À la recherche d’euro-obligations
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Attirés par les faibles taux d’intérêt, les pays africains en mal de financement souhaitant emprunter de l’argent se tournent de plus en plus souvent vers le marché privé des euro-obligations, titres de dette émis par des investisseurs à l’intérieur de la zone euro. En 2006, les Seychelles sont devenues le premier pays d’Afrique subsaharienne, en dehors de l’Afrique du Sud, à émettre des obligations. Un an plus tard, le Ghana émettait à son tour 750 millions de dollars d’euro-obligations. Ces deux pays ont depuis été rejoints par le Gabon, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo, le Nigéria, la Namibie et plus récemment la Zambie.
En septembre dernier, la Zambie a pris d’assaut le marché international des capitaux privés en lançant pour 750 millions de dollars d’obligations sur dix ans. Cette émission a été sursouscrite de 11 millions de dollars, devenant du même coup un modèle pour d’autres nations africaines. En 2013, le Rwanda a lui-même émis quelque 400 millions de dollars d’euro-obligations auprès de la Bourse irlandaise. Afin de financer son déficit budgétaire, la Zambie envisage désormais d’émettre des euro-obligations à hauteur d’un milliard de dollars avant la fin de l’année 2013, et le Kenya, qui cherche près d’1,5 milliard de dollars pour financer des projets
d’infrastructure, achève ses préparatifs en vue d’entrer à son tour sur le marché des euro-obligations.
Le Nigéria, deuxième économie d’Afrique subsaharienne, a fait son entrée sur les marchés obligataires en 2011 avec sa propre émission d’euro-obligations sur 10 ans. « Notre objectif est de revenir tous les deux ans [sur le marché] », a déclaré Ngozi Okonjo-Iweala, la ministre nigériane des Finances au Financial Times. Selon l’agence de notation Moody’s, les pays africains ont levé près de 8,1 milliards de dollars en obligations en 2012. Au total, selon le Fonds monétaire international (FMI), plus de 20 % des 48 pays d’Afrique subsaharienne ont vendu des euro-obligations en 2012.
Pour certains de ces gouvernements, les euro-obligations constituent un moyen de diversifier les sources de financement de leurs investissements et de s’affranchir de l’aide internationale. Non seulement ces obligations permettent à ces pays d’emprunter de l’argent pour des projets de développement quand leurs ressources sont limitées, mais aussi de réduire leurs déficits budgétaires dans un contexte où les donateurs hésitent à augmenter leur aide publique au développement.
Des sociétés telles que la Guaranty Trust Bank au Nigéria et Vodafone au Ghana ont elles aussi réussi sur le marché des euro-obligations. Les investisseurs internationaux, pour leur part, n’hésitent plus à les acheter, afin de profiter de rémunérations élevées dans une conjoncture caractérisée par des rendements relativement faibles sur les marchés dits « matures ». Pour Mthuli Ncube, économiste en chef et vice-président de la Banque africaine de développement (BAD), il s’agit là d’un signe fort de soutien des investisseurs aux perspectives économiques favorables de la région. Alors que la plupart des pays développés ont été ébranlés par une série de crises économiques et financières, la croissance est restée soutenue en Afrique ces dernières années et a affiché une moyenne de 5 % par an – et ce alors même que pour de nombreux analystes les investisseurs sont essentiellement motivés par la perspective de gains plus élevés.
Les euro-obligations ont également permis aux pays africains d’affirmer leur présence sur les marchés financiers internationaux. Récemment encore, l’accès de ces pays aux marchés financiers internationaux était limité, selon la BAD, sauf pour quelques pays comme le Maroc, l’Afrique du Sud et la Tunisie, qui ont fait leur entrée dans les années 1990. De plus, les émissions d’obligations sont assorties de conditions moindres que celles qui accompagnent les prêts des institutions multilatérales. Les pouvoirs publics apprécient également de mieux contrôler la distribution de l’argent ainsi collecté.
Pour le FMI, l’évolution du contexte institutionnel, une meilleure flexibilité des pays à faible revenu ayant accès à des emprunts aux conditions du marché, la réduction du poids de la dette, des besoins de financement importants ou encore des coûts d’emprunt historiquement bas comptent parmi les facteurs qui expliquent cette augmentation. Pourtant les analystes invitent à la prudence, soulignant que l’Afrique devra faire face à des défis importants si elle veut confirmer sa présence sur les marchés internationaux. Les acheteurs d’obligations africaines font ainsi part de leurs préoccupations s’agissant de la vulnérabilité de ces pays aux fluctuations des produits de base, ou à l’instabilité politique, à l’irresponsabilité fiscale, à l’absence de statistiques fiables et de transparence, ou encore à leur mauvaise réputation en matière de gestion de la dette. De fait, certains investisseurs considèrent les obligations souveraines de certains pays africains riches en ressources comme risquées.
Des rumeurs récentes selon lesquelles la Réserve fédérale américaine pourrait mettre fin à son programme d’achat d’obligations en 2014, auxquelles s’ajoutait une hausse des rendements des obligations du Trésor américain, ont entraîné une vente généralisée sur les marchés émergents. Comme l’explique Angus Downie, directeur des recherches économiques à la Banque panafricaine Ecobank, au quotidien kényan Business Daily, « les investisseurs vont désormais exiger des rendements plus élevés ». La Réserve fédérale a cependant confirmé en septembre 2013 qu’elle poursuivrait son programme d’achat d’obligations et que ses taux d’intérêt resteraient inchangés. Dans un récent article, le Wall Street Journal a révélé que les euro-obligations nigérianes se négociaient à un rendement de 6,375 %, contre 4 % à la fin du mois d’avril, du fait d’une perte de confiance des investisseurs, ajoutant que le Rwanda négociait de son côté au-dessus de 8 %. Lorsque les taux d’intérêt augmentent, le coût du service de la dette augmente lui aussi.
Pour autant, ces obligations n’ont pas été la manne que les pays africains espéraient. Dans un article intitulé « First Borrow », Amadou Sy, Directeur adjoint au département des marchés monétaires et de capitaux du FMI, évoque plusieurs exemples récents de faillites souveraines en Afrique subsaharienne. Les Seychelles ont ainsi fait défaut sur une euro-obligation de 230 millions de dollars en 2008, après une chute sévère des revenus du pays liés au tourisme et plusieurs années de dépenses publiques excessives. La Côte d’Ivoire a elle aussi manqué à ses engagements et s’est trouvée dans l’incapacité de payer 29 millions de dollars d’intérêts après les élections contestées de 2011 qui l’ont obligée à faire défaut sur une obligation émise en 2010. Cela n’a pas empêché les pays africains d’émettre des obligations, même s’ils empruntent désormais à des taux plus élevés.
Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, s’interroge sur cette nouvelle tendance des pays en développement à recourir à « l’emprunt privé ». Il note que les coûts d’emprunt des euro-obligations souveraines sont considérablement plus élevés que ceux de la dette extérieure et s’inquiète des risques « d’emprunts excessifs » à long terme dont seules les banques bénéficieront, puisque leurs « frais sont facturés en amont ». Joseph Stiglitz estime ainsi que les pays africains devraient se munir de « structures globales de gestion de la dette » et investir intelligemment en évitant de contracter de nouveaux emprunts afin d’être en mesure de rembourser leurs dettes.
Amadou Sy du FMI, considère lui aussi « qu’on est en droit de s’interroger sur la durabilité à moyen et long terme de la flambée actuelle des emprunts contractés par les gouvernements d’Afrique subsaharienne ». Si le contexte de faiblesse des taux d’intérêt se modifie, ajoute-t-il, les investisseurs pourraient être moins tentés d’acheter des obligations et « la croissance économique pourrait s’interrompre, ce qui rendrait la tâche plus difficile pour les pays qui souhaitent rembourser leurs emprunts ».
L’instabilité politique est un autre facteur qui risque de compromettre l’intégralité du processus, en affaiblissant la croissance économique et en augmentant les taux d’intérêt. Ce n’est pas un hasard si le Ghana, le Kenya ou le Nigéria, qui ont connu des périodes de stabilité politique ces dernières années, ont réussi à – ou comptent – vendre des obligations à hauteur d’un milliard de dollars au moins. Comme l’explique Larry Seruma, directeur des investissements à la société Nile Capital Management qui investit en Afrique, un changement dans la situation politique de ces pays, entraînant une détérioration de la gouvernance, pourrait faire fuir les acheteurs potentiels d’obligations. Pour Amadou Sy, il faut donc, plus que jamais, développer des marchés des obligations domestiques performants afin d’attirer à terme l’épargne aussi bien intérieure qu’extérieure. ÌýÌý