L'une des principales recommandations d'un r¨¦cent de la Conf¨¦rence des Nations Unies sur le Commerce Et le D¨¦veloppement (CNUCED), qui traite des questions de commerce, d'investissement et de d¨¦veloppement, est que l'aide publique au d¨¦veloppement des pays les moins avanc¨¦s (PMA) soit canalis¨¦e vers le secteur productif. Dans un entretien avec Kingsley Ighobor d'Afrique Renouveau, Paul Akiwumi, directeur de la division Afrique, PMA et programmes sp¨¦ciaux de la CNUCED, parle du rapport ainsi que d'autres questions. En voici des extraits.
Commen?ons par COVID-19. Quel sera, selon vous, l'impact de la pand¨¦mie sur les flux d'APD vers les PMA ?
La pand¨¦mie met en ¨¦vidence la vuln¨¦rabilit¨¦ des PMA aux chocs ext¨¦rieurs. Bien qu'il soit trop t?t pour conna?tre son impact sur les versements d'ADOM [aide au d¨¦veloppement d'outre-mer] aux PMA, nous esp¨¦rons que la sant¨¦ et le bien-¨ºtre des 1,1 milliard de personnes vivant dans les pays les plus vuln¨¦rables du monde ne seront pas gravement affect¨¦s. La CNUCED recommande que les PMA adoptent des politiques qui am¨¦liorent la coordination, l'allocation et la responsabilit¨¦ de l'APD re?ue. La priorit¨¦ devrait ¨ºtre accord¨¦e aux activit¨¦s induisant une transformation structurelle pour d¨¦velopper les capacit¨¦s productives des diff¨¦rents pays.
Quel message avez-vous pour les donateurs concernant la situation potentiellement pr¨¦caire des PMA apr¨¨s la COVID-19 ?
La communaut¨¦ internationale devrait s'efforcer de respecter les engagements pris par de nombreux pays d¨¦velopp¨¦s d'atteindre 0,7 % du RNB [revenu national brut] pour l'APD et entre 0,15 % et 0,20 % du RNB pour l'APD aux PMA. Entre autres interventions, les donateurs devraient offrir plus de subventions que de pr¨ºts, afin de ne pas aggraver le niveau d'endettement des PMA.
L'un des derniers rapports de la CNUCED sur les PMA porte sur la gestion de l'APD. Quelles sont les principales conclusions de ce rapport ?
Le point le plus important est que la majeure partie de l'APD destin¨¦e aux PMA se concentre sur un nombre limit¨¦ de pays. En outre, environ 70 % de l'APD va au secteur social, et environ 20 ¨¤ 25 % au secteur productif. Et le dernier point positif, je dirais, est que l'APD se transforme en plus de pr¨ºts que de subventions. Cela signifie que les pays empruntent davantage - l'encours de la dette augmente rapidement. C'est un probl¨¨me car de nombreux PMA sont aujourd'hui lourdement endett¨¦s.
Quelle diff¨¦rence cela pourrait-il faire si davantage d'APD ¨¦tait destin¨¦e au secteur productif ?
Le fait est que nous avons consacr¨¦ beaucoup de temps et de ressources au secteur social. Sans un secteur productif solide, tous les investissements dans le secteur social - sant¨¦, ¨¦ducation, etc. - les personnes qui sortent des universit¨¦s n'auront pas d'emploi. Investir dans le secteur productif signifie diversifier l'¨¦conomie, en s'assurant que la valeur est ajout¨¦e ¨¤ ce qui est produit.
N'est-il pas vrai que les pays donateurs lient g¨¦n¨¦ralement l'APD ¨¤ des secteurs sp¨¦cifiques ? Si oui, comment influencez-vous la r¨¦orientation de cette aide vers la production ?
Et bien, notre rapport a demand¨¦ une nouvelle fa?on de consid¨¦rer l'APD. Nous demandons que les pays b¨¦n¨¦ficiaires d¨¦cident des secteurs prioritaires pour le d¨¦ploiement de l'APD, ce qui permet de contr?ler la mise en ?uvre et de s'inscrire dans le cadre de responsabilit¨¦. En outre, lorsque l'APD est uniquement destin¨¦e au secteur social, ¨¤ des activit¨¦s bas¨¦es sur des projets, il y a une fuite des cerveaux au niveau national - les gens passent des institutions gouvernementales ¨¤ des emplois mieux r¨¦mun¨¦r¨¦s dans le cadre de ces projets.
Les donateurs peuvent-ils ¨ºtre influenc¨¦s pour changer le paradigme actuel ?
Je pense que l'important est que tout le monde reconnaisse que ce que nous essayons de faire, c'est de mettre les faits sur la table. Et je pense que nous devons reconna?tre qu'au cours des 40 ¨¤ 50 derni¨¨res ann¨¦es, seuls quelques PMA ont pu sortir de ce statut. Cela signifie que nous devons essayer quelque chose de diff¨¦rent ; on ne peut pas continuer ¨¤ faire comme si de rien n'¨¦tait et esp¨¦rer des r¨¦sultats diff¨¦rents. Les donateurs et les gouvernements doivent voir la n¨¦cessit¨¦ de changer la mani¨¨re dont l'APD est fournie.
L'APD en faveur des PMA n'a augment¨¦ que de 2 % depuis le lancement en 2011 du programme d'action d'Istanbul, ce qui est bien inf¨¦rieur ¨¤ l'augmentation de 7 % enregistr¨¦e pendant la p¨¦riode pr¨¦c¨¦dente du programme d'action de Bruxelles (2001-2010). La tendance actuelle est-elle inqui¨¦tante ?
Je dirais que les pays doivent se concentrer sur les domaines o¨´ l'APD aura le plus d'impact. Les pays en d¨¦veloppement ont accompli un travail consid¨¦rable dans la mobilisation des ressources int¨¦rieures, dans la collecte des imp?ts, par exemple. Mais si vous ne disposez pas d'un secteur productif dynamique, vous ne pouvez pas pr¨¦lever autant d'imp?ts. L'important est de s'assurer que l'aide des donateurs va aux bons secteurs, tels qu'identifi¨¦s par les pays dans leurs plans de d¨¦veloppement nationaux, et non pas tels que souhait¨¦s par les donateurs. En ce qui concerne le programme d'action, nous avons de nouveaux acteurs et de nouveaux intervenants, en particulier le secteur priv¨¦. Nous devons veiller ¨¤ soutenir les entreprises nationales plut?t que les multinationales.
Votre rapport mentionne ¨¦galement que l'Afrique ne peut pas mobiliser des ressources int¨¦rieures suffisantes pour le d¨¦veloppement en raison de la faiblesse de sa base productive. Comment r¨¦pondez-vous ¨¤ ceux qui affirment que les ressources int¨¦rieures sont suffisantes et que, si elles sont mobilis¨¦es efficacement, elles pourraient r¨¦duire le besoin d'aide ?
Le fait est que, comme je l'ai d¨¦j¨¤ mentionn¨¦, les PMA ont pass¨¦ beaucoup de temps ¨¤ am¨¦liorer le recouvrement des imp?ts. Mais on arrive ¨¤ un point o¨´, si on ne produit pas de choses, si on n'a pas l'industrie et si on n'a pas les services, on ne peut pas taxer tout ce qu'il y a dans une ¨¦conomie. Il est donc important que les ¨¦conomies se d¨¦veloppent. Si une ¨¦conomie se d¨¦veloppe, vous devenez autosuffisant. C'est un processus. C'est pourquoi l'APD doit soutenir la diversification d'une ¨¦conomie, afin que le secteur productif puisse se d¨¦velopper. Et ensuite, les pays peuvent augmenter leurs ressources int¨¦rieures.
Que devraient faire les pays africains face ¨¤ la diminution de l'aide des donateurs ?
Pour l'Afrique, la mise en ?uvre de l'accord de libre-¨¦change continental africain (AfCFTA) sera essentielle. Le commerce intra-africain ne repr¨¦sente qu'environ 17 %. En Europe, il est d'environ 70 %. En Asie, il est d'environ 59 %. Les pays africains ont donc besoin de commercer entre eux et d'ajouter de la valeur ¨¤ leurs ¨¦changes commerciaux. Cela permettra de renforcer les capacit¨¦s de production et de diversifier l'¨¦conomie.
Quels sont vos espoirs concernant l'AfCFTA ?
Je suis tr¨¨s optimiste. Je pense que la zone de libre-¨¦change donnera ¨¤ l'Afrique une r¨¦elle chance de se lib¨¦rer de ce joug des ¨¦conomies ax¨¦es sur les produits de base, car nous avons vu que cela ne r¨¦ussit pas souvent. Vous connaissez les histoires courantes sur l'industrie du cacao et des chocolats : le fait que 80% du cacao africain est export¨¦ sans valeur ajout¨¦e. Mais m¨ºme pour le chocolat fabriqu¨¦ en Afrique, principalement en Afrique du Sud et en ?gypte, les droits de douane sont beaucoup plus ¨¦lev¨¦s que ceux qui s'appliquent au chocolat export¨¦ de Suisse vers le Royaume-Uni, par exemple. L'accord de libre-¨¦change africain devrait r¨¦duire et, ¨¤ terme, supprimer les droits de douane sur les produits africains en Afrique.
Votre rapport semble pr¨¦f¨¦rer l'APD au financement du d¨¦veloppement par le secteur priv¨¦. Pourquoi en est-il ainsi ?
Premi¨¨rement, le secteur priv¨¦ doit faire des b¨¦n¨¦fices. Deuxi¨¨mement, lorsque nous parlons des PMA, le secteur priv¨¦ dont nous parlons, ce sont les multinationales. Et ce sont des acteurs concurrents - ils ont des int¨¦r¨ºts diff¨¦rents. Il en r¨¦sulte une fragmentation des int¨¦r¨ºts des donateurs qui fournissent l'argent, du secteur priv¨¦ qui y participe et du gouvernement lui-m¨ºme. Le gouvernement est donc souvent exclu du cadre de responsabilit¨¦, car le secteur priv¨¦ est plus responsable envers le donateur qu'envers le gouvernement.
Je pense qu'il s'agit l¨¤ d'un domaine essentiel ¨¤ examiner. Nous ne disons pas que le secteur priv¨¦ ne doit pas ¨ºtre impliqu¨¦ ; ce que nous disons, c'est que les gouvernements doivent ¨ºtre impliqu¨¦s dans le cadre de responsabilit¨¦, et que l'APD doit ¨ºtre align¨¦e sur les plans et structures de d¨¦veloppement national.
Alors que vous faites campagne pour une augmentation de l'APD aux PMA, de nombreux dirigeants africains et experts en d¨¦veloppement disent que "nous avons besoin de plus de commerce que d'aide". Est-ce une contradiction ?
Ce n'est pas une contradiction. Les pays ont besoin d'aide pour pouvoir d¨¦velopper le secteur productif, pour pouvoir faire plus de commerce. Si vous ne produisez pas quelque chose, vous ne pouvez pas ¨¦changer des biens et des services. Nous utilisons l'APD pour diversifier les ¨¦conomies et construire des secteurs productifs.
Est-il judicieux de plaider pour l'annulation de la dette des pays africains afin de lib¨¦rer des fonds de remboursement de la dette pour le d¨¦veloppement ?
Et bien, cette discussion se poursuit alors m¨ºme que la dette augmente. La communaut¨¦ internationale et les PMA devront s'asseoir pour discuter de la mani¨¨re d'aller vers l'annulation de la dette ou la restructuration du paiement de la dette. Un nombre croissant de pays qui re?oivent beaucoup de fonds de donateurs non traditionnels sont gravement endett¨¦s et ne peuvent pas rembourser les sommes qu'ils ont emprunt¨¦es.