L’AUDA-NEPAD a été créé à Niamey au Niger en juillet 2019 lors du sommet de l’UA. Sa création résulte des réformes soutenues par le président du Rwanda, Paul Kagame, ancien président de l’UA. Dans une interview avec Kingsley Ighobor, le Dr Mayaki explique le rôle de l’AUDA dans le développement de l’Afrique et revient sur l’intégration régionale et sur les objectifs de son agence pour créer un million d’emplois.
Afrique Renouveau : Quelles sont les principales différences entre l’AUDA et le NEPAD ?
Dr Mayaki: Le mandat de l’AUDA est plus large. Il doit permettre de résoudre les difficultés de mise en oeuvre de certaines décisions prises par l’UA.
Par exemple, nous sommes maintenant le point focal technique pour les partenaires de l’UA tels que la Chine, l’Inde, les Etats-Unis, le G20, ou la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique, ce qui est essentiel pour suivre les accords signés avec ces partenaires.
AUDA va aussi se concentrer sur la mobilisation des ressources et la recherche de synergies entre les secteurs, des aspects fondamentaux des Objectifs de développement durable (ODD). Ainsi, un intérêt pour l’agriculture portera également sur l’eau, l’énergie, les terres, etc.
Le travail est maintenant réparti entre la Commission de l’UA, les Communautés économiques régionales et l’AUDA pour la mise en œuvre des cadres stratégiques de l’UA aux niveaux nationaux et régionaux.
Vous demandez à ce que les organes régionaux jouent un rôle plus important dans le développement de l’Afrique. Y a-t-il beaucoup de tensions entre les institutions régionales et les gouvernements ?
Votre question est fondamentale car l’intégration régionale ne pourra avancer que si les gouvernements appliquent les décisions régionales.
Les gouvernements nationaux sont demandeurs de stratégies de développement régionales. Au sein de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), les ministres de l’agriculture se réunissent régulièrement pour discuter de la transformation du secteur agricole. La CEDEAO (Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest) se réunit aussi pour élaborer une stratégie énergétique commune.
Le problème vient de la manière dont ces décisions régionales fruit d’un travail à l’échelle du continent, sont appliquées au sein de chaque pays. Il nous faut une cohérence entre les stratégies régionales et les programmes nationaux.
La nouvelle zone de libre-échange africaine est une initiative au niveau du continent. Jusqu’au mois de juin, le Nigéria et le Bénin n’en faisaient pas partie. Comment garantir que les gouvernements réalisent les projets de l’UA ?
L’un des facteurs clé de réussite de l’intégration régionale tient à l’implication de chacun. S’il y a un consensus fort, les accords seront solides et nous pourrons commencer à concevoir un plan d’action. Plus vous avez de soutiens lors de la conception d’un projet, moins sa mise en œuvre rencontrera d’obstacles.
Les Etats membres de l’UA fixent les programmes prioritaires de l’UA en votant le budget. Il s’agit de leur argent. Ainsi, si nous avons un programme pour l’énergie renouvelable en Afrique de l’Est, il doit être une priorité pour la région.
Etant donné le nouvel objectif de développement de l’AUDA-NEPAD, qu’espérez-vous de l’intégration régionale ?
L’UA a fait d’immenses progrès, en particulier dans le domaine du libre-échange. Il aura fallu du temps pour rassembler tout le monde. Nous savons de quelles compétences techniques nous avons besoin et la volonté politique est bien présente.
Du fait de l’instabilité mondiale, il faut accroître nos échanges commerciaux au sein de la région. Sinon, nous ne pourrons pas résoudre les problèmes de développement. La mise en œuvre sera difficile car les niveaux de financement requis sont élevés et il est nécessaire d’harmoniser les politiques des Etats, mais nous sommes sur la bonne voie.
Vous avez aussi défendu une approche ascendante (bottom-up) du développement. Ceci n’est-il pas en contradiction avec les objectifs régionaux, qui sont plutôt descendants (top-down) ?
L’approche ne peut pas être descendante car rien ne fonctionne si vous ne dotez pas les communautés locales de moyens.
Par exemple, l’accès à l’électricité est restreint en Afrique -plus de 60% de la population rurale n’y a pas accès. Mais la productivité agricole n’augmentera pas si la question énergétique n’est pas réglée. La meilleure façon de résoudre ce problème est d’avoir des services de production d’énergie décentralisés, gérés par les communautés locales. C’est ce que j’appelle une approche ascendante. La stratégie peut être globale, mais pour la mise en œuvre et l’innovation, il faut partir de la base.
« Le colonialisme fut un système de flux financiers illégaux » avez-vous dit récemment au siège de l’ONU. Que voulez-vous dire ?
Prenez les infrastructures avant l’indépendance, et même avant. S’il y avait une route, elle reliait une mine à un port. Tous les projets d’infrastructure, sauf dans les pays où les colonisateurs envisageaient de s’installer de façon définitive, étaient conçus pour faciliter l’exploitation, l’exploitation, l’exploitation ! L’exploitation des minéraux, des produits agricoles, etc.
Bien que modernisées, les infrastructures de la période coloniale existent encore dans la plupart des pays africains pourtant...
C’est pourquoi nous avons créé le Programme de développement des infrastructures en Afrique (PIDA) afin de renverser cette tendance en donnant la priorité à des projets régionaux et des réseaux de transport qui facilitent les déplacements et contribuent au développement. Une façon de stimuler le commerce en Afrique.
Vous avez annoncé un programme de création d’un million d’emplois. Comment allez-vous vous y prendre ?
Les états membres de l’UA ont voulu être très pragmatiques. Ils ont souhaité poser un objectif quantitatif afin d’être tenus responsables du résultat. Nous avons dit : « ok, un million d’emplois sur les trois prochaines années ». Mais les gouvernements ne créent pas d’emplois, c’est le secteur privé qui en crée, et le secteur privé en Afrique est essentiellement composé de PME. La Banque africaine de développement nous dit que 60% de nos PME ont moins de vingt employés et les 40% restant en ont moins de dix. Si nous aidons 100 000 PME, nous pouvons atteindre l’objectif.
L’Afrique n’a-t-elle pas besoin de plus qu’un million de nouveaux emplois ?
Oui. Chaque année, nous devons créer 20 millions d’emplois. Au cours des trois prochaines années, l’Afrique doit créer 60 millions d’emplois, mais nous ne pouvons viser qu’un million pour le moment. Nous voulons nous appuyer sur les meilleures pratiques dans la création d’entreprises, les centres d’incubation, la protection de la propriété intellectuelle, le financement par les banques nationales de développement, les subventions, pour qu’elles soient déclinées dans tous les pays.
Etant donné les puissances asymétriques des économies africaines - les PME étant plus nombreuses dans les pays plus développés -, les pays pauvres sont ceux qui bénéficieront le moins de ce programme.
Nous visons les pays les moins développés. L’argent que nous recevons de l’UA n’est pas souvent employé pour des projets en Egypte, en Afrique du Sud ou au Nigéria. Le but de l’intégration régionale est de soutenir les pays les moins développés. L’intégration régionale est fondée sur la solidarité et nous savons que cette solidarité n’est pas seulement morale. Elle possède une dimension économique bénéfique à tous.Ìý Ìý Ìý