Avingt ans, Phoebe Musa se rappelle très bien le jour où, il y a cinq ans, des militants de Boko Haram ont attaqué son village de Gwoza, au nord-est du Nigéria. A cheval, en moto, sur des véhicules militaires, ils ont tiré sur tout ce qui bougeait et ont mis le feu à des dizaines de maisons.
Les assaillants l’ont enlevée et lui ont bandé les yeux pour l’emmener dans la proche forêt de Sambisa. ElleÌý y demeura jusqu’à sa libération cette année par des soldats nigérians.
«ÌýJ’ai été mariée de force successivement à trois terroristes et eu trois enfantsÌý», raconte Mme Musa lors d’une interview dans le camp pour personnes déplacées (IDP) de Durumi à Abuja, la capitale nigériane. Elle porte son dernier bébé sur le dos, et explique que les deux autres sont morts de faim.
Le sort de Mme Musa reflète la dégradation de la situation humanitaire dans le bassin du lac Tchad. Les quelques dix millions de personnes qui y vivent ont besoin d’une aide d’urgence, et des milliers de personnes déplacées dans les camps manquent d’abris, de nourriture, d’eau et d’installations sanitaires, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR).
Ce n’est pas la disparition du lac Tchad, auparavant la plus grande ressource en eau douce de l’Afrique assurant la survie de près de 30 millions de personnes, qui est une nouveauté mais laÌý crise humanitaire complexe qui s’y déroule et qui est l’une des plus graves au monde.
«ÌýA cause des violences régulières, plus de dix millions de personnes dans la région ont besoin d’une aide d’urgence. La plupart de ces gens vivaient déjà dans une grande pauvreté, avec très peu d’accès aux services de base, comme l’éducation et la santé, et subissaient les effets catastrophiques du changement climatiqueÌý». Ìý Ìý
«ÌýLa région compte à présent 2,3 millions de personnes déplacées. Plus de 5 millions luttent pour avoir juste de quoi manger et un demi-million d’enfants souffrent de grave malnutritionÌý», indiquait la Vice-Secrétaire générale de l’ONU, Amina Mohammed, lors d’une rencontre de haut-niveau sur la crise humanitaire dans la région.
Situé dans le centre nord de l’Afrique, le lac Tchad borde quatre pays - le Tchad, le Nigéria, le Niger, le Cameroun etÌý couvre près de 8% du continent en s’étendant sur sept pays : l’Algérie, le Cameroun, la République centrafricaine, le Tchad, la Libye, le Niger et le Nigéria.
Depuis les années 60, le lac a perdu 90% de son volume en raison de sa surexploitation et du changement climatique. Les conflits entre les éleveurs et les fermiers se sont multipliés. Les familles qui y vivaient grâce ont migré pour trouver de l’eau.
Relever les défis
Les gouvernements des pays touchés sont mobilisés sur plusieurs fronts. Ils mènent une offensive militaire contre les terroristes par le biais d’une force multinationale mixte, composée de soldats du Nigéria, du Cameroun, du Tchad et du Bénin. Ìý Ìý
Ils cherchent également à mettre un terme au violent conflit entre éleveurs et fermiers pour l’eau et les pâturages, et s’efforcent de trouver une solution durable à l’assèchement du lac, qui exacerbe la pauvreté dans la région. Un plan ambitieux inclut un projet de plusieurs milliards de dollars qui permettrait d’amener les eaux de la rivière Oubangui qui coule en République démocratique du Congo, à 2 400 km de là . Une étude de faisabilité était en cours en 2018.
Le président du Nigéria, Muhammadu Buhari, dirige ces efforts de réhabilitation qui sont aussi soutenus par les huit pays membres de la Commission du bassin du lac Tchad, organe régional de régulation des eaux du bassin (Cameroun, Tchad, Niger, Nigéria, Algérie, République centrafricaine, Libye et Soudan).
En septembre 2019, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU à New-York, le président Buhari a sonné l’alarme.
«ÌýLe lac Tchad rétrécit alors que sa population explose. C’est une situation critique. La diminution des terres cultivables et des précipitations sont source de problèmes inédits», a-t-il déclaré.
Face à cette situation, les Nations Unies interviennent au travers de l’assistance humanitaire, l’aide au développement, le respect des droits, tout en luttant contre le terrorisme, selon la Vice-Secrétaire générale Mohammed.Ìý Ìý
Au cours des deux dernières années, l’ONU a organisé deux conférences de donateurs internationaux, la première à Oslo où 672 millions de dollars d’aide d’urgence ont été promis, et la seconde à Berlin, où 2,12 milliards de dollars, dont 467 millions de prêts concessionnels, ont été annoncés afin d’aider les interventions au Cameroun, Tchad, Niger et Nigéria.
Au Nigéria, la Commission nationale pour les réfugiés, les migrants et les personnes déplacées, maintient que les deux seules options viables sont le retour dansÌý le pays d’origine ou l’installation dans la communauté d’accueil.Ìý Ìý
Les gouvernements doivent intégrer les personnes déplacées et les réfugiés dans la société en «Ìýles aidant à créer des entreprises ou à travailler dans l’agriculture afin qu’ils puissent s’occuper de leur familleÌý», estime Daniel Soetan, coordonnateur national des Ambassadeurs de bonne volonté du Nigéria, une ONG qui distribue du matériel de secours.Ìý Ìý Ìý Ìý