis une dizaine d鈥檃nn茅es, l鈥橝frique compte de plus en plus d鈥檋abitants qui vivent avec moins d鈥檜n dollar par jour.

Par ailleurs, du fait de la priorit茅 accord茅e par la communaut茅 internationale 脿 la r茅alisation des objectifs du Mill茅naire pour le d茅veloppement (OMD), notamment la r茅duction de moiti茅 d鈥檌ci 脿 2015 du nombre de personnes vivant avec moins d鈥檜n dollar par jour, on s鈥檌nt茅resse davantage aux nombreux facteurs contribuant 脿 la pauvret茅.

鈥淟es in茅galit茅s ont des cons茅quences sur la r茅alisation des OMD, affirme Arjan de Haan, conseiller au d茅veloppement social au Minist猫re du d茅veloppement international du Royaume-Uni, dans un article paru dans NEPAD Dialogue, publication du Nouveau Partenariat pour le d茅veloppement de l鈥橝frique (NEPAD), adopt茅 en 2001 par les dirigeants du continent. A son avis, 鈥渓es in茅galit茅s, notamment en mati猫re de revenus et entre les sexes, risquent m锚me de freiner la croissance, compromettant ainsi indirectement la lutte contre la pauvret茅 dans le monde".

鈥淚l serait dangereux d鈥檌gnorer les in茅galit茅s dans le processus de d茅veloppement, estime pour sa part le Secr茅taire g茅n茅ral adjoint de l鈥橭NU aux affaires 茅conomiques et sociales, Jos茅 Antonio Ocampo. Selon lui, axer tous les efforts sur les strat茅gies de d茅veloppement et la cr茅ation de revenus est inefficace car cela conduit 脿 l鈥檈nrichissement d鈥檜ne petite minorit茅 et 脿 la paup茅risation du plus grand nombre鈥�.

La Banque mondiale, qui pendant des ann茅es a pr茅conis茅 la lib茅ralisation des march茅s comme meilleur moyen de parvenir 脿 la croissance 茅conomique et 脿 la r茅duction de la pauvret茅, reconna卯t 脿 pr茅sent l鈥檈ffet n茅gatif des in茅galit茅s dans la r茅alisation de ces objectifs. 鈥淟es consid茅rations relatives 脿 l鈥櫭﹒uit茅 doivent 锚tre au c艙ur m锚me de l鈥檃nalyse et des politiques鈥�, affirme la Banque dans l鈥櫭ヾition 2006 de son Rapport annuel sur le d茅veloppement dans le monde.

De nombreux habitants pauvres d鈥橝frique constatent qu鈥檌ls ne b茅n茅ficient pas de la croissance 茅conomique.

Photo: Getty Images / AFP / Marco Longari

Lutter contre les in茅galit茅s passe, selon les experts, par la mise en place de politiques qui rem茅dient express茅ment aux disparit茅s et fournissent aux classes d茅favoris茅es les moyens de sortir de leur condition.

La lutte contre les in茅galit茅s sur le plan international et 脿 l鈥檌nt茅rieur des pays constitue un devoir 茅thique et moral, estime pour sa part l鈥檃ncien pr茅sident sud-africain Nelson Mandela.

Clivages profonds

Au cours des derni猫res d茅cennies, c鈥檈st dans les pays africains et latino-am茅ricains que les 茅carts de revenus ont 茅t茅 les plus importants, selon The Inequality Predicament, une 茅tude de 2005 du D茅partement des affaires 茅conomiques et sociales de l鈥橭NU (DESA). Ces disparit茅s se sont encore accentu茅es sur les deux continents dans les ann茅es 1980 et 1990, pr茅cise l鈥櫭﹖ude.

Cela signifie qu鈥檈n cas de ralentissement ou de crise 茅conomique, les personnes en bas de l鈥櫭ヽhelle des revenus, les plus vuln茅rables, sont le plus durement touch茅es. En revanche, poursuit l鈥櫭﹖ude, lorsque les revenus augmentent, les personnes au sommet de l鈥櫭ヽhelle en profitent le plus, tandis que les couches les plus d茅munies en b茅n茅ficient peu ou pas du tout, si bien que le nombre de personnes vivant dans l鈥檌ndigence en Afrique subsaharienne (avec moins d鈥檜n dollar par jour) a doubl茅 au cours des 20 derni猫res ann茅es, passant de 288 millions en 1981 脿 516 millions en 2001 (voir diagramme ci-dessous).

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Bien que l鈥橝sie du Sud ait aussi connu le ph茅nom猫ne de paup茅risation pendant la m锚me p茅riode, la part des habitants de cette r茅gion vivant avec moins d鈥檜n dollar par jour a baiss茅 de 52听% 脿 31听%, ce qui constitue un progr猫s dans la r茅alisation des OMD. En revanche, en Afrique subsaharienne, ce pourcentage est pass茅 de 42 脿 47听%.

A la lecture des donn茅es relatives aux in茅galit茅s, Branko Milanovic, chercheur 脿 la Banque mondiale, a not茅 certaines variations. Dans les ann茅es 1960, 茅crit-il, 鈥渓e coefficient Gini鈥�, indice de mesure des in茅galit茅s de revenus, 茅tait en Afrique de 10 points sup茅rieur en moyenne au reste du monde. Cet 茅cart s鈥檈st r茅duit dans les ann茅es 1980, pour se 鈥渃reuser 脿 nouveau鈥� dans les ann茅es 1990.

Dans certains pays, les disparit茅s sont tr猫s grandes. En Zambie, par exemple, les 10听% de personnes les plus riches de la population ont des revenus totaux 42 fois sup茅rieurs 脿 ceux des 10听% les plus pauvres. Au Cameroun, un enfant n茅 dans les 20听% de familles les plus pauvres a un risque deux fois plus 茅lev茅 de mourir avant l鈥櫭�ge de cinq ans qu鈥檜n enfant n茅 dans les 20听% de familles les plus ais茅es.

L鈥檌ndigence et les in茅galit茅s sont des notions diff茅rentes, mais 茅troitement li茅es, explique le Programme des Nations Unies pour le d茅veloppement (PNUD). Les in茅galit茅s des chances correspondent 脿 la probabilit茅 d鈥櫭ヽhapper 脿 la pauvret茅, alors que les in茅galit茅s en mati猫re d鈥檃cc猫s aux soins de sant茅, 脿 l鈥櫭ヾucation ou aux droits politiques compromettent gravement les chances d鈥檈n sortir, d鈥檃pr猫s le Rapport 2005 sur le d茅veloppement humain du PNUD.

Le rapport cite deux autres facteurs importants qui contribuent aux in茅galit茅s et 脿 la pauvret茅 et ont une forte incidence sur le niveau des revenus et l鈥檃cc猫s aux services sociaux. Dans la plupart des pays africains, l鈥櫭ヽart entre les villes et campagnes est particuli猫rement saisissant. Au Ghana, par exemple, le taux de pauvret茅 n鈥檈st que de 2听% 脿 Accra, la capitale, alors que dans les r茅gions rurales arides de la savane du nord du pays, il atteint 70听%. A Accra, la pauvret茅 est en baisse, alors que dans la savane elle ne diminue pas.

L鈥檃ppartenance au sexe f茅minin est un autre facteur d茅terminant (voir encadr茅). Globalement, les femmes ont moins d鈥檕pportunit茅s 茅conomiques et bien moins de pouvoir socio-politique que les hommes, ce qui r茅duit fortement leurs chances de sortir de la pauvret茅.

Sant茅 et 茅ducation

Les in茅galit茅s 茅conomiques ne sont qu鈥檜n aspect du probl猫me. D鈥檃utres in茅galit茅s criantes existent partout en Afrique, dans les domaines de la sant茅, de l鈥櫭ヾucation, de l鈥檃cc猫s aux services sociaux et de nombreux autres aspects de la qualit茅 de vie. Les couches ais茅es b茅n茅ficient de la meilleure 茅ducation et des soins de sant茅 les plus sophistiqu茅s, alors que les pauvres n鈥檡 ont simplement pas acc猫s.

Au cours des ann茅es 1980 et 1990, les politiques de lib茅ralisation des march茅s pr么n茅es par le Fonds mon茅taire international (FMI), la Banque mondiale et autres institutions de donateurs ont conduit 脿 la r茅duction sensible du nombre de programmes sociaux publics, pr茅cise l鈥櫭﹖ude du DESA, ce qui a 鈥渆xacerb茅 les in茅galit茅s鈥�.

A la fin des ann茅es 1990, l鈥檈ffet d茅sastreux de ces r茅ductions est devenu tellement flagrant qu鈥檌l a fallu changer de cap, en finan莽ant davantage les programmes sociaux. Mais si certains estiment que les d茅penses consacr茅es 脿 la sant茅 et 脿 l鈥櫭ヾucation en Afrique demeurent trop faibles, d鈥檃utres soulignent que la simple allocation de ressources suppl茅mentaires 脿 ces deux secteurs d鈥檃ctivit茅 ne r猫glera pas les probl猫mes.

Une 茅tude men茅e en Guin茅e par Florencia Castro-Leal et d鈥檃utres chercheurs de la Banque mondiale indique que 48听% des patients qui fr茅quentent les h么pitaux et centres de sant茅 primaire font partie des 20听% les plus riches de la population du pays, alors que les personnes appartenant aux 20听% les plus pauvres ne constituent que 4听% de l鈥檈nsemble des patients.

鈥淟鈥櫭ヾucation, peut-on lire dans l鈥櫭﹖ude du D茅partement des affaires 茅conomiques et sociales de l鈥橭NU, est g茅n茅ralement consid茅r茅e comme un moyen de r茅duire les in茅galit茅s.鈥� Pourtant, en 2001, en Afrique subsaharienne, 37听% des enfants n鈥櫭﹖aient pas scolaris茅s, pourcentage le plus 茅lev茅 de toutes les r茅gions de la plan猫te. Ce taux s鈥櫭﹍evait m锚me 脿 41听% chez les filles.

Au cours des 10 derni猫res ann茅es, les gouvernements africains et les donateurs se sont efforc茅s de faire augmenter consid茅rablement les taux de scolarisation dans le primaire, avec un certain succ猫s. Toutefois, citant une 茅tude au Ghana, Mme Tsikata constate qu鈥檜ne meilleure scolarisation dans le primaire des enfants d茅favoris茅s ne contribue gu猫re 脿 am茅liorer leur sort 脿 court terme.

Pauvret茅 et croissance

Pendant longtemps, les 茅conomistes et planificateurs du d茅veloppement ont soutenu que la premi猫re priorit茅 des soci茅t茅s africaines 茅tait d鈥檃tteindre la stabilit茅 macro茅conomique, de lib茅raliser leurs 茅conomies et d鈥檃dopter des politiques ax茅es sur les march茅s qui stimulent la croissance 茅conomique. La croissance, affirmaient-ils, produirait des ressources suppl茅mentaires pour tous, facilitant ainsi la lutte contre la pauvret茅. 鈥淟a mar茅e montante met 脿 flot tous les bateaux鈥� 茅tait une m茅taphore souvent employ茅e 脿 cet 茅gard. Mais c鈥櫭﹖ait oublier que les in茅galit茅s faussent la r茅partition des ressources. Cette th猫se 茅tait incapable d鈥檈xpliquer de mani猫re convaincante le ph茅nom猫ne de paup茅risation croissante sur fond de croissance.

Le Burkina, par exemple, a connu un taux de croissance annuel moyen de l鈥檕rdre de 5,6听% ces 10 derni猫res ann茅es, l鈥檜n des meilleurs pour cette p茅riode en Afrique. Pourtant, des enqu锚tes sur la consommation des m茅nages effectu茅es en 1994, 1998 et 2003 ont r茅v茅l茅 une augmentation du taux de pauvret茅. Selon le Document annuel de strat茅gie pour la r茅duction de la pauvret茅 de ce pays, qui a incorpor茅 les conclusions de ces enqu锚tes, le pourcentage des Burkinab茅s vivant en-dessous du seuil de pauvret茅 avait augment茅, passant de 44,5 脿 46,4听% pendant cette p茅riode, en particulier dans les zones urbaines, qui ont 茅t茅 les plus touch茅es par les suppressions d鈥檈mplois et l鈥檃ugmentation des prix.

Apr猫s examen de ce document, les experts du FMI et de la Banque mondiale ont toutefois conclu que les statistiques officielles faisant 茅tat d鈥檜ne aggravation de la pauvret茅 au Burkina ne 鈥渃oncordaient鈥� pas avec les taux de croissance de ce pays. Convaincus que les chiffres 茅taient incorrects, les experts du FMI et de la Banque mondiale ont refait les calculs sur la pauvret茅 pour 1998 pour arriver 脿 des taux bien plus 茅lev茅s 鈥� les statistiques les plus r茅centes de 2003 font ainsi appara卯tre un recul relatif dans ce domaine.

Quoi qu鈥檈n disent les statistiques officielles, la plupart des Burkinab茅s sont convaincus que la pauvret茅 gagne du terrain. D鈥檃pr猫s un sondage effectu茅 en ao没t 2005 aupr猫s de 1 200 personnes de toutes cat茅gories sociales, 86,5听% des personnes interrog茅es estimaient que la pauvret茅 s鈥櫭﹖ait aggrav茅e depuis 1998.

La Banque mondiale reconna卯t aussi que les in茅galit茅s peuvent contribuer de fa莽on d茅cisive 脿 la pauvret茅. Dans le cas des pays en d茅veloppement, la Banque estime que dans les pays 脿 faible revenu, chaque point de croissance entra卯ne une diminution de 4听% du nombre de personnes vivant avec moins d鈥檜n dollar par jour, mais que cette am茅lioration est pratiquement inexistante dans les pays 脿 fortes disparit茅s de revenu.

De nombreux experts affirment que non seulement les in茅galit茅s privent les pauvres des effets positifs de la croissance mais qu鈥檈lles ont aussi des effets pr茅judiciables 脿 d鈥檃utres niveaux. 鈥淟es fortes disparit茅s nuisent aux efforts de r茅duction de la pauvret茅 et compromettent la croissance鈥�, affirme le rapport du PNUD. 鈥淟es pauvres restent pauvres en partie parce qu鈥檌ls n鈥檕nt pas les moyens d鈥檈mprunter en fonction de leurs revenus 脿 venir, pour investir dans la production, dans l鈥櫭ヾucation de leurs enfants et acqu茅rir des biens qui leur permettront d鈥檃m茅liorer leur condition. La pr茅carit茅 des droits fonciers et les difficult茅s d鈥檃cc猫s 脿 la justice d茅couragent plus encore les investissements. Priv茅s de leurs droits de citoyens, comme l鈥檌nformation et les services juridiques, les pauvres n鈥檕nt aucune chance de participer 脿 la croissance.鈥�

In茅galit茅s de pouvoir

Les in茅galit茅s et la politique entretiennent des relations d鈥檌nterd茅pendance, souvent n茅gatives. 鈥淟es disparit茅s de revenus et de comp茅tences traduisent souvent des in茅galit茅s en mati猫re d鈥檃cc猫s au pouvoir politique, note le rapport du PNUD. Les pauvres, les femmes, les populations rurales et les groupes ethniques marginalis茅s sont en partie d茅savantag茅s du fait qu鈥檌ls ne sont souvent pas bien organis茅s, que leur influence politique est n茅gligeable et que, dans de nombreux pays, ils ne sont pas invit茅s 脿 participer 脿 la prise des d茅cisions importantes, concernant notamment la distribution des ressources 茅conomiques et sociales. Les in茅galit茅s en mati猫re de pouvoir politique, observe la Banque mondiale, 鈥渄茅bouchent sur la cr茅ation d鈥檌nstitutions qui perp茅tuent les in茅galit茅s sur les plans du pouvoir politique, de la condition sociale et de la d茅tention des richesses鈥�.

L鈥檃partheid en Afrique du Sud en est l鈥檈xemple parfait. Le r茅gime politique de ce pays fond茅 sur la supr茅matie blanche a refus茅 d鈥檃ccorder le moindre droit 脿 la majorit茅 africaine, spoli茅e, chass茅e de ses terres et r茅duite 脿 des t芒ches subalternes et mal r茅mun茅r茅es. Jusqu鈥櫭� l鈥檃bolition de ce r茅gime dans les ann茅es 1990, les revenus 茅taient quasiment fonction de la race. A ce jour, l鈥橝frique du Sud s鈥檈mploie encore 脿 茅liminer les s茅quelles de ce syst猫me.

Dans son 茅tude consacr茅e aux in茅galit茅s en Afrique, M. Milanovic conclut que les clivages ethniques dans certaines r茅gions de l鈥橝frique contribuent 茅galement 脿 l鈥檈xacerbation des in茅galit茅s 茅conomiques et sociales du continent. La 鈥渇ragmentation鈥� ethnique, fait-il valoir, est source d鈥檌n茅galit茅s 鈥渃ar elle provoque des tensions politiques entre groupes ethniques au sujet de la distribution des ressources鈥�. Les groupes les plus influents sur le plan politique ont alors de fortes chances de l鈥檈mporter.

Les in茅galit茅s peuvent 茅galement alimenter l鈥檌nstabilit茅 politique. Selon les donn茅es recueillies par l鈥橴niversit茅 des Nations Unies 脿 partir d鈥檈nqu锚tes exhaustives r茅alis茅es aupr猫s des m茅nages dans 25 pays africains, la Sierra Leone affichait les in茅galit茅s les plus fortes en 1989, 脿 la veille du d茅but de la guerre civile qui a dur茅 une dizaine d鈥檃nn茅es. Plus de 63听% de l鈥檈nsemble des d茅penses nationales 茅taient imputables aux 20听% de personnes les plus riches du pays, alors que la part des d茅penses des 40听% les plus pauvres ne repr茅sentait que 3,1听% du total.

A l鈥檌ssue de la guerre, des 茅tudes men茅es aupr猫s des anciens combattants ont mis en 茅vidence un sentiment de d茅tresse chez de nombreux jeunes gens, aggrav茅 par les signes ostentatoires de richesse et de pouvoir d鈥檜ne petite minorit茅, ce qui les avait incit茅s 脿 prendre les armes.

Retour de l鈥橢tat

En cas d鈥檌n茅galit茅s profondes, les march茅s ne peuvent r茅duire 脿 eux seuls les disparit茅s, souligne le rapport du DESA. Les membres les plus pauvres et marginalis茅s de la soci茅t茅 ne disposent pas des moyens financiers ou de la repr茅sentation politique n茅cessaires pour influer sur la distribution des biens et des services. Ce sont les membres des groupes les plus riches et influents qui en profitent le plus.

鈥淟鈥檌mportance fondamentale de l鈥橢tat prime sur la logique des forces du march茅, poursuit le rapport, notamment dans les domaines relatifs 脿 l鈥櫭﹖hique, 脿 l鈥櫭ゞalit茅, 脿 la justice sociale et 脿 la d茅fense des droits inali茅nables des citoyens, notions qui 茅chappent aux m茅canismes et organismes des march茅s. L鈥橢tat est 茅galement mieux 脿 m锚me de rem茅dier 脿 certains risques et vuln茅rabilit茅s, 脿 l鈥檈xclusion sociale, 脿 l鈥檌ndigence et autres innombrables questions qui ne se pr锚tent pas aux calculs micro茅conomiques."

De nombreux experts du d茅veloppement partagent d茅sormais la position du D茅partement des affaires 茅conomiques et sociales de l鈥橭NU, selon lequel il est urgent de mettre fin 脿 鈥渓a fr茅n茅sie de privatisations massives des fonctions de l鈥橢tat, afin de r茅tablir les institutions et services publics qui ont 茅t茅 affaiblis ou abolis ces derni猫res d茅cennies鈥�.

Une vaste majorit茅 d鈥橝fricains semble souscrire 脿 ce point de vue. Les 茅tudes men茅es dans le cadre du projet AfroBarometer indiquent en effet que, bien qu鈥檈n grande partie favorables 脿 l鈥櫭ヽonomie mixte, les Africains pr茅f猫rent cependant aux forces du march茅 une intervention de l鈥橢tat. Dans les 15 pays 茅tudi茅s, 70听% des personnes en moyenne se sont d茅clar茅es hostiles 脿 la r茅duction des effectifs du secteur public.

Pourtant, certains experts rappellent l鈥檌nefficacit茅 des services fournis par les organismes publics, notamment dans les ann茅es 1970 et 1980, 茅poque o霉 le secteur public 茅tait pr茅dominant. Mais malgr茅 la persistance de la corruption, du n茅potisme et de la mauvaise gestion dans de nombreux organismes publics du continent, la mont茅e en puissance de syst猫mes 茅lectoraux multipartites et la prolif茅ration de programmes destin茅s 脿 renforcer la bonne gouvernance ont permis de rendre ces organismes plus responsables et plus efficaces.

R茅orienter les politiques

Afin de r茅duire les in茅galit茅s et de concr茅tiser les 鈥渄imensions progressivement redistributives du d茅veloppement鈥�, selon la formule du DESA, les organismes publics doivent privil茅gier l鈥檌nsertion politique et sociale de toutes les couches de la soci茅t茅, l鈥檈xtension des routes et autres infrastructures dans les r茅gions 茅loign茅es et la formulation de politiques 茅conomiques g茅n茅ratrices d鈥檈mplois.

La Banque mondiale recommande 茅galement la mise en place de r茅gimes nationaux d鈥檌mposition fiscale 鈥渞aisonnablement progressifs鈥� de mani猫re 脿 ce que les contribuables les plus riches, dont bon nombre se soustraient actuellement aux imp么ts, soient amen茅s 脿 payer davantage, permettant ainsi de d茅gager les ressources suppl茅mentaires n茅cessaires 脿 la lutte contre la pauvret茅 et la mise en place de services sociaux essentiels.

Selon l鈥櫭﹖ude r茅alis茅e par Mme Castro-Leal et ses coll猫gues, il faudrait affecter aux malades les plus n茅cessiteux une part plus importante des d茅penses de sant茅 actuellement consacr茅es aux soins des patients les plus riches. Au Ghana, par exemple, les deux tiers de l鈥檈nsemble des d茅penses de sant茅 financent le fonctionnement des h么pitaux, 茅tablis le plus souvent dans les villes, alors que les malades pauvres ne vont g茅n茅ralement que dans les centres de soins primaires. Les experts recommandent par ailleurs que les frais que les patients doivent r茅gler dans ces centres ne s鈥檃ppliquent qu鈥檃ux plus ais茅s, les patients les plus pauvres n鈥檃yant souvent pas les moyens de les acquitter.

Le PNUD note 脿 ce sujet que l鈥櫭﹍imination de ces frais en Ouganda en 2001 a entra卯n茅 une augmentation de 80听% du taux de fr茅quentation de ces cliniques, la moiti茅 des nouveaux patients appartenant au 20听% de personnes les plus pauvres du pays.

L鈥檕ctroi cibl茅 de subventions publiques facilite 茅galement l鈥檃cc猫s des plus pauvres 脿 d鈥檃utres services. A la fin des ann茅es 1990, lorsque le S茅n茅gal a autoris茅 la participation du secteur priv茅 脿 la distribution de l鈥檈au dans les zones urbaines, les autorit茅s de ce pays ont assorti cette r茅forme de subventions destin茅es 脿 raccorder les quartiers pauvres aux r茅seaux d鈥檃limentation en eau.

Auparavant, les subventions publiques n鈥檃tteignaient souvent pas leurs objectifs, 茅tant fr茅quemment d茅tourn茅es des b茅n茅ficiaires escompt茅s par des fonctionnaires corrompus ou des individus avec des amis haut plac茅s. En cons茅quence, le rapport du DESA recommande 脿 pr茅sent que les r茅cipiendaires soient choisis 鈥溍� l鈥櫭ヽhelon communautaire鈥�, avec la participation active des communaut茅s locales. Cette m茅thode appliqu茅e dans certains pays d鈥橝m茅rique latine a non seulement favoris茅 une distribution plus 茅quitable des subventions, mais aussi renforc茅 les capacit茅s des communaut茅s locales.

Certains pays africains ont prouv茅 qu鈥檌l 茅tait possible de stimuler la croissance 茅conomique tout en r茅duisant les in茅galit茅s et la pauvret茅. Le cas de Maurice est souvent cit茅 en exemple. Il s鈥檃git d鈥檜n pays dot茅 depuis longtemps d鈥檜n syst猫me d茅mocratique stable, o霉 les changements de gouvernement sont relativement harmonieux et les pouvoirs politiques 茅quilibr茅s. Le Gouvernement mauricien a r茅sist茅 aux pressions ext茅rieures en refusant, dans les ann茅es 1980, de r茅duire sensiblement ses d茅penses et en continuant d鈥檃ffecter des budgets relativement importants aux secteurs de la sant茅, de l鈥櫭ヾucation, de l鈥檈au, de l鈥檋ygi猫ne et de l鈥檃ide au logement, gr芒ce aux taxes pr茅lev茅es sur les exportations de sucre.

鈥淟a pauvret茅 y a recul茅 de mani猫re spectaculaire, constate Mme Tsikata. Apr猫s une progression initiale, les in茅galit茅s ont diminu茅 et les indicateurs sociaux se sont redress茅s pour se situer 脿 pr茅sent bien au-dessus de la moyenne africaine et m锚me de celle de pays 脿 revenu moyen."

Dans un article r茅cent consacr茅 脿 la mondialisation et la justice sociale, Amartya Sen, Prix Nobel d鈥櫭ヽonomie, fait remarquer que le d茅bat sur le plan international vise surtout 脿 d茅terminer si les in茅galit茅s se creusent entre les pays les plus riches et les plus pauvres. C鈥檈st, 脿 son avis, le cas et ce probl猫me devrait 锚tre examin茅. Mais il ne manque pas de souligner que dans de nombreux pays pauvres, les facteurs locaux peuvent avoir un impact plus grand encore sur la pauvret茅. 鈥淟a mise en place de politiques judicieuses sur le plan local, dans des domaines comme l鈥櫭ヾucation, la sant茅, la r茅forme fonci猫re et l鈥檃cc猫s au cr茅dit, notamment la distribution de microcr茅dits aux plus d茅munis, devrait entra卯ner une am茅lioration du syst猫me 茅conomique tout entier鈥�, pr茅voit-il.