Note de du r¨¦dacteur en chef?: Lors de sa visite, en octobre 2018, du?Temple d¡¯Or de la ville indienne d¡¯Amritsar, le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral des Nations Unies Ant¨®nio Guterres a d¨¦crit ce lieu comme ¨¦tant ??un lieu de paix, de tol¨¦rance et d¡¯harmonie; il est sacr¨¦ pour les Sikhs et ouvert ¨¤ toutes les personnes, quelles que soient leur religion. J¡¯ai eu le grand honneur de partager l¡¯esprit chaleureux et g¨¦n¨¦reux de ce lieu saint??.
Dix-huit mois plus tard, un autre esprit chaleureux et g¨¦n¨¦reux s¡¯est ¨¦lev¨¦ des t¨¦n¨¨bres de la pand¨¦mie de COVID-19 dans le district de Moga, situ¨¦ ¨¤ une centaine de kilom¨¨tres d¡¯Amritsar.
Lyubov Ginzburg raconte l¡¯histoire remarquable de Gurdev Kaur.
?
Lorsqu¡¯une ordonnance rendant obligatoire le port du masque est entr¨¦e en vigueur au d¨¦but du mois d¡¯avril 2020 dans l¡¯?tat du Pendjab, en Inde, ce pays de 1,3 milliard d¡¯habitants ¨¦tait, depuis trois semaines, soumis ¨¤ un confinement afin d¡¯¨¦viter la propagation du nouveau coronavirus, aujourd¡¯hui plus connu sous le nom de COVID-19. Dans le monde entier, la pand¨¦mie d¨¦chire le tissu m¨ºme de nos soci¨¦t¨¦s, exacerbant les d¨¦fis persistants. Elle touche de mani¨¨re disproportionn¨¦e les personnes les plus vuln¨¦rables, notamment celles qui ne sont pas en mesure de se prot¨¦ger ni de prot¨¦ger leur famille en suivant les consignes de s¨¦curit¨¦ de base comme se laver les mains, s¡¯isoler et se couvrir le visage. Pourtant, malgr¨¦ la douleur vive et les pertes en vies humaines, la crise a aussi fait surgir l¡¯esprit de don de soi et de sacrifice. Le partage a ¨¦t¨¦ aussi crucial pour faire face ¨¤ cette situation d¡¯urgence que bon nombre de mesures essentielles prises pour r¨¦sister au pouvoir destructeur du virus. Au moment o¨´, selon les termes du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral des Nations Ant¨®nio Guterres ??nous avons besoin du moindre brin de solidarit¨¦??, l¡¯histoire de Gurdev Kaur Dhaliwal, cette femme de 98 ans, r¨¦sidente du district de Moga, qui coud des masques pour les pauvres, est la manifestation ultime de la solidarit¨¦ au service d¡¯une cause. Dans une r¨¦cente de BBC Punjab, la presque centenaire a exprim¨¦ sa gratitude pour ??la volont¨¦ et la force?? dont elle a b¨¦n¨¦fici¨¦ tout au long de sa vie, ce qui lui a permis d¡¯offrir sans r¨¦serve son service inconditionnel ¨¤ la communaut¨¦.
Mme Gurdev Kaur, dont le nom de famille signifie l¡¯unit¨¦ d¡¯une vaste fraternit¨¦, est n¨¦e en 1922 en Inde britannique, ¨¤ Jai Singh Wala, un village situ¨¦ dans l¡¯?tat du Punjab, une destination historique r¨¦put¨¦e et le site d¡¯un sanctuaire sacr¨¦. Apr¨¨s avoir ¨¦pous¨¦ un entrepreneur prosp¨¨re de Singapour, Gurdial Singh Dhaliwal, elle a d¨¦m¨¦nag¨¦ ¨¤ 18 km de son village natal, au centre du district de Moga. N¡¯ayant pas pu obtenir l¡¯autorisation de ses parents pour poursuivre une ¨¦ducation formelle, elle s¡¯est consciencieusement consacr¨¦e, comme la majorit¨¦ des femmes de sa g¨¦n¨¦ration, aux t?ches m¨¦nag¨¨res et s¡¯est occup¨¦e de leurs quatre fils et de leurs deux filles. Contrainte par les r?les traditionnels li¨¦s au sexe, elle a cherch¨¦ ¨¤ enrichir sa vie spirituelle en lisant des textes sacr¨¦s qu¡¯elle continue d¡¯¨¦tudier aujourd¡¯hui. Elle a laiss¨¦ libre cours ¨¤ sa cr¨¦ativit¨¦ en cr¨¦ant des mod¨¨les de?v¨ºtements ainsi que d¡¯autres articles qu¡¯elle cousait ¨¤ l¡¯aide d¡¯une ancienne machine ¨¤ coudre manuelle de la marque Singer, qui ne l¡¯a jamais quitt¨¦e depuis que sa belle-famille l¡¯a ramen¨¦e de la p¨¦ninsule malaise, il y a pr¨¨s de 80 ans.
L¡¯affirmation de l¡¯existence quotidienne comme une opportunit¨¦ de cultiver la charit¨¦ (d¨¡n) et de pratiquer le service d¨¦sint¨¦ress¨¦ (sev¨¡), qui sont pr¨ºch¨¦s dans les textes sacr¨¦s, ainsi que l¡¯incontournable machine ¨¤ coudre, toujours ¨¤ port¨¦e de main, ont pr¨¦d¨¦termin¨¦ sa d¨¦cision d¡¯aller de l¡¯avant et de contribuer ¨¤ la lutte contre la pand¨¦mie de COVID-19. Selon l¡¯Organisation mondiale de la sant¨¦ et du Minist¨¨re indien de la sant¨¦ et de la protection de la famille, le fait de se couvrir le visage est l¡¯un des moyens les plus simples de r¨¦duire le risque de contracter le virus et de le propager. Lorsque le fl¨¦au a atteint Moga, ¨¤ la fin de l¡¯hiver 2020, il y avait une p¨¦nurie importante de masques dans la ville et, pour ne rien arranger, ils ¨¦taient chers. D¨¨s que Gurdev a remarqu¨¦ que de nombreux vendeurs de l¨¦gumes locaux n¡¯avaient pas les moyens de se procurer ce moyen de protection le plus ¨¦l¨¦mentaire, elle a d¨¦cid¨¦ de consacrer huit heures par jour ¨¤ la fabrication de masques en coton pour les personnes dans le besoin. ??Je veux que tout le monde soit prot¨¦g¨¦ pendant la pand¨¦mie et puisse prendre soin de soi en cette p¨¦riode difficile??, a-t-elle expliqu¨¦. ??J¡¯essaie de faire de mon mieux pour aider les autres et je continuerai de fabriquer des masques pour ceux qui n¡¯en ont pas.??
Cette t?che s¡¯est rapidement ajout¨¦e ¨¤ son emploi du temps d¨¦j¨¤ charg¨¦. Lev¨¦e ¨¤ l¡¯aube, elle fait ses pri¨¨res puis, en se d¨¦pla?ant ¨¤ l¡¯aide d¡¯un d¨¦ambulateur, elle s¡¯installe devant sa machine ¨¤ coudre ¨¤ 8 heures, s¡¯employant chaque jour ¨¤ cette t?che louable jusqu¡¯¨¤ 16 heures. Lorsqu¡¯elle est occup¨¦e par son travail, elle fait preuve d¡¯une force admirable et sto?que, coud pendant des heures et confectionne?environ 100 masques par jour. La pers¨¦v¨¦rance de cette nonag¨¦naire se refl¨¨te dans chaque tour de volant, actionnant l¡¯ancienne machine bien huil¨¦e avec son in¨¦puisable?¨¦nergie. ??Depuis 25 ans, je ne vois presque plus d¡¯un ?il??, dit-elle, ??mais, gr?ce ¨¤ Dieu, je vois tr¨¨s bien de l¡¯autre. J¡¯aime aider les autres et je ne suis jamais fatigu¨¦e tant que c¡¯est pour une bonne cause. Mes mains ne sont jamais fatigu¨¦es. Je veux aider.?? Revigor¨¦e par le cliquetis de sa compagne de longue date, elle est souvent tellement absorb¨¦e par son travail qu¡¯il faut lui rappeler de prendre une pause pour boire une tasse de th¨¦ ou partager un repas avec sa famille lorsque l¡¯heure est venue.
Interrog¨¦e sur sa grand-m¨¨re, Mme Ramandeep Kaur explique que son d¨¦vouement inspire toute la communaut¨¦. ??Ma grand-m¨¨re a une force de caract¨¨re exceptionnelle et, en m¨ºme temps, elle est chaleureuse et bienveillante. Lorsqu¡¯elle n¡¯est pas occup¨¦e par ses activit¨¦s caritatives, elle aime lire ou regarder les journaux t¨¦l¨¦vis¨¦s, car elle est tr¨¨s int¨¦ress¨¦e par le bien-¨ºtre du monde, par l¡¯humanit¨¦ ainsi que par l¡¯avenir de la plan¨¨te et est sinc¨¨rement concern¨¦e par ces questions??, commente-t-elle affectueusement. Par de simples actes de gentillesse et de bienveillance, la matriarche de la famille encourage les jeunes g¨¦n¨¦rations ¨¤ abandonner leurs projets ¨¦go?stes, leurs remords, leur apitoiement et leurs peurs et ¨¤ mettre plut?t ¨¤ profit leur confiance, leur d¨¦termination et leur bonne volont¨¦. Si, au d¨¦part, les membres de sa famille lui ont apport¨¦ un soutien moral, d¡¯autres se sont ensuite joints ¨¤ sa mission. Ramandeep affirme que le fait d¡¯aller vers les autres a ¨¦t¨¦ une exp¨¦rience lib¨¦ratrice pour eux tous. Cela leur a permis de mener ¨¤ bien cette t?che et les a aid¨¦s ¨¤ trouver la paix int¨¦rieure, att¨¦nuant le traumatisme de l¡¯isolement. ??Apporter notre aide est devenu crucial pour notre survie??, ajoute-t-elle. ??Cela permet de pr¨¦server nos valeurs humaines, de rester dynamiques et r¨¦silients face ¨¤ la d¨¦tresse et ¨¤ la frustration.??
Au fur ¨¤ mesure que les pr¨¦cieux masques sortaient de la cha?ne de montage ex¨¦cut¨¦s par une seule femme et qu¡¯ils ¨¦taient distribu¨¦s, la demande augmentait. Bon nombre de personnes recherchaient des masques gratuits et les demandes ont commenc¨¦ ¨¤ arriver des h?pitaux voisins. L¡¯administration locale, dirig¨¦e par Sandeep Hans, le Magistrat du district,? l¡¯a f¨¦licit¨¦e. Des voisins ainsi que de parfaits inconnus lui ont apport¨¦ des v¨ºtements ainsi que des morceaux de tissu pour ¨ºtre r¨¦employ¨¦s dans la fabrication des?masques de protection. ? la fin du mois de mai, de nombreux pays et de nombreuses r¨¦gions ont progressivement lev¨¦ les restrictions, mais l¡¯obligation de porter un masque est rest¨¦e en vigueur et, ¨¤ Moga, les plus vuln¨¦rables ont continu¨¦ de compter sur l¡¯engagement et les comp¨¦tences de Gurdev.
Alors que le soleil se l¨¨ve et que Gurdev se pr¨¦pare ¨¤ une nouvelle journ¨¦e, ¨¤ l¡¯autre bout du monde, la ville de New York, d¨¦serte et encore confin¨¦e, appr¨¦cie la douceur d¡¯une soir¨¦e de printemps, perc¨¦e par des myriades de faisceaux lumineux qui dessinent la silhouette de ses ¨¦difices embl¨¦matiques. Au c?ur d¡¯une m¨¦tropole impitoyablement d¨¦vast¨¦e par la pand¨¦mie, une rue historique, non loin du Si¨¨ge des Nations Unies, donne une autre dimension ¨¤ cette histoire de bon samaritain, renfor?ant son universalit¨¦ et affirmant le destin collectif de l¡¯humanit¨¦. C¡¯est l¨¤, rue Mott, qu¡¯ont ¨¦t¨¦ fabriqu¨¦es, il y a 170 ans, les premi¨¨res machines ¨¤ coudre Singer qui sont rapidement devenues la marque la plus connue au monde, incarnant ¨¤ la fois la?modernit¨¦ naissante de l¡¯¨¨re industrielle et le pouvoir de la technologie sur les femmes. Depuis sa cr¨¦ation, Singer a contribu¨¦ au renforcement de la coh¨¦sion sociale, reconnue par le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral comme une condition pr¨¦alable ¨¤ l¡¯unit¨¦ et au succ¨¨s dans la lutte contre le virus de l¡¯ignorance ainsi que contre la haine raciale et religieuse. Dans le cadre de la pand¨¦mie actuelle, Singer a fait don de centaines de machines ¨¦lectriques, modernes et robustes aux h?pitaux am¨¦ricains les plus touch¨¦s pour fabriquer des ¨¦quipements de survie, comme le fait Gurdev en Inde.
La demande en masques et en articles essentiels n¡¯a pas connu de cesse, tout comme les r¨¦cits de ??guerriers du corona?? altruistes, d¨¦termin¨¦s et r¨¦solus. Comme Mme Gurdev Kaur Dhalival, ces femmes et ces hommes exceptionnels ont choisi de prendre part ¨¤ la riposte mondiale ¨¤ une ¨¦pid¨¦mie virale d¨¦vastatrice qui ne peut ¨ºtre vaincue que par la solidarit¨¦.?
L¡¯auteur tient ¨¤ remercier Mme Sunita Chabra et M. Vinnie Chabra pour leur aide pr¨¦cieuse ¨¤ la traduction anglaise de la ±¹¾±»å¨¦´Ç de BBC Punjab.
?
?
La?Chronique de l¡¯ONU?ne constitue pas un document officiel. Elle a le privil¨¨ge d¡¯accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingu¨¦s ne faisant pas partie du syst¨¨me des Nations Unies dont les points de vue ne refl¨¨tent pas n¨¦cessairement ceux de l¡¯Organisation. De m¨ºme, les fronti¨¨res et les noms indiqu¨¦s ainsi que les d¨¦signations employ¨¦es sur les cartes ou dans les articles n¡¯impliquent pas n¨¦cessairement la reconnaissance ni l¡¯acceptation officielle de l¡¯Organisation des Nations Unies.?