Flambée des prix alimentaires en Afrique
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Flambée des prix alimentaires en Afrique
Les manifestations contre la hausse des prix des aliments qui ont eu lieu en début d’année dans des dizaines de pays à travers le monde ont ébranlé gouvernements et organisations internationales d’aide au développement. Elles ont aussi donné lieu à de nombreux efforts visant à faire baisser les prix des produits alimentaires de première nécessité et accroître la production agricole.
Prenant la parole à un sommet d’urgence sur la crise alimentaire mondiale tenu à Rome en juin, M. Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’ONU, a souligné la menace qui pèse sur la stabilité politique et le développement.
Alors que le prix de certains aliments semble avoir commencé à baisser et que des milliards de dollars affluent dans les coffres des organisations humanitaires, les craintes de famine dans les pays les plus pauvres se sont estompées. Mais l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a averti qu’en raison du prix élevé des produits pétroliers et de la hausse de leur consommation, des changements climatiques et de l’utilisation croissante de produits agricoles comme biocarburants, l’époque des céréales à bon marché pourrait bien être révolue. A moins que l’on ne valorise les petites exploitations agricoles en Afrique et dans d’autres pays en développement et que l’on ne modifie les modes de culture, de récolte et de commercialisation des produits alimentaires, avertit la FAO, la crise actuelle pourrait devenir permanente.
Une hausse des prix vertigineuse
Les céréales dont le prix a le plus augmenté – maïs, blé, riz, sorgho et millet – sont celles qui constituent l’alimentation de base de milliards de gens. La hausse a aussi touché les aliments pour le bétail, la volaille ainsi que les autres animaux élevés pour leur viande. Le cours du blé a augmenté de 130 % sur les marchés mondiaux entre mars 2007 et mars 2008, celui du riz de près de 90 % et celui du maïs de presque un tiers. Les prix d’autres produits alimentaires, notamment l’huile végétale (augmentation de 97 %) et les produits laitiers (58 %), ont progressé à un rythme semblable.
LA FAO rapporte que son indice global des prix des aliments de base, qui avait augmenté de 8 % en 2005-06, a progressé de 24 % en 2007. Au cours des trois premiers mois de 2008, ces prix ont connu une hausse de 53 % par rapport à la même période de l’année précédente.
Ces hausses ont le plus durement touché les habitants pauvres des 82 pays désignés par l’ONU comme pays à faible revenu et à déficit vivrier (PFRDV). Quarante-deux d’entre eux sont situés en Afrique. Un grand nombre de ces pays souffrent déjà de la faim et de la malnutrition et dépendent d’importations de nourriture même dans les périodes favorables. Leurs gouvernements n’ont que peu de moyens de protéger la population du choc de la hausse des prix.
Etant donné que dans ces pays le coût des aliments absorbe habituellement la moitié ou plus du revenu d’une famille, de nombreux citadins et familles d’agriculteurs les plus démunies n’ont pas d’autre choix que de consommer des aliments moins chers et moins nourrissants, ou même de sauter des repas. Dans de nombreuses régions d’Afrique, les consommateurs ont commencé à se tourner vers les produits alimentaires cultivés localement. Mais même ces productions locales sont devenues plus chères, en partie en raison de la hausse du prix des carburants nécessaires aux transports et à la transformation.
est d’augmenter leur production.
L’agriculture de l’Afrique étant handicapée par une productivité en déclin, une population en augmentation et de bas niveaux d’investissement (voir Afrique Renouveau, juillet 2006), la région est obligée de continuer à importer de la nourriture. L’ONU rapporte que la facture totale des importations de céréales des PFRDV a augmenté de plus de 50 % en 2007, ce qui représente une hausse de plus de 7 milliards de dollars. Ce fardeau devrait s’alourdir encore en 2008, le prix des céréales devant augmenter de 74 % pour les pays d’Afrique les plus dépendants des importations.
Les économistes avertissent que, du fait de ces hausses de prix, 100 millions de personnes pourraient venir s’ajouter aux 850 millions qui sont déjà chroniquement sous-alimentées à travers le monde. Les problèmes de balance des paiements et la dette des pays les plus pauvres pourraient aussi s’aggraver. Après avoir affiché de robustes taux de croissance économique ces dernières années, l’Afrique pourrait voir ces progrès anéantis par la hausse des prix alimentaires.
Des causes multiples
Les facteurs à l’origine de la hausse du prix des aliments au cours des deux dernières années sont multiples et font encore l’objet de vifs débats. Une grande partie de cette hausse a été attribuée à l’utilisation de maïs et d’autres cultures vivrières pour la production d’éthanol et autres biocarburants destinés au secteur des transports. Mais c’est la conjonction de nombreux autres phénomènes nouveaux, dont la production de biocarburants, qui fait monter les prix, explique à Afrique Renouveau l’économiste agricole Joachim von Braun, Directeur général de l’International Food Policy Research Institute de Washington. Ces facteurs comprennent :
- Des produits pétroliers en hausse, hausse qui se répercute dans toute l’économie agricole – sur les transports, l’engrais et les coûts de transformation
- L’amélioration du niveau de vie en Chine, en Inde et dans certains pays d’Amérique latine, qui fait augmenter la consommation de viande et par conséquent la demande de céréales pour l’alimentation animale
- De mauvaises conditions météorologiques dans les grands pays exportateurs de produits alimentaires
- Une augmentation de la spéculation sur les marchés de produits agricoles. La FAO estime que les investissements commerciaux dans les produits agricoles ont été multipliés par plus de dix au cours des quatre dernières années pour atteindre 150 milliards de dollars
- Des décennies de sous-investissement et de déclin des rendements en Afrique et dans les autres pays pauvres, ce qui fait augmenter la demande par rapport à une offre mondiale de produits alimentaires limitée et freine la capacité de développement de la production mondiale
“Aucun de ces facteurs n’aurait à lui seul causé les très fortes hausses que nous constatons, déclare M. von Braun. Ensemble, ils créent une situation à haut risque."
La convergence de ces différents facteurs qui influencent la production alimentaire et ses prix, ainsi que leur interaction dans le cadre d’une économie mondialisée, pose de complexes problèmes aux responsables politiques. La hausse du cours des produits pétroliers accroît la demande de biocarburants, ce qui force les consommateurs des pays pauvres à rivaliser avec les producteurs d’énergie pour consommer les récoltes vivrières et fait ainsi grimper encore plus les prix. L’ONU estime que 30 % du maïs récolté aux Etats-Unis, le plus gros producteur mondial, seront consacrés en 2008 à la production de carburant.
“Les causes complexes de la crise alimentaire et agricole exigent des réponses également complexes et globales”, remarque M. von Braun. Il a déclaré en mai devant le Conseil économique et social de l’ONU que la résolution de la crise actuelle passerait par un ensemble de politiques à court terme, pour augmenter immédiatement les quantités de produits alimentaires disponibles, et d’initiatives à long terme visant à réduire les inégalités au niveau mondial, réformer les politiques de subventions agricoles et les politiques commerciales internationales préjudiciables, accroître la production agricole et l’autosuffisance dans les pays africains et les autres régions en déficit alimentaire chronique.
De la négligence à l’action
La FAO avertit cependant que les prix des aliments resteront probablement élevés pendant au moins dix ans, et que l’époque des grands surplus mondiaux de produits alimentaires et des exportations bon marché, qui avait commencé avec la “révolution verte”en Asie dans les années 1960, pourrait bien être révolue. Pour le moment, on note au moins quelques signes d’amélioration. Pour faire face à la crise alimentaire, une aide – en espèces et en nature – de plus de 18 milliards a été promise par des bailleurs de fonds depuis le début de l’année.
Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies, la plus importante organisation d’aide alimentaire du monde, a annoncé qu’il avait maintenant les moyens de fournir une aide supplémentaire à 90 millions de personnes dans les 40 pays les plus touchés par la hausse du prix des aliments, pays africains pour la plupart. Ces nouveaux fonds permettront aussi à la FAO d’élargir son projet-pilote de 17 millions de dollars, l’Initiative sur la flambée des prix des aliments. Originellement destinée à fournir des engrais, des outils agricoles et des semences améliorées aux familles agricoles du Burkina Faso, de la Mauritanie, du Mozambique et du Sénégal, cette initiative sera étendue aux 40 autres pays qui ont demandé de l’aide. L’action de l’ONU sera coordonnée par l’Equipe spéciale de haut niveau sur la crise de la sécurité alimentaire, annoncée en mai par le Secrétaire général.
Sur le terrain, les gouvernements africains ont tenté de réduire le prix des aliments de première nécessité. Au Sénégal, le gouvernement a annoncé une subvention de 40 % pour la farine de blé, une suspension des droits de douane sur les aliments et l’imposition d’un contrôle des prix. Le Libéria et la Côte d’Ivoire ont également suspendu les droits de douane sur les importations de produits alimentaires de base. En Ethiopie, déjà menacée d’une famine généralisée due à la sécheresse, le gouvernement a pris un ensemble de mesures d’urgence, dont la suspension de la taxe à la valeur ajoutée (qui affecte indirectement les consommateurs) sur les céréales et la farine, de nouvelles subventions pour le blé et la poursuite de la distribution de rations alimentaires d’urgence à 800 000 habitants des villes.
En Afrique du Sud, exportateur de maïs de premier plan et l’un des rares grands producteurs africains de biocarburant, le gouvernement a rationné l’utilisation du maïs pour la production d’éthanol et a multiplié les subventions en espèces aux habitants les plus vulnérables. La Tanzanie a levé les droits de douane sur 300 000 tonnes supplémentaires de maïs importé et a interdit l’exportation de produits alimentaires.
Le Ghana a annoncé un train de mesures d’un coût d’un milliard de dollars pour aider les consommateurs en difficulté, en levant les droits de douane sur les importations de produits alimentaires et de carburant, annulant la taxation du carburant pour la flotte de pêche et subventionnant les engrais et autres intrants nécessaires aux agriculteurs. Associée au quadruplement des coûts de l’énergie et au manque à gagner dû aux réductions d’impôts, cette initiative “fait dérailler le budget”, a déclaré le 22 mai le Président ghanéen John Kufuor. Cela réduira le montant des fonds pouvant être alloués aux programmes de développement nationaux. Mais il a affirmé que ces nouvelles dépenses étaient nécessaires pour accroître la production alimentaire et protéger le niveau de vie des plus vulnérables.
Les économistes ont critiqué les interdictions d’exportation imposées par les grands producteurs, particulièrement les producteurs de riz, pour protéger les consommateurs locaux ; ils affirment que le contrôle des exportations ne fait que réduire encore les quantités disponibles sur le marché mondial et augmenter les prix.
A mesure que la crainte de famine et de manifestations de rue s’estompe et que les prix du riz et d’autres produits alimentaires baissent, les contrôles des exportations sont levés dans certains pays et on s’intéresse à la solution à long terme de la crise : comment augmenter la production et la sécurité alimentaires dans les pays qui souffrent le plus de la faim.
Un désastre annoncé
La colère de la rue provoquée par la crise alimentaire a peut-être amené la communauté internationale à agir ; mais l’avenir nous dira si les manifestants ont réussi à convaincre leurs dirigeants de s’occuper enfin sérieusement de la crise de l’agriculture mondiale. S’adressant au sommet de Rome, le Directeur général de la FAO, Jacques Diouf, a rappelé aux chefs d’Etat et de gouvernement rassemblés qu’ils avaient déjà connu cette situation, en 1996, puis à nouveau en 2002, en promettant à chaque fois de mettre un terme à la faim dans le monde.
“Les faits parlent d’eux-mêmes, a dit M. Diouf. De 1980 à 2005, l’aide à l’agriculture est tombée de 8 milliards de dollars… à 3,4 milliards… La part de l’agriculture dans l’aide publique au développement est passée de 17 % en 1980 à 3 % en 2006.” Ceci en dépit du fait que l’agriculture constitue le seul moyen de subsistance de 70 % des pauvres de la planète. Les manifestations parfois violentes qui ont éclaté à travers le monde au cours des derniers mois n’étaient, a-t-il déclaré, “que la chronique d’un désastre annoncé”.
L’Afrique, a remarqué M. Diouf, a fait des efforts pour enrayer le déclin de son agriculture. Ses dirigeants ont adopté en 2001 le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) et ont en deux ans élaboré un plan agricole détaillé et exhaustif destiné à restaurer les sols épuisés, accroître le rendement des récoltes et sortir des millions de gens de la pauvreté. Il a ajouté qu’une cinquantaine de pays africains ont mis au point des plans de réforme de leur politique agricole nationale en collaboration avec la FAO, initiative également entreprise dans d’autres pays pauvres ailleurs dans le monde.
Les dirigeants africains, réunis à Maputo (Mozambique) sous les auspices de l’Union africaine, se sont engagés en 2003 à consacrer au moins 10 % de leur budget national à l’agriculture et au développement rural d’ici à la fin de 2008, ainsi qu’à reconstituer leurs stocks nationaux de céréales et à coopérer avec les organisations d’agriculteurs et les autres groupes de la société civile dans le domaine de la politique agricole. L’Union africaine a indiqué en juin 2008 qu’au cours des cinq dernières années les investissements nationaux dans l’agriculture avaient augmenté dans la plupart des pays et qu’une dizaine de pays avaient atteint ou dépassé l’objectif de 10 % des dépenses budgétaires.
Ces investissements accrus, souvent accompagnés de changements de politique destinés à renforcer le soutien aux petits agriculteurs, ont donné lieu à des augmentations prometteuses de la production alimentaire. Les améliorations les plus spectaculaires ont été observées au Malawi, où en 2006 le Gouvernement a, contrairement aux conseils des bailleurs de fonds, doublé la production de maïs du pays grâce à un programme de subventions des semences et des engrais de 60 millions de dollars, au profit des petits producteurs. Il a également fait édifier l’année dernière 600 silos améliorés construits localement pour le stockage du maïs, afin de réduire les pertes dues à la pourriture et aux organismes nuisibles.
Au Kenya, un programme international de garantie de prêts de 5 millions de dollars a assuré la distribution de près de 50 millions de dollars de prêts du secteur privé à l’agriculture familiale, qui a permis des achats de semences améliorées, d’engrais et autres intrants. A long terme, a déclaré au sommet de Rome le Ministre de l’agriculture du Kenya, William Ruto, “Nous pensons que la meilleure solution face aux hausses de prix, à la faim et à la pauvreté est d’investir dans l’agriculture et d’augmenter la production alimentaire.”
Mais trop souvent, comme l’a noté Jacques Diouf, les partenaires de l’Afrique pour le développement n’ont pas soutenu ces initiatives. Les investissements internationaux dans le développement rural ont décliné, a-t-il déclaré, alors que les subventions aux agriculteurs du Nord ont dépassé 370 milliards de dollars par an, que les dépenses d’armement ont atteint en 2006 1 200 milliards et que les subventions accordées aux biocarburants ont détourné 100 millions de tonnes de céréales de la consommation humaine pour alimenter les réservoirs des automobiles des plus fortunés.
“C’est seulement quand les indigents et les exclus du banquet des riches sont descendus dans la rue pour exprimer leur mécontentement et leur désespoir que le monde a réagi”, a remarqué M. Diouf. “Le problème de la sécurité alimentaire est un problème politique, a-t-il conclu, le temps des palabres est passé depuis longtemps. Aujourd’hui, il est temps d’agir.”