Les négociations commerciales : où est le développement ?
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Les négociations commerciales : où est le développement ?
Six journées de pressions, de tractations de nuit et de séances à huis clos à Hong Kong ont abouti de justesse à une concession européenne de dernière minute sur les subventions agricoles, épargnant ainsi l’humiliation d’un autre échec à la conférence au sommet de décembre 2005 de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cette concession a également permis la poursuite des difficiles négociations sur la libéralisation du commerce mondial, entamées à Doha (Qatar) en 2001. Le ministre du commerce du Royaume-Uni, Alan Johnson, a qualifié l’accord conclu à Hong Kong d’“échec évité de justesse.” Même le Directeur général de l’OMC, Pascal Lamy, qui a salué le sommet pour avoir sorti les négociations “de l’hibernation”, a reconnu qu’on n’en était qu’à mi-chemin, un an après que les pourparlers auraient dû en principe s’achever.
Quatre ans après la promesse faite par le Nord industriel selon laquelle le but principal de Doha serait d’aider les populations pauvres de la planète, de nombreux pays africains et autres pays en développement remettent en cause les résultats de Hong Kong ainsi que l’équité du système commercial mondial. À leur avis, les principaux éléments du programme de développement ont été relégués au second plan des négociations ou complètement ignorés. Le scepticisme croissant du Sud s’est manifesté le 24 novembre lors de la réunion des ministres du commerce de l’Afrique à Arusha (Tanzanie), au cours de laquelle l’absence de résultats concrets sur les questions de développement a été dénoncée bien que le programme de travail lancé à Doha ait été présenté comme un cycle de négociations sur le développement.
Quatre ans après la promesse faite par le Nord industriel selon laquelle le but principal de Doha serait d’aider les populations pauvres de la planète, de nombreux pays africains et autres pays en développement remettent en cause les résultats de Hong Kong ainsi que l’équité du système commercial mondial.
Les négociations devant reprendre le 30 avril au siège de l’OMC à Genève, un nombre croissant d’économistes, d’experts commerciaux et de représentants d’organisations non gouvernementales du Nord comme du Sud ont repris à leur compte les récriminations des ministres africains.
L’ordre du jour de Doha
La décision d’appeler le processus de Doha cycle de négociations “sur le développement” illustrait la volonté retrouvée des pays pauvres de s’affirmer davantage au sein de l’OMC. La réunion de 1999 de Seattle s’était soldée par un échec en raison du refus des pays en développement, et en particulier de l’Afrique, d’entamer des négociations sur de nouvelles questions tant que les injustices découlant de l’accord commercial précédent, connu sous le nom de cycle d’Uruguay, n’auraient pas été corrigées. Pour s’assurer que les questions qui les préoccupaient (voir Afrique Relance décembre 2001) seraient inscrites à l’ordre du jour de la réunion de Doha, les pays industrialisés ont accepté d’y examiner des questions “liées aux développement” intéressant l’Afrique, dont :
- La correction des iniquités qui prévalaient dans les accords commerciaux antérieurs
- L’élimination des subventions agricoles accordées par le Nord
- Le renforcement des dispositions concernant les “traitements spéciaux et différentiels”
- L’amélioration de l’accès des pays en développement aux consommateurs des pays riches
- L’intensification de l’aide au commerce pour encourager les pays africains à augmenter leur production à l’exportation
L’absence de progrès enregistrés sur ce “programme de développement de Doha” a provoqué l’échec en 2003 du sommet de l’OMC à Cancun (Mexique), les pays en développement, agacés, ayant une nouvelle fois rejeté l’idée de nouvelles négociations. L’impasse persistante sur la question des subventions agricoles et l’inertie manifestée sur la plupart des autres questions de développement semblaient condamner aussi la réunion de Hong Kong. “La question du développement est la raison d’être des pourparlers de Hong Kong”, ont prévenu les ministres africains. “Il faudra obtenir des résultats concrets dans ce domaine."
Dans une déclaration prononcée le 13 décembre à la réunion de Hong Kong, le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, s’est prononcé en ce sens, affirmant devant les délégués que “le développement (de réelles améliorations dans la vie de gens bien réels) reste la principale mesure du succès du Cycle de Doha. Quelles que soient les autres mesures de moindre envergure sur lesquelles vos négociations déboucheront, le développement sur une grande échelle est l’aune à laquelle votre action sera jugée.”
Ce sont les détails qui comptent
La déclaration de dernière minute du Commissaire au commerce de l’Union européenne, Peter Mandelson, selon laquelle l’Union européenne supprimerait les subventions aux exportations agricoles d’ici à 2013, en même temps que l’acceptation d’avantages modestes en faveur des pays les moins avancés, les promesses d’un financement accru de l’aide au commerce et la décision de Washington d’examiner certaines revendications des agriculteurs africains victimes des subventions américaines au coton (voir encadré) ont permis de sauver les négociations.
En échange, les pays africains et autres pays en développement ont accepté d’élargir les débats sur la libéralisation des services - priorité européenne et américaine de longue date. Ils ont également accepté d’abaisser leurs tarifs douaniers sur les produits industriels de manière à ouvrir leurs marchés aux importations de biens manufacturés avant que les États-Unis, l’Europe ou le Japon ouvrent les leurs. Selon le chef de la délégation béninoise, l’ambassadeur Samuel Amehou, la question n’est pas de savoir si les pays en développement devaient composer à Hong Kong, mais si l’accord global répondait à leurs intérêts économiques et contribuait au développement.
La réponse se trouve dans le véritable dédale de détails, dont beaucoup restent à négocier. Mais d’ores et déjà, certains experts du Nord et du Sud prétendent que l’accord conclu à Hong Kong ne répond pratiquement pas aux objectifs de développement de l’Afrique et renie les promesses faites à Doha.
Dans le domaine agricole, l’experte commerciale Aileen Kwa a confié à Afrique Renouveau que “les pays développés n’ont pas vraiment bougé sur les subventions, sauf pour rappeler inlassablement la date butoir (de 2013) fixée par les Européens.” Mme Kwa a fait remarquer que l’offre de l’Union européenne ne visait que les subventions aux exportations, d’un montant de trois milliards d’euros par an, alors que les subventions intérieures et autres types de subventions, d’une valeur de 55 milliards d’euros, considérées comme “n’ayant pas d’effets de distorsion sur les échanges” étaient maintenues.
Il en est de même pour les subventions agricoles américaines, a-t-elle noté, “car comme il est impossible de séparer la production nationale de la production à l’exportation, toutes les subventions finissent par aider les exportations, ce qui porte préjudice aux petits agriculteurs” des pays pauvres.
Recul sur les tarifs douaniers et les services
L’accord conclu sur les tarifs douaniers n’est pas meilleur. Au sommet de Hong Kong, les pays en développement ont accepté à contrecoeur une formule de réduction des tarifs aux termes de laquelle les pays pauvres s’engageraient à réduire leurs prélèvements sur les articles manufacturés avant que les pays riches fassent de même. Les ministres du commerce africains ont pourtant fait valoir que les programmes d’ajustement structurel et les accords d’aide bilatéraux conclus en dehors du cadre de l’OMC les avaient déjà contraints à opérer des coupes sombres dans leurs tarifs douaniers et que de nouveaux abaissements seraient injustes et imprudents.
L’ambassadeur Amehou a affirmé à Afrique Renouveau que l’accord “ne contribuera pas au développement de nos pays. Nous aussi, nous aimerions développer nos industries….nous avons expliqué à nos homologues (des pays développés) que le FMI et la Banque mondiale nous ont déjà imposé pas mal de conditions. On ne devrait pas avoir à en faire plus. Autrement, nos industries risquent de disparaître. L’Afrique risque d’être submergée par les marchandises venues d’ailleurs."
Dans le domaine des services, les pays en développement ont cherché à ouvrir davantage l’accès aux marchés du Nord de leurs industries de services à forte intensité de main d’œuvre comme la construction et les transports maritimes, où leurs bas salaires leur accordent un avantage compétitif. Ils ont également essayé de préserver certains privilèges des accords passés qui leur permettaient de protéger les secteurs fragiles de leurs économies, comme la banque ou le tourisme, de la concurrence internationale. Mais, précise Mme Kwa, “les pays développés ont obtenu ce qu’ils voulaient – négocier des accords sur des secteurs entiers des économies des pays en développement” sans aucune contrepartie.
Intérêts lésés
L’accord conclu sur l’accès en franchise et hors quota de 97% des exportations des pays les moins avancés sur les marchés du Nord a été salué comme un grand succès à Hong Kong. Mais même cet accord ne tient pas la route. À première vue, il n’y a rien à dire, déclare Tetteh Hormeku, directeur de programme pour l’Afrique de l’organisation non gouvernementale Third World Network, mais, à y regarder de plus près, même un accès total en franchise des exportations de ces pays-là ne veut rien dire s’ils n’ont pas grand-chose à exporter. Bien qu’une personne sur huit vive dans ces pays, leurs économies ne produisent que très peu de produits exportables, représentant à peine 0,5% des exportations dans le monde.
De l’avis de M. Hormeku, l’accord n’a pratiquement aucun sens dans sa forme actuelle du fait du maintien des tarifs douaniers sur les 3% des marchandises qui comptent. “Ces 3% pourraient permettre aux pays développés d’exclure les pays les moins avancés de leurs marchés». Aux termes de cet accord, précise-t-il, un pays en développement comme la Zambie aurait le droit d’exporter hors taxe aux Etats-Unis des avions et des ordinateurs, articles que la Zambie ne produit pas, “mais pas du cuivre ou du riz que ce pays produit."
La diversification des produits à l’exportation et l’amélioration de leur qualité permettraient aux pays en développement de tirer meilleur parti de l’accord. À cette fin, les pays industrialisés ont annoncé le renforcement des programmes d’aide au commerce dans le cadre de l’accord avec les pays les moins avancés. Mais une nouvelle fois les intérêts de ces pays s’en sont trouvés lésés.
Le chef de la délégation zambienne, l’ambassadeur Love Mtesa, a parlé au nom de nombreuses délégations africaines lorsqu’il a expliqué aux journalistes présents au sommet que “la libéralisation économique…a abouti au chômage et à la fermeture d’entreprises en Zambie. Pour que l’aide au commerce ait un sens, il faudrait qu’elle contribue à régler les problèmes que rencontre l’offre”, c’est-à-dire qu’elle aide les pays pauvres à augmenter la quantité de leurs exportations et à en améliorer la qualité. Mais les pays industrialisés ont insisté pour que l’aide accrue accordée aux pays en développement soit consacrée à l’application des dispositions fixées par l’OMC.
“L’aide au commerce ne tient pas compte du fond du problème”, convient M. Amehou, l’ambassadeur du Bénin. “Prenez l’exemple de mon pays. On exportait depuis des années des crevettes sur les marchés européens, mais l’an dernier on a eu des problèmes avec les directives (de santé) phytosanitaires. Nous ne disposons pas de laboratoires pour les inspections.” Aider le Bénin à s’en doter est un exemple concret d’assistance utile.
Rien n’a changé
Les pays africains n’ont pas réussi non plus à faire corriger les disparités et déséquilibres qui régissent les règles commerciales actuelles, que l’OMC nomme “problèmes d’exécution."
Le refus des pays développés de tenir compte des préoccupations des pays pauvres face aux problèmes d’exécution et au traitement spécial et différentiel, avait contribué à l’échec de la réunion de l’OMC en 1999 à Seattle. Depuis cette date, les pays en développement ont présenté, selon M. Hormeku, plus de 200 propositions visant à modifier les accords existants et à améliorer les dispositions relatives au traitement spécial et différentiel. À l’issue de la réunion de Hong Kong, toutefois, seules cinq recommandations ont été adoptées, dont une dérogation provisoire aux règles régissant les investissements liés au commerce et une formulation qui “demandait instamment” aux donateurs de ne pas affaiblir les mesures en matière de traitement spécial et différentiel en imposant des conditions à l’octroi d’une aide ou de prêts dans le cadre d’accords bilatéraux. Mais même ces concessions modestes ne visent que les pays les moins avancés.
Globalement, affirme l’ambassadeur Amehou, “la réunion de Hong Kong n’a pas répondu à nos attentes. On espérait plus dans le domaine agricole, sur les pays les moins avancés et le traitement spécial et différentiel. Mais en fin de compte on n’a obtenu que très peu de choses sur les subventions à l’exportation, sur les pays les moins avancés et rien de particulier sur les problèmes d’exécution."
Le principal sujet de préoccupation de l’Afrique a été l’octroi de subventions aux agricultures du Nord, a-t-il poursuivi, “et sur les subventions intérieures on espérait vraiment des progrès tangibles. Mais rien n’a été fait!
Plus de quatre ans après le lancement du “programme de développement de Doha», ajoute l’ambassadeur, on a du mal à accorder une quelconque crédibilité à cette désignation. “Où est ce cycle de “développement”? Peut-on encore parler d’un cycle de développement en l’absence de traitement spécial et différentiel lorsque les pays les moins avancés ne bénéficient d’aucune disposition avantageuse et qu’aucune aide concrète n’est accordée au commerce?"
Pour sa part, M. Hormeku de Third World Network note que “les économies africaines n’ont pas profité de la libéralisation du commerce. Nous sommes toujours les parents pauvres de l’économie mondiale, qui rapatrie nos ressources et impose les conditions du FMI et de la Banque mondiale par le biais d’accords commerciaux…..Le système commercial actuel contraint les pays africains à ouvrir tous les secteurs de leurs économies aux importations dans des conditions qui découragent la production locale et la création d’emplois.”
La disparition des gains
Le système commercial international n’ayant pas réussi à créer la prospérité et le développement économique des populations pauvres du continent, les sceptiques se trouvent en position de force. À bien des égards, l’Afrique est plus pauvre et moins industrialisée qu’en 1986, année où le lancement des négociations commerciales d’Uruguay a marqué le début d’une nouvelle ère de libéralisation.
Vingt ans après, les nouvelles données publiées par la Banque mondiale font dire à certains économistes que si l’Afrique n’a pas réussi à tirer profit des bénéfices miroités de la libéralisation du commerce, c’est parce que ces bénéfices n’ont jamais réellement existé.
Selon une étude réalisée en 2003 par la Banque mondiale, l’issue heureuse des négociations de Doha devait permettre la création de nouvelles richesses d’un montant prodigieux de 832 milliards de dollars d’ici à 2015, dont la grande majorité – 539 milliards – devait aller aux pays en développement et permettre à 144 millions de leurs habitants de sortir de la pauvreté.
Des études récentes remettent toutefois en cause les premières estimations optimistes et soulèvent de nouvelles questions quant aux bénéfices de la libéralisation du commerce pour le développement des pays pauvres. En prévision de la réunion de Hong Kong, la Banque mondiale a estimé que, dans des conditions idéales, notamment si tous les tarifs douaniers et subventions agricoles étaient supprimés et si le plein emploi était réalisé à l’échelle mondiale – ce qui paraît peu probable – le cycle de Doha permettrait de dégager 287 milliards de dollars de richesses nouvelles d’ici à 2015, soit à peine un tiers des prévisions de 2003. Dans ce cas de figure il est vrai utopique, les pays en développement recevraient 90 milliards de dollars seulement, soit 31% des bénéfices, le reste allant aux pays riches.
Dans un cas de figure plus réaliste, les mêmes experts ont conclu que Doha ne créerait au total que 96 milliards de dollars de richesses supplémentaires, dont 80 milliards de dollars iraient au Nord industriel et 16 milliards seulement au Sud en développement.
Une analyse plus approfondie de ce cas de figure réalisée par deux chercheurs américains, Timothy Wise, de l’Université Tufts et Kevin Gallagher, professeur à l’Université de Boston, révèle que, loin de sortir l’Afrique de la pauvreté, la libéralisation du commerce ne ferait gagner que moins d’un centime américain par jour en moyenne à chaque habitant des pays en développement et ne réduirait les taux de pauvreté dans le monde que de moins de 0,5%.
De surcroît, la moitié de ces gains, soit quelque huit milliards de dollars, seraient engrangés par huit pays seulement – l’Argentine, le Brésil, la Chine, l’Inde, le Mexique, la Thaïlande, la Turquie et le Viet Nam, alors que les pays les moins avancés, dotés des économies les plus faibles, en bénéficieraient le moins. En revanche, les coûts et les pertes encourus par la poursuite de la libéralisation sont distribués plus largement. À partir d’études précédentes de la Banque mondiale, MM. Wise et Gallagher ont évalué les coûts administratifs de l’application des directives de l’OMC dans trois domaines seulement – l’hygiène alimentaire, la propriété intellectuelle et les réformes des services douaniers – à quelque 130 millions de dollars par an en moyenne par pays pauvre, pour un montant total de quelque quatre milliards de dollars.
La diminution sensible des tarifs douaniers risque également de s’avérer très coûteuse pour les pays africains et les autres pays en développement. Selon le résultat final des négociations sur les réductions tarifaires, la CNUCED estime que les pays pauvres risquent de subir un manque à gagner de l’ordre de 60 milliards de dollars.
“La libéralisation entrave le développement”
La libéralisation du commerce n’ayant pas réussi à stimuler le développement économique des pays pauvres, un nombre croissant d’économistes se posent des questions sur sa véritable utilité. Thomas Palley, économiste à l’Université de Yale, écrivait au début de 2006 que “la pensée économique actuelle est plus réservée sur l’effet positif du commerce sur le développement et la réduction de la pauvreté…Il y a une dizaine d’années, cette pensée affirmait haut et fort que le commerce stimule le développement. Si c’était vrai, compte tenu de la véritable explosion des échanges commerciaux des 25 dernières années, il aurait dû y avoir une forte croissance économique. En fait, on a assisté à un ralentissement de la croissance économique par rapport au quart de siècle précédent. Ceci laisse supposer que, dans le meilleur des cas, le commerce et la croissance n’ont qu’un rapport éloigné”, et que le commerce et la réduction de la pauvreté n’ont pratiquement rien en commun.
Écrivant dans Foreign Policy in Focus, magazine de Washington, M. Palley soutient que si la croissance est nécessaire pour réduire la pauvreté dans les pays en développement, elle n’est pas suffisante. “La véritable priorité des politiques économiques est l’amélioration des conditions de vie et non pas la croissance, dit-il. L’affirmation selon laquelle le commerce contribue par définition à réduire la pauvreté est contredite par la disparité croissante des revenus dans le Nord et le Sud…L’écart qui se creuse entre ces deux mondes au niveau des richesses prouve bien que l’effet bénéfique du commerce est minime».
Affirmant que les pays pauvres devraient envisager l’abandon des modèles de développement axés sur le libre commerce au profit de politiques de protection et de développement de leurs marchés intérieurs, M. Palley cite certaines études récentes pour affirmer que l’expansion commerciale découle du développement, plutôt que le contraire.
Mauvaise foi
L’ancien économiste principal de la Banque mondiale et lauréat du Prix Nobel, Joseph Stiglitz, se pose aussi des questions sur le lien qui existe entre le développement et le libre commerce. “Économiste principal à la Banque mondiale, j’ai étudié le déroulement du cycle d’Uruguay pour arriver à la conclusion que les sujets qui y ont été abordés et les résultats obtenus ont désavantagé les pays en développement”, écrivait-il en décembre 2005.
“Le cycle actuel de négociations sur le développement ne mérite pas son nom, poursuit-il. Un grand nombre de questions qui y sont débattues n’auraient jamais dû figurer à l’ordre du jour de véritables négociations sur le développement, alors que de nombreuses questions qui auraient dû y figurer n’y figurent pas….Ceux qui affirment dans les pays en développement que ces négociations ont été menées avec une certaine mauvaise foi n’ont pas tout à fait tort."
Dans une étude intitulée “Fair Trade for None”, M. Stiglitz écrit qu’ “il n’est pas surprenant que les négociateurs des pays riches lancent à la cantonade des statistiques impressionnantes en vantant les avantages de l’accord, même s’il est boiteux. Ils avaient fait la même chose la dernière fois. Pour leur part, les pays en développement n’ont pas mis longtemps à comprendre que les bénéfices qu’ils en tireraient seraient bien inférieurs aux bénéfices annoncés; quant aux pays les plus pauvres, ils ont constaté avec stupeur qu’en fait leur situation se détériorait."
Alors que les négociations du cycle de Doha tirent à leur fin, M. Stiglitz se demande si les pays en développement ont plus à gagner en s’ouvrant aux marchés internationaux, qu’à perdre en se soumettant aux exigences des pays riches. À son avis, de nombreux pays en développement finiront par se dire qu’il vaut mieux ne pas avoir d’accord que d’avoir un accord préjudiciable, comme c’est actuellement le cas.
La récession du coton africain
Les 10 millions d’agriculteurs de coton de l’Afrique de l’Ouest réclament depuis des années la suppression de près de cinq milliards de dollars de subventions accordées par les autorités américaines à leur industrie cotonnière, intérieure et exportée, faisant valoir que celles-ci déprimaient les cours et les condamnaient à la misère. À la tête de ces revendications il y a quatre pays – le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et le Tchad – dont la fibre de coton représente 40% des recettes d’exportation annuelles. Ces pays ont demandé la suppression de quelque 644 millions de dollars de subventions accordées à l’exportation du coton américain d’ici la fin de 2005 et la réduction de 80% des près de 4,3 milliards de dollars de subventions à la production intérieure américaine d’ici la fin de l’année, ainsi que l’élimination totale des subventions d’ici à 2009. La majorité des subventions accordées par les autorités américaines à leur industrie du coton ont été jugées illégales par une commission d’arbitrage de l’OMC en 2005. Les pays africains ont également cherché à obtenir des dédommagements pour leur manque à gagner, estimé à 250 millions de dollars par an, ainsi qu’une aide technique perfectionnée et l’ouverture des marchés.
À la place, ils ont obtenu l’engagement des États-Unis et des autres pays développés de supprimer leurs subventions à l’exportation d’ici la fin de 2006 et de réduire les subventions intérieures accordées aux cultures “ayant des effets de distorsion sur les échanges” plus rapidement que celles accordées aux autres cultures, dans le cadre d’un accord commercial global. Les États-Unis se sont également engagés à faire passer l’assistance technique de deux à sept millions de dollars par an et à autoriser l’entrée en franchise du coton de l’Afrique de l’Ouest sur les marchés américains. Certains critiques notent toutefois que le fait de subordonner la réduction des subventions intérieures américaines à l’issue heureuse des négociations de Doha risque de maintenir ces subventions de longues années encore malgré la décision de l’OMC. Ils soulignent par ailleurs que l’attribution de sept millions de dollars d’assistance technique est loin de compenser le manque à gagner de 250 millions de dollars par an. Le chef de la délégation béninoise à Doha, l’ambassadeur Samuel Amehou, a rejeté l’offre de Washington d’un accès au marché américain, faisant valoir que ce sont les subventions et non les tarifs douaniers, qui rendent le coton africain peu compétitif sur les marchés américains.