De nouveaux obstacles au commerce de l’Afrique
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De nouveaux obstacles au commerce de l’Afrique
Alors même que les pays en développement commencent à triompher de certaines barrières commerciales et à accroître leurs exportations vers les pays industrialisés, un nouvel obstacle fait son apparition. Du fait des accords négociés à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les mesures traditionnelles de protection du commerce que constituent les tarifs douaniers et les quotas se relâchent. Elles font toutefois place à des réglementations techniques nationales qui permettent aux pays d’interdire l’entrée sur leurs marchés de produits ne satisfaisant pas à certaines normes.
Il s’agit notamment de mesures visant prétendument à protéger la population contre les dangers que présentent les aliments quotidiens: les mesures sanitaires et phytosanitaires, dans la terminologie de l’OMC. Les tarifs douaniers élevés demeurent un obstacle de taille, indique le Ministre des finances de l’Afrique du Sud, Trevor Manuel, mais “les barrières non douanières limitent davantage” les exportations de marchandises en direction de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui regroupe 30 pays riches.
Barrières techniques
Ces vingt dernières années, les barrières techniques se sont multipliées. En vue de régulariser ces normes, l’Accord des 149 pays membres de l’OMC sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires est entré en vigueur en 1995. Cet accord vise à uniformiser l’ensemble des lois, règlements et dispositions portant sur la production, la transformation, le stockage ou le transport des produits, de façon que les produits importés ne posent pas de risque pour la santé des hommes, des animaux ou des plantes.
L’accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires exige par exemple que les marchandises soient importées de zones exemptes de maladies, qu’elles soient inspectées avant d’être exportées et qu’elles ne dépassent pas les seuils maximaux de pesticide ou d’insecticide autorisés. Parmi les risques que les aliments frais et produits agricoles peuvent poser pour la santé figurent notamment la salmonellose, la fièvre aphteuse et les parasites des plantes sucrières.
L’accord vise également à empêcher les pays de se servir de ces mesures sanitaires uniquement pour freiner le commerce et stipule clairement qu’elles ne peuvent pas être employées d’une “manière qui constituerait une limitation déguisée du commerce international”.
M. Hezron Nyangito du Kenya Institute of Public Policy Research and Analysis note que bien que l’accord ait pour objectif de protéger la santé de la population, il “ouvre également la voie à l’introduction de mesures plus rigoureuses” que les normes internationales.
Selon des études réalisées par le Ministère de l’agriculture des Etats-Unis et l’OCDE, en 1996, des barrières techniques contestables ont été signalées dans 62 pays et ont entraîné, d’après les estimations, un manque à gagner de 5 milliards de dollars. Le plus souvent, ces analyses des effets sur le commerce des mesures sanitaires et phytosanitaires s’intéressent essentiellement aux pays développés, bien que la Banque mondiale et d’autres institutions aient laissé entendre que les effets de ces mesures pourraient être plus graves pour les pays en développement qui sont fortement tributaires des exportations agricoles.
Selon M. Manuel, “Le problème n’est pas que le commerce international aille fondamentalement à l’encontre des besoins et des intérêts des pays pauvres, mais que les règles qui le régissent soient faussées en faveur des pays riches."
Les normes ayant été principalement établies par les pays développés durant la dernière série de négociations commerciales (cycle d’Uruguay), elles correspondent surtout aux intérêts de ces pays. Pendant le cycle d’Uruguay, qui a pris fin en 1994, un grand nombre de pays en développement n’ont pas eu les moyens d’envoyer des négociateurs les représenter ou se sont surtout intéressés à des questions qui les préoccupaient davantage, telles que les subventions agricoles qu’accordent les pays du Nord. Bon nombre de ces pays ne font toujours pas partie des institutions internationales qui fixent les normes applicables dans ce domaine et ne disposent pas non plus des fonds, de la main-d’œuvre ni de l’infrastructure nécessaires pour se conformer aux normes adoptées.
Bien qu’il faille de toute évidence des mesures sanitaires et phytosanitaires pour protéger les consommateurs, les retombées bénéfiques de la libéralisation des échanges dans le secteur agricole qu’a permise le cycle d’Uruguay “risquent d’être compromises par le recours à des fins protectionnistes de mesures sanitaires et phytosanitaires”, prévient Mme Simonetta Zarrilli de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement.
Poissons prohibés
Il existe de nombreux exemples de mesures sanitaires et phytosanitaires ayant servi à limiter l’entrée de marchandises africaines sur les marchés étrangers. Pendant plusieurs années à la fin des années 90, par exemple, les pays européens ont interdit les poissons en provenance du Kenya, du Mozambique, de l’Ouganda et de la Tanzanie en raison de doutes quant aux normes sanitaires de ces pays et à leurs systèmes de réglementation. L’Ouganda a ainsi enregistré un manque à gagner de 36,9 millions de dollars. En Tanzanie, où les poissons et les produits dérivés représentaient 10% des exportations annuelles, les pêcheurs tributaires des ventes à l’Union européenne ont perdu 80% de leurs revenus, d’après la Banque mondiale.
“Le problème n’est pas que le commerce international aille fondamentalement à l’encontre des besoins et des intérêts des pays pauvres, mais que les règles qui le régissent soient faussées en faveur des pays riches.”
— M. Trevor Manuel, Ministre des finances de l’Afrique du Sud
“Certaines des conditions imposées sont justifiées sur le plan de la sécurité alimentaire, note M. Nyangito, le chercheur kényan. Mais de nombreux pays africains ont du mal à répondre aux normes en raison d’obstacles techniques et par manque de moyens.” Selon des études réalisées au Kenya, les exploitants agricoles devraient, pour respecter les normes rigoureuses qu’impose l’Union européenne, multiplier leurs dépenses actuelles par dix. L’Ouganda devrait, quant à lui, dépenser 300 millions de dollars pour moderniser ses usines de conditionnement du miel et les producteurs de café devraient supporter une hausse de 200% de leur frais.
Si l’UE appliquait les normes internationales relatives aux pesticides et aux bananes et non ses propres normes, plus restrictives, les exportations annuelles de l’Afrique augmenteraient de 400 millions de dollars, selon le rapport publié en mars 2005 par la Commission pour l’Afrique, groupe de haut niveau créé par le Premier Ministre du Royaume-Uni, Tony Blair.
Les exportations africaines de viande vers les Etats-Unis, de produits laitiers vers l’Union européenne et de produits d’origine animale destinés au Japon se heurtent souvent à des obstacles d’ordre sanitaire, note M. Nyangito.
Le Commissaire européen à la santé et à la protection des consommateurs, David Byrne, reconnaît que “l’on s’imagine que l’UE, ainsi que d’autres pays développés, se servent des normes de sécurité alimentaire à des fins protectionnistes”. Il soutient toutefois que les mesures sanitaires et phytosanitaires appliquées par l’Union n’ont pas pour objet de freiner le commerce mais plutôt de préserver les normes sanitaires de la région. “Je reconnais tout à fait que l’UE impose des critères très élevés en matière de sécurité alimentaire et qu’il est difficile de respecter ces critères, en particulier pour les pays en développement, mais je n’ai pas à m’en excuser.”
Des contaminants coûteux
Selon Action for Southern Africa (ACTSA), une organisation non gouvernementale londonienne, les horticulteurs africains ont de plus en plus de mal à s’introduire sur le marché européen en raison de règles excessivement restrictives concernant les niveaux de contaminants acceptables, encore appelés “limites maximales de résidus”.
L’OMC permet aux pays d’empêcher l’entrée sur leur territoire de denrées alimentaires ne satisfaisant pas à certaines normes relatives aux contaminants biologiques et chimiques. Le Comité mixte d’experts des additifs alimentaires (JECFA), organe des Nations Unies qui se compose d’experts de l’Organisation mondiale de la santé et de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, présente des recommandations de normes mondiales à la Commission du Codex Alimentarius.
“Toutefois, l’UE décide souvent d’ignorer les recommandations du Codex et impose des normes beaucoup plus strictes, indique l’ACTSA. Un grand nombre de producteurs et d’activistes d’Afrique australe estiment que ces dispositions législatives constituent une forme de protectionnisme commercial indirect."
Prenons l’exemple des résidus d’aflatoxines, qui sont cancérigènes et que l’on trouve notamment dans les arachides traitées et dans les fruits secs. Depuis 1998, l’UE exige que les denrées alimentaires qui entrent sur son marché répondent à des normes plus strictes que celles que recommande le JECFA en ce qui concerne les aflatoxines – bien que des études indiquent que si l’on réduisait les niveaux d’aflatoxine de façon à respecter les normes imposées par l’Union, on n’éviterait que deux décès par milliard de personnes par année. La Banque mondiale estime que le respect de ces normes coûterait environ 670 millions de dollars par an aux exportateurs africains de céréales, de fruits, de légumes et d’arachides.
La barre a été placée si haut que même les pays industrialisés tels que les Etats-Unis se plaignent des normes de l’UE relatives aux aflatoxines. Pour les produits laitiers, l’UE exige le niveau le plus faible d’aflatoxine que les moyens technologiques actuels puissent déceler — alors que les Etats-Unis appliquent des normes bien moins rigoureuses. Selon les exploitants agricoles des Etats-Unis, ceci les empêche de vendre des produits laitiers à l’Union européenne car dans certaines régions des Etats-Unis, le climat ne permet pas d’atteindre les normes fixées par l’Union.
Les mesures sanitaires et phytosanitaires peuvent être particulièrement compliquées lorsque différents pays évaluent différemment la nature du risque ou ont différents degrés de tolérance, note Leonardo Lacovone, conseiller économique auprès du Ministère de l’agriculture du Mozambique. “Dans certains cas, les vues des experts divergent et dans d’autres cas, nous nous heurtons essentiellement à une pression politique qui reflète une peur généralisée mais non universelle."
La campagne menée par l’UE afin d’“harmoniser les normes internationales” depuis les droits de propriété intellectuelle jusqu’aux normes en matière d’environnement pose un problème considérable à l’OMC, note M. Razeen Sally de la London School of Economics, dans une étude consacrée aux politiques de l’Union. Les propositions de l’Europe ajoutent au programme de l’OMC des réglementations complexes et intempestives, qui pourraient être trop contraignantes pour un grand nombre de pays pauvres, dit-il.
“Ce programme implicite d’harmonisation des normes qui vise à hisser les normes des pays en développement au niveau de celles des pays développés est à présent la force la plus insidieuse qui existe au sein de l’OMC, observe-t-il. Cela risque de renforcer encore les barrières réglementaires qu’imposent les pays développés et de fermer la porte aux exportations à bas prix des pays en développement.”