Temie Giwa-Tubosun, 34 ans, voulait juste sauver des vies en livrant rapidement du sang aux patients qui en avaient le plus besoin. Mais aujourd'hui, ce simple acte de compassion lui vaut gloire et fortune.
En 2016, Mme Giwa-Tubosun fondait , une entreprise de logistique qui collecte le sang aupr¨¨s des banques de sang enregistr¨¦es et le livre aux patients dans les h?pitaux.?
Au cours des quatre derni¨¨res ann¨¦es, l'entreprise a distribu¨¦ environ 26 000 produits ¨¤ plus de 10 000 patients dans pr¨¨s de 700 h?pitaux au Nigeria ; l'effort de Mme Giwa-Tubosun est aujourd'hui c¨¦l¨¦br¨¦ dans son pays et ¨¤ l'v¨¦l utilisant les entreprises pour r¨¦soudre un probl¨¨me majeur de la soci¨¦t¨¦.
Elle a ¨¦t¨¦ mentionn¨¦e dans les m¨¦dias internationaux, notamment CNN, Bloomberg, The Guardian et Newsweek. Elle a rencontr¨¦ certaines des personnes les plus riches du monde, dont le milliardaire chinois et fondateur d'Alibaba, Jack Ma, ainsi que le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg.
Lorsque M. Zuckerberg s'est rendu au Nigeria en 2016, juste apr¨¨s le lancement de LifeBank, il a d¨¦clar¨¦ "C'est une chose (LifeBank) qui doit exister. Si elle peut r¨¦ellement le faire, elle montrera un mod¨¨le qui aura un impact non seulement sur Lagos, non seulement sur le Nigeria, mais sur les pays du monde entier".
Jeune, fut¨¦e et ¨¦nergique cette entrepreneuse form¨¦e aux ?tats-Unis s'est donn¨¦ pour mission de r¨¦duire le nombre de d¨¦c¨¨s maternels dans son pays.?
Exp¨¦rience personnelle
LifeBank est apparue par hasard. En f¨¦vrier 2014, Mme Giwa-Tubosun a accouch¨¦ d'un b¨¦b¨¦ pr¨¦matur¨¦ dans un h?pital du Minnesota, aux ?tats-Unis. Elle d¨¦crit le processus d'accouchement comme "compliqu¨¦ et p¨¦nible".
Cette exp¨¦rience l'a amen¨¦e ¨¤ r¨¦fl¨¦chir au sort de nombreuses autres femmes nig¨¦rianes qui n'ont pas eu la chance de voyager ¨¤ l'¨¦tranger pour avoir un b¨¦b¨¦.
"Je savais ¨¤ quel point je me sentais mal dans mon lit d'h?pital, ce que ressentent d'autres femmes dans des conditions similaires. J'ai d¨¦cid¨¦ que je devais sauver des vies", dit-elle dans un entretien avec Afrique Renouveau, ajoutant qu'elle aurait pu mourir d'une h¨¦morragie post-partum - la perte de sang - si elle avait livr¨¦ le b¨¦b¨¦ au Nigeria.
"? ce moment-l¨¤, j'ai su que je devais trouver ce probl¨¨me dans mon pays et essayer de le r¨¦soudre. Je savais que cela m'apporterait de la joie et une destin¨¦e."
En fait, elle n'avait pas besoin de trouver le probl¨¨me ; il ¨¦tait sous ses yeux. "Huit femmes sur dix qui se vident de leur sang (lors de l'accouchement) peuvent ¨ºtre sauv¨¦es si le sang est facilement disponible", souligne-t-elle.
Le Nigeria est responsable de "pr¨¨s de 20% de tous les d¨¦c¨¨s maternels dans le monde", selon l'Organisation mondiale de la sant¨¦, ajoutant que : "Entre 2005 et 2015, on estime que plus de 600.000 d¨¦c¨¨s maternels et pas moins de 900.000 cas de quasi-accidents maternels se sont produits dans le pays".
Le Service national de transfusion sanguine nig¨¦rian s'alarme fr¨¦quemment de la diminution du nombre de donneurs de sang dans le pays. Par exemple, ¨¤ Lagos o¨´ se trouve le si¨¨ge de LifeBank, seulement 80 000 pintes (soit 43 %) des 185 000 pintes de sang n¨¦cessaires chaque ann¨¦e sont collect¨¦es.
LifeBank s'est facilement taill¨¦ une place de choix. Les patients qui ont besoin de sang ou les h?pitaux, en particulier dans les zones rurales, n'ont pas acc¨¨s aux banques de sang ; les banques de sang recherchent de tels patients et h?pitaux. LifeBank fait le lien entre les deux, en fournissant les bonnes informations sur le type et la s¨¦curit¨¦ du sang et de l'oxyg¨¨ne et en assurant des livraisons rapides.
"Les commandes sont un processus transparent", explique Mme Giwa-Tubosun. Les patients ou les m¨¦decins passent leurs commandes via le site web ou l'application de LifeBank ou simplement en t¨¦l¨¦phonant ¨¤ la soci¨¦t¨¦. L'entreprise contacte alors imm¨¦diatement la banque de sang la plus proche du patient, et l'op¨¦ration de livraison est activ¨¦e.?
Parfois, c'est ¨¤ moto que l'on se fraye un chemin ¨¤ travers les embouteillages dans les villes dens¨¦ment peupl¨¦es comme Lagos ; d'autres fois, c'est un drone qui vole au-dessus de la ville pour d¨¦poser le colis ; dans les zones fluviales, des bateaux sont utilis¨¦s pour assurer des livraisons rapides.
L'entreprise utilise Google Maps pour calculer et surveiller les itin¨¦raires entre l'emplacement des banques de sang, des v¨¦hicules de livraison et des h?pitaux.
"Nous travaillons avec 100 banques de sang ¨¤ travers le Nigeria. Nous disposons d'une base de donn¨¦es de leur inventaire", dit-elle.?
Son ambitieux plan d'expansion est en bonne voie, en partie gr?ce au premier prix de 250 000 dollars qui lui a ¨¦t¨¦ d¨¦cern¨¦ en 2019 par l'African Netpreneur Prize Initiative, organis¨¦ par la Fondation Jack Ma.
Op¨¦rant actuellement dans les ?tats nig¨¦rians de Lagos, Oyo, Kano, Rivers et la capitale Abuja, Mme Giwa-Tubosun esp¨¨re pouvoir bient?t s'installer dans d'autres villes et villages du nord-est du Nigeria.?
Dans le m¨ºme temps, elle a le regard tourn¨¦ vers d'autres pays africains. L'ann¨¦e derni¨¨re, elle s'est associ¨¦e ¨¤ l'Agence de s¨¦curit¨¦ des r¨¦seaux d'information du gouvernement ¨¦thiopien pour tester avec succ¨¨s des drones qui collectent du sang dans les banques de sang et le livrent aux h?pitaux.
Elle esp¨¨re trouver une place en ?thiopie ¨¤ l'avenir. "Mais au moment o¨´ cette interview sera publi¨¦e", s'enthousiasme-t-elle, "nous serons au Kenya ¨¤ livrer du sang et de l'oxyg¨¨ne aux h?pitaux, aux patients.
"Nous avons le m¨ºme probl¨¨me dans la plupart des pays d'Afrique - et m¨ºme dans le monde entier. Il y a une demande pour des fournitures essentielles de sang et d'oxyg¨¨ne, au bon endroit et au bon moment".
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Mais les choses n'ont pas ¨¦t¨¦ faciles pour Mme Giwa-Tubosun, qui continue de jongler entre la gestion d'une entreprise en pleine expansion dans un environnement commercial difficile et la prise en charge de son enfant de six ans tout en ¨¦tant une ¨¦pouse.
"Le soutien de ma famille est la cl¨¦ de notre succ¨¨s", reconna?t-elle.
L'environnement des affaires au Nigeria n'est pas des plus amicaux. Elle en atteste : "Si vous pouvez cr¨¦er une entreprise ¨¤ Lagos, vous pouvez le faire n'importe o¨´ ailleurs. Ce serait du g?teau".
Elle a d? faire face ¨¤ des d¨¦fis tels que l'octroi de licences, l'opacit¨¦ de l'environnement r¨¦glementaire, le manque de financement, la m¨¦diocrit¨¦ des infrastructures - eau, routes, ¨¦lectricit¨¦ - etc. "Les mauvaises routes endommagent nos v¨¦hicules. Nous devons avoir un g¨¦n¨¦rateur de secours pour l'¨¦lectricit¨¦."
Pourtant, elle affirme que "le Nigeria est tr¨¨s prometteur. Je dois faire ma part. Et je vais dire ¨¤ d'autres jeunes entrepreneurs de prendre un risque, de s'engager dans des op¨¦rations ¨¦volutives, intelligentes et efficaces. Le march¨¦ est ¨¦norme".
Les femmes d'affaires nig¨¦rianes doivent-elles faire face ¨¤ d'autres d¨¦fis uniques ? "Les femmes qui font des choses peu communes sont confront¨¦es ¨¤ des d¨¦fis", dit-elle en haussant les ¨¦paules. "C'est une soci¨¦t¨¦ incroyablement patriarcale. Mais j'aime faire les choses difficiles."