Quand nous avons lancé en 2003, en pleine guerre civile, notre mouvement pour la paix au Libéria, on nous a traitées de bouledogues édentés. Et pourtant, nous avons prouvé que la participation active des femmes à un processus de paix peut faire la différence, en renforçant l’efficacité et la longévité des accords de paix. Parti d’un petit groupe de sept femmes, la Women of Liberia Mass Action for Peace (Action de masse des femmes du Libéria pour la paix) est devenu un mouvement de masse où Chrétiennes et Musulmanes s’engageaient pour arrêter la guerre et trouver une paix durable.
Les femmes ne sont pas plus pacifiques que les hommes par nature. Mais leur engagement dans des processus de paix qui mobilisent l’ensemble du tissu social est décisif. Comment imaginer qu’un tel processus, piloté par des militaires ou des chefs de guerre experts dans cette dernière,Ìý puisse se solder autrement que par une négation des besoins du citoyen lambda ?
Un processus de paix permet d’évaluer l’impact d’un conflit sur une communauté et crée une feuille de route pour s’attaquer à ses causes sociales, politiques et économiques. Il n’existe pas de solution universelle : ce qui marche au Libéria, par exemple, peut très bien échouer au Rwanda. Des leçons peuvent certes être tirées de chaque expérience, mais le plus important pour un processus de paix est d’être piloté par des acteurs locaux, et notamment par des femmes.
En avril 2019, j’ai passé du temps avec plusieurs organisations de femmes au Cameroun. Leurs responsables m’ont raconté les viols, les mains coupées par les groupes armés, les enlèvements d’enfants pour en faire des machines à tuer. Leurs familles souffraient de malnutrition et d’autres problèmes de santé. Dans des régions entières du pays, écoles et commerces fermaient parce que les communautés vivaient dans la peur des attaques armées.
Les souffrances et les violations de droits se poursuivent au Cameroun et les dirigeants du monde entier ainsi que la communauté internationale peinent à trouver une solution à la crise. Aussi bonnes que soient les intentions, l’erreur est d’écarter les femmes de l’équation.
Les femmes camerounaises comprennent les causes profondes du conflit au Cameroun et la dynamique qui l’alimente. La communauté internationale devrait aider à renforcer la solidarité entre femmes des régions anglophones et francophones du pays et développer leur capacité de leadership pour y accélérer la dynamique de paix.
En Égypte, au Soudan, en Tunisie et ailleurs, nous devons veiller à ce que le militantisme des femmes en faveur de la paix et de la démocratie soit récompensé par des emplois et du leadership politique, mais aussi par la transformation des vies des femmes dans leur ensemble.
Mal reconnue, jamais financée, la valeur du travail des femmes au sein des communautés est pourtant incalculable. Si les femmes soutiennent la paix et nourrissent la société, elles ne participent pourtant presque jamais aux réunions de haut niveau à l’étranger, pas plus qu’elles ne bénéficient d’une représentation politique adéquate. Les dirigeants politiques et les plans stratégiques se succèdent, mais l’engagement des femmes à construire une société meilleure pour leurs enfants reste constant.
Si, comme le veut l’Union africaine, nous devons « Faire taire les armes à feu d’ici 2020 », il faudra que les dirigeants africains gouvernent avec intégrité, soutiennent le développement et luttent contre la corruption. Ils devront combattre les injustices et l’impunité, notamment les violences sexuelles. Les corps des femmes, des enfants et des personnes vulnérables ne doivent plus être exploités. Les lois , les traditions et les pratiques culturelles qui dévalorisent les femmes et en font des citoyennes de seconde zone doivent être radiées des textes de loi. Les femmes sont des personnes, pas des objets.
Il faut réduire le volume des achats d’armes et de munitions. Les femmes le disent : les Africains veulent plus de sécurité, des soins de santé abordables, une éducation de qualité, de la justice – tout ce qui participe à la dignité humaine pour éviter que, privé de ces besoins, les hommes recommencent à se battre. Il est temps d’écouter les conseils, la sagesse des femmes : il en va du leadership, de la volonté politique.
Ce que veut dire la paix
La notion de paix doit être redéfinie. La paix, ce n’est pas l’absence de guerre, mais l’expression pleine et entière de la dignité humaine. La paix, c’est un environnement où les besoins humains sont satisfaits : c’est l’éducation de nos enfants, ce sont des systèmes de santé qui fonctionnent, une justice équitable et impartiale, de la nourriture sur toutes les tables, une communauté de femmes autonomes, reconnues, appréciées et récompensées pour leurs efforts, et bien plus encore.
Les organisations internationales doivent faire confiance aux femmes et les écouter. Au niveau local, le financement des groupes de femmes est trop souvent considéré comme un pari risqué : on leur demande de prouver qu’elles ont déjà reçu des financements avant d’en autoriser un autre. C’est comme si on vous refusait un visa parce que vous n’avez jamais voyagé.
Les institutions doivent être prêtes à faire confiance aux femmes. S’il est crucial d’inviter des femmes à des conférences à New York ou à Genève, les organisations internationales doivent aussi aider ces femmes à rester en première ligne des efforts de reconstruction de leurs pays respectifs.
Les femmes doivent aussi être actives en politique – en tant que candidates, en tant qu’élues, en tant qu’électrices. Si elles sont exclues de la classe politique, leurs problèmes ne seront pas abordés. Avec son élection à l’unanimité à la présidence par des membres de l’Assemblée parlementaire fédérale d’Éthiopie en octobre 2018, Sahle Work-Zewde est devenue la première femme à occuper ce poste. Le fait qu’elle ait été la seule femme chef d’État en Afrique en 2019 est un puissant message et une source d’inspiration pour toutes les jeunes femmes du continent.
Dans les années qui viennent, j’aimerais voir d’autres Africaines revendiquer leurs droits et leur rôle citoyen. Et j’espère que les Africains, notamment les jeunes, réfléchiront à la manière de participer activement à la grandeur de l’Afrique.Ìý Ìý Ìý
Leymah Gbowee est libérienne. Elle a reçu le prix Nobel de la paix en 2011 pour son travail au sein d’un mouvement de femmes pour la paix qui a contribué à mettre fin à la guerre civile au Libéria en 2003.